Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20070516

Dossier : IMM-5262-06

Référence : 2007 CF 524

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

 

ENTRE :

 

MUSSARAT HABIB

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il y a eu un scandale au sein de la famille. Les opinions diffèrent quant à ce qui constituait réellement le scandale, ce qui n’a pas d’importance. La décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle celle-ci a confirmé la décision de l’agent des visas de refuser un visa à l’époux de Mme Habib, doit être annulée.

 

[2]               Il s’agit d’une de ces affaires où il est préférable d’établir le contexte juridique avant d’exposer les faits. M. Syed a résidé au Canada pendant un certain nombre d’années dans les années 1990. Il n’était alors pas marié à Mme Habib, mais à une autre femme. Sa demande d’asile a été rejetée. Bien qu’il soit retourné au Pakistan de façon volontaire, il n’y est pas retourné dans les délais prévus par la loi. L’article 52 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) prévoit qu’un étranger qui se trouve dans cette situation ne peut pas revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

[3]               Mme Habib est aussi d’origine pakistanaise. Sa demande d’asile présentée au Canada a été accueillie et elle est devenue résidente permanente. Elle est ensuite retournée au Pakistan pour marier M. Syed. Après, elle a tenté de parrainer ce dernier, mais l’agent des visas a rejeté sa demande d’établissement.

 

[4]               Mme Habib a interjeté appel auprès de la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR. En tant que personne ayant déposé une demande de parrainage d’un étranger au titre de la catégorie du regroupement familial, elle avait le droit d’interjeter cet appel. Cependant, tel qu’il a été souligné ci-dessus, Mme Habib n’a pas eu gain de cause.

 

[5]               La décision de l’agent des visas, dans la mesure où elle est fondée en droit, n’est pas contestée. La question est plutôt de savoir si l’appel interjeté par Mme Habib devrait être accueilli sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire. À cet égard, l’époux de Mme Habib doit nécessairement appartenir à la catégorie du regroupement familial. Selon l’article 65 de la LIPR, la SAI ne peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire que s’il a été statué que l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial.

 

[6]               Pour déterminer si M. Syed appartient à cette catégorie, la SAI devait tenir compte des articles 4 et 5 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés qui prévoient, entre autres, qu’un étranger ne peut pas être considéré comme étant l’époux si le mariage « vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». De plus, l’étranger ne peut pas être considéré comme l’époux d’une personne si, au moment de leur mariage, il était l’époux d’une autre personne.

 

[7]               Il est bien établi que l’appel de la décision de l’agent des visas doit être examiné à nouveau par la SAI (Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 144 aux paragraphes 19 à 22).

 

CONTEXTE

[8]               Mme Habib est arrivée au Canada en tant que demanderesse d’asile en 1994 et s’est vue accorder ce statut quelques mois après. Elle était accompagnée d’une de ses filles. Son époux, une autre de ses filles et son fils sont demeurés au Pakistan.

 

[9]               Mme Habib ne connaissait pas très bien l’anglais et n’était donc pas en mesure de gérer les documents à l’appui de sa demande d’asile et ceux nécessaires pour vivre au Canada. Ses frères, qui étaient au Pakistan, l’ont mis en contact avec leur ancien ami d’enfance, Sajjad Syed. M. Syed demeurait au Canada, mais son épouse était toujours au Pakistan.

 

[10]           Bien que M. Syed ait aidé Mme Habib, et qu’ils aient entretenu des liens d’amitié, ils insistent tous deux avec véhémence sur le fait que leur relation était strictement platonique.

 

[11]           Mme Habib a été en mesure de parrainer son époux et ses deux enfants qui étaient demeurés au Pakistan. Cependant, il y a eu des problèmes dès leur arrivée en 1998. Bien qu’il ait appelé M. Syed pour le convoquer à une séance de réconciliation, l’époux de Mme Habib a alors soutenu que son épouse et M. Syed entretenaient une relation romantique. L’époux de Mme Habib a aussi appelé l’épouse de M. Syed au Pakistan pour lui dire que ce dernier entretenait une relation amoureuse avec Mme Habib.

 

[12]           M. Syed est retourné au Pakistan pour tenter d’arranger les choses avec son épouse et n’est pas revenu au Canada depuis. En fin de compte, Mme Habib et M. Syed ont divorcé. Je reprends les paroles de Mme Habib elle-même :

[traduction]

 

J’ai parlé à mes frères de tous mes problèmes et ils m’ont recommandé d’épouser Sajjad. Nos vies ont été bouleversées en raison des déclarations de mon premier époux. J’ai communiqué avec Sajjad et nous avons recommencé à parler vers 2002. En mai 2002, il m’a demandé de le marier. Je lui ai dit que je devrais demander l’avis de ma famille. Tous les membres de ma famille ont consenti à ce mariage. Ils savent que j’ai vécu des moments difficiles en exil et que j’ai fait des sacrifices pour mes enfants […] Ce genre de mariage arrangé est commun au Pakistan. J’accepte cette façon de faire les choses et je désire commencer ma vie de mariage en tant qu’épouse.

