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Date : 20070508

Dossier : IMM-2834-06

Référence : 2007 CF 498

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

ANN SANDRASEGARA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision en date du 24 avril 2006 par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               L’agente a-t-elle commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour en estimant que les raisons d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour pouvoir approuver la demande de la demanderesse?

 

[3]               La réponse à cette question est négative. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Il s’agit en l’espèce d’une jeune femme tamoule dynamique, travailleuse et autonome originaire du Nord du Sri Lanka qui a fui sa patrie en compagnie de sa famille en juin 1994, lorsqu’elle n’avait que seize ans. Les membres de la famille se sont vus octroyer le droit d’asile en France, où la demanderesse a obtenu, en octobre 1994, une carte de résident d’une durée de validité de dix ans.

 

[5]               Le 22 décembre 1996, à l’âge de 19 ans, la demanderesse a quitté la France et est arrivée au Canada à l’aéroport de Mirabel, où elle a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été jugée non crédible le 4 octobre 2000. Le 30 octobre 2000, elle a soumis une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qui a été refusée le 10 février 2003. Elle a soumis, le 26 août 2003, une seconde demande fondée sur les mêmes motifs. À la suite du refus de celle‑ci, le 24 avril 2006, elle a introduit la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[6]               L’agente a étudié le cas de la demanderesse et les circonstances d’ordre humanitaire et a refusé de lever tout ou partie des critères et obligations applicables pour les motifs suivants :

a)      La décision de quitter la France, après y avoir vécu en sécurité pendant deux ans avec sa famille immédiate était le choix de la demanderesse;

b)       Le fait que le traitement de la demande d’asile au Canada ait pris autant de temps n’a rien d’exceptionnel et il n’est pas rare non plus qu’un demandeur d’asile se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse finisse par s’intégrer dans sa collectivité d’accueil dans l’intervalle. À cet égard, la demanderesse a suivi des cours, a fréquenté une église et a fait du bénévolat tout en exerçant un emploi stable depuis son arrivée au Canada. De plus, elle a fait certains placements et elle est tenue en haute estime non seulement par son employeur, mais aussi par les personnes avec lesquelles elle entretient des rapports réguliers;

c)      La demanderesse ne s’est pas intégrée au point où elle ou son employeur subirait des difficultés exagérées, non méritées ou excessives si on lui demandait de présenter sa demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada et plus particulièrement depuis la France − d’autant plus que la lettre intéressée de sa mère ne confirme pas que la demanderesse n’est pas en mesure de retourner en France − ou depuis le Sri Lanka, dont elle a la citoyenneté;

d)      Au regard du risque auquel la demanderesse affirme être exposée, l’évaluation d’ERAR défavorable n’appuie pas la prétention selon laquelle la demanderesse serait exposée à un risque personnel si elle retournait au Sri Lanka. La demanderesse n’a pas réfuté cette conclusion dans ses observations ultérieures;

e)      La demanderesse est une jeune femme mûre, autonome et responsable qui a fait preuve de qualités impressionnantes depuis son arrivée au Canada, qualités qui ne peuvent que bien lui servir à son retour au Sri Lanka et qui ne justifient pas de la dispenser de présenter sa demande selon la procédure habituelle;

f)        Le fait que la demanderesse aurait sans doute besoin de s’adapter à sa nouvelle vie au Sri Lanka et qu’elle ne se retrouverait pas avec sa famille immédiate au Sri Lanka ne constitue pas un facteur qui justifie d’accueillir une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. La demanderesse a d’ailleurs vécu au Canada loin de cette famille immédiate et sans entretenir des liens avec les nombreuses personnes de sa famille élargie qui résident au Canada et ce, sans que cette situation lui cause des difficultés excessives.

