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Date : 20070419

Dossier : IMM-2018-06

Référence : 2007 CF 419

Toronto (Ontario), le 19 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

LINA OSMANI,

PAIANDA OSMANI,

SURHAB OSMANI,

SEAIR OSMANI,

SORIA OSMANI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, tous citoyens de l’Afghanistan, sont les membres d’une famille qui demeure actuellement au Pakistan. L’épouse est la demanderesse principale et son époux est le codemandeur. À la date où la demande initiale a été présentée, la famille comptait trois enfants. Depuis, un quatrième enfant est né au Pakistan, mais celui-ci est considéré comme étant citoyen de l’Afghanistan.

 

[2]               Les demandeurs ont présenté au Pakistan une demande de visa en vue d’entrer au Canada en qualité de réfugié au sens de la Convention, à titre de personnes parrainées par la sœur de la demanderesse principale qui est citoyenne et résidente canadienne. Les demandeurs ont été interrogés par un agent des visas canadien au Pakistan qui a procédé à l’examen de la demande. Une deuxième entrevue a été menée par un autre agent des visas, et les demandeurs ont été informés par une lettre en date du 3 février 2006 que ce deuxième agent n’était pas convaincu qu’ils répondaient aux exigences requises pour immigrer au Canada. Les motifs à l’appui de cette conclusion ont été énoncés dans la lettre comme suit :

[traduction]

 

Après avoir examiné attentivement tous les facteurs se rapportant à votre demande, je ne suis pas convaincu que vous êtes membres d’une catégorie réglementaire car, à mon avis, vous ne répondez pas aux exigences requises pour être réinstallés au Canada en tant que membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Je ne suis pas convaincu que votre époux a fourni des renseignements crédibles quant à votre situation personnelle en Afghanistan et ce dernier a fourni des renseignements contradictoires sans explication satisfaisante. Ce manque général de crédibilité influe directement sur les renseignements que vous avez fournis relativement à la demande que vous avez présentée. À ce titre, vous ne m’avez pas convaincu que vous êtes visés par la définition de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

[3]               Les demandeurs réclament que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur elle. Pour les motifs qui suivent, je vais accueillir la présente demande.

 

[4]               Un bref sommaire de l’historique de la cause est nécessaire. Le 11 décembre 2003, chaque demandeur principal a rempli et déposé un formulaire type de demande de résidence permanente au Canada. Dans l’espace prévu pour les détails concernant le service militaire, il semblait y avoir la mention S/O sur le formulaire du demandeur. Le demandeur est illettré et, par conséquent, son formulaire est uniquement signé d’une empreinte du pouce. Cependant, un interprète a aussi signé le formulaire et a déclaré qu’à son avis le demandeur avait compris ce qui était demandé et qu’il avait adéquatement répondu aux questions. Dans un affidavit déposé à la Cour, l’épouse du demandeur jure que c’est elle qui a rempli le formulaire avec l’aide d’un traducteur et qu’elle n’était pas au courant du service militaire effectué par son époux, qui daterait d’avant leur mariage.

 

[5]               Le 22 mars 2005, les demandeurs adultes ont été interrogés en même temps par un premier agent des visas au Pakistan. Dans les notes de l’agent, voici la réponse fournit au sujet du service militaire :

[traduction]

 

SERVICE MILITAIRE. L’ÉPOUX DE LA DP ÉTAIT ÂGÉ DE 36 ANS LORSQU’IL A QUITTÉ L’AFGHANISTAN. L’ÉPOUX DE LA DP A EFFECTUÉ SON SERVICE MILITAIRE DE 1988 À 1991. IL FAISAIT PARTIE DE L’UNITÉ DE BLINDÉS NO 15. IL A GRANDI AU KANDAHAR. IL FAISAIT PARTIE DE LA DIVISION DE CHARS. IL ÉTAIT CUISINIER LÀ-BAS. IL DEVAIT SE RAPPORTER AU CAPITAINE SUPÉRIEUR, (JEGTOORAN) GUL KIL KHAN, QUI ÉTAIT LE COMMANDANT DU BATAILLON DES SERVICES AU SEIN DE LA DIVISION DE CHARS. GUL DIL KHAN SE RAPPORTAIT AU MAJOR OMAR, LE COMMANDANT DE LA DIVISION DE CHARS. LE MAJOR OMAR SE RAPPORTAIT AU GÉNÉRAL (BRID GÉNÉRAL), MUNIR MANGAL, LE COMMANDANT DE L’UNITÉ BLINDÉE NO 15. MUNIR MANGAL SE RAPPORTAIT AU COMMANDANT EN CHEF DE L’ESCADRE DE L’ARMÉE NUMÉRO 7 DE KANDAHAR, SOIT ABDUL HUQ ULUMI. ABDUL HUQ ULUMI SE RAPPORTAIT AU MINISTRE DE LA DÉFENSE.  

 

LA DP N’A JAMAIS VÉCU LA GUERRE.

