Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070419

Dossier : T-1496-06

Référence : 2007 CF 421

MONTRÉAL (Québec), le 19 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ

 

 

ENTRE :

SHAWN CARMICHAEL

demandeur

 

 

et

 

L’AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’Agence canadienne d'inspection des aliments (l’ACIA), en date du 17 juillet 2006, par laquelle l’ACIA lui retirait, en application de l’article 7.2 du Règlement sur les œufs (le Règlement), pris en vertu de la Loi sur les produits agricoles au Canada (la Loi), l’agrément de son poste d’œufs 0-116. Le demandeur demande que soit rendue une ordonnance annulant cette décision.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est le propriétaire et l’exploitant du poste d’œufs 0-116, dans le comté de Grenville (Ontario). Ce poste a été agréé le 17 janvier 1995.

 

[3]               M. Bashir Manji (le directeur) est le directeur aux fins du Règlement sur les œufs. Son rôle consiste à étudier les prétentions de l’ACIA et de l’exploitant (le demandeur) et à rendre une décision sur toute demande de retrait d’agrément.

 

[4]               L’ACIA dit que le demandeur a plusieurs fois contrevenu au Règlement, notamment en exploitant son poste d’œufs d’une manière insalubre. Il avait reçu des avertissements en novembre 1997, en janvier 1999 et en avril 1999, ce qui avait entraîné un arrêté de retrait d’agrément au début de décembre 2003, arrêté dont la prise d’effet avait été par la suite reportée à une date ultérieure ce mois-là.

 

[5]               En 2004, l’ACIA était préoccupée par le poste d’œufs parce qu’il n’y avait pas eu « durant une période prolongée » de produits susceptibles d’être inspectés. L’ACIA a reçu en 2005 des plaintes de détaillants selon lesquelles les œufs ne répondaient pas aux conditions de leur classement. L’ACIA a entrepris alors de surveiller le poste.

 

[6]               Le 7 avril 2006, l’ACIA communiqua avec le demandeur pour l’informer qu’il devait se conformer au règlement, sous peine de suspension ou de retrait de l’agrément et, le 26 avril 2006, l’ACIA lui envoya une autre lettre dans le même sens.

 

[7]               Le 9 mai 2006, l’ACIA rencontra le demandeur et son avocat pour leur expliquer les déficiences de la méthode de production du demandeur qui devaient être corrigées. Parmi ces déficiences, il y avait les suivantes : les œufs étaient entreposés à la mauvaise température, le stockage sous abri était inacceptable et les mesures antiparasitaires étaient insuffisantes.

 

[8]               Le 11 mai 2006, l’ACIA a estimé que les problèmes n’avaient pas été résolus et a constaté en particulier que la température de l’installation de refroidissement des œufs ne convenait pas. Durant cette inspection, le demandeur n’a pas voulu que des inspecteurs examinent les œufs chargés sur son camion.

 

[9]               Le 16 mai 2006, le permis d’exploitation du poste d’œufs fut suspendu parce que le demandeur avait refusé d’autoriser l’inspection. Cette décision a été prise par M. Bashir Manji, qui à l’époque était le directeur de la Section agroalimentaire de l’ACIA.

 

[10]           Une lettre fut envoyée au demandeur, où on lui expliquait que la suspension serait levée dès que des inspecteurs seraient en mesure de s’assurer de la conformité de son entreprise au Règlement. On ajoutait qu’un constat de non-conformité pouvait entraîner le retrait de l’agrément du poste d’œufs. Cette lettre ne précisait pas la date à laquelle un retrait pouvait survenir après l’imposition de la suspension, mais elle indiquait le 24 mai 2006 comme date prévue de l’audience de retrait, étant entendu que si le demandeur ne pouvait s’y présenter ce jour-là, il devrait en informer l’ACIA avant le 22 mai 2006 pour qu’une autre date soit fixée. Le demandeur était informé dans cette lettre qu’il aurait l’occasion d’interroger toute personne sur les renseignements qui intéressaient la question et qu’il pourrait soumettre des documents et être représenté par un avocat.

 

[11]           Le 19 mai 2006, l’avocate du demandeur écrivait au directeur pour lui dire que la suspension était invalide et que l’ACIA revenait sur l’entente conclue le 9 mai 2006, selon laquelle le demandeur bénéficierait d’un délai pour mettre à exécution un plan d’action destiné à corriger les déficiences relevés lors de l’inspection. En outre, l’avocate du demandeur informait l’ACIA que toutes les anomalies avaient été rectifiées au plus tard le 15 mai 2006, et elle sollicitait une nouvelle inspection, qui n’eut pas lieu.

 

[12]           Le 20 mai 2006, le demandeur fut observé en train de livrer des œufs à des détaillants d’Ottawa, contrevenant ainsi à la suspension. Les œufs saisis lors de cette livraison furent inspectés, et l’on constata qu’ils ne remplissaient pas les conditions de leur classement.

 

[13]           Le 23 mai 2006, le directeur informait le demandeur que l’audience devant avoir lieu le 24 mai 2006 était reportée jusqu’à nouvel ordre.

 

[14]           Le 24 mai 2006, à la requête du directeur régional de l’ACIA pour la région nord-est, le demandeur était informé par lettre de l’intention de l’ACIA de retirer l’agrément de son poste d’œufs, au motif qu’il n’avait pas communiqué ses rapports hebdomadaires et qu’il continuait de vendre des œufs dans des cartons portant la mention « Canada catégorie A ». Une audience à cette fin fut fixée au 29 mai 2006 et, s’il ne pouvait s’y présenter, il devait en informer l’ACIA au plus tard le 27 mai 2006.

