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Date : 20070501

Dossier : IMM-4220-06

Référence : 2007 CF 462

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ

 

 

ENTRE :

SANTIAGO RAFAEL GARCIA RODRIGUEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, visant une décision rendue le 20 juillet 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. L’autorisation a été accordée par le juge en chef le 9 février 2007.

 

 

Contexte

 

a) Les faits

 

[2]                Le demandeur est un citoyen de la République dominicaine qui a quitté son pays pour la première fois en 1986, quand il a déménagé aux États‑Unis. Neuf ans plus tard, en 1995, le demandeur a été accusé de trafic de substances désignées dans l’État de New York, une accusation pour laquelle il a plaidé coupable et a reçu une peine de 54 mois de prison. Cependant, après 26 mois d’emprisonnement, il a choisi de purger le reste de sa peine en République dominicaine; il a par conséquent été renvoyé des États‑Unis.

 

[3]                Il ne semble pas que le demandeur, après son retour en République dominicaine, ait été emprisonné ou assujetti à des conditions de libération par les autorités locales. Il semble plutôt avoir travaillé comme petit entrepreneur, c’est-à-dire qu’il a exploité un petit restaurant et qu’il a effectué certains transferts de biens immeubles.

 

[4]                En novembre 1998, alors qu’il conduisait sa voiture, le demandeur a rencontré une amie et lui a offert de l’amener puisqu’ils allaient dans la même direction. Ce fait a toutefois déchaîné la rage du mari jaloux de son amie, dont elle était séparée depuis peu. Le mari a fait feu sur le demandeur ainsi que sur son amie, qui n’a pas survécu à ses blessures. Le tireur s’est par la suite enlevé la vie.

 

[5]                Cependant, des membres de la famille du tireur, particulièrement ses enfants qui étaient impliqués dans des gangs locaux, ont continué de harceler le demandeur et de menacer sa vie. Ce dernier a demandé l’aide de la police, mais en vain. En 2001, il a mis un terme à ses activités commerciales, il a vendu son restaurant et il est déménagé à Santiago dans le but de se mettre en sécurité. Toutefois, parce qu’il ne se sentait pas en sécurité, le demandeur s’est rendu au Canada le 1er janvier 2005. Il a soumis une demande d’asile le 12 septembre 2005.

 

b) La décision de la Commission

 

[6]                La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur pour le motif que ce dernier était interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 98 de la LIPR en tant que personne visée par la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Pour conclure ainsi, la Commission s’était appuyée sur le fait que le demandeur n’avait pas purgé la totalité de sa peine du fait de son expulsion en République dominicaine. 

 

[7]                La Commission a également relevé un certain nombre de contradictions dans le récit qu’a fait le demandeur de son arrestation aux États‑Unis, ce qui a amené la Commission à mettre sa crédibilité en doute. En premier lieu, quoiqu’il ait soutenu avoir été impliqué contre son gré, le demandeur a reconnu qu’il savait au moment de son arrestation aux États‑Unis qu’il y avait de la cocaïne ou de l’héroïne dans son véhicule. En deuxième lieu, bien qu’il ait prétendu avoir plaidé coupable afin de recevoir une peine moins sévère, il a reçu la même peine que son coaccusé. Finalement, il n’a jamais demandé la réhabilitation, affirmant d’abord qu’il ne s’était pas renseigné sur cette possibilité, puis qu’il ne croyait pas qu’on la lui accorderait après les événements du 11 septembre 2001.

 

Question en litige

 

 

[8]                Il n’y a qu’une question à trancher dans la présente demande, laquelle peut être formulée ainsi : la Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun avant son entrée au Canada, pour lequel il n’avait pas purgé la totalité de sa peine, ce qui emportait interdiction de territoire en vertu de l’article 98 de la LIPR?

 

Norme de contrôle

 

[9]                La question de savoir si la section F de l’article premier de la Convention doit s’appliquer dans un cas précis a déjà été qualifiée de question mixte de fait et de droit, laquelle commande la norme de la décision raisonnable, voir la décision Médina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 62.

