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Date : 20070514

Dossier : IMM-3814-06

Référence : 2007 CF 513

Ottawa (Ontario), 14 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

UTHAYAKUMAR SELVAM

Demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, qui vise la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 12 juin 2006 selon laquelle le demandeur n’a ni qualité de réfugié ni qualité de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision soit cassée et que l’affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, Uthayakumar Selvam, est un citoyen tamoul du Sri Lanka. Il a prétendu qu’il craignait la persécution en raison de sa race, des opinions politiques qu’on lui prête, de son appartenance à un certain groupe social, à savoir les jeunes hommes tamouls originaires du nord du Sri Lanka. Il a en outre soutenu qu’il était une personne à protéger. Les circonstances qui ont poussé le demandeur à demander l’asile sont énoncées dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[4]               Le demandeur vivait à Kopay, dans la région septentrionale du Sri Lanka. Kopay était sous le contrôle des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) durant les années 1990. La famille du demandeur s’est fait extorquer par les TLET, et le demandeur et son père ont été forcés de travailler pour les TLET. Plus tard, la famille a déménagé à Puthukudiyirupu, district de Mullaitivu, parce qu’elle craignait de se faire maltraiter par l’armée sri‑lankaise. Quoi qu’il en soit, le demandeur et ses frères et sœurs ont quand même été contraints de se joindre aux TLET. En octobre 2000, le demandeur est parti vivre chez sa tante, à Colombo, pour s’inscrire à l’école privée et apprendre l’anglais.

 

[5]               Le demandeur s’est par la suite fait arrêter par la police, après que cette dernière a vérifié ses pièces d’identité et constaté qu’il était résident du district de Mullaitivu. Il a été gardé en détention pendant trois jours et a été interrogé au sujet des TLET. Sa tante a dû verser une rançon considérable pour obtenir la libération du demandeur. Ce dernier est retourné à Mullaitivu une semaine plus tard et a à nouveau été forcé de travailler pour les TLET et été extorqué par eux. En décembre 2004, les TLET ont communiqué avec le demandeur et lui ont demandé de se joindre à leurs rangs. Les membres des TLET ont signalé que l’armée se préparait pour la guerre et que les TLET avaient besoin que les jeunes se joignent à eux.

 

[6]               Le demandeur ne voulait pas se joindre aux TLET et a amassé des fonds pour s’enfuir du Sri Lanka. Il a quitté Colombo et est arrivé à Doubaï le 13 février 2005. Il est parti de là le 15 février 2005 pour Toronto, où il est arrivé le 20 février 2005 et où il a sans délai demandé l’asile. La demande d’asile du demandeur a été entendue le 20 avril 2006 et a été rejetée dans une décision datée du 12 juin 2006. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision de la Commission.

 

Motifs de la Commission

 

[7]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger, ayant conclu qu’elle n’était ni crédible ni plausible. Elle nourrissait des doutes en raison de la preuve incohérente du demandeur au sujet des prétendus agents de persécution au Sri Lanka.

 

[8]               Interrogé par les agents d’immigration au sujet des personnes qu’il craint au Sri Lanka, le demandeur a répondu qu’il craignait et les TLET et l’armée. Dans son FRP, il a signalé qu’il craignait les TLET. Dans son témoignage, il a déclaré qu’il craignait les TLET, les Forces de l’armée sri‑lankaise (FASL), la police et plusieurs groupes pro-tamouls, dont le PLOTE, la TELO, et l’EPDP. Dans sa preuve, le demandeur a toutefois mentionné qu’il n’a jamais eu de contact avec ces groupes. La Commission a rejeté les explications avancées par le demandeur selon lesquelles il considérait que la police et l’armée n’étaient qu’un seul et même agent. Les incohérences notées dans l’identité des agents de persécution ont miné la crédibilité du demandeur et ont été assimilées à des indices d’embellissement de la preuve.

