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Date : 20070503

Dossier : IMM-5582-06

Référence : 2007 CF 486

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

SELMI RAMZI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’encontre d’une décision rendue le 14 août 2006 par l’agente des visas à l’Ambassade du Canada à Tunis, refusant d’accorder au demandeur un permis d’études.

 

FAITS PERTINENTS

[2]               Le demandeur est un citoyen de Tunisie qui a fait une demande pour un permis d’études auprès de l’Ambassade du Canada à Tunis, afin de poursuivre des études au Cégep de Limoilou pour la session d’automne 2006, dans le programme « Contact cégep ».

 

[3]               Après avoir reçu sa confirmation d’admission du Cégep de Limoilou, ainsi que son certificat d’acceptation du Québec (le CAQ), le demandeur a fait parvenir à l’Ambassade du Canada à Tunis une demande de permis d’études afin d’obtenir un visa pour étudier au Canada.

 

[4]               Par lettre datée du 14 août 2006, le demandeur a été informé que sa demande de permis d’études avait été refusée. Les motifs de ce refus sont exprimés dans l’extrait suivant de la lettre envoyée par l’agente des visas :

L’examen attentif des renseignements que vous nous avez fournis avec votre demande, ainsi que les documents fournis à son appui, m’amènent à conclure que vous ne remplissez pas les conditions du permis d’études. En voici les raisons :

 

§      Je ne suis pas satisfait que vous ayez les moyens financiers d’acquitter vos frais de scolarité et votre hébergement durant votre séjour au Canada, et de rentrer dans votre pays de résidence.

§      Je ne suis pas satisfait que vous quitterez le Canada au terme de la période de séjour autorisée pour les raisons suivantes : vous n’avez pas les liens nécessaires pour assurer votre retour.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[5]               Les questions suivantes sont soulevées par les parties dans le cadre du contrôle judiciaire :

1)      L’agente des visas a-t-elle erré dans son interprétation de la Loi et du Règlement, dans le cadre de l’Accord Canada-Québec?

2)      L’agente des visas a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve justifiant l’intervention de cette Cour?

3)      L’agente des visas a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale envers le demandeur?

 

NORME DE CONTRÔLE

[6]               L’attribution d’un visa de résidence temporaire par un agent des visas constitue une décision discrétionnaire (De La Cruz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 26 F.T.R. 285). De ce fait, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue lors du contrôle judiciaire de ces décisions (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). La norme de contrôle applicable aux conclusions factuelles de l’agent des visas est donc celle de la décision manifestement déraisonnable (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 10 (QL)).

 

[7]               Récemment, la Cour d’appel fédérale dans Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, [2006] A.C.F. no 275 (QL), citait le juge Yves de Montigny dans Sadiki Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 459, [2005] A.C.F. no 592 (QL), qui tentait de réconcilier les différentes conclusions de la Cour fédérale quant à la norme de contrôle applicable aux décisions d’un agent des visas. Le juge de Montigny concluait au paragraphe 19 :

[…] Si l'on en est arrivé à des conclusions différentes, c'est essentiellement parce que la nature de la décision faisant l'objet de révision par cette Cour peut varier selon le contexte. Ainsi, il va de soi que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent des visas appelé à évaluer l'expérience d'un immigrant éventuel au regard d'une profession sera celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la mesure où la décision de l'agent repose sur un examen des faits, cette Cour n'interviendra pas à moins que l'on puisse démontrer que cette décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

 

[8]               Tel que l’affirmait le juge Michel Beaudry dans Mered c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 454, [2006] A.C.F. no 564 (QL), au paragraphe 12, les conclusions d’un agent des visas « portant sur le sérieux du projet d’études et son intention de quitter le Canada après ses études portent sur des questions de fait ». Il en va de même pour l’appréciation des ressources financières. Par conséquent, la décision de l’agente des visas sur la suffisance de la preuve sera sujette à la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[9]               Par contre, si la Cour conclut qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire sera accordée, puisqu’il est bien établi que la norme de contrôle applicable pour les questions de justice naturelle et d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539).