 

[7]               Comme la demanderesse ne courrait pas un risque personnel et qu’elle a fait preuve d’un courage admirable dans la façon dont elle s’est établie au Canada, l’agente n’a pas été convaincue qu’elle subirait des difficultés exagérées, non méritées ou excessives si elle devait suivre la procédure habituelle pour obtenir la résidence permanente au Canada.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[8]               Les dispositions relatives à l’immigration au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire sont énoncées au paragraphe 25(1) de la Loi, qui dispose :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[9]               Les parties ont attiré l’attention de la Cour sur les dispositions suivantes du Guide de l’immigration, au chapitre IP05, 11.2, au sujet des facteurs dont l’agent peut tenir compte pour évaluer le degré d’établissement du demandeur au Canada. En voici le texte intégral :

11.2 Évaluation du degré d’établissement au Canada

 

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas, particulièrement si l’on évalue certains types de cas comme les suivants :

• parents/grands-parents non parrainés;

• séparation des parents et des enfants (hors de la catégorie du regroupement familial);

• membres de la famille de fait;

• incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement;

• violence familiale;

• Anciens citoyens canadiens; et

• autre cas.

 

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut supposer certaines questions, par exemple :

• Le demandeur a-t-il des antécédents d’emploi stable?

• Y a-t-il une constan[c]e de saine gestion financière?

• Le demandeur s’est-il intégré à la collectivité par une participation aux organisations communautaires, le bénévolat ou d’autres activités?

• Le demandeur a-t-il amorcé des études professionnelles, linguistiques ou autres pour témoigner de son intégration à la société canadienne?

• Le demandeur et les membres de sa famille ont-ils un bon dossier civil au Canada (p. ex., aucune intervention de la police ou d’autres autorités pour abus de conjoint ou d’enfants, condamnation criminelle)?

 

Notes

1. L’agent ne doit pas évaluer le potentiel d’établissement du demandeur, car cela déborde de la portée des critères d’admissibilité.

2. On peut tenir compte de l’établissement du demandeur jusqu’au moment de la décision CH.

3. Dans les cas du Québec, consulter la Section 10.

2005-06-09, Guide d’immigration, IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire

11.2 Assessing the applicant’s degree of establishment in Canada

The applicant's degree of establishment in Canada may be a factor to consider in certain situations, particularly when evaluating some case types such as:

• parents/grandparents not sponsored;

• separation of parents and children (outside the family class);

• de facto family members;

• prolonged inability to leave Canada has led to establishment;

• family violence;

• former Canadian citizens; and

• other cases.

 

The degree of the applicant’s establishment in Canada may include such questions as :

• Does the applicant have a history of stable employment?

• Is there a pattern of sound financial management?

• Has the applicant integrated into the community through involvement in community organizations, voluntary services or other activities?

• Has the applicant undertaken any professional, linguistic or other study that show integration into Canadian society?

• Do the applicant and family members have a good civil record in Canada (e.g., no interventions by police or other authorities for child or spouse abuse, criminal charges)?

 

 

 

Notes

1. Officers should not assess the applicant's potential for establishment as this falls within the scope of admissibility criteria.

2. Establishment of the applicant up to the time of the H&C decision may be considered.

3. For Quebec cases, see Section 10. 2005-06-09,

Immigration Manual, IP 5 Immigrant Applications in Canada made on Humanitarian or Compassionate Grounds

 

[10]           La distinction entre une évaluation des risques ERAR et l’évaluation exigée dans le cas d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est également discutée dans le Guide de l’immigration, au chapitre IP05, 13.6 :

13.6 Rôle de l’agent ERAR

Si, en ce qui touche une demande CH renvoyée à un agent ERAR conformément à la section « Rôle du coordonnateur ERAR » ci‑dessus, il existe une demande ERAR en suspens, l’agent ERAR évalue simultanément le cas en rapport avec les critères ERAR et l’ensemble des facteurs CH qui ont été soulevés, y compris le risque personnel.