 

L’ÉPOUX DE LA DP A REÇU UNE FORMATION MILITAIRE DE BASE PENDANT DEUX MOIS ET 21 JOURS.

 

[6]               Les notes de l’entrevue prises par le premier agent des visas se terminent comme suit :

[traduction]

 

COMPTE TENU DU FAIT QU’IL EXISTE TOUJOURS DES CONFLITS CIVILS EN AFGHANISTAN, SANS RECOURS POSSIBLE AUPRÈS D’AUTORITÉS FIABLES, JE RECONNAIS QUE LE DEMANDEUR EST TOUJOURS PERSONNELLEMENT ET SÉRIEUSEMENT TOUCHÉ PAR LA SITUATION ET, PAR CONSÉQUENT, IL RÉPOND À LA DÉFINITION DE LA CATÉGORIE DE PERSONNES DE PAYS D’ACCUEIL.

 

AUCUNE PRÉOCCUPATION B : BDEC RENDUE

 

IMM500 C067897 A ÉTÉ SIGNÉE ET VERSÉE AU DOSSIER.

 

 

[7]               Dans son affidavit, l’épouse explique sa version de l’entrevue comme suit :

[traduction]

 

32. Ils ont demandé pourquoi il n’avait pas fourni dans les formulaires les renseignements appropriés à leur sujet. Encore une fois, mon époux a répondu qu’il n’était qu’un soldat, que durant ses trois années de service ces personnes étaient ses commandants, cependant il n’a pas livré bataille dans une guerre. Il travaillait à la cuisine avec cinq autres cuisiniers, pelant parfois des oignons, faisant cuire des pommes de terre et parfois du riz.

 

33. Ils lui ont encore demandé ce qui était écrit dans les formulaires, comme les noms et les dates de naissance.

 

34. Sur ce, l’entrevue a pris fin. L’agent des visas ne nous a pas demandé de documents ou d’éclaircissement supplémentaires. L’agent des visas s’est levé, nous a serré la main, nous a félicité et nous a donné des formulaires médicaux. On nous a dit qu’on communiquerait avec nous.

 

35. Nous avons alors compris que notre demande avait été acceptée, puisqu’il semble que ce soit la pratique du Bureau canadien des visas de seulement remettre des examens médicaux de l’immigration lorsque les demandes ont été acceptées. Nous avons passé les examens médicaux de l’immigration et en avons avisé le bureau des visas.

 

[8]               Le 23 janvier 2006, les demandeurs ont été convoqués à une deuxième entrevue qui a eu lieu devant un autre agent des visas au Pakistan. Immédiatement avant l’entrevue, un formulaire avait été rempli quant au service militaire effectué par le demandeur, dans lequel il était indiqué qu’il avait été cuisinier durant sa période de service.

 

[9]               Lors de la deuxième entrevue, des notes ont été prises par l’agent qui a effectué l’entrevue. Elles sont trop longues pour êtes reprises intégralement mais se terminent ainsi :

[traduction]

 

Pour le moment, je vais devoir refuser cette demande pour manque de crédibilité. Je n’arrive pas à comprendre les contradictions avec ce qui a été dit au premier agent et l’emploi à multiples occasions des mots « blindé » et « char ». Je ne suis pas convaincu que le demandeur a été aussi communicatif avec moi qu’il aurait pu l’être lors de cette entrevue. Il ne s’agit pas d’une situation où il y a une seule contradiction. Le récit du demandeur aujourd’hui contredit ce qui a été dit à plusieurs reprises dans les notes de l’entrevue précédente et d’une façon qui rendrait les erreurs de traduction très improbables. Il faut aussi indiquer le fait qu’il n’y a eu absolument aucune mention du service militaire dans le formulaire original de demande IMM8, annexe 1.

 

Je ne suis pas convaincu quant à la crédibilité et je suis incapable de m’assurer que le demandeur ne serait pas exclu de la définition de cette catégorie prévue à l’alinéa 139(1)i) du Règlement.

 

MSS : S’il vous plaît préparer une lettre de refus.

BO43734563 JR  23-JAN-2006.

 

 

[10]           Trois points doivent être soulignés relativement à ces notes. Premièrement, le refus est de nature provisoire par l’emploi des mots : « pour le moment ». Deuxièmement, il est indiqué, par l’utilisation d’une double négation, que le refus est fondé sur le fait que le demandeur n’a pas été en mesure de convaincre l’agent qu’il ne serait pas exclu de la définition de la catégorie énoncée à l’alinéa 139(1)i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Troisièmement, une personne identifiée comme MSS est chargée de rédiger une lettre de refus.

