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Date : 20070430

Dossier : IMM-3082-06

Référence : 2007 CF 458

Toronto (Ontario), le 30 avril 2007

EN PRÉSENCE DE :            MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

SERGUEI GOREV OLSON

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le juge O’KEEFE

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel de l’immigration) (la SAI), datée du 16 mai 2006, dans laquelle l’appel interjeté par le demandeur contre une mesure de renvoi a été rejeté.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant le rejet de son appel et renvoyant l’affaire devant un tribunal différemment constitué de la SAI, pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

Contexte

[3]               Le demandeur, Serguei Gorev Olson, est un citoyen russe âgé de 24 ans. Il a vécu une enfance turbulente, au cours de laquelle il a été placé dans un orphelinat, où il est resté jusqu’en 1999. Il a soutenu avoir été victime d’agressions sexuelles pendant quatre ans lorsqu’il était enfant. Sa sœur a été adoptée en 1998 par une famille canadienne qui a par la suite adopté son frère également. Le demandeur est arrivé au Canada en 1999, muni d’un visa d’étudiant. Il a été parrainé par une autre famille canadienne, qui l’a adopté en 2002. 

 

[4]               Le demandeur a agressé sexuellement son cousin par adoption, qui était alors âgé de 10 ans, à deux reprises, soit en août 2002 et en janvier 2003. Furieux d’apprendre ce qui était arrivé, ses parents adoptifs l’ont immédiatement renvoyé en Russie, où il a habité avec sa mère et son frère naturels pendant deux mois, avant de les quitter parce qu’ils étaient alcooliques. Il a loué un appartement, et ses parents adoptifs l’ont aidé financièrement. Il soutient avoir été incapable de trouver du travail parce qu’il ne possédait pas les compétences nécessaires. 

 

[5]               Les parents adoptifs du demandeur ont fini par lui pardonner et ont pris des dispositions pour le ramener au Canada. Il a obtenu un visa de résident permanent et est entré de nouveau au Canada en 2004.  Il a cependant été détenu à l’aéroport en raison des accusations d’agression sexuelle qui pesaient encore contre lui. Le demandeur a plaidé coupable à ces accusations et a été déclaré coupable le 30 septembre 2004. Il a été condamné à un emprisonnement de six mois avec sursis et à une année de probation. Il a respecté les conditions dont sa peine était assortie, a consulté un thérapeute et a suivi des programmes de traitement.   

 

[6]               En raison de la peine qui lui a été imposée, le demandeur a été interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, en conformité avec l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Une mesure d’expulsion a donc été prononcée contre lui le 6 janvier 2005. Il a interjeté appel de cette mesure en janvier 2005, invoquant des motifs d’ordre humanitaire. L’audience de la SAI a été tenue le 27 janvier 2006. Seul le demandeur a été interrogé au cours de cette audience. La SAI a demandé aux conseils de lui présenter des observations sur la question du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi avec conditions. Elle a rejeté l’appel du demandeur dans une décision datée du 16 mai 2006. La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de la SAI de rejeter l’appel du demandeur à l’encontre de la mesure d’expulsion.

 

Motifs de la SAI

[7]               La principale question à trancher était celle de savoir si, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La SAI a pris en considération le témoignage du demandeur, la preuve documentaire versée au dossier, les documents produits à l’audience ainsi que les observations des conseils. Elle a noté que la peine d’emprisonnement avec sursis à laquelle le demandeur avait été condamné lui interdisait d’entrer en contact avec sa victime, d’être seul en présence d’enfants sans la supervision d’un adulte ou de fréquenter des parcs ou tout endroit où se trouvent des enfants, sauf en compagnie d’un adulte en possession d’une autorisation écrite.

 

[8]               La SAI a tenu compte des facteurs suivants, approuvés dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, relativement à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : (1) la gravité de l’infraction; (2) la possibilité de réhabilitation; (3) la possibilité que le demandeur récidive; (4) la durée du séjour au Canada; (5) le degré d’établissement au Canada; (6) le soutien que la famille et la collectivité lui accordent; (7) les bouleversements que l’expulsion occasionnerait pour cette famille; et (8) l’importance des difficultés que causerait l’expulsion. La SAI a signalé également son devoir de protéger la santé et la sécurité des Canadiens.