 

[15]           Le 25 mai 2006, l’avocate du demandeur confirmait qu’elle se présenterait à l’audience, mais informait l’ACIA qu’elle n’était pas disposée à aller de l’avant parce qu’elle n’avait pas reçu l’information que l’ACIA entendait invoquer.

 

[16]           Le 28 mai 2006, le directeur informait l’avocate du demandeur qu’il avait été informé ex parte par le conseiller juridique de l’ACIA qu’il fallait reporter l’audience. Le motif invoqué pour le report était les « préoccupations touchant la sécurité », parce que l’Association des propriétaires fonciers de Lanark pressait ses membres d’assister à l’audience.

 

[17]           Le 29 mai 2006, l’avocate du demandeur faisait savoir au directeur qu’il était déplacé de sa part d’engager des pourparlers ex parte avec le conseiller juridique de l’ACIA et que cela constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[18]           Il n’y a pas eu d’audience le 29 mai 2006.

 

[19]           Le 30 mai 2006, l’avocate du demandeur informait le directeur de ses préoccupations, ayant appris qu’il était l’arbitre de l’audience annulée en dépit du fait que c’était également lui qui avait recommandé le retrait de l’agrément. Elle voulait qu’une autre personne soit nommée pour arbitrer cette affaire. Elle a soulevé d’autres sujets d’inquiétude : la communication tardive de documents invoqués par l’ACIA, la conversation ex parte, et le fait qu’elle n’avait pas été invitée à présenter ses prétentions au sujet des questions procédurales, notamment les préoccupations touchant la sécurité.

 

[20]           Le 30 mai 2006, l’avocat de l’ACIA demandait que l’audience se déroule à huis clos, par vidéoconférence ou par conférence téléphonique, en raison de préoccupations touchant la sécurité.

 

[21]           Le 31 mai 2006, l’avocate du demandeur priait l’ACIA de lui communiquer les détails des préoccupations touchant la sécurité, afin d’être en mesure de présenter ses prétentions quant à la manière dont l’audience devait se dérouler. Elle a aussi communiqué avec le président de l’ACIA pour le prier de nommer un nouvel arbitre dans cette affaire.

 

[22]           Le 6 juin 2006, le directeur fixa la date de l’audience au 14 juin ou au 19 juin 2006, à Ottawa, précisant qu’elle se déroulerait à huis clos. Le directeur informa le demandeur que si aucune de ces dates n’était acceptable, il irait de l’avant en se fondant sur des prétentions écrites.

 

[23]           Le 7 juin 2006, l’avocate du demandeur informait le directeur qu’elle était tenue aux deux dates proposées, car elle devait comparaître au palais de justice pour d’autres affaires. Dans la même lettre, elle rappelait aussi au directeur qu’elle avait déjà dit qu’elle ne serait pas disponible ces jours-là, et elle réitérait ses inquiétudes sur les aspects suivants : le fait que M. Manji serait l’arbitre, l’absence de détails sur les raisons de la tenue d’une audience à huis clos, enfin la nature des préoccupations touchant la sécurité. Elle s’opposait aussi à ce que la procédure se déroule sur la foi de prétentions écrites, étant donné que la crédibilité était un aspect litigieux et que le demandeur devait avoir le droit de contre-interroger, comme on le lui avait été promis.

 

[24]           Le 8 juin 2006, le directeur faisait savoir que l’audience aurait lieu à huis clos et que si l’avocate du demandeur ne pouvait se libérer avant le 30 juin 2006, l’audience se déroulerait sur la base de prétentions écrites.

 

[25]           Le 9 juin 2006, l’avocate du demandeur a sollicité des dates en juillet ou en août parce qu’elle ne pourrait pas se libérer en juin. Le directeur l’informa néanmoins que l’audience se déroulerait sur la base de prétentions écrites, celles de l’ACIA devant être déposées au plus tard le 21 juin 2006, et celles du demandeur au plus tard le 30 juin 2006.

 

[26]           Le 17 juillet 2006, le directeur retirait l’agrément du poste d’œufs du demandeur. Le 18 août 2006, le demandeur déposait sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de retrait.

 

La décision contestée du 17 juillet 2006

[27]           Le directeur a conclu qu’une audience de retrait d’agrément n’était pas un appel à l’encontre de la suspension et que les textes législatifs l’autorisaient à présider ladite audience même s’il avait participé à l’enquête sur la suspension.

 

[28]           Le point essentiel tel que l’a exposé le directeur était le fait que le demandeur n’avait pas laissé l’ACIA inspecter les œufs se trouvant sur son camion le 11 mai 2006. Le directeur a jugé que les inspecteurs avaient, selon le paragraphe 21(1) de la Loi, des motifs raisonnables de croire que le camion transportait des produits définis dans la Loi. Le directeur a donc conclu que le demandeur avait entravé l’action des inspecteurs, contrevenant ainsi au paragraphe 19(4) de la Loi.

 

[29]           Le directeur a reconnu que le demandeur l’avait informé qu’il avait, au 15 mai 2006, corrigé toutes les déficiences. Cependant, il semble que l’ACIA n’a pas cherché à faire une nouvelle inspection en dépit d’une correspondance antérieure où elle écrivait que le demandeur bénéficierait d’une nouvelle inspection.

