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Date : 20070516

Dossier : IMM-4173-06

Référence : 2007 CF 523

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

RAMANAN RAJAGOPAL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Ramanan Rajagopal (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 juillet 2006 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté l’appel qu’il avait interjeté de sa mesure d’expulsion en réclamant la prise d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]               Âgé de 29 ans, le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui est arrivé au Canada le 30 mai 1999. Le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu mais il n’a pas obtenu le statut de résident permanent canadien.

 

[3]               Le 27 octobre 2003, le demandeur a été reconnu coupable d’agression sexuelle, un crime prévu au paragraphe 271(1) du Code criminel, en rapport avec un incident survenu le 25 mai 2001. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une probation de 18 mois et il a fait l’objet d’une interdiction de port d’arme de cinq ans. Le demandeur a également été condamné pour un délit mineur connexe pour avoir manqué en 2003 à un engagement pour s’être trouvé à un endroit qu’il lui était interdit de fréquenter alors qu’il était en liberté sous caution.

 

[4]               Le demandeur a été frappé d’une mesure de renvoi du Canada parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était un étranger interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Le demandeur ne conteste pas la légalité de la mesure d’expulsion.

 

[5]               Le demandeur a été frappé d’une mesure d’expulsion du Canada en mars 2005; il a interjeté appel devant la SAI en avril 2005. Le 4 juillet 2005, l’avocat du ministre a déposé des observations écrites auprès de la SAI et a recommandé qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur pour quatre années à certaines conditions. Un commissaire de la SAI a refusé la demande de sursis du ministre et l’appel a été déféré au tribunal de la SAI qui a instruit l’appel. Le demandeur et sa femme ont comparu comme témoins lors de l’instruction de l’appel le 10 mai 2006.

 

[6]               Le 6 juillet 2006, la SAI a rejeté l’appel au motif qu’il n’était pas justifié en l’espèce de prendre une mesure spéciale en vertu des paragraphes 67(1) ou 68(1) de la LIPR. L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 16 février 2007.

 

DÉCISION

 

[7]               Pour en arriver à sa conclusion, la SAI a reconnu qu’il incombait au demandeur de démontrer pourquoi il ne devrait pas être renvoyé du Canada. La SAI a également énuméré une liste de facteurs non exhaustifs (les facteurs Ribic) qui ont été exposés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. 4 (QL) et qui ont été confirmés dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 40, et dont la SAI doit tenir compte lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’appels de mesures de renvoi. Ces facteurs sont les suivants :

a) la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de la mesure de renvoi;

b) la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité;

c) la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;

d) la famille qu’il a au pays et les bouleversements que son renvoi occasionnerait pour cette famille;

e) le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la part de la collectivité;

f) l’importance des difficultés que causerait à l’appelant son retour dans son pays de nationalité.

 

 

[8]               La SAI a également reconnu que le poids à accorder à chacun de ces facteurs varie selon les circonstances de l’espèce. La SAI a affirmé que, pour trancher l’appel, elle avait tenu compte de tous ces facteurs, ainsi que des témoignages, de la preuve documentaire et des observations présentées par les parties. La SAI s’est notamment attardée au deuxième facteur : la réadaptation.

 

[9]               Dans ses motifs, la SAI cite le constat d’infraction dans lequel sont exposés les faits ayant conduit aux accusations d’agression sexuelle portées contre le demandeur. Suivant le constat d’infraction, l’accusé était monté à bord de l’autobus au même endroit que la victime de l’agression sexuelle et était descendu au même arrêt qu’elle. Il a alors commis un attentat à la pudeur, a agrippé la victime par le bras et a commencé à la pousser en cherchant à l’entraîner derrière un centre commercial. Il lui a demandé plusieurs fois de lui faire une fellation et l’a empêchée de rentrer chez elle en lui bloquant la route. Il l’a suivie jusque chez elle où le père de victime l’a chassé.