 

[9]               Le seul agent de persécution crédible était les TLET. Le demandeur a soutenu qu’en décembre 2004, les TLET lui ont demandé de se joindre à eux et de s’entraîner au combat. C’est apparemment la raison pour laquelle il s’est enfui du Sri Lanka pour venir au Canada. La Commission doutait des raisons qui ont poussé le demandeur à s’enfuir en 2004 alors que la guerre était terminée depuis deux ans. Le demandeur, qui avait réussi à échapper aux TLET pendant toute la guerre, n’a pas su expliquer pourquoi il a choisi de prendre la fuite en 2004. Il semblait peu crédible et n’est pas parvenu à montrer qu’il craignait avec raison la persécution au Sri Lanka. En outre, l’attitude du demandeur ne correspondait pas à celle des personnes qui fuient la persécution.

 

[10]           La Commission s’est ensuite tournée vers la question de la possibilité de refuge intérieur (PRI). La famille du demandeur vivait à Kopay, qui était sous le contrôle des FASL, et sa tante vivait à Colombo. Le demandeur a soutenu qu’il ne pouvait se réinstaller ailleurs parce qu’il avait toujours vécu dans son village et qu’il ne souhaitait pas le quitter. La Commission a rejeté cette explication. Le demandeur a fait état de son arrestation à Colombo, mais la preuve documentaire indiquait que la situation avait changé depuis 2000. La Commission a établi que les opérations de fouille et les restrictions de déplacement auxquelles étaient soumis les Tamouls du Nord ont pris fin en 2002. Elle a déterminé que le demandeur pouvait se réinstaller dans l’une de ces régions qui n’étaient pas sous le contrôle des TLET.

 

[11]           La Commission a pris connaissance de la preuve selon laquelle les TLET se déplacent partout au Sri Lanka et limitent ainsi les PRI pour les Tamouls qui tentent de trouver refuge. Toutefois, comme le demandeur pouvait compter sur sa famille, cette preuve n’était pas pertinente dans son cas. La Commission n’a pas cru que les TLET feraient des recherches à Colombo ou à Kopay pour retrouver le demandeur et a conclu que ce dernier jouissait d’une PRI à ces deux endroits.

 

Questions à trancher

 

[12]           Les questions à trancher sont les suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle est arrivée à sa conclusion concernant la PRI?

 

Arguments du demandeur

 

[13]           Le demandeur a fait valoir que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il disposait d’une PRI viable. Il a soutenu que la question était de savoir s’il s’exposait à un risque sérieux de persécution au nouvel endroit où il disposerait d’une PRI et s’il était déraisonnable de lui demander de s’y réinstaller (voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589; (1993) 22 Imm. L.R. (2d) 241 (C.A.F.)).

 

[14]           Le demandeur a avancé que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les membres de la famille peuvent protéger une personne contre les TLET. Il a déclaré que, lorsqu’il était chez sa tante, à Colombo, il vivait caché. Il a fait valoir qu’un endroit ne peut constituer une PRI si la personne doit y vivre cachée (voir Kaschine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 55 A.C.W.S. (3d) 1007 (C.F. 1re inst.)). Le demandeur a soutenu que les grands centres urbains ne constituent pas forcément une PRI (voir Reynoso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 107 F.T.R. 220; 60 A.C.W.S. (3d) 1214 (C.F. 1re inst.)). Il a prétendu que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Kopay constituait une PRI, car il n’y avait aucune preuve que le demandeur pouvait s’y rendre sans franchir les lignes des TLET. Le demandeur a signalé que la preuve documentaire indique que les Tamouls de Colombo sont toujours visés par les opérations de fouille et d’arrestation.