 

[30]           Le directeur a invoqué l’alinéa 7.1(3)a) du Règlement, qui prévoit que « la suspension de l’agrément prévue au paragraphe 1 demeure en vigueur jusqu’à ce que les mesures correctives requises soient prises et qu’elles aient été vérifiées par l’inspecteur ». Il se fondait aussi sur l’alinéa 7.1(3)b), qui prévoit que la suspension demeure en vigueur « jusqu’à ce qu’une décision soit prise, si une procédure de retrait a été entamée en vertu de l’article 7.2 ».

 

[31]           Le directeur a conclu qu’aucune preuve n’avait été présentée par l’une ou l’autre des parties montrant qu’une vérification avait été faite, et donc que la suspension demeurait en vigueur. Le directeur ne pouvait pas dire par conséquent si les déficiences avaient été corrigées ou non.

 

[32]           Le directeur a conclu que le demandeur vendait des œufs portant la désignation « Canada catégorie A » alors qu’il était sous le coup d’une suspension et que, ce faisant, il avait contrevenu à l’article 5 du Règlement.

 

[33]           La conclusion du directeur selon laquelle le demandeur avait contrevenu au paragraphe 9(25) du Règlement parce qu’il n’avait pas remis de rapports hebdomadaires au directeur exécutif a été admise par l’avocate du demandeur, qui a précisé que la présentation de tels rapports ne poserait aucune difficulté dans l’avenir.

 

[34]           Le directeur a conclu que, même s’il reconnaissait que les déficiences étaient corrigées, il ne pouvait que s’en rapporter aux faits, puisque, d’après ses constatations, il demeurait établi que le demandeur vendait ses œufs dans le commerce de détail en sachant que l’agrément de son poste d’œufs était suspendu. Il expliquait aussi que si le demandeur faisait classer ses œufs ailleurs, il aurait dû en fournir la preuve pour réfuter l’accusation selon laquelle il classait des œufs alors qu’il était sous le coup d’une suspension. Il a aussi mentionné que l’ACIA avait communiqué avec presque tous les postes d’œufs des environs pour obtenir confirmation qu’aucun d’eux ne classait les œufs du demandeur.

 

[35]           En outre, que les déficiences fussent ou non corrigées, le directeur a conclu qu’il n’était pas contesté que le demandeur avait manqué à son obligation d’envoyer au directeur exécutif des rapports hebdomadaires. Cela demeurait une contravention au Règlement, quand bien même le poste d’œufs eût-il été mis aux normes.

 

[36]           Le directeur a relevé que les taux de rejet des œufs faisaient courir un risque au consommateur et que, sur le plan de l’innocuité des produits alimentaires, les niveaux de saleté, les fissures et autres déficiences étaient inacceptables.

 

[37]           Par conséquent, le directeur a retiré l’agrément du poste d’œufs 0-116 le 17 juillet 2006.

 

[38]           Les dispositions législatives applicables sont les suivantes :

Règlement sur les œufs

 

            PARTIE I

 

               Suspension de l’agrément

7.1 (1) Le directeur peut suspendre l’agrément d’un poste d’œufs agréé si :

a) d’une part, l’une des situations suivantes existe :

(i) le poste d’œufs n’est pas conforme à la Loi, au présent règlement, ou à toute autre législation fédérale qui lui est applicable,

(ii) l’exploitant ne se conforme pas aux dispositions de la Loi, du présent règlement, ou de toute autre législation fédérale en matière d’exploitation du poste d’œufs qui lui est applicable,

(iii) l’exploitant n’a pas payé le prix applicable prévu dans l'Avis sur les prix de l’Agence canadienne d’inspection des aliments selon les modalités qui y sont prévues;

b) d’autre part, l’exploitant n’a pas corrigé la situation visée par un rapport fourni aux termes de l’alinéa (2)a) dans le délai visé à l’alinéa (2)b).

Egg Regulations

 

            PART I

 

               Suspension of Registration

7.1 (1) The Director may suspend the registration of a registered egg station

(a) if any of the following situations exists, namely,

(i) the egg station does not meet the requirements of the Act or these Regulations or of any other federal legislation applicable to it,

(ii) the operator does not comply with the provisions of the Act or these Regulations or of any other federal legislation applicable to the operator in respect of their operation of the egg station, or

(iii) the operator has failed to pay a fee prescribed by the Canadian Food Inspection Agency Fees Notice in accordance with the conditions of payment prescribed by that Notice; and

(b) if the operator has failed to remedy any situation identified in the inspection report provided under paragraph (2)(a) by the deadline specified for doing so in accordance with paragraph (2)(b).

 

(2) L’agrément d’un poste d’œufs agréé ne peut être suspendu en vertu du paragraphe (1) que si :

a) l’exploitant a reçu de l’inspecteur un exemplaire de son rapport d’inspection faisant état de toute situation visée à l’alinéa (1)a);

b) l’inspecteur a avisé l’exploitant, par écrit, du délai dans lequel la situation doit être corrigée afin d’éviter la suspension;

c) un avis de suspension de l’agrément a été remis à l’exploitant.

 

(2) No registration shall be suspended under subsection (1) unless

(a) the operator is provided with a copy of an inspection report prepared by an inspector that identifies a situation set out in paragraph (1)(a);

(b) the inspector has specified, in writing to the operator, the deadline by which the situation must be remedied to avoid suspension; and

(c) a notice of suspension of registration is delivered to the Operator.