 

Observations et analyse

 

[10]            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun avant son entrée au Canada, pour lequel il n’avait pas purgé la totalité de sa peine, ce qui emportait interdiction de territoire en vertu de l’article 98 de la LIPR?

 

Les observations du demandeur

 

[11]            Le demandeur soutient qu’il a purgé sa peine aux États‑Unis et que, conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390, le demandeur qui a purgé sa peine ne doit pas être interdit de territoire en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[12]            Dans l’arrêt Chan, la Cour d’appel fédérale a conclu que la section Fb) de l’article premier de la Convention devait être interprétée de manière libérale afin que le pouvoir du ministre d’émettre un avis de danger, conféré par l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, ne soit pas annulé. Le demandeur soutient qu’il faut continuer d’utiliser cette même interprétation libérale à la section Fb) de l’article premier de la Convention afin d’appliquer la même logique aux dispositions similaires de la LIPR donnant au ministre le pouvoir d’exclure une personne pour grande criminalité.

 

Les observations du défendeur

 

 

[13]            Le défendeur note que la preuve, y compris les propres déclarations du demandeur, révèle que celui‑ci n’a pas purgé la totalité de sa peine et a été expulsé vers la République dominicaine à sa propre demande. En conséquence, pour ce seul motif, le demandeur est interdit de territoire.

 

[14]            Le demandeur soutient que, de toute façon, l’arrêt Chan ne s’applique plus en raison de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 178. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a statué que la section Fb) de l’article premier de la Convention ne visait pas que les crimes constituant un motif d’extradition, comme l’arrêt Chan l’a d’abord donné à penser.

 

[15]            Finalement, la comparaison qu’établit le demandeur entre les dispositions sur la grande criminalité en l’espèce et l’avis de danger sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration n’est pas applicable. Le demandeur a été reconnu coupable d’un crime pouvant être sanctionné par une peine d’emprisonnement à perpétuité. Un étranger ne peut échapper à l’interdiction de territoire pour grande criminalité que si le ministre est convaincu qu’il a été réhabilité, ce qui, étant donné la possibilité de peine d’emprisonnement à perpétuité, est impossible dans les circonstances.

 

 

Analyse

 

[16]            Les personnes ayant commis un crime grave de droit commun ne peuvent être admises à titre de réfugié ou de personne à protéger, comme le prévoit l’article 98 de la LIPR :

 

98. La personne visée aux sections E et F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

Le passage pertinent de la section F est rédigé ainsi :

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raison sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

[…]

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés.

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admissions to that country as a refugee.

 

 

[17]            Dans l’arrêt Chan, la Cour d’appel fédérale avait conclu qu’une personne ayant purgé sa peine ne pouvait être exclue en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, mais en vertu des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration, voir l’arrêt Chan au paragraphe 15.

 

[18]            Le ministre soutient que l’arrêt Chan ne fait plus autorité en raison de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Zrig. Cependant, dans la décision Husin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1451, la Cour a expressément rejeté l’argument qu’avance le ministre. C’est probablement pourquoi, à la fin de ses observations, le ministre a décidé d’abandonner cet argument et de convenir que l’arrêt Chan fait encore autorité.

 

[19]            Il est également noté que la nature et la gravité du crime commis par le demandeur aux États‑Unis ne sont pas contestées. Par conséquent, la seule question est de savoir si le demandeur a purgé sa peine pour ce crime. À ce sujet, l’arrêt Chan demeure le précédent applicable.

 

[20]            Dans l’arrêt Chan, le demandeur n’avait été expulsé qu’après avoir purgé la totalité de sa peine. Depuis, une difficulté est apparue, dans les cas où la peine n’a pu être purgée dans sa totalité en raison des actions du demandeur ou de l’agent d’immigration, comme en l’espèce. Les décisions Médina et Husin présentent deux exemples différents.

