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Date : 20070507

Dossier : IMM-2210-06

Référence : 2007 CF 495

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

JOSE JULIAN RODRIGUEZ QUIROA

MIRIAM DEL ROSARIO PORTILLO FAJARDO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               En ce qui concerne la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs pour des raisons d’ordre humanitaire, rien ne permet de penser, contrairement à ce que prétendent les demandeurs, que l’agente d’immigration (l’agente) n’a pas tenu compte du sentiment d’aliénation qu’ils éprouvent envers le Guatemala et du sentiment opposé de paix et de sécurité qu’ils ressentent au Canada. L’agente n’était pas obligée de mentionner expressément qu’elle avait tenu compte des difficultés psychologiques des demandeurs. Si, pris globalement, les motifs permettent de penser que l’agente a bien saisi la question, les motifs en question résisteront à un examen assez poussé et ne seront pas jugés déraisonnables. Qui plus est, un désaccord avec la valeur attribuée par l’agente aux facteurs soulevés par les demandeurs ne constitue pas un motif permettant de faire droit à une demande de contrôle judiciaire (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (QL), au paragraphe 8).

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision datée du 7 avril 2006 par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs en vue de pouvoir déposer une demande de résidence permanente au Canada.

 

RAPPEL DES FAITS

[3]               Le 26 septembre 2000, les demandeurs, M. Jose Julian Rodriguez Quiroa et sa femme, Mme Miriam del Rosario Portillo Fajardo, sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile.

 

[4]               Le 9 mars 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé leur demande. L’autorisation d’interjeter appel leur a également été refusée le 21 février 2005.

 

[5]               Le 20 avril 2005, les demandeurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été refusée le 12 janvier 2006.

 

[6]               Les demandeurs ont également présenté une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qui a été refusée par voie d’une lettre datée du 7 avril 2006.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[7]               L’agente a examiné tous les éléments de preuve soumis par M. Quiroa et sa femme, a correctement analysé les facteurs d’ordre humanitaire et a conclu que les demandeurs n’étaient pas dispensés de présenter leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR.

 

[8]               Sur la question de l’établissement, l’agente a fait remarquer qu’après avoir perfectionné ses compétences linguistiques pendant 15 mois, le demandeur principal a obtenu un emploi stable chez Domino’s Pizza en janvier 2002 et qu’il a ensuite gravi les échelons, passant du poste de livreur à celui de gérant.

 

[9]               L’agente a également fait remarquer que la femme du demandeur, Mme Fajardo, ne s’est pas établie aussi rapidement, mais qu’elle a réussi à trouver du travail comme associée aux ventes en décembre 2004.

 

[10]           L’agente a reconnu qu’il y avait lieu de féliciter les demandeurs pour leur éthique du travail comme en faisaient d’ailleurs foi les nombreuses lettres d’appui versées au dossier. Elle a toutefois souligné que [traduction] « on est en droit de s’attendre à un certain degré d’établissement et d’intégration », compte tenu du fait que les demandeurs sont arrivés au Canada en octobre 2000.

 

[11]           Tout en reconnaissant que les demandeurs avaient atteint un certain degré d’indépendance financière, l’agente a expliqué qu’elle n’était [traduction] « pas convaincue pour autant que les demandeurs subiraient des difficultés s’ils retournaient dans leur pays d’origine ».

 

[12]           Pour ce qui est des liens que les demandeurs entretenaient avec le Guatemala, l’agente a souligné que M. Quiroa a deux enfants qui vivent au Guatemala, sans compter ses parents et ses frères et sœurs.

 

[13]           L’agente a également fait remarquer que M. Quiroa était l’un des associés de l’entreprise de sa famille, qu’il avait dirigée de 1993 jusqu’à son arrivée au Canada en octobre 2000. Elle a estimé à ce propos qu’une lettre datée du 12 septembre 2002 et produite par l’expert‑comptable de l’entreprise n’indiquait pas que M. Quiroa ne s’occupait plus de la compagnie depuis son arrivée au Canada.