(2.1) Malgré les paragraphes (1) et (2), si le maintien de l’exploitation du poste d’œufs présente un danger pour la santé publique, le directeur peut suspendre immédiatement l’agrément du poste d’œufs pourvu qu’il ait au préalable signifié à l’exploitant un rapport d’inspection décrivant la situation et un avis de suspension.

(2.2) Si l’agrément est suspendu en application du paragraphe (2.1), l’inspecteur avise sans délai l’exploitant, par écrit, du délai dans lequel la situation doit être corrigée afin d’éviter le retrait de l’agrément.

2.1) Despite subsections (1) and (2), if public health will be endangered if a registered egg station is allowed to continue operating, the Director may, on delivery to the operator of an inspection report setting out the situation and a notice of suspension of registration, suspend the registration of the egg station effective immediately.

(2.2) When the registration of a registered egg station is suspended under subsection (2.1), the inspector shall without delay specify in writing to the operator the deadline by which the situation must be remedied to avoid cancellation of that registration.

(3) La suspension de l’agrément prévue au paragraphe (1) demeure en vigueur :

a) soit jusqu’à ce que les mesures correctives requises soient prises et qu’elles aient été vérifiées par l’inspecteur;

b) soit jusqu’à ce qu’une décision soit prise, si une procédure de retrait a été entamée en vertu de l’article 7.2;

c) [Abrogé, DORS/2006-193, art. 3]

[SOR/90-110, s. 3; SOR/2006-193, s. 4.]

 

(3) A suspension of registration under subsection (1) shall remain in effect

(a) until the required corrective measures have been taken and have been verified by an inspector; or

(b) where a cancellation procedure has been commenced under section 7.2, until the resolution of the cancellation issue.

(c) [Repealed, SOR/2006-193, s. 3]

[SOR/90-110, s. 3; SOR/96-124, s. 1; SOR/2000-183, s. 1; SOR/2006-193, s. 3]

Retrait de l’agrément

7.2 (1) Le directeur peut retirer l’agrément d’un poste d’œufs agréé dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’exploitant n’a pas corrigé la situation dans l’un ou l’autre des délais suivants :

(i) dans les trente jours suivant la date de suspension de l’agrément aux termes du paragraphe 7.1 (1),

(ii) dans le délai visé au paragraphe 7.1 (2.2), dans le cas d’une suspension imposée au titre du paragraphe 7.1 (2.1);

b) la demande d’agrément contient des renseignements faux ou trompeurs.

Cancellation of Registration

7.2 (1) The Director may cancel the registration of a registered egg station where

(a) the operator has not remedied the situation,

(i) if the registration of the egg station was suspended under subsection 7.1(1), within the 30-day period following the day on which the registration was suspended, or

(ii) if the registration of the egg station was suspended under subsection 7.1 (2.1), by the deadline referred to in subsection 7.1 (2.2); or

(b) the application for registration contains false or misleading information.

 

(2) L’agrément d’un poste d’œufs ne peut être retiré que si :

a) l’exploitant a été avisé de la possibilité de se faire entendre et s’est vu accorder cette possibilité;

b) un avis de retrait de l’agrément a été remis à l’exploitant.

 

[DORS/90-110, art. 3; DORS/2006-193, art. 4.]

(2) No registration shall be cancelled unless

(a) the operator was advised of an opportunity to be heard in respect of the cancellation and was given that opportunity; and

(b) a notice of cancellation of registration was delivered to the operator.

 

[DORS/90-110, art. 3; DORS/96-124, art. 1; DORS/2000-183, art. 1; DORS/2006-193, art. 3.]

 

 

[39]           Les points soumis à la Cour sont les suivants :

a)  Y avait-il raisonnablement lieu de craindre la partialité du directeur étant donné qu’il se prononçait sur sa propre recommandation, et compte tenu également de sa conduite dans cette affaire?

 

b)  Le directeur a-t-il manqué à l’équité procédurale parce qu’il a refusé la tenue d’une audience, plus précisément en supprimant le droit du demandeur de vérifier les témoignages par contre-interrogatoire?

 

c)  Le directeur a-t-il perdu sa compétence pour avoir commis une erreur de droit, parce qu’il a retiré l’agrément sans d’abord se demander si les conditions préalables d’un tel retrait, énoncées dans l’article 7.2 du Règlement sur les œufs, étaient remplies?

 

d)  Le directeur a-t-il perdu sa compétence pour avoir commis une erreur de droit, parce qu’il n’a pas vérifié si le demandeur s’était conformé au Règlement sur les œufs, ou parce qu’il n’a pas donné au demandeur une occasion raisonnable de s’y conformer?

 

[40]           Les parties n’abordent pas dans leurs prétentions écrites la question de la norme de contrôle devant s’appliquer. Cependant, la Cour est d’avis que tous les points soulevés dans la présente affaire concernent l’équité procédurale.

 

[41]           Dans l’arrêt Sketchley c. Canada, 263 DLR. (4th) 113, au paragraphe 46, on peut lire que « l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique toutefois pas aux allégations concernant l’équité procédurale, qui font toujours l’objet d’un contrôle à titre de question de droit ». Les conclusions du directeur de la Section agroalimentaire de l’ACIA n’appellent aucune retenue, car « il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale » [arrêt  S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 100].