L’agent doit rendre des décisions distinctes en rapport avec la demande CH et la demande ERAR, s’il y lieu. Bien qu’il puisse exister des éléments communs à la demande ERAR et aux facteurs de risque examinés en rapport avec la demande CH, cette dernière et la décision qui s’y rapporte reposent sur des facteurs plus larges, en ce sens que l’agent ERAR doit examiner la totalité du cas, y compris les facteurs autres que le risque, et qu’il peut rendre une décision basée uniquement sur ces facteurs autres que le risque. Les facteurs de risque que comporte une demande CH ne sont pas déterminés uniquement en fonction des seuils, des normes ou des critères d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Si le risque est mentionné comme facteur dans une demande CH, ce risque est plutôt évalué dans le contexte des difficultés subies par le demandeur, ainsi qu’on l’explique de manière détaillée dans le présent chapitre.

13.6. Role of PRRA Officer

Where, with respect to an H&C application referred to a PRRA officer in accordance with section “Role of the PRRA Coordinator” above, there is a pending PRRA application, the PRRA officer concurrently assesses the case with respect to the PRRA criteria and all H&C factors that have been raised, including personal risk.

 

 

The officer must render separate decisions with respect to the H&C application and the PRRA application, if applicable. While there may be common ground between the PRRA application and the risk factors considered with respect to the H&C application, the latter application and decision

are more broadly based, in that the PRRA officer must consider the totality of the case, including “non-risk” factors, and may render a decision on “non-risk” factors only. Risk factors within an H&C application are not determined solely with the thresholds, standards, or criteria of a pre-removal risk assessment (PRRA). Rather, when risk is cited as a factor in an H&C application, the risk is also assessed in the context of the applicant’s degree of hardship, as detailed within this

manual chapter.

 

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[11]           La Cour a suivi les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et affirmé que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Plus particulièrement, dans la décision Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (C.F.) (QL), la juge Carolyn Layden-Stevenson a écrit, au paragraphe 8 :

Il est utile de rappeler certains des principes établis qui régissent les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. La décision du représentant du ministre en ce qui concerne une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est une décision discrétionnaire : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (l'arrêt Baker). La norme de contrôle judiciaire applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Baker). Dans le cas d'une demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le fardeau de la preuve incombe au demandeur (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. n139, le juge Gibson, citant les jugements Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.) et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 36 Imm.L.R. (2d) 175 (C.F. 1re inst.)). La pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (Legault)). Les lignes directrices ministérielles n'ont pas force de loi et ne lient pas le ministre et ses représentants, mais elles sont accessibles au public et la Cour suprême les a qualifiées de très utiles à la Cour (Legault). Les décisions relatives à des raisons d'ordre humanitaire doivent être motivées (Baker). Il serait excessif d'exiger des agents de révision, en tant qu'agents administratifs, qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.)).

 

[12]           Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse conteste la décision de l’agente sur le fondement de quatre arguments principaux, analysés sous les rubriques suivantes :

 

i)          Difficultés en cas de retour au Sri Lanka

[13]           La demanderesse déclare que l’agente n’a pas tenu compte de faits pertinents au sujet des difficultés auxquelles elle serait probablement confrontée si elle retournait au Sri Lanka, pays qui n’a rien en commun avec le Canada, et qui l’empêcherait de s’y réinstaller facilement. L’agent d’ERAR a effectivement reconnu qu’il existe un conflit armé en cours entre le gouvernement sri-lankais et les Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (les LTTE). Bien que la demanderesse ne courre pas de risque personnel, il n’en demeure pas moins qu’elle est une jeune femme tamoule qui serait vulnérable, d’autant plus qu’elle n’avait que 16 ans lorsqu’elle a quitté le Sri Lanka et que, si elle y retournait, elle ne pourrait plus compter sur l’appui et la présence de sa famille immédiate.

 

[14]           La demanderesse affirme en outre que l’agente a commis une erreur de droit en considérant que l’on pouvait trancher la question des difficultés excessives sur le seul fondement de l’examen d’ERAR, en se contentant d’incorporer les résultats de l’évaluation des risques d’ERAR dans l’évaluation de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, ce qui va à l’encontre de l’article 13.6 des lignes directrices du Guide de l’immigration, chapitre IP05, qui indique expressément qu’il y a lieu de faire une distinction entre ces deux types d’évaluations du risque.