 

[14]           L’agente a également souligné que l’entreprise exerçait toujours ses activités à la même adresse [traduction] « que l’on trouve dans l’annuaire commercial guatémaltèque » et qu’il y avait deux autres filiales au Guatemala.

 

[15]           Enfin, l’agente a expliqué qu’elle n’était pas convaincue que les demandeurs subiraient des difficultés exagérées, injustifiées ou excessives s’ils devaient retourner au Guatemala.

 

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[16]           (1)        Peut-on tenir compte de la lettre jointe à l’affidavit supplémentaire de M. Quiroa compte tenu du fait qu’elle n’avait pas été portée à la connaissance de l’agente?

(2)        L’agente a-t-elle, pour les raisons suivantes, commis une erreur en concluant que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés injustifiées s’ils retournaient au Guatemala :

a)         en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques et/ou en interprétant de façon erronée les éléments de preuve concernant l’entreprise familiale de M. Quiroa au Guatemala?

b)         en ne tenant pas compte des éléments de preuve relatifs aux « difficultés psychologiques »?

c)         en n’examinant pas les éléments de preuve relatifs à l’établissement des demandeurs au Canada depuis leur arrivée comme demandeurs d’asile ou en n’accordant pas plus de poids à ces éléments de preuve?

d)         en ne tenant pas compte des conséquences que le renvoi de M. Quiroa aurait sur son employeur, Domino’s Pizza?

 

CADRE LÉGISLATIF

[17]           En vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, une personne doit déposer une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

11.      (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agente les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11.      (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[18]           En vertu de l’article 25 de la LIPR, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de faciliter l’admission d’une personne au Canada, ou de l’exempter de tout critère ou obligation prévu par la LIPR, s’il est convaincu qu’une telle exemption ou facilitation devrait être accordée en raison de l’existence de considérations humanitaires.

25.      (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25.      (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[19]           Le processus de décision qui régit les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire est tout à fait discrétionnaire et sert à déterminer si l’octroi d'une exemption est justifié. Par conséquent, le rejet d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’enlève aucun droit au demandeur (Jasim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1017, [2003] A.C.F. n1290 (QL)).

 

[20]           Il revient aux demandeurs de prouver que les difficultés auxquelles ils feraient face, s’ils devaient déposer leur demande de résidence permanente selon la procédure habituelle, seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. Les difficultés inhérentes au fait de quitter le Canada ne sont pas suffisantes (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n1906 (QL)).

 

[21]           L’agent d’immigration peut tenir compte de nombreux facteurs lorsqu’il examine une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. La Cour a déjà mentionné qu’un agent d’immigration a le droit de tenir compte, entre autres choses, de la façon dont le demandeur est entré et est resté au Canada, et d’examiner si le demandeur possède un emploi ou a des parents dans son pays d’origine. Aucun facteur pris individuellement ne peut avoir un effet déterminant sur le résultat d’une demande particulière (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. n457 (QL), aux paragraphes 62 et 63;Pasteanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 608, [2001] A.C.F. n955 (QL), au paragraphe 16).

 

[22]           Lorsqu’une personne n’a pas le droit de rester au Canada, et qu’elle le fait sans qu’il existe de circonstances indépendantes de sa volonté, la Cour conclut qu’elle ne devrait pas être récompensée pour avoir accumulé du temps au Canada (Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 107, [2002] A.C.F. n119 (QL), aux paragraphes 15 et 16).

 

NORME DE CONTRÔLE

[23]           La norme de contrôle applicable aux décisions des agents d'immigration portant sur des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL); Jeon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 87, [2006] A.C.F. no 105 (QL), au paragraphe 22).

 

[24]           Lorsque la question soulevée a trait à l’équité procédurale et porte, par exemple, sur la suffisance des motifs, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte et, en pareil cas, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle (Syndicat canadien des employés de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] A.C.S. no 28 (QL)).

 

ANALYSE

Question préliminaire

(1)   Peut-on tenir compte de la lettre jointe à l’affidavit supplémentaire de M. Quiroa, compte tenu du fait qu’elle n’avait pas été portée à la connaissance de l’agente?