 

[42]           Dans l’arrêt Agence canadienne d'inspection des aliments c. Westphal-Larsen, 232 D.L.R. (4th) 486, une affaire qui concernait l’importation de sous-produits animaux et qui soulevait une question d’interprétation des lois, la Cour d'appel fédérale a procédé, au paragraphe 7, à une analyse pragmatique et fonctionnelle portant sur la Section agroalimentaire de l’ACIA. La présente affaire s’apparente à l’affaire Westphal-Larsen, car le directeur s’est livré à une interprétation du Règlement, et le passage suivant de l’arrêt Westphal-Larsen trouve donc application :

Je remarque que la Commission de révision n'est pas protégée par une clause privative. L'article 12 de la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R. 1985 (4e suppl.), ch. 20, la loi en vertu de laquelle la Commission de révision a été instituée, prévoit que les décisions de la Commission ne sont susceptibles de révision qu'au titre de la Loi sur la Cour fédérale, ce qui veut dire, selon moi, que ses décisions ne sont susceptibles de révision que pour les motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de cette loi, notamment l'erreur de droit. La question dont la Commission est saisie est une pure question d'interprétation de la loi qui ne fait pas appel à ses connaissances spécialisées dans le domaine de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire. Par conséquent, on ne saurait prétendre que la Commission possède à l'égard de la question en cause une expertise comparable à celle de la Cour. L'instance particulière qui a donné lieu à la présente demande comporte une pénalité administrative pour inobservation de certaines dispositions réglementaires. La Commission n'était donc pas obligée de se livrer à ce genre d'analyse polycentrique à l'égard de laquelle une cour siégeant en contrôle judiciaire doit faire preuve d'une certaine retenue. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle de la Commission de révision quant à la question soulevée par la présente demande est celle de la décision correcte.

 

 

[43]           Le demandeur fait valoir qu’il est tout à fait inapproprié qu’un arbitre statue sur ses propres recommandations. Selon lui, cela suscite une crainte de parti pris institutionnel. Il dit que la crainte de partialité a été poussée à son paroxysme en raison de la conduite du directeur, et notamment :

-   les communications ex parte du directeur avec le conseiller juridique de l’ACIA;

 

-   le report de la procédure à la requête du conseiller juridique de l’ACIA, sans intervention du demandeur;

 

-   l’audience, dont les raisons n’ont pas été précisées au demandeur;

 

-   le fait que le directeur n’a pas entendu ses arguments sur la partialité ou sur les questions touchant la sécurité;

 

-   le fait que la date du 30 juin 2006 ait été retenue, alors que le directeur savait que l’avocate du demandeur ne pourrait pas se libérer avant juillet 2006;

 

-   la nécessité d’un contre-interrogatoire, vu que le demandeur nie bon nombre des faits allégués;

 

-   le fait qu’au départ une audience en règle avait été consentie au demandeur, pour ensuite devenir simplement une audience fondée sur des prétentions écrites;

 

-   le fait que le directeur n’a pas obligé l’ACIA à prouver que les œufs en cause (ceux soumis à l’inspection du 20 mai 2006) n’avaient pas été classés ailleurs.

 

 

 

[44]           Le demandeur maintient que le fait de laisser le directeur statuer sur ses propres recommandations ne peut qu’éroder la confiance du public dans l’impartialité de notre système. Selon lui, la présente affaire requiert non seulement que justice soit rendue, mais aussi qu’elle paraisse être rendue. Si le directeur était habilité à présider l’audience, alors le demandeur soutient qu’il aurait dû agir avec la plus grande circonspection afin de préserver la confiance du public, alors que les points évoqués ci-dessus montrent que sa conduite n’atteignait pas cette norme.

 

[45]           Le demandeur, invoquant le jugement Vennat c. Canada (P.G.), [2006] A.C.F. n° 1251 (QL), soutient qu’il faut considérer l’ensemble des circonstances lorsqu’on se demande si le résultat final a été obtenu dans le respect de l’équité procédurale.

 

[46]           Le demandeur maintient aussi que, vu la gravité du résultat et le désaccord sur les faits, un droit à contre-interrogatoire non seulement existe, mais a été reconnu par le directeur à deux reprises lorsqu’il avait indiqué la manière dont l’audience se déroulerait, en mentionnant ce droit : [traduction] « … Toute l’information se rapportant aux points soulevés sera donnée en votre présence, et vous aurez la possibilité d’interroger toute personne concernant cette information… » [dossier du demandeur, onglets C et F, lettres datées du 16 mai et du 24 mai 2006].

 

[47]           L’indisponibilité de l’avocate du demandeur – durant quelques semaines – n’aurait pas dû avoir pour effet de faire disparaître ce droit à l’équité procédurale, que le demandeur aurait pu exercer par exemple pour contester la preuve admise par le directeur selon laquelle les inspecteurs avaient le 20 mai 2006 des motifs raisonnables de fouiller le camion en vertu du Règlement.

 

[48]           Là encore, le demandeur, invoquant le jugement Vennat, affirme qu’il faut considérer l’ensemble des circonstances pour déterminer le niveau requis d’équité procédurale.

 

[49]           Par exemple, bien que le directeur fût informé par l’avocate du demandeur [TRADUCTION] « que toutes les mesures correctives [avaient] été prises et [avaient] en fait été menées à bonne fin trois (3) jours après l’inspection, en prévision d’une inspection complémentaire déjà prévue », l’inspection complémentaire n’a jamais eu lieu.

 

[50]           Le directeur ne pouvait donc en toute effruité arriver à la conclusion que les déficiences n’avaient pas été corrigées, et donc l’agrément n’aurait pas dû être retiré.