 

ANALYSE

1) L’agente des visas a-t-elle erré dans son interprétation de la Loi et du Règlement, dans le cadre de l’Accord Canada-Québec?

 

[10]           En premier lieu, le demandeur prétend que l’agente des visas a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’Accord Canada-Québec. Dans le cadre de la demande de CAQ, le Ministère de l’Immigration et des communautés culturelles (le MICC) a eu à évaluer la capacité financière du demandeur sur la base de la déclaration de prise en charge de Mme Nadia El-Ghandouri, de la lettre de l’employeur de cette dernière, et de son relevé bancaire, soit la même information soumise à l’agente des visas. Le demandeur soutient donc que le MICC, lui ayant émis un CAQ, a ainsi déterminé qu’il possédait les ressources financières nécessaires pour venir étudier au Québec. Par conséquent, le demandeur maintient que de permettre à l’agente des visas de réévaluer la même information pour en arriver à une conclusion opposée rendrait totalement inutile et sans aucun fondement l’évaluation des considérations financières par le Québec et sa déclaration de satisfaction confirmée par le CAQ.

 

[11]           Bien que je sois sympathique à l’argument du demandeur, en ce sens qu’il puisse paraître illogique que l’agente des visas puisse entreprendre une analyse indépendante de la même preuve et en arriver à des conclusions différentes, invalidant ainsi la détermination du MICC quant à la capacité financière du demandeur, l’approche de l’agente des visas respecte néanmoins les principes de l’Accord Canada-Québec, ainsi que les articles de la Loi et du Règlement.  

 

[12]           En effet, tel que le soumet le défendeur, le Canada détient la compétence exclusive pour déterminer l’admissibilité des étudiants étrangers au pays. Le pouvoir du Québec d’imposer des critères additionnels n’interfère pas avec la compétence du Canada dans ce domaine, tout comme les exigences provinciales ne lient d’aucune façon le Canada, qui est le seul responsable de l’admission des étudiants étrangers par voie d’émission d’un visa de résidence temporaire. Par conséquent, le défendeur a raison d’affirmer que le fait qu’un CAQ ait été délivré par le Québec ne relevait pas le demandeur de son fardeau de satisfaire les autorités fédérales qu’il répondait aux critères d’admission prévus dans la Loi et le Règlement. De plus, le défendeur note que l’agente des visas avait non seulement le pouvoir, mais aussi l’obligation d’examiner les ressources financières du demandeur afin de déterminer s’il était admissible, et ce, indépendamment de l’évaluation effectuée par les autorités provinciales sur la même question, puisque la suffisance des ressources financières constitue une condition d’admissibilité pour se voir délivrer un permis d’études en vertu de l’article 220 du Règlement. De plus, l’insuffisance des ressources financières est un motif d’inadmissibilité pour tout demandeur, selon l’article 39 de la Loi.  La Cour d’appel fédérale s’est d’ailleurs penchée sur la question de l’impact de l’Accord Canada-Québec sur la juridiction d’un agent des visas dans l’arrêt Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43, [2001] A.C.F. no 338 (QL), concluant au paragraphe 1 :

Nous sommes d'avis que cet appel doit être rejeté avec dépens et qu'il y a lieu de répondre par la négative à la présente question certifiée par le juge des requêtes:

 

 

Does the Canada-Quebec Accord limit the jurisdiction of the visa officer to question the source of funds of a Quebec-destined applicant for permanent residence in Canada, in order to establish the applicant's admissibility?