 

[15]           Le demandeur a soutenu que la Commission avait commis une erreur en omettant de tenir compte des craintes que nourrit le demandeur face à la police. Il a signalé que la preuve montre que la police recourt toujours impunément à la torture. La Commission n’a pas contesté le fait que le demandeur a été arrêté et détenu par la police en 2000 ni que ce dernier craignait la police. La Commission était tenue, a‑t‑on fait valoir, d’identifier les agents de persécution (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993) 103 D.L.R. (4th) 1). Le demandeur a avancé qu’il est raisonnable, dans son esprit, que la police et l’armée soient le même agent, car celles‑ci sont toutes deux contrôlées par le gouvernement du Sri Lanka. Il a déclaré qu’il les considérait semblables parce qu’elles faisaient les mêmes choses, et non parce qu’elles étaient la même chose.

 

[16]           Le demandeur a soutenu que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il identifiait des agents de persécution qui ne lui avaient causé aucun ennui par le passé. Il a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que les demandeurs d’asile aient eu des ennuis avec les agents de persécution par le passé pour craindre la persécution (voir Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250; (1990) 73 D.L.R. (4th) 551 (C.A.F.)) et a signalé que la persécution antérieure ne justifie pas en soi la reconnaissance du statut de réfugié (voir Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 245 F.T.R. 312; 2004 CF 110).

 

[17]           Le demandeur a fait valoir que la Commission a fait preuve de zèle intempestif en concluant qu’il y avait des contradictions dans la preuve du demandeur au sujet des agents de persécution qu’il craignait. À l’audience, on lui a demandé qui il craignait à l’avenir s’il devait retourner au Sri Lanka et il a simplement fait état des agents de persécution qu’il rencontrerait vraisemblablement à son retour au Sri Lanka.

 

[18]           Le demandeur a soutenu que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas crédible parce qu’il craignait de se faire recruter pour prendre part à la guerre qui avait précédé le cessez‑le‑feu. La preuve documentaire indique que les TLET recrutent des enfants. Le demandeur, qui avait été forcé de travailler pour les TLET et de leur donner de l’argent, a déclaré que sa crainte était le résultat d’une accumulation. Il a soutenu que la Commission avait commis une erreur en omettant d’évaluer si les effets cumulatifs des expériences du demandeur au Sri Lanka constituaient de la persécution (voir Tolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2002) 218 F.T.R. 205; 2002 CFPI 334).

 

[19]           Le demandeur a soutenu que, dans les demandes d’asile fondées sur des motifs cumulatifs, la question du temps écoulé avant la fuite ne peut être soulevée (voir Ibrahimov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 32 Imm. L.R. (3d) 135; 2003 CF 1185). Il a fait valoir que la Commission a omis de tenir compte de la nature cumulative de la crainte de persécution du demandeur lorsqu’elle a examiné la question de savoir s’il disposait d’une PRI au Sri Lanka. Il a prétendu que ses expériences à l’extérieur de la PRI pouvaient faire partie d’une évaluation cumulative dans le cadre de la question de savoir s’il disposait d’une PRI (voir Balasubramaniam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 64 A.C.W.S. (3d) 660 (C.F. 1re inst.)).

 

Arguments du défendeur

 

[20]           Le défendeur a soutenu que la Commission pouvait à juste titre conclure que le demandeur n’était pas crédible en raison des contradictions et des incohérences dans son récit des faits et sa preuve (voir Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313, 129 N.R. 391 (C.A.F.)). Il a fait valoir que la Commission a tenu compte de toute la preuve et a déterminé que le demandeur n’était pas crédible. Il a soutenu que les incohérences dans l’identité des agents de persécution avaient miné la demande d’asile. Il a soutenu que les conclusions quant à la crédibilité fondées sur le témoignage du demandeur d’asile relèvent de la discrétion de l’arbitre des faits et que la Cour ne devrait pas intervenir (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315; 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)).