 

 

[25]           Le demandeur a joint à un affidavit supplémentaire une lettre qui confirme qu’il n’a plus de [traduction] « lien de travail » avec l’entreprise de sa famille depuis mars 2000. Il est précisé dans l’affidavit que cette lettre n’a pas été soumise à l’agente.

 

[26]           Les demandes de contrôle judiciaire sont normalement jugées sur la base des documents soumis au décideur administratif; toutefois, une preuve par affidavit est recevable sur des questions d’équité procédurale et de compétence (Lemiecha (tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1333 (QL), au paragraphe 4; Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 FCA 218, [2003] 1 C.F. 331 [2002] A.C.F. no 813 (QL), au paragraphe 30, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à (2003), 23 C.P.R. (4th) vii)).

 

[27]           En pareil cas, les éléments en question ne seront acceptés que s’ils sont nécessaires (Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 309, [2002] A.C.F. no 1778 (QL), au paragraphe 19).

 

[28]           Les éléments de preuve présentés dans l’affidavit ont trait à une conclusion de fait. Il ne s’agit pas de renseignements dont l’agente ne disposait pas lorsqu’elle a pris sa décision et il ne s’agit pas non plus de renseignements nécessaires pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Smith c. Canada, 2001 CAF 86, [2001] A.C.F. no 450 (QL), aux paragraphes 5 à 8, lorsqu’un demandeur verse dans son dossier des éléments dont le tribunal administratif ne disposait pas, le défendeur doit s’opposer en temps utile. En l’espèce, le défendeur a soulevé la question dans son mémoire complémentaire. Si aucune autre objection n’est formulée en l’espèce, la Cour devrait indiquer qu’elle entend n’accorder aucune valeur à ce document.

 

(2)        L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés injustifiées s’ils retournaient au Guatemala?

 

a)                  Éléments de preuve concernant l’entreprise familiale

[29]           Les demandeurs soutiennent qu’en consultant un annuaire téléphonique récent pour vérifier l’adresse de l’entreprise familiale, l’agente s’est fondée sur une preuve extrinsèque, manquant ainsi à son obligation d’agir équitablement en tenant compte de cette preuve extrinsèques sans accorder aux demandeurs la possibilité de répondre (Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205; Chen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 582 (QL); Yang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 632 (QL); Shah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1299 (QL) (C.A.F.)).

 

[30]           Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente a commis une erreur en se fiant à une lettre du service de la comptabilité de l’entreprise comme preuve que le demandeur travaillait encore pour l’entreprise familiale.

 

[31]           Les demandeurs soulignent aussi que l’agente a conclu que le demandeur avait suivi des cours de formation linguistique pendant 15 mois alors qu’en réalité, ce cours n’a duré que six mois. On doit conclure à un manquement à l’obligation d’agir équitablement lorsque le tribunal a mal compris la preuve au point de fonder sa décision sur des éléments de preuve inexacts (Shah, précité).

 

[32]           En matière d’équité procédurale, la préoccupation dominante relativement à la communication de la preuve consiste à savoir si la personne a connaissance ou est présumée avoir connaissance du document, de l’avis ou du rapport (Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1732, [2005] A.C.F. no 2145 (QL), au paragraphe 15; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266, [2002] A.C.F. no 341 (QL), aux paragraphes 33 à 36).

 

[33]           De plus, ainsi que la Cour l’a expressément souligné dans la décision Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 120 (QL), au paragraphe 13, l’agent n’a pas l’obligation de communiquer l’information disponible à partir d’une source publique si elle est antérieure à la date de toute observation de la part du demandeur.

 

[34]           L’agente s’est fiée à une source publique pour vérifier l’adresse de l’entreprise familiale de M. Quiroa au Guatemala. De plus, l’adresse de cette entreprise n’était pas une question sur laquelle portait le débat.