 

 

Il nous apparaît évident qu'il n'y a pas d'incompatibilité au niveau des pouvoirs et des fonctions des deux signataires de l'Accord Canada-Québec relatif à l'immigration au Québec. L'article 12 de cet Accord énonce que le gouvernement fédéral est le titulaire de l'autorité pour admettre des immigrants au Québec et que le gouvernement du Québec est celui qui a la responsabilité et les pouvoirs de sélection des immigrants qui demandent à s'installer au Québec.  Il va sans dire que la sélection par les autorités québécoises se fait et s'exerce parmi les immigrants admissibles. […] 

 

[13]           Je considère donc que la Cour d’appel fédérale a tranché la question et je n’ai aucune hésitation à conclure que l’agente des visas n’a pas erré en droit en procédant à une analyse indépendante de la suffisance des ressources financières du demandeur.

 

 

2) L’agente des visas a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve justifiant l’intervention de cette Cour?

 

[14]           Tout étudiant étranger doit obtenir un visa avant son entrée au Canada, en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi. De plus amples détails pour l’admission des étrangers désirant étudier au Canada se trouvent dans le Règlement, entre autres aux articles 213, 216 et 220. Tel que le mentionne le défendeur, toutes ces dispositions législatives prévoient expressément que l’agent des visas doit être satisfait que le demandeur veuille s’établir au Canada sur une base temporaire, et il doit s’assurer que le demandeur remplit toutes les conditions d’admissibilité, incluant les conditions financières. De plus, c’est au demandeur qu’incombe le fardeau de démontrer à l’agent des visas qu’il satisfait à chacun des critères énumérés dans le Règlement.

 

[15]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agente des visas à l’effet qu’il ne disposait pas des ressources financières nécessaires est manifestement déraisonnable, à la lumière des documents soumis, lesquels démontrent clairement la suffisance des ressources financières pour assumer toutes ses dépenses, en particulier la preuve que les frais de scolarité avaient été acquittés selon les exigences du Cégep et la déclaration de prise en charge de Mme El-Ghandouri. Le demandeur soutient aussi que la conclusion de l’agente des visas à l’effet qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour est purement arbitraire et va à l’encontre de la preuve soumise, spécifiquement la déclaration du demandeur qu’il retournerait en Tunisie à la fin de ses études.

 

[16]           Sur la question de l’évaluation de la preuve, le défendeur maintient qu’il ressort de l’affidavit de l’agente des visas qu’elle a considéré tous les documents soumis par le demandeur, mais qu’elle a déterminé que ceux-ci ne démontraient pas la suffisance de ressources financières pour ses études au Canada. À la lumière de la preuve qu’elle avait devant elle, le défendeur affirme qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour l’agente des visas de conclure que le demandeur n’avait pas démontré que ses ressources financières étaient suffisantes pour défrayer tous les coûts relatifs à son séjour d’études au Canada. Entre autres, l’agente des visas note dans son affidavit que le demandeur avait inscrit dans sa demande de permis d’études que ses dépenses au Canada seraient assumées par « moi-même ou mes parents » et par « autres ». Malgré cela, le demandeur n’a soumis aucun document concernant sa capacité financière ou celle de ses parents.

 

[17]           De plus, la déclaration de prise en charge signée par Mme El-Ghandouri n’était pas, à elle seule, suffisante pour démontrer que le demandeur avait des ressources financières suffisantes afin de venir étudier au Canada; encore fallait-il que Mme El-Ghandouri démontre qu’elle avait des ressources financières suffisantes afin de couvrir tous les coûts relatifs au séjour d’études du demandeur qu’elle s’engageait à assumer. Or, le défendeur maintient qu’une analyse de tous les documents mis en preuve par le demandeur relatifs aux ressources financières de Mme El-Ghandouri a raisonnablement amené l’agente des visas à conclure que les ressources financières de cette dernière n’étaient pas suffisantes pour défrayer tous les coûts relatifs au séjour d’études du demandeur au Canada. Tel que l’affirme l’agente des visas dans son affidavit :

Comme le montant global apparaissant au relevé bancaire de la Banque Royale du Canada couvre à peine les chèques du 7 juillet 2006 et du 11 août 2006, faits à l’ordre du Cégep Limoilou, pour payer les droits de scolarité de M. Selmi, j’ai déterminé, tout en prenant compte que Mme Nadia El-Ghandouri gagnait un salaire annuel de 70 650$  pour l’année 2006, que les ressources financières de Mme Nadia El-Ghandouri n’étaient pas suffisantes pour défrayer tous les coûts relatifs au séjour de M. Selmi au Canada, en l’occurrence, outre ses frais de scolarité, tous ses frais de subsistances pendant ses études ainsi que le transport aller-retour par avion pour venir au Canada et en repartir.