 

[21]           Le défendeur a soutenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la PRI est la décision manifestement déraisonnable, car il s’agit d’une conclusion de fait (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193). Il a signalé que le critère à appliquer pour déterminer si la conclusion quant à la PRI était déraisonnable est rigoureux, car le demandeur doit montrer que sa sécurité serait compromise. Le défendeur a prétendu que, sur la foi de la preuve, la Commission pouvait à juste titre arriver à cette conclusion quant à la PRI et que le demandeur n’était pas parvenu à montrer l’inverse. La Commission était convaincue qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit victime de persécution à Colombo et qu’il pouvait donc s’y installer.

 

[22]           Le défendeur a soutenu que la Commission a tenu compte de la crainte que nourrissait le demandeur à l’égard de la police en raison de sa détention. Il fait valoir que la Commission a tenu compte de la preuve et de l’évolution des conditions dans le pays depuis la détention, notamment l’élimination des mesures restreignant les déplacements. Le défendeur a prétendu que le demandeur n’a pas montré qu’il s’exposait à un risque à Colombo et a avancé que la Commission est présumée avoir pris en considération et apprécié toute la preuve.

 

[23]           La Commission se serait raisonnablement attendue que le demandeur cherche à assurer sa sécurité à Colombo avant de demander l’asile au Canada (voir Thirunavukkarasu, précité). Le défendeur a fait valoir que la persécution dans une région donnée ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention si le gouvernement est capable de fournir une protection ailleurs sur son territoire et que l’on peut raisonnablement s’attendre que les victimes se rendront dans une région du pays où elles seront protégées (voir Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605; (1991)126 N.R. 126 (C.A.F.)).

 

[24]           Le défendeur a soutenu que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait de montrer qu’il était déraisonnable de lui demander de trouver une PRI (voir Thirunavukkarasu, précité). Il a fait valoir que le demandeur n’est pas parvenu à montrer que la Commission avait fait fi de la preuve ou l’avait mal interprétée, qu’elle avait mal compris le critère juridique ou qu’elle avait tiré des conclusions abusives à cet effet.

 

Réponse du demandeur

 

[25]           Le demandeur invoque le jugement Iruthayanathar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 98 A.C.W.S. (3d) 884 (C.F. 1re inst.) pour étayer son argument selon lequel si un demandeur d’asile tamoul s’expose à un risque à Colombo, on doit lui reconnaître la qualité de réfugié étant donné l’impossibilité de se rendre aux autres régions du pays sans passer par Colombo.

 

Analyse et décision

 

Norme de contrôle

 

[26]           Il est bien établi que les conclusions de crédibilité de la Commission bénéficient d’un degré élevé de déférence et sont révisées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Aguebor, précité). Les conclusions de la Commission quant à la PRI sont également révisées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Cantarero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 139 A.C.W.S. (3d) 539; 2005 CF 649).

 

[27]           Question 1

            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible?

            La Commission a déterminé que le demandeur n’était pas crédible en raison des incohérences dans la preuve de ce dernier au sujet des agents de persécution qu’il craignait au Sri Lanka. Les agents d’immigration ont demandé au demandeur qui il craignait au Sri Lanka, et, selon les notes prises, il a répondu « à la fois l’armée et les TLET. La Commission, dans ses motifs, a déclaré que « [s]on FRP indique clairement que les TLET sont l’agent de persécution, mais ne comporte aucune indication sur tout autre groupe ou personne que craindrait le demandeur d’asile ». Je souhaite signaler que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a indiqué qu’il craignait [traduction] « l’armée, la police et les TLET ». À l’audition de la demande d’asile, le commissaire et le demandeur ont échangé les propos suivants :

[traduction] PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à l’intéressé)

 

[…]

 

Q.        J’ai bien saisi cela, Monsieur. C’est pourquoi je ne comprends pas pourquoi vous craignez ces gens.

 

R.         C’est‑à‑dire que je ne peux pas vivre dans certaines parties du Sri Lanka. La question est : pourquoi craignez-vous ces gens? Je ne pourrais, à l’avenir, vivre dans aucune, je ne pourrais vivre dans une région contrôlée par l’armée, pardon, les TLET, parce qu’ils m’ont déjà donné leur dernier avertissement : si je vis dans leur région, je dois me joindre à eux. Donc, si je devais retourner, il faudrait que je vive dans une autre région, EDPD, PLOT, qui sont des groupes pro‑gouvernement et qui travaillent contre les TLET. Donc, si un jeune comme moi entre dans une région comme ça, ils s’imaginent qu’il est contre eux. Ils manifesteraient leur haine. Ils m’utiliseraient pour montrer leur haine.