 

[9]               Le demandeur n’avait jamais été condamné au criminel au Canada. Se penchant sur la gravité du crime, la SAI a noté la déclaration de sa mère adoptive portant que l’agression sexuelle était une expression générale et que les gestes posés par le demandeur n’équivalaient pas à un viol. En revanche, les parents de la victime ont jugé que le crime était suffisamment grave pour le signaler à la police. Des divergences ont été relevées entre la version du demandeur sur l’agression, dans laquelle la gravité du crime était atténuée, et celle de la victime. Le rapport de police, dans lequel étaient consignées les allégations plus graves de la victime, a été jugé crédible. 

 

[10]           Jugeant qu’il n’était pas un pédophile, le demandeur a nié la gravité de son crime. La SAI a examiné trois rapports psychologiques concernant les effets probables des abus sexuels dont il aurait été victime en Russie. Le demandeur a semblé préoccupé par son propre bien‑être davantage que par celui de sa victime. Le Dr Reimer a indiqué que le demandeur présentait un risque faible à modéré de récidive. Le Dr Williams est arrivé à une conclusion similaire, signalant toutefois que le refus du demandeur de se considérer comme un délinquant sexuel était important, vu qu’il niait avoir un intérêt d’ordre sexuel envers les hommes.

 

[11]           Le demandeur a passé cinq ans et demi au Canada. Il y est établi uniquement à titre de membre de sa famille adoptive. Celle‑ci est composée de deux parents et de trois enfants d’âge adulte. L’une de ses sœurs adoptives a deux enfants. Sa mère et ses frères et sœurs adoptifs, son beau‑frère, sa grand‑mère, trois autres membres de la famille Olson et un ami ont attesté dans des affidavits qui ont été versés au dossier leur appui au demandeur. Selon ces affidavits, ils subiraient tous personnellement une perte si le demandeur était expulsé. Il importe de souligner que son père et son grand‑père adoptifs n’ont pas présenté d’affidavit attestant leur appui au demandeur. Il est improbable que son expulsion ait, à long terme, des conséquences négatives sur les jeunes enfants de sa sœur adoptive. 

 

[12]           Le demandeur a un frère et une sœur naturels (Kira et Dimitry) au Canada. Kira est très proche du demandeur, et la SAI a conclu que l’expulsion de ce dernier lui causerait vraisemblablement un préjudice. Toutefois, sa situation n’est pas suffisamment grave pour accueillir l’appel ou surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion. Il importe de souligner qu’il n’y a aucun affidavit de Dimitry. Le demandeur a de la famille en Russie, notamment sa mère, quatre demi‑frères ou demi‑sœurs, et quatre frères ou sœurs. La SAI a pris en note la description des expériences qu’il a vécues lorsqu’il est retourné en Russie en 2004. Le demandeur a rencontré sa petite amie et ils ont maintenu une relation à distance. Il a déclaré au Dr Gingell qu’il souhaitait rester au Canada, mais qu’il se sentait à l’aise en Russie. La SAI a conclu qu’il obtiendrait probablement une aide financière à court terme de sa famille adoptive s’il retournait en Russie, de sorte qu’il n’éprouverait pas de difficultés énormes.

 

[13]           La SAI n’était pas certaine de l’efficacité d’un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion du demandeur. Tout sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion exigeant soit qu’il occupe un emploi, soit qu’il suive des études pourrait être sans effet, puisque les permis pertinents relevaient de la prérogative du ministre. La SAI a demandé des observations écrites sur la manière dont un sursis pourrait être efficace relativement aux permis de travail et d’études qui sont à l’heure actuelle refusés au demandeur. La société canadienne doit assurer sa protection contre les prédateurs qui agressent sexuellement les enfants. La SAI a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision, il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales en l’espèce. L’appel a été rejeté.    