 

[18]           Il en va de même pour la détermination de l’agente des visas qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur quitterait le Canada à la fin de ses études. Même s’il était écrit dans la lettre accompagnant la demande de permis d’études que le demandeur entendait retourner en Tunisie dès que ses études seraient complétées, l’agente des visas devait se pencher sur les liens que le demandeur avait avec son pays d’origine afin d’évaluer si celui-ci quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. En l’espèce, l’analyse de la preuve effectuée par l’agente des visas ne l’a pas satisfaite que le demandeur avait des liens suffisants avec son pays d’origine afin de démontrer qu’il quitterait le Canada au terme de la période de séjour autorisée. L’agente des visas s’explique ainsi dans son affidavit :

J’ai constaté que rien ne retenait M. Selmi en Tunisie. Il a 29 ans et est célibataire. Il n’a pas terminé ses études secondaires (ou leur équivalent) en Tunisie. Il a inscrit dans sa demande de permis d’études être décorateur travaillant à son compte. Toutefois, il n’a soumis aucune preuve de cela.

 

[…] j’ai noté que le programme dans lequel M. Selmi s’est inscrit au Cégep de Limoilou, est seulement un programme de mise à niveau qui permet d’accéder à des études collégiales. La nature de son programme d’études envisagé ne m’a pas satisfaite que M. Selmi retournerait en Tunisie après avoir complété son programme au Cégep de Limoilou, puisque ces études n’ont aucun lien spécifique avec l’emploi qu’il occupe actuellement.

 

De plus, M. Selmi n’a soumis aucun plan d’études afin de démontrer de façon plus précise ses plans pour l’avenir.

 

 

[19]           Le défendeur note finalement que le fait que le demandeur manifeste son désaccord à l’égard des conclusions de l’agente des visas, ne suffit pas à démontrer que celles-ci sont manifestement déraisonnables. Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur. Ayant examiné attentivement la preuve devant l’agente des visas, je ne peux conclure que cette dernière a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

3) L’agente des visas a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale envers le demandeur?

[20]           En terme d’équité procédurale, le demandeur soutient que si l’agente des visas n’était pas satisfaite des documents soumis sur sa capacité financière, elle aurait dû le convoquer en entrevue ou requérir des documents supplémentaires, ce qu’elle n’a pas fait. Il en va de même de ses doutes quant à la véracité de la déclaration du demandeur sur son intention de retourner en Tunisie. En omettant de convoquer le demandeur en entrevue, l’agente des visas devait tenir pour avéré le fait que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour et que l’objectif visé par ses études au Québec était de lui permettre d’acquérir des connaissances qui profiteraient à lui et à son pays, tel qu’il avait mentionné dans son dossier, et ce, nonobstant la question des liens avec son pays d’origine.

 

[21]           Le défendeur, pour sa part, précise que l’agente des visas a affirmé, dans son affidavit, qu’elle n’avait pas convoqué le demandeur à une entrevue, puisqu’elle disposait des éléments nécessaires pour prendre sa décision. Il incombait au demandeur de déposer tous les documents nécessaires avec sa demande de permis d’études pour démontrer qu’il avait des ressources financières suffisantes pour venir étudier au Canada et qu’il avait des liens suffisants avec son pays d’origine pour convaincre l’agente des visas qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour. Ce fardeau de preuve ne se transférait pas à l’agente des visas. Le défendeur soutient qu’il est bien établi par la jurisprudence qu’un demandeur n’a aucun droit à une entrevue pour cause d’insuffisance de preuve à l’appui, et que l’agente des visas n’avait donc aucune obligation de convoquer le demandeur en entrevue afin de lui permettre de parfaire sa preuve. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[22]           Tout d’abord, il est important de noter que rien dans la Loi ou dans le Règlement ne prévoit la tenue d’une entrevue ou la demande de documents supplémentaires par l’agente des visas.