 

[10]           La SAI a signalé que le demandeur avait donné une version des faits fort différente. Le demandeur affirmait que la victime l’avait abordé en se faisant passer pour une travailleuse du sexe et qu’il l’avait touchée uniquement après qu’elle eut pris son argent et qu’elle eut retiré son offre de sexe. Constatant que « l’appelant a plaidé coupable à l’accusation décrite dans le rapport », la SAI a déclaré qu’elle préférait la version des faits contenue dans le constat de police au témoignage de l’appelant et a conclu que cette version correspondait selon toute vraisemblance à ce qui s’était réellement passé. La SAI a également expliqué qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la déclaration de culpabilité et qu’il s’agissait donc en l’espèce de grande criminalité.

 

[11]           La SAI a expliqué qu’elle accordait « peu de poids au témoignage de l’épouse de l’appelant et à sa preuve » au sujet de la réadaptation du demandeur et du soutien dont il bénéficiait de sa part et de la part de sa famille, vu la courte durée de leur relation et le fait que l’appelant lui avait raconté le même récit au sujet de l’agression sexuelle que celui auquel la SAI n’avait pas ajouté foi.

 

[12]           La SAI a poursuivi en expliquant que, pour essentiellement la même raison, elle accordait peu de poids à la preuve présentée par la sœur de l’appelant ainsi qu’à la preuve se rapportant à la Tamil Eelam Society of Canada (société canadienne de l’Eelam tamoul), au « temple » du demandeur et au soutien au sein de la collectivité. La SAI a signalé que les auteurs de ces documents n’avaient pas été appelés à témoigner et elle a ajouté qu’en raison du récit trompeur donné par le demandeur à son épouse au sujet de l’agression sexuelle, elle était fondée à croire que le demandeur leur avait raconté les mêmes mensonges, ce qui justifiait la décision de la SAI de n’accorder aucun poids à leur preuve puisqu’ils n’avaient pas témoigné.

 

[13]           La SAI a poursuivi en confirmant qu’elle avait tenu compte du fait que le demandeur n’avait fait l’objet que d’une seule déclaration de culpabilité et que plusieurs années s’étaient écoulées sans qu’il ne récidive. Toutefois, « comme il refuse de dire la vérité en ce qui concerne l’agression sexuelle et compte tenu de ce qui précède », la SAI a conclu que le demandeur n’éprouvait pas de remords et, partant, qu’il risquait de récidiver, signalant qu’elle n’était pas convaincue qu’il disposait d’un réseau fiable de soutien au sein de sa famille ou de sa collectivité au Canada.

 

[14]           La SAI a ajouté que le demandeur n’était pas bien établi au Canada. Elle a signalé que depuis son arrivée, il n’avait jamais obtenu la résidence permanente et qu’il avait touché des prestations d’aide sociale. De plus, il n’avait pas présenté de preuve documentaire convaincante de sa situation d’emploi, qui manquait de régularité. La SAI a poursuivi en expliquant qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve montrant que l’intérêt supérieur d’un enfant serait directement touché par sa décision et elle a ajouté que, même si le demandeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention, comme il n’avait pas été déterminé vers quel pays il serait vraisemblablement renvoyé, la question des difficultés auxquelles il se heurterait à l’étranger ne se posait pas.

 

[15]           La SAI a conclu que tous ces facteurs ne pesaient pas favorablement dans la balance des motifs d’ordre humanitaire, estimant que seulement deux facteurs étaient favorables au demandeur. Elle a en effet reconnu que le renvoi de l’appelant du Canada occasionnerait des bouleversements d’ordre affectif pour son épouse, la famille de son épouse ainsi que sa famille à lui au Canada et que le demandeur se heurterait à des difficultés du même ordre s’il était renvoyé. La SAI a toutefois expliqué qu’elle doutait fort que l’épouse du demandeur se sentirait obligée de quitter elle-même le Canada si le demandeur était renvoyé. La SAI a conclu par conséquent que les facteurs défavorables pesaient plus lourd dans la balance que les facteurs favorables. La SAI a également conclu que comme les facteurs défavorables l’emportaient à ce point sur les facteurs favorables, le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, qui est « une mesure spéciale », n’était pas justifié en l’espèce. Elle a donc refusé de prendre une mesure spéciale en vertu de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cas qui nous occupe :

 

1.      La SAI a-t-elle tenu suffisamment compte du facteur de la réadaptation, eu égard aux circonstances de l’espèce?

2.      La SAI a-t-elle commis une erreur en n’accordant pas de sursis?

3.      La SAI a-t-elle ignoré ou mal interprété des éléments de preuve qui avaient été régulièrement portés à sa connaissance et/ou a-t-elle tiré des conclusions irrégulières à la lumière de son traitement du constat de police?

