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Date : 20070418

Dossier : T-1918-06

Référence : 2007 CF 409

Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 avril 2007

En présence de Madame la Juge Snider

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

 

et

 

JANE BECELAERE

(ÉGALEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE MARY JANE BECELARE)

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, le ministre du Revenu national, sollicite une ordonnance déclarant que Jane Becelaere, également connue sous le nom de Mary Jane Becelare (la défenderesse), est coupable d’outrage au Tribunal et de violation d’une ordonnance de la Cour. Par ordonnance en date du 15 mars 2007 (l’ordonnance de justifier), le protonotaire Lafrenière a enjoint à la défenderesse de comparaître devant la Cour pour entendre la preuve des actes suivants, censément commis par elle, dont elle est accusée, et de se préparer à présenter toute défense susceptible de la disculper :

[traduction] La défenderesse, Jane Becelaere (également connue sous le nom de Mary Jane Becelare), est coupable d’outrage au Tribunal et de violation de l’ordonnance rendue par le juge Blanchard le 24 janvier 2007 (l’ordonnance de mise en demeure), parce qu’elle a négligé de produire les documents et de fournir les renseignements exigés par le demandeur conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (les renseignements et documents) dans le délai indiqué dans l’ordonnance de mise en demeure.

 

[2]               La défenderesse, qui se représente elle-même, a comparu devant moi le 16 avril 2007.

 

[3]               La question soumise à la Cour est de savoir si le demandeur a établi, hors de tout doute raisonnable, que la défenderesse est coupable d’outrage au Tribunal.

 

I.   La preuve

[4]               Le demandeur a produit M. Allan Tocher, un employé de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Son témoignage oral concernant les incidents qui ont conduit au prétendu outrage était clair et crédible.

 

[5]               M. Tocher a eu la responsabilité du dossier de la défenderesse portant sur sa présumée dette fiscale. Il a produit un témoignage et des éléments de preuve directement liés aux prétendus faits d’outrage. Eu égard à la preuve produite par celui-ci, j’admets ce qui suit :

1)         Une lettre intitulée « Mise en demeure de produire des documents et de fournir des renseignements », en date du 25 juillet 2006 (la demande de renseignements), envoyée à la défenderesse, exige que celle-ci fournisse certains renseignements et produise certains documents dans un délai de 60 jours. La demande de renseignements était faite en vertu du pouvoir conféré au demandeur par le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. M. Tocher a confirmé que la demande de renseignements a été signifiée à la défenderesse.

2)         La défenderesse a envoyé à l’ARC une lettre datée du 25 septembre 2006, dans laquelle elle répondait ce qui suit :

[traduction] Au vu de ce qui précède, il sera répondu aux questions dans le champ restreint de sa capacité et de sa compétence, pour la période du 1er février 2004 au 30 juin 2006, dans la mesure où elle agit en qualité de « représentante légale » de la « contribuable » pour l’avantage de la contribuable durant cette période […]

 

            En bref, les renseignements demandés n’ont pas été communiqués à l’ARC.

 

3)         L’ordonnance de mise en demeure obligeait la défenderesse à fournir les renseignements et à produire les documents au plus tard 30 jours après la date de l’ordonnance.

4)         La défenderesse a envoyé à la Cour, le 7 février 2007, une lettre dans laquelle elle affirme vouloir obtenir des éclaircissements au sujet de l’ordonnance. Dans cette lettre, la défenderesse écrit ce qui suit :

[traduction] [...] s’il ne vous est pas possible, quelle qu’en soit la raison, de m’envoyer une réponse écrite dont je puisse être raisonnablement en possession au plus tard le 21 février 2007, […] j’en déduirai que, par cette absence de réponse, je puis en toute sécurité présumer que l’ordonnance que vous avez prononcée visait à m’imposer une obligation, mais uniquement dans la mesure où j’agis en qualité de « représentante légale » de la « contribuable », pour son avantage, de fournir les renseignements et de produire les documents que je détiens en cette qualité, et je m’y conformerai en conséquence.

 

5)         La défenderesse a envoyé à M. Tocher une lettre datée du 24 février 2007 dans laquelle elle l’informait que, en l’absence d’une réponse du juge Blanchard, elle présumerait que :

[traduction] […] l’ordonnance ne devait être observée que dans la mesure où j’agissais en qualité de « représentante légale » de la « contribuable », pour son avantage, et elle m’obligeait à fournir les renseignements et produire les documents qui sont en ma possession en cette seule qualité, car autrement il aurait répondu à ma lettre et aurait donné des éclaircissements autres.

 

6)         M. Tocher a témoigné que la défenderesse n’a pas fourni les renseignements ni produit les documents indiqués dans l’ordonnance.