 

[23]           Lors de l’audition devant cette Cour, le procureur du demandeur a mentionné que le dossier devant l’agente des visas était complet. Dans son affidavit déposé au soutien des prétentions du défendeur, l’agente des visas précise au paragraphe 17 : « Je n’ai pas convoqué M. Selmi à une entrevue puisque je disposais des éléments nécessaires pour prendre ma décision. »

 

[24]           Je souscris à la position exprimée par le défendeur que l’agent qui constate que le demandeur de visa ne rencontre pas les exigences prévues à la Loi et au Règlement n’a pas à convoquer en entrevue le demandeur, ou encore à lui demander de parfaire sa demande. Si c’était le cas, un agent des visas devrait communiquer avec un demandeur afin qu’il soumette des documents supplémentaires, jusqu’à ce qu’il réussisse enfin à atteindre le niveau d’exigence prévu à la Loi. Il s’agirait, à mon avis, d’un renversement du fardeau de la preuve, ce qui n’a manifestement pas été voulu par le législateur.

 

[25]           À cet effet, la juge Elizabeth Heneghan dans l’arrêt  Dardic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 150, [2001] A.C.F. no 326 (QL), au paragraphe 18, précise :

 18      Quant aux arguments du demandeur suivant lesquels l'agente des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité envers lui en ne le recevant pas en entrevue et en ne lui donnant pas l'occasion de répondre à ses préoccupations, je me reporte à la décision du juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Tahir c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998), 159 F.T.R. 109, à la page 110 où la Cour déclare :

 

 

Le demandeur soutient que lorsqu'une demande est incomplète, il incombe à l'agent des visas de demander des documents justificatifs ou encore d'accorder une entrevue à la personne visée afin de permettre à cette dernière d'appuyer sa demande. Je ne suis pas d'accord. Il incombe au demandeur de déposer une demande accompagnée de tout document justificatif pertinent. L'agent des visas n'a aucune obligation de s'efforcer de parfaire une demande incomplète. De toute évidence, l'agent des visas peut faire enquête lorsque cela est justifié, mais lorsque le demandeur se contente de fournir un simple titre de poste et ne se donne même pas la peine de fournir l'un ou l'autre des documents justificatifs disponibles, je trouve qu'il est choquant de laisser entendre que le fardeau est renversé et de prétendre qu'en l'espèce, l'agente des visas aurait dû faire davantage.

 

[26]           Dans la décision Beganovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 359, [2004] A.C.F. no 406 (QL), le juge Michael A. Kelen partage aussi cette opinion lorsqu’il conclut :

15     Le demandeur prétend que le fait qu'il n'ait pas été reçu en entrevue ou qu'il n'ait pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations constitue un manquement à l'obligation d'agir avec équité et que l'agente des visas était tenue d'examiner d'abord la question de l'admissibilité même si elle n'avait pas les documents appropriés. Ces prétentions ne sont pas fondées. La Cour a rejeté ces prétentions dans les décisions Dardic c. Canada (MCI), 2001 CFPI 150, [2001] A.C.F. no 326 (1re inst.) (QL), Tahir c. Canada (MCI) (1998), 159 F.T.R. 109 (1re inst.), et Lam c. Canada (MCI) (1998), 152 F.T.R. 316 (1re inst.).

 

16     Dans la décision Lam, précitée, M. le juge Rothstein a déclaré ce qui suit aux paragraphes 3 et 4 :

3.  Au mieux, il doit vouloir dire que sa demande est ambiguë et que du moment qu'il indiquait, à titre d'antécédents professionnels, qu'il avait été gérant stagiaire et sous-directeur gérant chez McDonald's, l'agente des visas était tenue de vérifier, au moyen d'une entrevue, si ces emplois valaient formation et expérience de chef cuisinier. Pareil argument, s'il est fondé, donnerait l'avantage aux demandeurs de résidence permanente qui soumettent une demande ambiguë. Il ne saurait être acceptable.