 

[…]

 

Q.        À part ces groupes dont vous parlez maintenant, l’EPDP, le PLOTE, la TELO et la faction Karuna, y a‑t‑il d’autres, et les TLET, bien sûr, y a‑t‑il d’autres groupes ou organisations ou individus que vous craignez au Sri Lanka?

 

R.         Je crains la police et l’armée.

 

[…]

 

Q.        Pourquoi donc craignez‑vous la police et l’armée?

 

R.         Je me suis fait arrêter par la police, et l’armée et la police marchent maintenant main dans la main. C’est pourquoi j’ai peur d’elles parce que je suis un jeune Tamoul. Elles me tortureraient.

 

-           Monsieur, au moment où vous avez présenté votre demande d’asile et où l’agent d’immigration vous a interrogé, et je parle de la pièce A‑2, les notes d’entrevue avec l’agent d’immigration, question 4, vous avez dit que vous craigniez les … vous avez écrit que vous craigniez l’armée et les TLET. Aujourd’hui, vous dressez une longue liste de groupes, y compris la police, auxquels vous n’avez pas fait allusion à la question 4.

 

R.         Quand on pense à la police, lorsqu’on parle de la police, on inclut aussi l’armée parce qu’elles travaillent ensemble.

 

-           Mais il n’y a aucune mention de la TELO, du PLOTE ou des autres groupes que vous dites craindre.

 

R.         À ce point-là, je n’avais pas de contact avec eux parce que je ne vivais pas dans une région sous le contrôle du gouvernement.

 

-           Non, mais, Monsieur, vous dites aujourd’hui que vous les craignez. Lorsque vous êtes arrivé ici et que vous avez présenté votre demande d’asile, vous n’avez déclaré que les TLET et l’armée. Personne d’autre.

 

R.         Aujourd’hui, on m’a demandé s’il y avait des groupes qui pourraient m’inspirer des craintes. C’est seulement alors que j’ai pensé à ces groupes. À l’avenir, je pourrais … ils pourraient me causer des ennuis.

 

On peut lire le passage suivant à la page 173 du dossier du tribunal :

[traduction] PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à l’intéressé)

 

[…]

 

Q.        Monsieur, et avez-vous personnellement déjà eu des ennuis avec les Forces de l’armée sri‑lankaise?

 

R.         La police m’a arrêté.

 

-           D’accord, mais je vous pose la question à propos de l’armée. J’ai compris au sujet de la police, à Colombo.

 

R.         Même si l’armée ne m’a pas arrêté, les gens considèrent que c’est du pareil au même. Peu importe ce que fait la police, l’armée le fait aussi.

 

Il ressort clairement de la transcription que le demandeur a fait état des craintes que lui inspiraient les groupes tels que le PLOTE et l’EPDP dans l’éventualité de son renvoi au Sri Lanka, et non en raison de son expérience passée dans ce pays. Je ne crois pas que les déclarations du demandeur à ce sujet constituent une incohérence majeure susceptible de mener à une conclusion défavorable pour ce qui est de la crédibilité.

 

[28]           La principale divergence pour ce qui est des agents de persécution que la Commission a relevée réside dans la prétendue crainte du demandeur face à l’armée et à police :

Dans l’ensemble, le tribunal estime que la présente demande d’asile manque de crédibilité et de vraisemblance. La principale préoccupation du tribunal concerne l’incohérence des éléments de preuve du demandeur d’asile relativement aux personnes qui étaient ou sont les agents de persécution au Sri Lanka.