 

[51]           La défenderesse soutient que le critère de la partialité doit répondre à la norme de la prépondérance des probabilités, et qu’il faut se garder d’être par trop scrupuleux ou tatillon, ainsi que l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484. La défenderesse soutient par conséquent que le demandeur n’a pas prouvé à ce niveau l’existence d’une crainte de partialité. Il dit aussi que le demandeur n’a trouvé à redire à aucun des aspects fondamentaux des discussions ex parte entre le directeur et le conseiller juridique de l’ACIA; une personne bien renseignée et au fait de la situation ne pourrait donc pas croire qu’il y a eu partialité de la part du directeur.

 

[52]           S’agissant du droit de contre-interroger, un droit revendiqué par le demandeur, la défenderesse, invoquant l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, soutient que l’équité procédurale est de nature contextuelle et que, en l’espèce, le niveau d’équité procédurale devrait être faible, pour les raisons suivantes :

-           Il ne s’agit pas d’une procédure assimilable à un procès, avec analyse d’un point de droit; c’est une procédure rattachée bien plus étroitement à la justice administrative.

 

-           La nature du régime prévu par la loi est telle qu’il n’y a aucune clause privative et qu’il existe un droit à contrôle judiciaire.

 

-           L’importance de cette décision pour l’intéressé est minime, puisque les moyens de subsistance du demandeur ne sont pas compromis, étant donné qu’il peut encore faire classer ses œufs dans un autre poste d’œufs. Ou, subsidiairement, si le demandeur se conforme au règlement, il peut solliciter un nouvel agrément pour son poste d’œufs.

 

-           Le demandeur n’avait pas d’attentes légitimes, le directeur ayant dit clairement qu’il irait de l’avant en se fondant sur des prétentions écrites.

 

-           Le directeur est maître de sa propre procédure, et il était en son pouvoir d’appliquer une procédure spéciale.

 

[53]           Pour toutes ces raisons, la défenderesse affirme que le directeur n’était pas tenu de convoquer une audience, que le demandeur n’avait pas droit de contre-interroger, qu’il n’avait pas droit à ce que les préoccupations touchant la sécurité lui soient expliquées, qu’il n’était pas nécessaire d’entendre les arguments se rapportant à la question de la partialité, enfin qu’il était également acceptable que le directeur confère ex parte avec le conseiller juridique de l’ACIA. La défenderesse affirme que, d’après le jugement Sutton c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1994] A.C.F. n° 202 (1re inst.) (QL), il est clair que les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure et que, dans la mesure où ils ne contreviennent pas à leur loi d’habilitante, le droit d’être entendu sera respecté. La défenderesse affirme donc que, dans la présente affaire, aucun droit additionnel d’être entendu n’allait de soi, autres que ceux qui avaient été consentis.

 

[54]           La défenderesse fait aussi observer que la lettre de suspension fixait un délai précis à l’intérieur duquel le demandeur devait corriger les déficiences, c’est-à-dire avant le 24 mai 2006 [dossier de la défenderesse, page 16], sans quoi l’agrément du poste d’œufs pouvait être retiré. Pour elle, cette lettre était pleinement conforme au Règlement. Elle fait valoir que le demandeur avait été suspendu le 16 mai 2006, qu’il avait continué d’enfreindre le règlement en vendant des œufs non classés et qu’il n’avait pas remis de rapports hebdomadaires au directeur exécutif, et par conséquent, même si l’ACIA n’a pas inspecté le poste d’œufs, le demandeur était manifestement en infraction. Par conséquent, l’absence d’une inspection était sans conséquence juridique puisque le demandeur n’avait pas corrigé toutes les déficiences énumérées dans la lettre de suspension.

 

[55]           La Cour admet la prétention du jugement Vennat selon laquelle il faut considérer l’affaire dans sa globalité pour savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Elle relève aussi que, dans le jugement Vennat, le juge a condamné l’attitude déraisonnable du gouvernement, qui avait refusé de proroger le délai prévu pour le dépôt de prétentions.

 

[56]           On peut donc établir un parallèle avec la présente affaire, où l’avocate du demandeur avait dit clairement qu’il ne lui serait pas possible de se présenter à une audience en juin. La Cour a le sentiment que le directeur a agi d’une manière déraisonnable en n’accordant pas à l’avocate l’ajournement qu’elle sollicitait dans sa lettre du 30 mai 2006, puis de nouveau dans sa lettre du 7 juin 2006. Elle avait dit clairement au directeur qu’elle ne serait pas disponible le 12 juin ou le 19 juin 2006, les dates fixées provisoirement pour l’audience [dossier du demandeur, page 90]. Il semble que c’est parce que l’avocate du demandeur ne serait pas disponible à ces dates que le directeur a décidé de ne pas convoquer une audience en règle et d’aller plutôt de l’avant sur la base de prétentions écrites.

 

[57]           Il ne fait aucun doute que l’avocate du demandeur a mis un zèle particulier à défendre les intérêts de son client et qu’elle a fait connaître au directeur, à la première occasion, tous les points qui lui causaient des difficultés. Elle n’a pas agi déraisonnablement en sollicitant un report de l’audience, surtout compte tenu que le directeur était disposé à accepter n’importe quelle date antérieure au 30 juin 2006. Le dossier ne renferme aucune correspondance faisant état d’une volonté de trouver une date pouvant convenir au demandeur. En outre, on ne saurait passer sous silence la rapidité de traitement de cette affaire : la suspension a pris effet le 16 mai 2006, et il ne paraît pas déraisonnable d’imaginer que l’avocate du demandeur n’allait pas être disponible le mois suivant.