 

Questions en litige

[14]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes à l’audience :

            1.         La SAI  a‑t‑elle contrevenu aux règles de justice naturelle en privant le demandeur du droit de présenter des observations complètes sur la décision d’accueillir ou non l’appel?

            2.         La SAI a-t-elle bien exercé son pouvoir discrétionnaire?

L’intimé a abordé ces questions à l’audience.

 

Observations du demandeur

[15]           Le demandeur fait valoir que la SAI a contrevenu aux principes de justice naturelle. Après que la preuve eut été produite à l’audience, la SAI a déclaré qu’elle n’accueillerait pas l’appel, mais elle a demandé aux conseils de discuter de la possibilité de prononcer un sursis. On indique qu’à la demande de la SAI, le conseil du demandeur n’a présenté d’observations que sur le sursis, sans aborder le fond de l’appel. 

 

[16]           Le demandeur prétend que le conseil avait le droit de présenter des observations expliquant pourquoi l’appel ne devrait pas être rejeté mais qu’on l’en avait privé. Comme la SAI avait déclaré qu’un sursis serait accordé, elle ne pouvait rejeter l’appel sans donner au conseil l’occasion de traiter des questions de fond. L’affaire Velauthar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 141 N.R. 239, 33 A.C.W.S. (3d) 1115 (C.A.F.), était semblable à celle de l’espèce. Dans l’affaire Velauthar, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 4 :

Il y a eu un grave déni de justice naturelle en l'espèce. Le tribunal avait pris acte du fait que les appelants craignaient d'être persécutés et, selon lui, la seule question était de savoir si cette persécution était visée par la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Pour des motifs de crédibilité, le tribunal s'est dédit. À cause d'une décision délibérée du président de l'audience, à laquelle son collègue a acquiescé, les appelants ont été privés de l'occasion de connaître les arguments qu'on allait faire valoir contre eux et d'y répondre.

 

 

[17]           Le demandeur fait valoir que la SAI a examiné la preuve de façon sélective. Une grande partie de la preuve indiquait que le risque qu’il récidive était très faible. Il incombait donc à la SAI d’expliquer pourquoi elle avait préféré certains éléments de preuve. Selon le demandeur, la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une preuve pertinente (voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.)). Il fait également remarquer que la SAI n’avait pas mentionné les témoignages provenant de membres de sa famille qui se rapportent à la question de la réadaptation et de la prise d’une mesure spéciale en « equity ».

 

[18]           Le demandeur soutient que la SAI a tiré des conclusions manifestement déraisonnables, notamment qu’il n’éprouvait aucun remords au sujet de son crime. À son avis, un examen de la transcription permet de réfuter cette conclusion. La SAI a en outre préféré la preuve tirée du rapport de police au témoignage du demandeur concernant la nature des agressions. Le demandeur fait remarquer que ces rapports avaient été produits en preuve à la dernière minute et qu’il n’avait pas été interrogé sur quelque divergence que ce soit. 

 

Observations de l’intimé

[19]           L’intimé signale que le demandeur n’a pas contesté la validité de la mesure d’expulsion prononcée contre lui, mais qu’il avait interjeté appel de la mesure, soutenant que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales. Il a fait valoir qu’à titre de personne cherchant à obtenir un privilège discrétionnaire, le demandeur était tenu d’établir que des raisons exceptionnelles justifiaient qu’il soit autorisé à rester au Canada (voir Chieu précité).

 

[20]           Dans l’affaire Mendiratta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2005), 137 A.C.W.S. (3d) 1001, 2005 CF 293, la Cour fédérale a statué qu’elle ne s’immiscerait pas dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI, pourvu que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de bonne foi et sans égard à des considérations étrangères à l’affaire ou non pertinentes. Selon l’intimé, la SAI a pris en considération les facteurs pertinents.