 

[…]

 

[…] Le demandeur d’asile n’avait pas non plus de raison de craindre les FASL. En ce qui concerne celles-ci, il a parlé de sa détention à Colombo en 2000. Pourtant, il a été arrêté par la police. Selon le demandeur d’asile, la police et l’armée sont la même chose. Le tribunal n’estime pas que les explications du demandeur d’asile sont crédibles. De l’avis du tribunal, l’incohérence relative aux personnes craintes par le demandeur d’asile mine sa crédibilité et indique qu’il a tenté d’enjoliver sa demande d’asile.

 

[29]           La Commission peut tenir compte des incohérences dans la preuve du demandeur d’asile lorsqu’elle évalue la crédibilité de ce dernier (voir Leung, précité). Elle a accordé une importance particulière aux raisons fournies par le demandeur pour expliquer comment il se fait qu’il considère que l’armée et la police ne forment qu’une seule et même entité. Elle était en droit de rejeter les explications du demandeur, mais je suis d’avis que la conclusion défavorable qu’elle en a tirée pour ce qui est de la crédibilité n’est pas appropriée. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a déclaré qu’il craignait la police et que celle‑ci l’avait arrêté en 2000.

 

[30]           Le demandeur a en outre déclaré dans son FRP que sa famille s’est enfuie de chez elle en 1995 à cause de la présence de l’armée. Il a par ailleurs déclaré, dans son témoignage, qu’il considérait que la police et l’armée étaient semblables parce qu’elles exerçaient des activités semblables. Selon moi, le demandeur ne s’est pas contredit lorsqu’il a signalé qu’il craignait la police et l’armée, car ces deux agents de persécution étaient identifiés dans son FRP. La Commission était en droit de douter de la légitimité de la crainte du demandeur face à l’armée, mais j’estime qu’elle a commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable pour ce qui est de la crédibilité sur la prétendue incohérence au sujet des agents de persécution.

 

[31]           La Commission a conclu que le seul agent de persécution crédible était les TLET. Elle a toutefois conclu que le moment où le demandeur pouvait éventuellement se faire recruter par les TLET n’était pas crédible du fait qu’il est survenu deux ans après le cessez‑le‑feu au Sri Lanka. À l’audience, la Commission a demandé au demandeur d’expliquer ce fait :

[traduction] PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à l’intéressé)

 

Q.        Mais, pour une raison qui m’échappe, en décembre 2004, alors qu’il n’y avait plus d’affrontements depuis au moins deux ans et demi, vous craigniez d’être recruté et forcé de combattre au moment où il n’y a plus aucune raison de combattre?

 

R.         Les Tigres ont déclaré qu’ils allaient bientôt lancer l’assaut final, considéré comme étant la quatrième étape.

 

-           D’accord. Non, mais vous comprenez que cela n’a pas beaucoup de sens – si, pendant les années de guerre, vous avez réussi à éviter le recrutement forcé – que vous vous inquiétiez de vous faire recruter de force en temps de paix.

 

R.         Même si la paix a régné pendant quelque temps, les Tigres ont profité de cette période pour refaire leurs forces et se préparer pour la guerre finale.

 

[…]

 

R.         Les Tigres tentent donc de rallier les gens, de recruter de plus en plus de monde pour prendre part à ce genre de guerre pour gagner leur guerre. Ils ont donc dit aux gens que ce serait la guerre finale, le dernier assaut et que tout le monde doit y participer.

 

[32]       Le demandeur a fourni les raisons pour lesquelles les TLET tentaient de le recruter de force alors qu’il n’y avait pas de guerre. Il a déclaré que les TLET se préparaient pour la guerre finale et qu’ils planifiaient de recruter des gens pour la guerre finale ou le dernier assaut. La Commission a constaté que le demandeur a évité le recrutement forcé en temps de guerre. Il ressort à la lecture de la transcription que le demandeur a évité le recrutement forcé en travaillant pour les TLET et en leur donnant de l’argent.