 

[15]           Le défendeur soutient que l’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque personnel ou à des difficultés excessives au Sri Lanka. C’est par pure coïncidence que ces conclusions sont identiques à celles de l’agent d’ERAR. Les deux fonctionnaires ont reconnu que les femmes sont particulièrement vulnérables au Sri Lanka. Il existe toutefois [traduction] « plusieurs organismes qui viennent en aide aux femmes dont les droits sont violés ». De plus, l’agente n’a tout simplement pas adopté les conclusions de l’ERAR à cet égard mais s’est montrée sensible à la situation particulière de la demanderesse, ainsi qu’en fait foi le passage suivant de la décision :

[traduction] […] L’intéressée est une jeune femme mûre, responsable et certainement autonome, d’excellentes qualités qui peuvent l’aider à se réinstaller au Sri Lanka aussi efficacement qu’elle l’a fait ici au Canada et peut-être mieux encore, compte tenu de sa citoyenneté, de sa détermination et de son expérience.

 

 

[16]           Une lecture attentive de la décision et de l’analyse relative à l’ERAR révèle qu’il n’y avait pas de confusion ou d’erreur dans les deux évaluations des risques. L’agente chargée d’examiner les raisons d’ordre humanitaire ne s’est pas contentée de reprendre les conclusions de l’évaluation d’ERAR en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque personnel. Le fait que les deux évaluations ont donné lieu à des conclusions similaires n’entache pas la validité de ces conclusions, d’autant plus que la demanderesse a choisi de ne pas contester la conclusion d’absence de risque personnel lorsque l’occasion lui a été donnée de présenter des observations complémentaires. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas convaincu par les arguments de la demanderesse suivant lesquels l’agente a commis une erreur de droit à cet égard. Vu les éléments de preuve substantiels présentés, les conclusions de l’agente n’étaient pas déraisonnables.

 

            ii)         Degré d’établissement

[17]           L’agente a reconnu, au vu de la preuve, que la demanderesse s’était établie au Canada, mais elle a conclu que le degré d’établissement ne justifiait pas qu’elle fasse droit à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient qu’en agissant ainsi, l’agente ne s’est pas conformée à la liste des questions destinée à guider les agents chargés d’examiner les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire (voir la section 11.2 du chapitre IP05 du Guide de l’immigration). La demanderesse cite les cinq questions qui pencheraient en faveur de son établissement au Canada. La situation est d’autant plus flagrante que l’agente ne donne, dans ses motifs, aucune explication pour justifier ses conclusions à cet égard.

 

[18]           Toutefois, la section 11.2 du chapitre IP05 prévoit une démarche en deux étapes pour guider les agents chargés d’évaluer le degré d’établissement au Canada de la personne qui présente une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Dans un premier temps, le Guide évoque des situations dans lesquelles l’établissement peut être un facteur à considérer. Voici quelques-unes de ces situations :

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas, particulièrement si l’on évalue certains types de cas comme les suivants :

• parents/grands-parents non parrainés;

• séparation des parents et des enfants (hors de la catégorie du regroupement familial);

• membres de la famille de fait;

• incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement;

• violence familiale;

• anciens citoyens canadiens; et

• autre cas.

 

[19]           Ce n’est que lorsque le premier volet est satisfait que l’agent peut passer au second volet, qui est composé des cinq questions soulignées par la demanderesse. Le défendeur souligne que la demanderesse n’entre dans aucune des catégories susmentionnées, de sorte que l’agente n’a pas commis d’erreur en ne motivant pas ses réponses aux cinq questions soulignées par la demanderesse.

