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Date : 20070503

Dossier : T‑1810‑06

Référence : 2007 CF 487

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 3 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

FARID FARSHCHI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.   Introduction

[1]               Le demandeur fait appel de la décision rendue le 14 août 2006 par une juge de la citoyenneté, qui a rejeté sa demande de citoyenneté canadienne.

 

II.   Contexte

[2]               Le demandeur, de nationalité iranienne, a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 28 novembre 1999.

 

[3]               La demande de citoyenneté en cause en l’espèce a été déposée le 14 mars 2005. Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur écrivait que, en raison d’absences du Canada au cours de la période de quatre ans précédant sa demande, il n’avait été présent au Canada que 1 055 jours.

 

[4]               Selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, un demandeur doit avoir « résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout » au cours des quatre ans précédant sa demande. Trois années de résidence au Canada correspondent évidemment à 1 095 jours.

 

[5]               Rejetant la demande, la juge de la citoyenneté s’est exprimée ainsi :

[traduction] M. Farid Farshchi n’a pas résidé au Canada 1 095 jours comme l’exige la Loi sur la citoyenneté, et il n’a pas non plus fait état d’une présence continue au Canada au cours des quatre années considérées.

 

 

[6]               Dans le présent appel, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté aurait dû appliquer le critère de la « résidence au Canada » pour l’application de la Loi, tel que l’a défini la juge Barbara Reed dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, au paragraphe 10, en considérant cette notion comme le lieu où un requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». J’appellerai ce critère le critère de la « résidence normale ». Le demandeur croit que la juge de la citoyenneté a, au lieu de cela, appliqué soit le critère de la présence physique, soit une combinaison des deux critères. Le défendeur fait valoir que la juge de la citoyenneté a choisi d’utiliser le critère de la présence physique et qu’elle l’a appliqué correctement.

 

III.   Analyse

[7]               Les parties sont en désaccord sur la norme de contrôle à appliquer. Le demandeur fait valoir que la norme est celle de la décision raisonnable, alors que le défendeur dit que la seule question à décider ici est une question de fait : le demandeur a‑t‑il ou non été physiquement présent au Canada au cours du nombre requis de jours? Par conséquent, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               Je ne crois pas que le choix de la norme à appliquer ici puisse influer sur l’issue de la présente affaire, mais j’appliquerai la norme de la décision raisonnable. Je souscris à l’analyse qui a été faite par la Cour ces dernières années dans de nombreux précédents (voir par exemple Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. n° 88, Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 2069)). D’après ces précédents, la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable. Cette conclusion découle du fait qu’il n’y a pas de clause privative, mais que les juges de la citoyenneté acquièrent une certaine spécialisation dans les espèces de ce genre et que la question soumise à la cour de révision est essentiellement une question mixte de droit et de fait. Je crois que cela est vrai ici.

 

[9]               Le demandeur a prétendu que la juge de la citoyenneté était tenue d’appliquer le critère de la résidence normale énoncé dans la décision Koo. Il me semble que, depuis la décision rendue par la Cour dans l’affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 410, la Cour est plutôt d’avis qu’un juge de la citoyenneté a le choix du critère à appliquer mais que, une fois le critère choisi, il doit l’appliquer de façon uniforme. J’adhère à cette jurisprudence bien établie, même si je sais que certaines décisions récentes contiennent des propositions qui vont dans le sens contraire.

 

[10]           La décision de la juge de la citoyenneté n’est pas sans ambiguïté. Sous la rubrique [traduction]  « Le demandeur a‑t‑il rempli la condition de résidence de 1 095 jours passés au Canada? », on peut lire le paragraphe suivant :

[traduction] Dans sa demande de citoyenneté, M. Farshchi écrivait que, au cours de la période de quatre ans, il a été hors du Canada durant 405 jours, ce qui signifie qu’il a passé 1 055 jours au Canada. C’est 40 jours de moins que le nombre requis par la Loi sur la citoyenneté. Je pourrais considérer qu’il s’agit là d’un déficit mineur et fermer les yeux sur l’exigence de la Loi sur la citoyenneté, mais il me faut être persuadée que M. Farshchi a bel et bien été présent au Canada durant 1 055 jours au cours de la période applicable et qu’il a manifesté une présence continue au Canada.