 

[21]           L’intimé prétend que la SAI a raisonnablement permis au conseil du demandeur de présenter des observations expliquant pourquoi son appel devait être accueilli. Il dit que le conseil avait reconnu avoir présenté de telles observations et ne souhaitait pas en présenter d’autres. Bien que la SAI ait invité les conseils à discuter de la possibilité d’un sursis et de la question de savoir si la SAI pouvait autoriser le demandeur à travailler et à étudier au Canada, elle ne s’est pas prononcée au cours de l’audience sur l’opportunité d’accorder un sursis. L’intimé fait valoir qu’à la levée de l’audience, le conseil aurait dû savoir que l’appel pourrait être rejeté. 

 

[22]           L’intimé signale que le conseil du demandeur disposait d’un délai de plusieurs semaines suivant l’audience pour présenter des observations écrites. Selon les prétentions du conseil, des motifs d’ordre humanitaire justifient d’accueillir l’appel ou, à titre subsidiaire, de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. En outre, le conseil n’a pas demandé qu’on lui permette de présenter de vive voix des observations supplémentaires. Dans ses observations écrites supplémentaires, le conseil a reconnu avoir eu l’occasion de présenter des observations sur le fond de l’appel et s’en être prévalu.

 

[23]           L’intimé fait valoir que, contrairement à ce que le demandeur a laissé entendre, la SAI a soigneusement examiné toute la preuve qui lui a été présentée. La SAI a mentionné l’évaluation des risques du Dr Williams et les affidavits des membres de la famille du demandeur. Selon l’intimé, le demandeur invite la Cour à faire une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui ne saurait être justifié dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[24]           L’intimé fait valoir que la SAI, après avoir eu la possibilité d’observer et d’écouter le demandeur n’a pas cru qu’il se préoccupait sincèrement du sort de sa victime. Il soutient en outre que la Cour ne doit modifier une conclusion de fait tirée par la SAI que si cette conclusion est déraisonnable, voire même manifestement déraisonnable (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40). À son avis, la conclusion de la SAI portant que le demandeur ne se préoccupait pas sincèrement de sa victime était raisonnable. Le demandeur ne conteste pas le fait qu’il s’est dit préoccupé à l’égard de sa victime qu’à la demande de la SAI. Selon l’intimé, il est bien établi en droit que la Cour devrait hésiter à modifier les conclusions que la SAI tire après avoir elle-même observé un témoin. Il prétend que l’absence de remords n’est que l’un des nombreux facteurs dont la SAI a tenu compte dans sa décision de rejeter l’appel.

 

Réplique du demandeur

[25]           Le demandeur s’est arrêté à l’argument de l’intimé selon lequel il n’y avait pas eu manquement aux principes de justice naturelle vu que son conseil avait abordé brièvement les motifs d’ordre humanitaire dans ses observations générales. Le demandeur fait valoir que l’intimé n’a pas tenu compte du fait que l’audience avait été ajournée aux fins de la présentation d’observations écrites à la demande de la SAI sur une question de droit. Cela s’est produit à la fin de l’audience, au moment où le conseil du demandeur s’apprêtait à présenter des observations de vive voix sur l’ensemble des circonstances de l’affaire suivant les principes de l’equity.

 

[26]           Le demandeur fait valoir que les observations du conseil faisaient suite à la demande de la SAI de discuter de la question de compétence. De son point de vue, il est absurde de laisser entendre qu’il n’y a eu aucun manquement aux principes de justice naturelle alors que la SAI a, sans préavis, rejeté l’appel. Le fait que le conseil a abordé brièvement la question des considérations que commandent les principes de l’equity ne change rien au fait qu’elle a cru à tort qu’une certaine forme de sursis allait être accordée.  

 

Analyse et décision

Norme de contrôle

[27]           La norme de contrôle devant être appliqué pour déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte.

 

[28]           Première question en litige

            La SAI a-t-elle contrevenu aux règles de la justice naturelle en privant le demandeur du droit de présenter des observations complètes sur la décision d’accueillir ou non l’appel?