4.  Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s'il le juge nécessaire. Il est évident qu'il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l'instruction d'une demande, et il doit l'instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l'agent des visas, et le demandeur n'a aucun droit à l'entrevue pour cause de demande ambiguë ou d'insuffisance des pièces à l'appui.

 

17     Dans la décision Dardic, précitée, aux paragraphes 18 et 19, Mme la juge Heneghan tire une conclusion à l'égard de faits similaires à ceux de la présente affaire en déclarant ce qui suit :

 

[…]

 

18     J'adopte ce raisonnement. Le fait de prévoir des entrevues pour des personnes qui n'ont pas présenté une demande complète constituerait un avantage inéquitable et cela représenterait une perte de temps et de ressources que d'évaluer sur le fondement de renseignements incomplets les motifs d'admissibilité d'une demande. La présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

 

[27]           En dernier lieu, le demandeur prétend que les motifs sur lesquels se fonde la décision de l’agente des visas, quant à l’absence de liens nécessaires pour assurer son retour en Tunisie, sont insuffisants pour lui permettre de déterminer si des erreurs ont effectivement été commises dans l’appréciation de la preuve.

 

[28]           Le défendeur, pour sa part, affirme qu’il n’est pas nécessaire pour cette Cour d’examiner la suffisance des raisons données, puisque le demandeur avait l’obligation de demander à l’agente des visas de motiver davantage sa décision avant d’invoquer en contrôle judiciaire l’insuffisance des motifs. Tel que le notait le juge James Russel dans l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 315, [2006] A.C.F. no 387 (QL), au paragraphe 23:

[…] Le demandeur n'a exprimé aucun commentaire au sujet de la suffisance des motifs ni n'a cherché à obtenir des explications plus détaillées de la part de l'agente. Par conséquent, il ne peut pas se plaindre maintenant de l'insuffisance des motifs, parce que la jurisprudence a clairement établi qu'avant de solliciter un contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal administratif en invoquant l'insuffisance des motifs, le demandeur a l'obligation de demander au tribunal de motiver davantage sa décision. Voir : Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, [2000] A.C.F. no 1217 (C.A.) (QL) aux paragraphes 4 à 6; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1301 (1re inst.) (QL) au paragraphe 32; Hayama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1305, [2003] A.C.F. no 1642 (QL) aux paragraphes 14 et 15.

 

[29]           En l’absence de preuve à l’effet que le demandeur aurait exprimé des préoccupations auprès de l’agente des visas, ce motif ne peut donc être soulevé dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[30]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[31]           Les parties n’ont soumis aucune question pour certification.


JUGEMENT

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE A

EXTRAITS LÉGISLATIFS PERTINENTS

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

39. A foreign national is inadmissible for financial reasons if they are or will be unable or unwilling to support themself or any other person who is dependent on them, and have not satisfied an officer that adequate arrangements for care and support, other than those that involve social assistance, have been made.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)

213. Sous réserve des articles 214 et 215, l’étranger qui cherche à étudier au Canada doit, préalablement à son entrée au Canada, faire une demande de permis d’études.

 

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

d) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

e) [Abrogé, DORS/2004-167, art. 59]

 

(2) L’alinéa (1)b) ne s’applique pas aux personnes visées à l’article 206 et aux alinéas 207c) et d).

 

(3) Le permis d’études ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à étudier dans la province de Québec — autrement que dans le cadre d’un programme fédéral d’aide aux pays en voie de développement — et qui ne détient pas le certificat d’acceptation exigé par la législation de cette province.

DORS/2004-167, art. 59.