 

[35]           Quant à l’argument que l’agente a mal interprété la preuve, il est évident que M. Quiroa était à tout le moins l’un des fondateurs de l’entreprise (dossier du demandeur, à la page 111). La lettre de l’expert-comptable de l’entreprise ne précisait pas la date à laquelle le dernier poste occupé par M. Quiroa avait pris fin. Il n’était donc pas déraisonnable de la part de l’agente de conclure que M. Quiroa [traduction] « est l’un des associés de l’entreprise familiale, Tornillos Santander, dont il a été le directeur général de 1993 jusqu’à son arrivée au Canada, en octobre 2000 », car la preuve ne permettait pas de penser que M. Quiroa avait cessé de faire partie de l’entreprise ou d’y exercer des activités.

 

b)                  Éléments de preuve relatifs aux « difficultés psychologiques »

[36]           M. Quiroa et sa femme soutiennent que l’agente a manqué à l’obligation d’agir équitablement à laquelle elle était tenue envers eux en ne tenant pas compte des éléments de preuve relatifs aux difficultés psychologiques auxquelles ils devraient faire face s’ils devaient retourner au Guatemala pour présenter une demande de résidence permanente. Ils affirment que le sentiment d’aliénation qu’ils éprouvent envers le Guatemala et le sentiment opposé de paix et de sécurité qu’ils ressentent au Canada appuient leur argument que leur renvoi leur causerait des difficultés disproportionnées dans les circonstances.

 

[37]           Il incombe aux demandeurs de présenter les facteurs qui, à leur avis, méritent d’être examinés dans le cadre de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’agente doit examiner les éléments présentés et elle est présumée en avoir tenu compte (Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 741 (QL), au paragraphe 15).

 

[38]           Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, rien ne permet de penser que l’agente n’a pas tenu compte du sentiment d’aliénation qu’ils éprouvent envers le Guatemala et du sentiment opposé de paix et de sécurité qu’ils ressentent au Canada. L’agente n’était pas obligée de mentionner expressément qu’elle avait tenu compte des difficultés psychologiques évoquées par les demandeurs. Si, pris globalement, les motifs permettent de penser que l’agente a bien saisi la question, les motifs en question résisteront à un examen assez poussé et ne seront pas jugés déraisonnables. Qui plus est, un désaccord avec la valeur attribuée par l’agente aux facteurs soulevés par les demandeurs ne constitue pas un motif permettant de faire droit à une demande de contrôle judiciaire (Agot, précitée, au paragraphe 8).

 

[39]           L’agente précise qu’elle a tenu compte de toutes les déclarations et de toutes les observations formulées par les demandeurs, des lettres d’appui ainsi que du fait qu’il y avait un certain degré d’établissement et d’intégration. Rien de plus n’était exigé dans les circonstances. L’agente a manifestement reconnu que l’intégration à la société canadienne se concrétise en partie par le fait de s’accoutumer au mode de vie canadien. Elle a également tenu compte de facteurs liés au retour des demandeurs au Guatemala, y compris du fait que M. Quiroa y a encore deux enfants, sans compter les autres membres de sa famille. L’appréciation de ces facteurs fait immanquablement entrer en ligne de compte une composante psychologique, en l’occurrence l’attachement que les demandeurs ont développé envers le Canada et l’attachement qu’ils ont toujours pour le Guatemala.

 

[40]           Ainsi que l’a dit la Cour dans la décision Irimie, précitée, au paragraphe 12, l’appréciation des difficultés inhabituelles ou injustifiées se fait « par rapport à la situation d’autres personnes à qui l’on demande de quitter le Canada […] Le fait qu’une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question ».

 

[41]           La question des liens affectifs, tout comme celle des liens financiers, doit être examinée dans le cadre de l’analyse générale du degré d’établissement et des difficultés en cas de retour au pays d’origine. Il n’est pas nécessaire de qualifier d’une façon déterminée ces questions, dès lors que la preuve démontre qu’elles ont été soupesées et examinées, ce qui est de toute évidence le cas en l’espèce. Dans ces conditions, on ne saurait donc qualifier de déraisonnables les conclusions qui ont été tirées.