            Le demandeur fait valoir que la SAI a manqué aux principes de l’équité procédurale en ne donnant pas à son conseil l’occasion de présenter à l’audience des observations complètes sur le fond de son appel. L’intimé prétend que le conseil a eu l’occasion de présenter de telles observations et qu’elle s’en est prévalue. J’ai examiné la transcription de l’audience qui révèle que la SAI a exprimé en ces termes son opinion initiale sur le fond de l’appel :

[traduction] … Je vous préviens tout de suite que le tribunal ne se dit pas disposé à prendre en considération autre chose qu’un sursis, compte tenu de la preuve dont il dispose actuellement. Toutefois, il se peut que le tribunal soit convaincu plus tard que l’appel doit être accueilli. Nous allons entendre votre témoin.

 

[…]

 

Je crois comprendre, étant donné le point de vue de l’appelant, que les conseils n’ont pas discuté des conséquences d’un sursis, le cas échéant, et qu’ils n’ont pas discuté de la possibilité de formuler une recommandation conjointe à cet égard.

 

[29]           Après l’interrogatoire du demandeur, la SAI a demandé aux parties de s’exprimer sur la question du sursis :

[traduction] Je n’accueillerai pas l’appel. Vous pouvez donc, si vous le désirez, voir si vous pouvez vous entendre sur la question du sursis. Cela n’est cependant pas une obligation.

 

[30]           L’audience a été suspendue et les conseils des parties ont discuté de la possibilité qu’un sursis soit prononcé. À la reprise de l’audience, ils n’étaient pas venus à une entente sur la durée du sursis proposé. La question connexe de savoir si la SAI pouvait assortir le sursis proposé de conditions s’est posée, ce qui aurait permis au demandeur de travailler ou d’étudier tout en respectant les restrictions qui lui ont été imposées. La SAI a déclaré ceci :

[traduction] Quoiqu’il en soit, je n’imposerais jamais un sursis de six mois, et je crois qu’un sursis de deux ans serait tout à fait raisonnable, alors je n’ai aucune difficulté à souscrire au point de vue du ministre puisque c’est là ma décision.

 

Je vais alors ajourner pendant cinq minutes pour aller fouiller – parce que je n’ai jamais vu exactement la même chose auparavant quant au poids qu’ont mon sursis et mes conditions par rapport aux restrictions applicables à l’heure actuelle, et si les conditions que j’impose l’emportent, alors je ne vois aucun problème pour ce qui est du travail et des études. […] 

 

[31]           À la reprise de l’audience, la SAI s’est dite d’avis qu’elle n’avait pas le pouvoir d’imposer des conditions qui remplaceraient celles qui existaient déjà. Elle a cependant demandé aux conseils de présenter des observations sur la question, et a pris sa décision en délibéré. 

 

[32]           J’ai examiné la transcription de l’audience, et il est clair que le conseil du demandeur n’a présenté aucune observation sur des motifs d’ordre humanitaire au soutien de son appel. On peut facilement comprendre pourquoi le conseil a eu l’impression que la SAI avait décidé d’accorder un sursis, et que seules des observations sur le pouvoir d’assortir le sursis de conditions lui étaient nécessaires. À la levée de l’audience, la SAI a déclaré ceci :

[traduction] Très bien. Je vais ajourner en attendant de recevoir des observations du conseil de l’appelant sur le pouvoir du tribunal dans la présente affaire, à savoir le pouvoir d’écarter les restrictions imposées à l’appelant à titre de personne sans statut, telle étant sa situation actuelle. Je ne vais pas me dessaisir, mais je n’ai pas l’intention de vous renvoyer en Russie en hiver si je peux m’en garder. Alors soyez patient, faites vos prières et faites confiance à votre conseil. L’audience est donc ajournée en attendant la réception des observations du conseil de l’appelant.