 

CADRE LÉGISLATIF

 

[17]           Les paragraphes 67(1) et 68(1) de la Loi disposent :

 

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fait or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

ANALYSE     

Norme de contrôle

[18]           Ainsi que le défendeur l’affirme, il existe plusieurs décisions récentes dans lesquelles le tribunal a utilisé la norme de la décision manifestement déraisonnable pour évaluer le pouvoir discrétionnaire conféré à la SAI en vertu des paragraphes 67(1) et 68(1) de la Loi. Par exemple, ainsi que la Cour l’a affirmé dans le jugement Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 979 :

32     La Cour fédérale a décidé que le pouvoir discrétionnaire dont la Section d’appel de l’immigration est investie en vertu des paragraphes 67(1) et 68(1) de la LIPR est large et qu’une cour de justice n’interviendra pas dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire aussi longtemps que celui-ci est exercé de bonne foi et sans l’influence de considérations non pertinentes (voir Mand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1637, au paragraphe 13). Dans Capra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1324, au paragraphe 6, le juge Blais a décidé que, dans des cas semblables à la présente affaire, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Dans la même veine, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bryan, 2006 CF 146, au paragraphe 43, le juge Russell a décidé que la norme de la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont la Section d’appel de l’immigration est investie en vertu du paragraphe 68(1) de la LIPR. Je souscris à cette conclusion. J’appliquerai donc la norme de la décision manifestement déraisonnable à la décision sous examen.

 

 

[19]           Ceci étant dit, le juge Décary, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 24, au paragraphe 12 [Khosa] a conclu que la norme de contrôle appropriée à appliquer lorsqu’on examine les facteurs Ribic est celle de la décision raisonnable, « essentiellement parce que la décision contestée n’est pas visée par une clause privative rigoureuse, elle n’est pas une décision polycentrique, elle concerne des facteurs humains et que, en ce qui a trait au facteur de la possibilité de réadaptation, elle ne relève pas du domaine de spécialisation de la Commission ». La juge Desjardins a toutefois exprimé une forte dissidence sur ce point, faisant valoir qu’en raison de la compétence de la SAI, de la nature de la question et de la grande latitude conférée à la SAI, la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 40). La Cour suprême du Canada a été saisie d’une demande d’autorisation de pourvoi dans cette affaire.

 

[20]           Vu la retenue dont je dois faire preuve envers les arrêts de la Cour d’appel, je vais appliquer la norme de la décision raisonnable dans le cas qui nous occupe.

 

1. Appréciation du facteur de réadaptation

 

[21]           Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains facteurs importants lorsqu’elle a évalué le degré de réadaptation du demandeur et il affirme qu’elle a ainsi rendu une décision déraisonnable.

 

[22]           Le demandeur affirme, en particulier, que la SAI aurait dû tenir compte du fait qu’il avait été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis. Il ajoute que la SAI aurait dû accorder plus de poids au fait qu’il n’avait été reconnu coupable que d’un seul délit grave et que cinq années s’étaient écoulées depuis les faits reprochés. Le demandeur avait par ailleurs exprimé des remords, était déterminé à apporter des changements dans sa vie et estimait que son mariage constituait pour lui un facteur important et positif. Le demandeur soutient que la SAI a par ailleurs négligé de tenir compte d’éléments de preuve tendant à démontrer qu’il suivait une thérapie en lien avec ses condamnations au criminel, qu’il avait remis Dieu dans sa vie et qu’il participait à des activités religieuses et faisait du bénévolat.