 

[58]           Pourquoi tant de hâte? Le directeur ne pouvait ignorer que l’agrément conféré au demandeur était déjà suspendu et qu’il le demeurerait jusqu’à la résolution de la question du retrait. Qui aurait souffert le plus, sinon le demandeur lui-même, d’un report d’audience accordé pour répondre aux impératifs de l’emploi du temps de son avocate?

 

[59]           Le caractère déraisonnable de cette absence de prise en compte des obligations de l’avocate dans l’établissement des dates d’audience apparaît encore plus nettement quand on constate que le directeur avait pris part à une conversation ex porte avec le conseiller juridique de l’ACIA et avait fixé une autre date d’audience sans intervention du demandeur ou de son avocate. Vu également les « préoccupations touchant la sécurité » et leur incidence sur l’audience – puisqu’elles avaient entraîné un report – il n’était pas déraisonnable pour le demandeur de chercher à savoir ce en quoi consistaient lesdites préoccupations.

 

[60]           La Cour reconnaît avec la défenderesse que les affaires relevant de l’ACIA appellent un faible niveau d’équité procédurale, mais, s’il existait un « danger » suffisant propre à justifier un report, alors le demandeur et son avocate auraient dû, autant que cela était possible, être informés des détails. Le directeur a malheureusement failli à ce chapitre.

 

[61]           Aucune des actions du directeur n’atteste véritablement un parti pris, mais, au vu des circonstances de la présente affaire, la Cour peut voir néanmoins qu’une personne sensée, considérant lesdites circonstances, pourrait quand même en percevoir un. La Cour ne dit pas que les membres de l’ACIA ne peuvent jamais se prononcer sur leurs propres recommandations – contrairement à un juge par exemple – mais la prudence appelle cependant un niveau plus élevé de conduite quand on se prononce sur sa propre recommandation, et cela pour préserver la confiance du public. Étant donné que le directeur n’a pas, sous plusieurs aspects, pris des mesures propres à accommoder le demandeur, et si l’on ajoute à cela le fait qu’il se prononçait sur sa propre recommandation, la Cour peut voir combien l’impression de partialité justifierait ici qu’il soit fait droit à cette demande de contrôle judiciaire.

 

[62]           Sans aucun doute le demandeur a sa propre version des événements, mais cette information pouvait être présentée au moyen de prétentions écrites. La Cour ne voit donc pas qu’un contre-interrogatoire aurait aidé le directeur à déterminer si les œufs avaient ou non été classés convenablement, puisque le demandeur aurait pu produire une preuve documentaire montrant qu’un autre poste d’œufs avait classé les œufs.

 

[63]           Cependant, la Cour ne saurait ignorer que l’attente légitime portait ici sur l’audience elle-même et pas seulement sur le droit de contre-interroger. Ni la lettre initiale du 16 mai 2006 ni celle du 24 mai ne précisaient que l’impossibilité de fixer immédiatement une date d’audience entraînerait la perte de droits procéduraux et que l’affaire devrait alors suivre son cours sur la base de prétentions écrites. Les deux lettres en question informaient plutôt le demandeur qu’il était possible de modifier la date prévue de l’audience.

 

[64]           Mais la Cour ne peut pas être en désaccord avec le demandeur lorsqu’il dit que les lettres du 16 mai et du 24 mai 2006 prévoyaient toutes les deux la « possibilité d’interroger toute personne… ». Il ressort clairement du paragraphe 26 de l’arrêt Baker que, « si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure ». Ici, le demandeur avait cette attente légitime; le fait de la contrarier sans raison valable entraîne un manquement à l’équité procédurale.

 

[65]           La Cour admet que le directeur défendeur est maître de sa propre procédure dans la mesure où il se conforme au Règlement, mais cette notion ne l’emporte pas sur le principe des attentes légitimes, un principe administratif de common law.

 

[66]           La Cour ne peut pas ignorer non plus que, lorsque l’agrément d’un poste d’œufs est suspendu en vertu du paragraphe 7.1(2.1), l’inspecteur doit alors informer rapidement l’exploitant par écrit du délai dans lequel la situation devra être corrigée afin d’éviter le retrait de l’agrément.

 

[67]           Manifestement, la lettre du 16 mai 2006 indiquait le 24 mai 2006 comme délai à l’intérieur duquel la situation devait être corrigée. Mais le directeur n’a pas tenu compte de la lettre du 19 mai 2006 de l’avocate du demandeur où elle écrivait que les déficiences avaient été corrigées. Par conséquent, l’ACIA ne s’est pas conformée au paragraphe 7.1(2.2). Puisque le paragraphe 7.1(2.2) constitue une condition préalable du retrait d’un agrément, il y a donc lieu de faire droit à cette demande de contrôle judiciaire, surtout compte tenu du passage suivant de la lettre du 16 mai 2006 de l’ACIA [dossier du demandeur, page 66:

[traduction] Si vous nous informez que toutes les mesures correctives requises ont été prises et si nos inspecteurs peuvent confirmer que votre exploitation se conforme au Règlement, cette suspension sera annulée. Cependant, cette suspension conduira au retrait de l’agrément en cas de non-conformité…

 

Et aussi cet autre extrait [dossier du demandeur, page 67:

 

[traduction] Si nous ne sommes pas informés que toutes les mesures correctives ont été appliquées, une audience aura lieu, au cours de laquelle vous aurez la possibilité de vous exprimer.