 

[6]               La défenderesse a été informée par la Cour qu’elle ne pouvait pas être tenue ou contrainte de témoigner dans sa défense (paragraphe 470(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106) et que, si elle décidait de témoigner ainsi, elle serait soumise à un contre-interrogatoire de la part de l’avocat du demandeur. La défenderesse a choisi de témoigner oralement.

 

[7]               En réponse aux questions posées par l’avocat du demandeur au cours du contre-interrogatoire, la défenderesse a reconnu qu’elle n’avait pas fourni les renseignements et produit les documents demandés dans la lettre du 25 juillet 2006 qui étaient indiqués dans l’ordonnance de mise en demeure. Elle a expliqué à la Cour qu’elle avait fait de son mieux pour se conformer à l’ordonnance, mais que l’ordonnance était, selon elle, ambiguë. Elle estimait que, sans un éclaircissement du champ d’application de l’ordonnance de mise en demeure, elle n’était soumise à l’ordonnance qu’en sa qualité de représentante légale de la contribuable; dans cette mesure, la défenderesse affirme qu’elle s’est conformée à l’ordonnance. Selon elle, elle ne peut pas être déclarée coupable d’outrage à l’égard d’une ordonnance qui est ambiguë (Sherman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2006 CF 1121).

 

[8]               La défenderesse a également témoigné qu’elle n’a pas payé la somme de 500 $ au titre des dépens, indiquée dans l’ordonnance du 24 janvier 2007. Elle a expliqué qu’elle n’était pas en mesure de payer cette somme et que, en tout état de cause, selon le paragraphe 127(1) du Code criminel, elle ne pouvait pas être déclarée coupable d’outrage à l’égard d’une ordonnance visant le paiement d’argent.

 

II.   Analyse

[9]               L’alinéa 466b) des Règles des Cours fédérales prévoit que quiconque désobéit à une ordonnance de la Cour est coupable d’outrage au tribunal. La partie qui allègue l’outrage a la charge de prouver l’outrage hors de tout doute raisonnable (article 469). Plus exactement, tous les éléments essentiels de l’infraction d’outrage doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable. Lorsque le prétendu outrage est la désobéissance à une ordonnance de la Cour, les éléments essentiels sont les suivants : a) l’existence de l’ordonnance de la Cour; b) la connaissance que le prétendu auteur de l’outrage a de l’existence de l’ordonnance; et c) le fait de désobéir sciemment à l’ordonnance.

 

[10]           Il ne fait aucun doute que le demandeur a prouvé les éléments a) et b) mentionnés ci-dessus. L’existence de l’ordonnance de mise en demeure et la connaissance que la défenderesse avait de cette ordonnance sont clairement établies hors de tout doute raisonnable. L’unique question que la Cour doit trancher est donc de savoir si la défenderesse a désobéi sciemment à l’ordonnance de mise en demeure. Selon la défenderesse, le demandeur n’a pas établi qu’elle a omis sciemment ou délibérément d’observer l’ordonnance de mise en demeure. Selon elle, l’ordonnance de mise en demeure était ambiguë, et elle s’est conformée à l’ordonnance au mieux de ses aptitudes, puisqu’elle n’a pas obtenu les éclaircissements qu’elle avait demandés au juge Blanchard.

 

[11]           Le fondement de l’argument de la défenderesse est le fait que, selon elle, elle n’a eu connaissance de la demande de renseignements et de l’ordonnance de la Cour qu’en sa présumée qualité de représentante légale de la contribuable. Elle prétend qu’il y a une distinction à faire entre sa qualité de représentante légale et sa qualité de personne physique. D’après elle, la demande de renseignements de l’ARC et l’ordonnance de mise en demeure ne pouvaient pas la contraindre à produire les renseignements et les documents dont elle dit qu’ils sont « détenus par moi en ma qualité de “personne physique”, pour mon propre avantage ».

 

[12]           La défenderesse avait présenté au juge Blanchard ses arguments concernant cette présumée distinction. Dans son ordonnance de mise en demeure, le juge Blanchard avait clairement rejeté ces arguments et refusé de rendre une ordonnance en la forme demandée par la défenderesse. Dans son ordonnance, il a écrit ce qui suit :

[traduction] La défenderesse a fait valoir que les activités qu’elle exerçait en tant que « personne physique », pour son avantage personnel, étaient confondues avec les activités qu’elle exerçait en tant que « représentante légale » de la « contribuable ». Je n’arrive pas à saisir la distinction. Les activités commerciales en cause sont les activités de la défenderesse. Je suis d’avis que la défenderesse est « une personne » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elle est assujettie aux dispositions de la Loi. Je rejette donc son argument.