[23]           Le demandeur affirme par ailleurs que la SAI a commis une erreur en écartant le témoignage de sa femme en partie parce qu’ils ne se connaissaient que depuis peu de temps. La SAI s’est également méprise selon lui en écartant le témoignage de la femme du demandeur au motif que la SAI n’ajoutait pas foi aux déclarations faites au sujet des faits entourant l’agression sexuelle. Au lieu de simplement conclure qu’on ne lui avait pas dit la vérité et comme elle avait maintenu son témoignage au sujet de la réadaptation du demandeur lorsqu’elle avait été confrontée à la vérité pendant son contre-interrogatoire, la déposition de l’épouse du demandeur était « intéressée, naïve ou peu vraisemblable », la SAI aurait dû tenir compte du contexte et de l’ensemble du témoignage de l’épouse du demandeur. La SAI aurait dû tenir compte du fait que l’épouse du demandeur avait des antécédents crédibles, qu’elle connaissait bien le demandeur, qu’elle était toujours intéressée à exercer une influence positive dans la vie du demandeur et qu’elle avait constamment maintenu qu’il s’était réadapté.

 

[24]           Le demandeur soutient en outre que la SAI a commis une erreur en écartant les éléments de preuve documentaires soumis par sa sœur, par le temple que fréquentait le demandeur, ainsi que par la Tamil Eelam Society à l’appui de ses affirmations quant à sa réadaptation et au soutien sur lequel il peut compter au sein de la collectivité et de la part de sa famille. Pour rejeter ces éléments de preuve, la SAI s’est uniquement fondée sur l’hypothèse que, comme elle avait conclu que le demandeur avait raconté à sa femme la même version des faits que celle que la SAI avait jugée fausse, le demandeur avait probablement donné la même version des faits à ces personnes. N’ayant pas entendu le témoignage de ces personnes, la SAI avait donc de bonnes raisons de ne pas accorder beaucoup de poids aux éléments de preuve documentaires. Suivant le demandeur, ce raisonnement démontre bien que, pour changer cette conclusion, il aurait fallu rien de moins que le demandeur reconnaisse l’exactitude du constat de police. La SAI était essentiellement obnubilée par le refus du demandeur de reconnaître l’exactitude du contenu du constat de police et elle a exclu tous les éléments de preuve tendant à démontrer que le demandeur s’était réadapté.

 

[25]           Le défendeur affirme pour sa part qu’il était loisible à la SAI de tirer ces conclusions, vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait et que la SAI a tenu compte de tous les facteurs nécessaires eu égard aux circonstances de l’espèce.

 

[26]           Dans l’arrêt Khosa, le juge Décary, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour d’appel, déclare ce qui suit au sujet de la façon dont la Commission doit évaluer la réadaptation :

 

11.  Dans les cas où […] la Commission peut éventuellement mettre en doute le constat de réadaptation fait par la juridiction pénale provinciale, la Commission doit, à tout le moins, prendre en considération les facteurs généralement associés à la notion de réadaptation, une notion de droit pénal. En l’espèce, il s’agit notamment de l’absence de casier judiciaire (à part l’infraction en cause), l’absence de déclarations de culpabilité pour conduite dangereuse antérieures, la manière dont l’intéressé a répondu à la surveillance dans la collectivité, enfin le passé récent du délinquant, notamment l’élévation de son niveau de scolarité et ses antécédents sur le marché du travail.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[27]           Dans le cas qui nous occupe, la SAI a effectivement tenu compte de bon nombre de ces facteurs. Par exemple, s’agissant des antécédents sur le marché du travail, la SAI a reconnu, dans ses motifs − bien que pas nécessairement dans le contexte précis de son analyse de la réadaptation − que, depuis son arrivée au Canada, l’accusé avait touché des prestations d’aide sociale, que sa situation d’emploi manquait de régularité et que la preuve documentaire présentée à ce sujet n’était pas convaincante. Pour évaluer la réadaptation comme telle, la SAI a également tenu expressément compte du fait que le demandeur n’avait été condamné qu’une seule fois et que plusieurs années s’étaient écoulées sans aucune récidive. La SAI a également précisé qu’elle avait tenu compte du témoignage de la femme du demandeur, et des éléments de preuve documentaires produits par la sœur du demandeur, la Tamil Eelam Society of Canada et le temple que fréquentait le demandeur au sujet de sa réadaptation et du soutien dont il bénéficie au sein de la collectivité. La SAI a toutefois estimé qu’il y avait lieu d’accorder peu de poids à ces éléments de preuve, compte tenu des conclusions auxquelles elle en arrivait au sujet de la véracité des faits relatifs à l’agression sexuelle et du manque d’honnêteté dont le demandeur avait fait preuve à ce sujet envers les personnes en question.