 

 

 

[68]           Le demandeur informait clairement l’ACIA, dans la lettre du 19 mai 2006, que toutes les déficiences avaient été corrigées au 15 mai 2006, et il sollicitait aussi dans cette lettre une nouvelle inspection [dossier du demandeur, page 72]. L’ACIA était donc dès lors empêchée d’aller de l’avant avec la procédure de retrait d’agrément tant qu’elle ne s’était pas assurée des présumées mesures correctives. La défenderesse ne peut aujourd’hui prétendre que le demandeur n’avait pas d’attentes légitimes. Une simple lecture des lettres de l’ACIA donne à penser que le demandeur était en droit de s’attendre à une nouvelle inspection avant l’audience.

 

[69]           Encore une fois, il ressort clairement de l’arrêt Baker que « si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure » [dossier du demandeur, page 72]. Une nouvelle inspection n’est pas un résultat fondamental et le demandeur avait donc ici une autre attente légitime, qui a été contrariée.

 

[70]           De plus, dans ses lettres du 23 mai 2006 [dossier du demandeur, page 73] et du 24 mai 2006 [dossier du demandeur, page 74], le directeur n’a pas tenu compte de la demande de nouvelle inspection faite par le demandeur, cherchant plutôt à fixer prématurément une date d’audience.

 

[71]           En outre, à la page 7 de ses motifs [dossier du demandeur, page 17], le directeur écrit ce qui suit : [traduction] « L’ACIA n’a pas procédé à une nouvelle inspection des installations de M. Carmichael, … je ne puis donc dire si les déficiences ont ou non été corrigées ». Ce passage est clairement erroné puisque le demandeur avait sollicité une nouvelle inspection. Puisque l’ACIA n’a pas tenu compte de cette demande légitime, le directeur ne saurait invoquer l’inertie de l’ACIA pour mettre en doute la présumée rectification des déficiences.

 

[72]           La défenderesse soutient que, puisque le demandeur a vendu des œufs au cours de cette période, plus précisément le 20 mai 2006, alors qu’il était sous le coup d’une suspension, et puisqu’il n’avait pas présenté de rapports hebdomadaires, l’absence d’une nouvelle inspection était sans conséquence juridique. Ce raisonnement est difficile à suivre, pour les raisons suivantes :

-           D’abord, la vente d’œufs par un exploitant qui est sous le coup d’une suspension – même si cela constitue sans aucun doute une contravention au Règlement, et une conduite pouvant entraîner une autre pénalité – ne saurait dispenser l’ACIA de faire une nouvelle inspection.

 

-           Deuxièmement, l’audience initiale ne devait pas porter sur le fait que le demandeur avait vendu des œufs alors qu’il était sous le coup d’une suspension; elle devait porter sur le fait qu’il classait et entreposait des œufs incorrectement et sur le fait qu’il n’avait pas remis de rapports au directeur exécutif.

 

[73]           En outre, et vu le bref intervalle de temps – c’est-à-dire entre le 19 mai, date à laquelle le demandeur a informé l’ACIA qu’il répondait aux normes, et le 24 mai, date à laquelle le directeur a recommandé le retrait de l’agrément du poste d’œufs – la preuve ne suffit pas à établir que le demandeur n’a pas envoyé ses rapports hebdomadaires. Je doute quelque peu que le demandeur ait envoyé les rapports en question, mais, en dépit d’un échange constant de correspondance. Il n’existe néanmoins aucune lettre du directeur mentionnant qu’il n’y aura pas de nouvelle inspection puisque le demandeur a vendu des œufs alors qu’il était sous le coup d’une suspension ou qu’il n’a pas présenté de rapports au directeur exécutif. Par conséquent, il est permis de croire que la défenderesse se sert de cette information après coup et que si l’ACIA n’a pas procédé à une nouvelle inspection, c’est en raison de ces deux nouveaux manquements.

 

[74]           En bref, et compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Cour arrive à la prétention que l’ACIA avait clairement l’obligation de faire une nouvelle inspection avant d’engager la procédure de retrait d’agrément, et que le demandeur était fondé à compter sur cette nouvelle inspection. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sur ce fondement, parce que si l’ACIA n’a pas fait une enquête de suivi comme elle l’avait promis et comme elle en avait été priée, alors il n’est pas nécessaire d’examiner les points restants, puisqu’ils dérivent de cette erreur.

 

[75]           Pour tous ces motifs, la Cour est d’avis qu’un observateur impartial pouvait déceler une crainte raisonnable de partialité et, en outre, qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en ce qui a trait à l’audience ainsi qu’à la promesse de nouvelle inspection. De plus, l’ACIA ne s’est pas conformée au paragraphe 7.1 (2.2) du Règlement avant de retirer l’agrément du poste d’œufs.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : Pour ces motifs, la demande est accueillie, la décision du directeur en date du 17 juillet 2006 de retirer l’agrément du poste d’œufs 0‑116 du demandeur est annulée et l’affaire est renvoyée à l’ACIA pour nouvelle audience devant un autre directeur, et pour nouvelle décision.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1496-06

 

INTITULÉ :                                       SHAWN CARMICHAEL c. L’AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT MAURICE E. LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judith Wilcox

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexander Gay

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Judith E. Wilcox

Avocate

Alexandria (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.