 

[33]           Le conseil du demandeur a remis à la SAI les observations demandées sur la question du sursis, datées du 10 février 2006. Voici un extrait de ces observations dans lequel le conseil mentionne la possibilité que l’appel puisse être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction] Subsidiairement, si vous concluez que vous n’avez pas le pouvoir d’imposer des conditions qui écartent celles qui ont été imposées par l’agent, nous faisons valoir qu’il s’agit d’un autre facteur d’ordre humanitaire qui justifie que l’appel soit accueilli purement et simplement et, l’interdiction de territoire étant écartée sur le fondement de facteurs d’ordre humanitaire, que M. Olson devrait obtenir le statut de résident permanent. Nous soutenons qu’un sursis pour une période de deux ans, sans que l’appelant ne puisse travailler ou étudier, serait excessivement punitif et, en outre, nuirait à sa capacité de se rétablir et de réintégrer la société. Compte tenu des circonstances, nous sommes d’avis que les difficultés ainsi imposées à l’appelant constitueraient un autre motif d’ordre humanitaire, que l’appel devrait être accueilli et que le statut de résident permanent devrait être accordé au demandeur.

 

[34]           À mon avis, il est clair que le conseil a abordé dans ses observations les facteurs d’ordre humanitaire dans le contexte de la question du sursis. Dans ses observations supplémentaires, datées du 1er mars 2006, elle dit ceci :

[traduction] Les seules questions encore non réglées sont celles de savoir si l’appel doit être accueilli ou si un sursis doit être prononcé, et si la Section d’appel a le pouvoir d’autoriser l’appelant à travailler.

 

L’appelant a présenté des observations expliquant pourquoi l’appel doit être accueilli et n’estime pas nécessaire de les répéter. [. . .]

 

 

[35]           La décision de la SAI est ainsi libellée :

[…]  Le tribunal a donc demandé au conseil de lui fournir des observations écrites sur la façon dont un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion de l'appelant pourrait être efficace relativement aux permis de travail et d'études qui sont aujourd'hui refusés à l'appelant. Le tribunal regrette que sa décision en l’espèce ne lui permette pas de profiter de la perspicacité du conseil sur ce point.

 

[…] L’appel de Serguei Gorev OLSON est rejeté.

 

[36]           À mon avis, la SAI a contrevenu aux principes de l’équité procédurale en ne permettant pas au conseil du demandeur de présenter des observations complètes sur les questions de fond dans l’appel. La SAI a demandé des observations sur la question du sursis et a ajourné l’audience sans permettre au conseil d’aborder le fond de l’appel.

 

[37]           Un examen de la transcription de l’audience révèle que la SAI a décidé qu’elle n’accueillerait pas l’appel et qu’elle a demandé des observations sur son pouvoir d’autoriser l’appelant à travailler ou à étudier. Je suis d’avis que les observations faites par le conseil du demandeur sur la question d’accueillir ou non l’appel n’étaient pas des observations complètes, dans le sens ordinaire, puisque la SAI avait déjà indiqué qu’elle n’accueillerait pas l’appel et qu’elle ne souhaitait obtenir des observations que sur son pouvoir de permettre au demandeur de travailler ou d’étudier. La SAI a contrevenu aux règles de l’équité procédurale en ne permettant pas au conseil du demandeur de présenter des observations complètes sur le fond de l’appel, puis en rejetant l’appel.

 

[38]           Vu ma conclusion sur la première question, il n’est pas nécessaire que j’aborde la deuxième.

 

[39]           L’intimé m’a demandé de certifier la question suivante en tant que question grave de portée générale :

[traduction] Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à l’égard des conclusions factuelles tirées par la Section d’appel de l’Immigration dans les appels interjetés sous le régime de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés?

 

 

[40]           Le demandeur s’est opposé à la certification de cette question. Puisque j’ai fondé ma décision sur des motifs d’équité procédurale, je ne suis disposé à certifier aucune question.

 

[41]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SAI est infirmée. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

JUGEMENT

 

[42]           IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la SAI soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans la présente partie.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

36.(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé; [. . .]

 

 

67.(1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

36.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed; . . .

 

67.(1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3082-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            SERGUEI GOREV OLSON c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 21 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE  JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 avril 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Catherine A. Sas

POUR LE DEMANDEUR

 

 

R. Keith Reimer

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS :

 

Waldman & associés

Toronto (Ontario)

Catherine A. Sas

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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