 

 

220. À l’exception des personnes visées aux sous-alinéas 215(1)d) ou e), l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger à moins que celui-ci ne dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour :

a) acquitter les frais de scolarité des cours qu’il a l’intention de suivre;

b) subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent durant ses études;

c) acquitter les frais de transport pour lui-même et les membres de sa famille visés à l’alinéa b) pour venir au Canada et en repartir.

213. Subject to sections 214 and 215, in order to study in Canada, a foreign national shall apply for a study permit before entering Canada.

 

 

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(a) applied for it in accordance with this Part;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

(c) meets the requirements of this Part; and

(d) meets the requirements of section 30;

(e) [Repealed, SOR/2004-167, s. 59]

 

 

(2) Paragraph (1)(b) does not apply to persons described in section 206 and paragraphs 207(c) and (d).

 

(3) An officer shall not issue a study permit to a foreign national who intends to study in the Province of Quebec — other than under a federal assistance program for developing countries — and does not hold a Certificat d'acceptation du Québec, if the laws of that Province require that the foreign national hold a Certificat d'acceptation du Québec.

 

220. An officer shall not issue a study permit to a foreign national, other than one described in paragraph 215(1)(d) or (e), unless they have sufficient and available financial resources, without working in Canada, to

(a) pay the tuition fees for the course or program of studies that they intend to pursue;

(b) maintain themself and any family members who are accompanying them during their proposed period of study; and

(c) pay the costs of transporting themself and the family members referred to in paragraph (b) to and from Canada.

 

 

Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, 5 février 1991 (l’Accord Canada-Québec)

 

12. Sous réserve des articles 13 à 20 :

 

a) Le Québec est seul responsable de la sélection des immigrants à destination de cette province et le Canada est seul responsable de l’admission des immigrants dans cette province.

b) Le Canada doit admettre tout immigrant à destination du Québec qui satisfait aux critères de sélection du Québec, si cet immigrant

n’appartient pas à une catégorie inadmissible selon la loi fédérale.

c) Le Canada n’admet pas au Québec un immigrant qui ne satisfait pas aux critères de sélection du Québec.

 

22. Le consentement du Québec est requis avant l’admission dans la

province:

 

a) de tout étudiant étranger qui n’est pas choisi dans le cadre d’un programme du gouvernement canadien d’assistance aux pays en

voie de développement;

 

ANNEXE A

 

15. Les candidats sélectionnés par le Québec sont référés aux autorités canadiennes pour fins d'évaluation en fonction des exigences reliées à l'émission des visas et à l'admission.

 

20. Le Québec:

 

 

b) donne son consentement préalable à l'octroi de l'autorisation de séjour à tout travailleur temporaire dont l'admission est régie par les

exigences touchant la disponibilité de travailleurs canadiens, à tout étudiant étranger et à tout visiteur venant recevoir des soins

médicaux.

12. Subject to sections 13 to 20,

 

(a) Québec has sole responsibility for the selection of immigrants destined

to that province and Canada has sole responsibility for the admission of immigrants to that province.

(b) Canada shall admit any immigrant destined to Québec who meets Québec’s selection criteria, if the immigrant is not in an inadmissible class under the law of Canada.

(c) Canada shall not admit any immigrant into Québec who does not meet Québec’s selection criteria.

 

 

 

 

22. Québec’s consent is required in order to admit into the province:

 

 

(a) any foreign student, except a student chosen under a Canadian government assistance program for developing countries;

 

ANNEXE A

 

15. Immigrants selected by Québec shall be referred to federal authorities for

assessment relating to the admission and the issuance of visas.

 

20. Québec shall be responsible for:

 

b) providing prior consent for the granting of entry to any temporary foreign worker whose admission is governed by the requirements

concerning the availability of Canadian workers, to any foreign student, or to any visitor coming to receive medical treatment.

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5582-06

 

INTITULÉ :                                       SELMI RAMZI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Université Laval)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               4 avril 2007

 

DATE DES MOTIFS :                    Le 3 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nader Trigui

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Héroux et Boivin

Québec (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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