 

 

[11]           Si la juge de la citoyenneté entendait appliquer le critère de la présence physique, ce que je crois qu’elle a fait, elle aurait pu, dans son analyse, s’en tenir aux deux premières phrases de ce paragraphe. Mais la dernière phrase est discutable. Je n’ai connaissance d’aucun précédent permettant d’affirmer qu’une période de 40 jours constitue un « déficit mineur » qui autoriserait un juge de la citoyenneté à « fermer les yeux sur l’exigence de la Loi sur la citoyenneté ». Si l’on applique le critère de la présence physique, il me semble que ce critère exige que la présence au Canada totalise 1 095 jours. (S’agissant de la condition de résidence énoncée dans la Loi, seule l’interprétation d’après la notion de « résidence normale » permet que la présence effective au Canada soit inférieure aux trois années.) Mais, même si j’ai raison d’affirmer cela, et même si la juge de la citoyenneté a mal énoncé le droit et l’a appliqué de la sorte, il n’aurait pas pu opérer au détriment du demandeur. Si la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas été physiquement présent durant 1 055 jours, alors elle n’aurait pas pu dire qu’il avait été présent durant 1 095 jours. Après lecture attentive de la décision, il ressort que, en réalité, la juge de la citoyenneté n’était pas persuadée hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait été physiquement présent au Canada durant 1 055 jours au cours de la période considérée, comme il le prétendait. Sous la rubrique [traduction] « Le demandeur manifeste‑t‑il une présence physique continue au Canada? » [non souligné dans l’original], la juge de la citoyenneté a relevé qu’il n’avait pas produit le passeport applicable pour une partie de la période considérée. Puis elle écrivait ce qui suit :

[traduction] Sans ce passeport manquant, M. Farshchi est tenu d’apporter une preuve substantielle et concrète d’une présence physique continue au Canada.

 

Elle a ensuite examiné la preuve pour savoir si elle attestait une « présence constante » ou une « présence continue » au Canada. Il m’est impossible de dire que sa conclusion est déraisonnable. Il y avait selon moi de bons motifs de douter de l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait été présent au Canada durant la quasi‑totalité de la période visée par son premier passeport, un passeport qu’il ne pouvait pas produire, alors que, durant la période pertinente englobée par son passeport actuel, le passeport montrait qu’il avait été absent du Canada 53 p. 100 du temps. La juge de la citoyenneté était certainement fondée à dire que les autres preuves produites pour prouver la présence du demandeur au Canada n’étaient pas concluantes. Je ne vois rien qui démontre qu’elle a appliqué une norme de preuve autre que celle de la prépondérance de la preuve.

 

[12]           Le demandeur se plaint que, à cause des exigences de la procédure établie par le défendeur pour le dépôt d’une demande de citoyenneté et en raison des actions de la juge de la citoyenneté, il a été prié de communiquer des renseignements qui auraient été pertinents dans l’application du critère de la « résidence normale », ou le critère Koo. Il soutient que la juge de la citoyenneté, en ayant en main ces renseignements, se trouvait à confondre les deux critères, ou que, de quelque manière, il a été victime d’une certaine injustice pour avoir été induit en erreur sur le critère qui s’appliquerait. Bon nombre des renseignements relatifs à la demande sont sans doute recueillis par le défendeur à diverses fins. Quant à la procédure menée devant la juge de la citoyenneté, le droit reconnaît clairement que le juge de la citoyenneté peut choisir le critère à appliquer, après avoir examiné la preuve : voir par exemple la décision Tulupnikov, [2006] A.C.F. n° 1807, aux paragraphes [17] et [18]. Il m’est impossible de voir comment cela a pu entraîner une injustice envers le demandeur dans la présente affaire. Le véritable grief du demandeur semble être que la juge de la citoyenneté n’a pas trouvé sa preuve convaincante, selon la prépondérance de la preuve.

 

IV.   Dispositif

[13]           L’appel sera donc rejeté.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE : l’appel interjeté à l’égard de la décision de la juge de la citoyenneté datée du 14 août 2006 est rejeté.

 

« B.L. Strayer »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1810‑06

 

INTITULÉ :                                       FARID FARSHCHI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er MAI 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Negar Azmudeh

 

POUR LE DEMANDEUR

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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