 

L’ENTREVUE DE M. SYED AVEC L’AGENT DES VISAS

[13]           On a mis l’accent sur les antécédents professionnels de M. Syed au Canada. Ce dernier a certainement travaillé au noir et, à un moment donné, a touché des prestations d’aide sociale. Il est aussi possible qu’il ait touché des prestations d’aide sociale pendant qu’il travaillait. L’agent a inscrit au dossier que M. Syed pourrait être interdit de territoire en raison de son omission de satisfaire à des dispositions de lois canadiennes autres que la LIPR. L’agent ne voyait aucun motif impérieux justifiant la délivrance d’un visa à l’égard de M. Syed, puisque ce dernier n’était [traduction] « qu’un demandeur d’asile débouté qui a tiré avantage des structures canadiennes et qui s’en est échappé lors de son séjour au Canada ». Cependant, aussi vrai que cette situation pouvait être, il ne s’agissait pas là de la question que devait trancher la SAI. Il faut insister sur le fait que ces questions peuvent être pertinentes, mais à une date ultérieure. La question que devait trancher la SAI et que je dois trancher est de savoir si M. Syed appartient à la catégorie du regroupement familial. Les motifs d’ordre humanitaire, ou les faits qui peuvent diminuer les chances de M. Syed de les invoquer avec succès, sont seulement pertinents une fois que son appartenance au regroupement familial est établie.

 

[14]           Pour appuyer son argument selon lequel il avait connu Mme Habib lorsque tous les deux se trouvaient au Canada, M. Syed a fourni des photos prises durant cette période de temps. L’agent des visas semble avoir conclu que ces photos laissaient croire à une relation romantique et non platonique. Si tel devait être le cas, ce qui est nié avec véhémence, ce fait ne ferait que renforcer l’argument de la demanderesse selon lequel leur relation était authentique.

 

[15]           M. Syed a aussi fourni son certificat de divorce qui n’a pas été remis en question par l’agent des visas, mais qui est devenu une question importante devant la SAI.

 

L’AUDIENCE TENUE PAR LA SAI

[16]           La SAI était d’avis que M. Syed, lors de son entrevue, et Mme Habib, à l’audience, s’étaient contredits à plusieurs reprises et n’étaient pas des témoins crédibles. Il existe des contradictions concernant qui a fait le premier contact. La SAI a remis en question la nature de leur relation au Canada, à savoir si elle était romantique, et non la question de savoir s’ils entretenaient une relation. Le certificat de divorce de M. Syed a créé de la confusion, puisque ce dernier est apparemment retourné au Pakistan en janvier 1999, alors que le certificat semble indiquer qu’il a déposé un avis de divorce en décembre 1998. Il existait aussi de la confusion quant au montant de la dot que Mme Habib a reçue.

 

[17]           Il faut garder à l’esprit que les contradictions doivent être pertinentes quant au point en litige qui est de savoir si ce mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR (Awuah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1873 (QL); Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1195). On ne saurait simplement conclure que le mariage, du fait qu’il était arrangé, visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. Un mariage en vue d’éviter un scandale doit certainement avoir un but tout à fait autre.

 

[18]           Les contradictions, le cas échéant, compte tenu du fait que l’époux et l’épouse ont été interrogés par des personnes différentes, à des moments différents et dans des endroits différents, sont sans importance. Ce sont les frères de Mme Habib qui ont fourni les coordonnées pertinentes au sujet de celle-ci à M. Syed et vice-versa. Il n’est pas important de savoir qui a fait le premier contact. La confusion entourant le montant de la dot est compréhensible. Bien que cette dernière ait été donnée en roupies, il est clair que Mme Habib y faisait référence en fonction de dollars canadiens. Elle a indiqué que la dot était de 500 dollars canadiens. Tout ce qui peut être dit est que Mme Habib n’était peut-être pas au courant des taux de change.

 

[19]           En ce qui a trait au certificat de divorce, M. Syed n’a pas été interrogé à ce sujet. La preuve établissait qu’en janvier 1999, il était retourné au Pakistan pour tenter d’arranger les choses avec son épouse. On ne lui a pas demandé si cette dernière avait déjà engagé une procédure de divorce. Le fait que M. Syed figure en premier sur les actes de procédure ne signifie pas qu’il était le demandeur. De plus, s’il avait menti pour éviter un scandale du fait d’avoir engagé une procédure de divorce avant de retourner au Pakistan, ce geste n’aurait pas altéré l’authenticité de la relation qu’il entretenait avec Mme Habib. Les conclusions de la SAI n’étaient pas fondées sur la preuve dont elle disposait, mais elles étaient entièrement fondées sur des hypothèses, ce qui les rendait donc manifestement déraisonnables.

 

[20]           Il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-5262-06

 

INTITULÉ :                                         MUSSARAT HABIB

                                                              c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 8 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                       LE 16 MAI 2007       

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LA DEMANDERESSE

Diane Lemery

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.