 

[21]            Dans la décision Médina, la Cour a conclu que, lorsque l’expulsion fait en sorte qu’une partie de la peine d’emprisonnement ou une probation n’est pas purgée, la peine est considérée n’avoir pas été purgée. Dans cette affaire, le demandeur avait été expulsé à la suite du « consentement qu'il a exprimé à retourner au Mexique ». Quand il est retourné au Mexique, il n’a pas été détenu et, en conséquence, il lui restait quatre ans de probation à purger. La preuve démontrait que, si le demandeur était retourné aux États‑Unis, il aurait été détenu automatiquement.

 

[22]            Toutefois, dans la décision Husin, la Cour nourrissait de toute évidence une réserve relativement à cette approche quand elle a affirmé :

 

¶29 Le point qui reste obscur est celui de savoir si une mesure d’expulsion a pour effet d’achever la peine imposée ou plutôt de l’amputer de telle sorte qu’elle ne puisse jamais être achevée. Si la section Fb) de l’article premier de la Convention a en partie pour objet de faire en sorte qu’une personne qui a purgé intégralement sa peine puisse devenir admissible, alors cet objet sera contrarié par une mesure d’expulsion dont l’effet sera de rendre impossible l’accomplissement d’une peine.

 

[23]            Cependant, dans Husin, le demandeur n’avait pas volontairement consenti à l’expulsion et  avait au contraire été recherché par l’Immigration and Naturalization Service, bien que les autorités de la Californie l’eussent libéré de prison. Par conséquent, alors que dans Médina le demandeur n’avait pas purgé la totalité de sa peine parce qu’il avait choisi en toute connaissance de cause de quitter les États‑Unis, dans Husin, le demandeur n’avait pu purger la totalité de sa peine du fait même des autorités américaines, malgré ses tentatives de bonne foi de le faire.

 

[24]            Les faits de la présente affaire ressemblent plus à ceux de l’affaire Médina, puisque le demandeur a volontairement consenti à son expulsion avant la fin de sa peine. En l’espèce, comme dans Médina, le demandeur aurait pu purger la totalité de sa peine aux États‑Unis, mais il a choisi en toute connaissance de cause de ne pas le faire.

 

 

Conclusion

 

[25]            Le demandeur a choisi volontairement de finir de purger sa peine en République dominicaine et il semble que, une fois de retour dans ce pays, il n’a jamais purgé le reste de sa peine ni la probation qui devait s’ensuivre. Par conséquent, cette omission emporte interdiction de territoire en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 la LIPR. Donc, la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 20 juillet 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sera rejetée.

 

Questions à certifier

 

[26]            L’avocate du demandeur a soulevé deux questions de portée générale à certifier en l’espèce. Elles sont les suivantes :

 

[traduction]

1) – Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave de droit commun avant l’entrée au Canada permet-il d’éviter l’application de la section F de l’article premier de la Convention?

 

2) – Aux fins de l’application de la section F de l’article premier de la Convention, quand et dans quelles circonstances une peine est-elle considérée comme purgée?

 

 

 

[27]            La Cour choisit de ne pas certifier ces deux questions pour les raisons suivantes :

- La première question a été tranchée de manière décisive dans l’arrêt Chan.

- Pour ce qui est de la seconde question, la Cour n’est pas convaincue qu’il soit nécessaire de clarifier.

 

[28]            Quand une personne choisit de finir de purger sa peine dans son pays et est expulsée à cette fin, comme en l’espèce, il est évident que sa peine ne sera considérée comme purgée que lorsqu’elle aura été purgée après son expulsion dans son pays. La réponse à la question deux n’a donc pas besoin d’être clarifiée.

 

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4220-06

 

INTITULÉ :                                                   SANTIEGO RAFAEL GARCIA RODRIGUEZ c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 26 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SUPPLÉANT MAURICE E. LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 1er MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christina Marinelli

 

POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christina Marinelli

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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