 

c)                  Éléments de preuve relatifs à l’établissement au Canada

[42]           M. Quiroa et sa femme soutiennent que l’agente n’a pas tenu compte de leur établissement au Canada. Les demandeurs invoquent expressément le Guide de l’immigration au chapitre portant sur les considérations d’ordre humanitaire (Guide du traitement des demandes au Canada, chapitre IP5) au sujet d’un séjour prolongé au Canada pour des raisons indépendantes de la volonté de l’intéressé. Ils affirment que leur séjour au Canada s’est prolongé parce qu’il a commencé en septembre 2000 et qu’il était [traduction] « attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté des demandeurs car ils attendaient l’issue de leurs diverses procédures d’immigration, de leur demande d’asile, de leur demande de contrôle judiciaire, de leur demande d’ERAR, de sorte qu’ils ne pouvaient pas et ne peuvent toujours pas être renvoyés du Canada ». Citant l’exemple prévu dans le guide IP5 au sujet de la définition des circonstances indépendantes de la volonté de l’intéressé, en l’occurrence le refus de signer un passeport, les demandeurs affirment que l’application des lois canadiennes échappent à leur volonté et que ce motif s’applique.

 

[43]           Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, l’agente a clairement tenu compte des éléments de preuve relatifs à leur établissement au Canada. De plus, ainsi que l’a souligné le défendeur, l’argument des demandeurs équivaut en réalité à un désaccord sur la valeur que l’agente a accordée à la preuve. Or, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la valeur accordée à différents facteurs par les agents d’immigration (Legault, précité, au paragraphe 12.)

 

[44]           De plus, l’agente a tenu compte des observations des demandeurs et de toutes les lettres d’appui offertes en leur nom. Elle a reconnu qu’il y avait lieu de féliciter les demandeurs pour leur éthique du travail et que, compte tenu de la date d’arrivée des demandeurs, on était en droit de s’attendre à un certain degré d’établissement et d’intégration. L’agente a également examiné le degré d’établissement des demandeurs sur le plan financier, les emplois qu’ils ont exercés ainsi que leurs antécédents scolaires et professionnels. Ces facteurs ont été mis en balance avec le fait que M. Quiroa avait de la famille au Guatemala ainsi qu’une entreprise familiale dans ce pays. L’agente a donc clairement tenu compte du degré d’établissement des demandeurs et a pondéré ces facteurs avec les autres facteurs. La décision de l’agente à cet égard n’était donc pas déraisonnable dans les circonstances.

 

[45]           De plus, en ce qui concerne l’exception signalée dans le guide IP5, elle ne s’applique pas au cas des demandeurs. Sinon, cette exception s’appliquerait à presque tous les demandeurs qui se prévalent des nombreux mécanismes qui leur sont offerts dans le cadre du système canadien d’immigration.

 

[46]           Il y a finalement lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),2003 CFPI 385, [2003] A.C.F. no 532 (QL), dans laquelle la Cour a annulé la décision de l’agent au motif que les conclusions qu’il avait tirées au sujet du degré d’établissement du demande étaient déraisonnables. La Cour a dit :

[18]      … Quand la collectivité donne de l’argent et fournit directement les ressources nécessaires pour subvenir aux frais de subsistance et d’éducation de M. Figueroa Raudales, quand le conseil municipal écrit au ministre de l’Immigration pour soutenir sa demande d’immigration, et quand le directeur et le surintendant d’une école écrivent eux aussi pour soutenir la demande fondée sur des considérations humanitaires, on ne saurait dire que l’établissement de M. Figueroa Raudales dans la collectivité n’est pas significative et ne se distingue pas de celle de tout autre élève. La conclusion tirée va à l’encontre de l’essentiel de la preuve. [Non souligné dans l’original.]