 

[13]           La distinction alléguée par la défenderesse n’a aucun fondement. Il n’y a tout simplement aucune autorité en droit qui soit propre à valider cet argument. La Loi de l’impôt sur le revenu n’établit aucune distinction, aux fins d’une demande de renseignements ou d’une ordonnance de mise en demeure, entre une personne physique et le représentant légal du contribuable. Ainsi que l’affirmait le juge Lemieux, dans une affaire récente tout à fait semblable à la présente espèce, « il s’agit d’une distinction qui est dénuée de sens et qui n’établit pas de différence » (Ministre du Revenu national c. Alistair John Camplin, 2007 CF 183, au paragraphe 28). Je partage cet avis.

 

[14]           Selon moi, il n’y a aucune ambiguïté, que ce soit dans le droit ou dans l’ordonnance de mise en demeure. Devant le rejet sans équivoque, par le juge Blanchard, des arguments de la défenderesse, il est inconcevable d’imaginer qu’elle n’avait pas connaissance du sens de l’ordonnance. Je suis d’avis que, lorsque la défenderesse a demandé des éclaircissements à la Cour et qu’elle a refusé de fournir à l’ARC les renseignements exigés, elle agissait ainsi en sachant parfaitement que l’ordonnance l’obligeait à communiquer tous les renseignements et documents précisés dans la demande de renseignements, lesquels étaient répétés dans l’ordonnance de mise en demeure, sans égard à la présumée qualité en vertu de laquelle elle prétendait détenir de tels renseignements. Elle n’était peut-être pas d’accord avec l’ordonnance de mise en demeure, mais elle était certainement au fait de son contenu. La conclusion incontournable est que la défenderesse a délibérément et sciemment contrevenu à l’ordonnance de la Cour. Le troisième et dernier élément de l’outrage est établi.

 

III.   Conclusion

[15]           En conclusion, pour les motifs énoncés ci-dessus, je déclare la défenderesse coupable d’outrage au Tribunal pour avoir omis de fournir à l’ARC tous les renseignements et documents exigés par l’ordonnance de mise en demeure.

 

[16]           Ayant conclu que la défenderesse est coupable d’outrage comme l’alléguait le demandeur, nous passons maintenant à la question de la sanction qui s’impose. Dans l’arrêt Winnicki c. Commission canadienne des droits de la personne, 2007 CAF 52, au paragraphe 13, la Cour d’appel fédérale écrivait : « Dans de nombreux cas, il serait en effet difficile, peut-être même impossible, pour l’avocat de présenter des observations au sujet de la peine avant de connaître les conclusions du juge au sujet de la culpabilité de l’accusé ». Par conséquent, à la fin de l’audience, j’ai prié les parties de me dire comment elles souhaitaient présenter leurs observations au sujet de la sanction à imposer, au cas où je conclurais qu’il y avait eu outrage. Les parties ont convenu qu’elles préféreraient présenter des observations écrites, appuyées d’une preuve par affidavit, au besoin. La procédure à suivre est exposée dans l’ordonnance accompagnant les présents motifs.

 

[17]           Je rappelle à la défenderesse qu’il lui est loisible de se libérer de sa condamnation pour outrage en fournissant à l’ARC les documents demandés, et ce avant l’étape de la détermination de la sanction dans la présente instance, et ainsi d’alléger la sanction qui pourrait autrement lui être imposée.

 

[18]           Outre leurs observations sur la sanction qui s’impose, les parties seront invitées à présenter leurs observations au sujet des dépens.

 

[19]           Finalement, je relève que la défenderesse n’a pas payé les dépens de 500 $ adjugés au demandeur par le juge Blanchard. Cette somme est exigible et pourra être recouvrée par le demandeur selon les méthodes habituelles, y compris une nouvelle procédure d’outrage.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La défenderesse, Jane Becelaere, également connue sous le nom de Mary Jane Becelare, est déclarée coupable d’outrage au tribunal concernant l’ordonnance de mise en demeure rendue par le juge Blanchard le 24 janvier 2007.

2.         Les parties peuvent, si elles le souhaitent, présenter des observations écrites, accompagnées d’une preuve par affidavit, sur la sanction à imposer à la défenderesse et sur les dépens de la requête, conformément à ce qui suit :

a)         le demandeur peut signifier et déposer ses observations au plus tard le 15 mai 2007;

b)         la défenderesse peut y répondre en signifiant et en déposant ses observations au plus tard le 30 mai 2007;

c)         le demandeur peut signifier et déposer ses observations finales en réponse aux observations de la défenderesse au plus tard le 15 juin 2007.

3.         La Cour reste saisie de la présente affaire afin de déterminer la sanction qui s’impose et les dépens à adjuger.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1918-06

 

INTITULÉ :                                       M.R.N. c. JANE BECELAERE (ÉGALEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE MARY JANE BECELARE)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jason Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Jane Becelaere

(également connue sous le nom de Mary Jane Becelare)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

s/o

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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