 

[20]           Je partage l’opinion du défendeur, telle qu’elle a été énoncée par la Cour, suivant laquelle l’établissement au Canada n’entre en jeu que lorsqu’une des catégories est clairement identifiable et que la question se pose pour des raisons qui échappent à la volonté du demandeur. Je conviens aussi que ce n’est pas le cas en l’espèce. C’est par choix que la demanderesse s’est retrouvée au Canada. Le retard qu’accusait le traitement de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas excessif ou inhabituel au point de lui avoir causé un préjudice. La demanderesse ne s’est d’ailleurs pas opposée au retard qu’accusait le traitement de son dossier, qui favorisait son établissement au Canada.

 

[21]           Enfin, j’abonde dans le sens du défendeur lorsqu’il rappelle que ces lignes directrices ministérielles ne sont que des directives qui, comme le juge Robert Décary l’a signalé dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, ne sont ni obligatoires ni exhaustives. Elles servent à assurer une certaine logique et une certaine uniformité dans l’application des dispositions de la Loi, du paragraphe 25(1) en l’occurrence. Je ne considère donc pas déraisonnable la décision de l’agente au sujet du degré d’établissement de la demanderesse au Canada.

 

            iii)        Mauvaise appréciation des caractéristiques positives

[22]           La demanderesse soutient que l’agente a retourné contre elle toutes ses précieuses qualités, ce qui était non seulement déraisonnable mais abusif. Au lieu d’accepter que la demanderesse s’en est bien tirée au Canada, l’agente a expliqué que la demanderesse pouvait mobiliser les mêmes qualités exceptionnelles pour surmonter les obstacles auxquels elle serait certainement confrontée dans un premier temps lorsqu’elle aurait à se réinstaller au Sri Lanka. La demanderesse ne court pas un risque personnel en cas de retour au Sri Lanka.

 

[23]           La demanderesse invite la Cour à réévaluer la preuve et à tirer une conclusion différente. C’est une proposition intenable. Bien que je puisse ne pas être d’accord avec les conclusions de l’agente, force m’est d’admettre que sa décision repose sur des conclusions de fait et que celles-ci sont parfaitement raisonnables et sont fondées sur des éléments de preuve substantiels.

 

iv)        Retour en France

[24]           L’agente a rejeté la lettre de la mère de la demanderesse au motif qu’elle était intéressée et qu’elle ne reposait sur aucune preuve concrète que la demanderesse ne peut pas retourner en France si elle le souhaite. La demanderesse affirme que ces motifs sont déraisonnables parce que l’agente avait en main le titre de voyage français de la demanderesse, qui a expiré en 1997, ainsi que sa carte de résidente permanente, qui a expiré le 25 octobre 2004, mais qu’elle a choisi de ne pas tenir compte de ces deux documents.

 

[25]           L’agente n’a cependant pas omis de tenir compte de ces pièces d’identité françaises de la demanderesse. Aucun de ces documents n’indique que la demanderesse a perdu à jamais son droit de retourner en France. Au lieu de présenter une lettre intéressée, la demanderesse aurait pu soumettre une preuve concrète à cet égard, comme une preuve émanant des autorités législatives françaises au sujet de l’expiration de la résidence française. Je constate par ailleurs que l’agente chargée d’examiner la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire ne disposait pas des raisons exprimées dans l’affidavit de la demanderesse au sujet des motifs pour lesquels la lettre de sa mère avait été demandée.

 

[26]           Je suis d’accord pour dire qu’il était raisonnablement loisible à l’agente d’en arriver aux conclusions auxquelles elle est parvenue. De plus, la demanderesse a de son plein gré quitté la France, où elle avait obtenu l’asile après avoir quitté le Sri Lanka, au bout de deux ans. Dans ces conditions, la décision de l’agente n’était pas déraisonnable.

 

[27]           Les parties n’ont pas soumis de questions à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

 « Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2834-06

 

INTITULÉ :                                       ANN SANDRASEGARA et

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               3 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      8 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

Sharon Stuart Guthrie                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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