 

[47]           En l’espèce, prise dans son ensemble, la preuve ne permet pas de conclure que l’agente a tiré une conclusion déraisonnable, eu égard aux circonstances, en estimant que les demandeurs n’avaient pas fait la preuve qu’ils subiraient des difficultés exagérées, injustifiées ou excessives. Ainsi que la Cour l’a expliqué, dans la décision Raudales, précitée, au paragraphe 19, « [s]ans une bonne évaluation du niveau d’établissement, il était impossible […] dans le cas présent, de dire si le fait d’obliger M. Figueroa Raudales à demander la résidence permanente depuis l’étranger entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues ». Il ne s’ensuit pas pour autant que la Cour devrait dans tous les cas remplacer l’appréciation que l’agente a faite de la preuve par la sienne. En l’espèce, les motifs de l’agente résistent à un examen assez poussé et ils sont donc raisonnables.

 

d)                  Conséquences du renvoi du demandeur sur son employeur

[48]           Les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux difficultés qui seraient causées à la compagnie canadienne Domino’s Pizza (Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 F 604, [2005] A.C.F. no 760 (QL)).

 

[49]           Dans l’affaire Pramauntanyath, l’agent avait expliqué ce qui suit :

[3]        [… ]

 

[traduction] Même si son établissement au Canada est bien documenté et si on lui a accordé une grande importance, je ne suis pas persuadé que son entreprise commerciale et son intégration sont convaincantes et que le fait d’avoir à présenter une demande de l’extérieur du Canada, en suivant la procédure ordinaire, entraînerait des difficultés excessives et injustifiées.

 

 

[50]           M. Pramauntanyath était associé pour un tiers dans un restaurant qu’il avait aidé à ouvrir et il en était le chef. Un élément crucial de sa demande était le rôle clé qu’il affirmait jouer relativement au succès du restaurant et le fait que son renvoi, même temporaire, du Canada aurait une incidence néfaste sur lui‑même, sur son entreprise ainsi que sur ses associés et ses employés (décision de la Commission, au paragraphe 9).

 

[51]           Dans cette affaire, la Cour a expliqué que, même si l’agent semblait avoir apprécié favorablement l’établissement du restaurant, elle estimait qu’elle ne pouvait « trouver le fondement probant ou le processus logique qui étaye la conclusion de l’agent. La décision ne résiste pas à un “examen assez poussé” ». La Cour a poursuivi en soulignant que « [e]n toute équité, le demandeur a droit à de “vrais” motifs qui traitent de son argument principal et de sa preuve » et elle a ajouté :

[19]      Il se peut fort bien que l’agent n’ait pas souscrit à la thèse centrale du demandeur, mais il est impossible pour la Cour de déterminer si cette thèse a été prise en considération ou, si elle l’a été, pour quels motifs l’agent l’a rejetée. Il y a peut‑être des motifs valables, mais il est tout simplement impossible de savoir lesquels, notamment lorsque les faits favorisent autant le demandeur.

 

[52]           L’affaire Pramauntanyath tournait en réalité autour de la question de l’équité procédurale, car la Cour a conclu que la décision était tout simplement insuffisamment motivée. Le facteur présenté devait être examiné et, s’il était rejeté, ce rejet devait être motivé.

 

[53]           En l’espèce, il est évident que l’agente a tenu compte du degré d’établissement des demandeurs. Elle a expressément mentionné les lettres de leurs collègues de travail et de leurs employeurs, ainsi que leurs antécédents professionnels et leur éthique du travail.

 

[54]           Lorsqu’on examine globalement les motifs de l’agente, force est de constater que les principaux points soulevés par les demandeurs ont été abordés et que les principales conclusions de fait sont claires. L’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en ne mentionnant pas explicitement les difficultés que subirait l’entreprise en cas de renvoi du demandeur.

 

CONCLUSION

[55]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 « Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2210-06

 

INTITULÉ :                                                   JOSE JULIAN RODRIGUEZ QUIROA

                                                            MIRIAM DEL ROSARIO PORTILLO FAJARDO

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le19 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 7 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F. Loebach                                         POUR LES DEMANDEURS

 

David Joseph                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHAEL LOEBACH                                  POUR LES DEMANDEURS

Avocat

London (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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