 

[11]           Pour ce qui est du premier point, c’est-à-dire le fait que la décision a été prise « pour le moment », il est clair que le répondant du demandeur au Canada, sur réception de renseignements concernant l’entrevue, aurait immédiatement indiqué à son avocat canadien de communiquer avec l’agent de sorte à tenter de répondre aux préoccupations exprimées, ce qui a été effectué par lettre, en date du 25 janvier 2006, envoyée par M. Loebach, avocat canadien, laquelle a été reçue par le Bureau d’immigration canadienne au Pakistan, le 3 février 2006. Cette lettre indiquait que l’avocat agissait au nom des demandeurs et de leur répondant canadien. L’avocat a demandé un délai avant qu’une décision soit rendue pour permettre à ses clients d’entreprendre des démarches dans le but d’obtenir des documents supplémentaires qui pourraient les aider. Curieusement, il n’y a pas eu d’accusé de réception de cette lettre même si le Haut-commissariat du Canada a envoyé une lettre directement à la demanderesse, le 27 février 2006, faisant référence à sa « récente lettre » laquelle, s’il s’agit d’une lettre autre que celle de l’avocat, est introuvable au dossier.

 

[12]           À cette étape, il faut examiner le troisième point qui porte sur les notes suivantes inscrites par l’agent :

[traduction]

 

JR :  LETTRE DE REFUS À YR POUR RÉVISION ET SIGNATURE S’IL VOUS PLAÎT. BO43734563 MSS 01‑FÉV‑2006. 

 

LETTRE DE REFUS SIGNÉE PAR JR. ET ENVOYÉE À FN PAR COURRIER RECOMMANDÉ. CC ENVOYÉE À CIC. COPIE VERSÉE AU DOSSIER.

 

BO43734563 MSS 06-FÉV-2006.

 

 

[13]           Ces notes font immédiatement suite à celles du 23 janvier 2006, citées précédemment. Elles semblent indiquer qu’une lettre de refus a été rédigée en vue d’être signée par l’agent le 1er février 2006, mais qu’elle n’a pas été signée ou envoyée avant le 6 février 2006. La lettre elle‑même, en date du 3 février 2006, est la lettre de décision qui est en cause.

 

[14]           Ainsi, il semble que la lettre de l’avocat canadien ait été reçue au bureau de l’agent des visas le 3 février 2006, la même date qu’affiche la lettre de décision, et que la lettre de l’avocat canadien soit demeurée au bureau pendant environ deux ou trois jours avant que la lettre en date du 3 février ait en fait été signée et envoyée le 6 février 2006. Il n’y a aucun affidavit ou aucune autre preuve de l’agent des visas ou de toute autre personne pour expliquer ce qui s’est passé. Il est raisonnable de conclure que l’agent des visas a simplement décidé de ne pas tenir compte de la lettre de l’avocat canadien pour des raisons qui ne figurent pas au dossier.

 

[15]           Le deuxième point, c’est-à-dire le fait que l’agent s’est fondé sur l’alinéa 139(1)i) du Règlement de la LIPR est très révélateur. Cet alinéa prévoit simplement qu’un visa ne peut être délivré si le demandeur, ou un membre de sa famille qui présente une demande, est interdit de territoire. L’agent n’indique pas le motif sur lequel il s’est fondé pour conclure que le demandeur ou un membre de sa famille était interdit de territoire. Par exemple, il n’a pas été précisé s’il s’agissait de motifs sanitaires ou de sécurité nationale ou d’atteinte aux droits humains ou internationaux ou encore de grande criminalité. Il ne reste qu’à deviner.

 

[16]           Rien dans le dossier n’indique ou même ne laisse croire que le demandeur a porté atteinte aux droits humains et internationaux ou qu’il a été déclaré coupable d’un acte criminel. Il était dans l’armée afghane en tant que conscrit, exerçant des fonctions de cuisinier pendant le régime marxiste, ce qui ne figure nulle part en tant que motif d’exclusion.

 

[17]           Il est clair que le deuxième agent des visas, contrairement au premier, n’a pas accepté certaines des réponses données par le demandeur au sujet du service militaire antérieur. Mais en soi, cela ne mène nulle part. S’il s’agit là du motif de l’exclusion, on aurait dû le dire expressément.

 

[18]           Compte tenu du fait que l’agent des visas a omis de tenir compte de la lettre de l’avocat dont il disposait et d’indiquer expressément le motif de son refus, le cas échéant, il est évident qu’il doit être statué à nouveau sur cette affaire par un autre agent qui est clairement et entièrement au courant de tous les faits pertinents et qui, de ce fait, sera en mesure de rendre une décision motivée.

 

[19]           L’avocat du défendeur a proposé une question aux fins de certification, cependant, la présente affaire est fondée sur les faits et n’aura aucune application de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

Pour ces motifs,

 

LA COUR STATUE :

1.                  que la demande est accueillie.

2.                  que l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il statue à nouveau sur elle.

3.                  qu’il n’y a aucune question aux fins de certification.

4.                  qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-2018-06

                                                           

 

INTITULÉ :                                                                           LINA OSMANI ET AUTRES c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 18 AVRIL 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 19 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loebach                                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

David Tyndale                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

Avocat                                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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