 

[33]           À mon avis, la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en rejetant la demande d’asile du demandeur sur la foi de l’absence de crédibilité.

 

[34]           Question 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle est arrivée à sa conclusion concernant la PRI?

            La Commission a conclu que le demandeur disposait d’une PRI dans les régions du Sri Lanka dont le TLET n’avaient pas le contrôle, notamment à Kopay et à Colombo. Le demandeur a fait valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle est arrivée à cette conclusion, car elle a omis de déterminer si le demandeur s’exposait à une possibilité sérieuse de persécution à ces endroits ou de déterminer s’il était raisonnable de lui demander de se réinstaller à l’un de ces endroits. Le défendeur a soutenu que le demandeur disposait d’une PRI viable du fait qu’il n’a pas réussi à montrer qu’il serait exposé à un risque à ces endroits.

 

[35]           La juge Layden‑Stevenson a énoncé ainsi, au paragraphe 23 de Cantarero, précité, le critère à appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une PRI :

Le critère applicable à l’existence d’une PRI comporte deux volets et est énoncé dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) :

 

La SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont les circonstances propres au demandeur, la situation à l’endroit proposé comme PRI est telle qu’il n’est pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge.

 

[36]           La Commission a fondé sa conclusion sur le fait que les opérations de bouclage et de fouille visant les Tamouls du Nord ont cessé après le cessez‑le‑feu de 2002. La Commission a accepté la preuve documentaire selon laquelle les Tamouls avaient toujours du mal à trouver refuge à l’intérieur de leur pays, mais elle a toutefois conclu qu’elle n’était pas pertinente parce que le demandeur jouissait d’un réseau familial sur lequel il pouvait compter. Le demandeur a invoqué la preuve documentaire suivante, datée du 7 janvier 2006, où l’on peut lire ceci :

[traduction] Dans un acte flagrant de violation des droits démocratiques fondamentaux visant à attiser les tensions locales, les forces de sécurité sri‑lankaises ont lancé le 31 décembre une vaste opération de bouclage et de fouille contre les Tamouls qui résident à Colombo, la capitale.

 

[…]

 

Il s’agit de la première rafle majeure contre les Tamouls depuis la signature du cessez‑le‑feu de 2002 entre le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul […]

 

[37]           Compte tenu de la preuve documentaire susmentionnée, j’arrive à la conclusion que la Commission a commis une erreur en concluant que les Tamouls du Sri Lanka ne sont plus ciblés par les opérations de bouclage et de fouille. Indépendamment des conclusions de la Commission à cet égard, je considère en outre problématique la conclusion selon laquelle le demandeur peut compter sur son réseau familial. À mon avis, la Commission aurait dû se demander en quoi l’existence d’un « réseau familial » aurait permis de surmonter ce qu’elle a elle-même identifié comme étant « les difficultés pour les Tamouls de trouver refuge au Sri Lanka, étant donné le fait que les membres des TLET sont maintenant en mesure de voyager partout au pays ».

 

[38]           La Commission a en outre omis d’évaluer s’il était raisonnable de demander au demandeur de trouver refuge à Colombo ou à Kopay, malgré la preuve documentaire qui réfutait clairement ses conclusions sur la situation à laquelle le demandeur s’exposait dans les endroits où existait éventuellement la PRI.

 

[39]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour y être examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

 

[40]           Ni l’une ni l’autre partie n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu’elle soit certifiée.


 

JUGEMENT

 

[41]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour y être examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 


 

ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

La présente section fait état des dispositions législatives pertinentes.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-3814-06

 

INTITULÉ :                                                               UTHAYAKUMAR SELVAM

 

                                                                                    et

 

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 1er mai 2007

                                                                        

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’KEEFE

                                                                        

DATE DU JUGEMENT :                                         LE 14 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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