 

[28]           D’une manière générale, la thèse du demandeur peut être qualifiée d’attaque en règle contre la valeur que la SAI a accordée aux divers éléments de preuve dont elle disposait et de l’appréciation qu’elle en a faite. Compte tenu du fait que le témoignage donné par le demandeur et par sa femme était pour le moins confus quant à la nature exacte des faits ayant conduit à sa condamnation au criminel, il était loisible à la SAI de tirer une conclusion sur ce qu’elle croyait qui s’était produit et sur ce qui avait été effectivement dit à la femme du demandeur. Il était par ailleurs loisible à la SAI de tenir compte de cette conclusion précise pour déterminer le poids à accorder aux autres éléments de preuve documentaires dont elle disposait.

 

[29]           Ceci étant dit, bien qu’il était loisible à la SAI de tirer ces conclusions, compte tenu de l’importance que la SAI a accordée à ce qu’elle croyait être les faits véritables entourant la perpétration de l’infraction criminelle lorsqu’elle a évalué et soupesé l’ensemble de la preuve, la réponse à la question de savoir si son analyse était raisonnable dépend de la question de savoir si l’on peut dire que son évaluation sous-jacente était bien fondée. Comme nous le verrons plus loin, la demande est accueillie sur ce point.

 

2. Évaluation de l’opportunité d’accorder un sursis

 

[30]           Le demandeur soutient que, s’il réclame un sursis, comme c’est le cas en l’espèce, la SAI doit examiner sa demande et invoquer de « solides » raisons pour étayer son refus. Ainsi qu’il est précisé au paragraphe 14 du jugement Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. 1227 (C.F. 1re inst.)(QL) : « lorsqu'un sursis est demandé et que les faits montrent qu'il y a lieu d'envisager un sursis conditionnel, si des motifs sont donnés conformément au paragraphe 69.4(5) de la Loi, le demandeur a le droit de savoir pourquoi le sursis est refusé ».   

 

[31]           Le demandeur affirme qu’en l’espèce, la SAI n’a pas formulé d’analyse ou invoqué de motifs sérieux pour justifier son refus d’accorder le sursis demandé, se contentant d’une conclusion à l’emporte-pièce. Ainsi que la Cour l’a signalé dans le jugement Archibald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 747 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 11 : « L'évaluation du risque de récidive, c'est-à-dire la possibilité que le requérant commette d'autres infractions criminelles, est l'un des facteurs importants à prendre en considération pour décider s'il faut surseoir à une ordonnance d'expulsion ». Dans le cas qui nous occupe, le demandeur affirme que la seule conclusion tirée par la SAI à cet égard reposait sur son autre conclusion que le demandeur n’éprouvait pas de remords, laquelle conclusion était également fondée sur son interprétation erronée du constat de police. La SAI n’a par conséquent pas tenu compte de tous les éléments de preuve tendant à démontrer que le demandeur ne récidiverait probablement pas.

 

[32]           Pour sa part, le défendeur affirme que la SAI n’a pas commis d’erreur en refusant d’accorder le sursis et il ajoute que la SAI a clairement motivé son refus. Suivant le défendeur, les tribunaux reconnaissent au demandeur le droit de savoir pourquoi la SAI a refusé de lui accorder le sursis demandé sans aller toutefois jusqu’à lui reconnaître le droit d’exiger de la SAI qu’elle formule des motifs complémentaires ou spéciaux à cet égard.

 

[33]           Sur la question de savoir s’il y a lieu ou non d’accorder un sursis, la SAI a expliqué que « [l]e sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion est, de par sa nature, une mesure spéciale. Toutefois, comme je l’ai conclu, les motifs d’ordre humanitaire en l’espèce ne justifient pas la prise d’une mesure spéciale. Par conséquent, il n’est pas indiqué que j’accorde en l’espèce un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion. » La SAI a poursuivi en faisant observer ce qui suit : « Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’il n’est pas justifié en l’espèce de prendre une mesure spéciale suivant l’alinéa 67(1)c) ou le paragraphe 68(1) » de la Loi.

 

[34]           Il est évident que l’analyse de la SAI était censée s’appliquer de façon globale aux décisions qu’elle rend en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi. La SAI ne se contentait pas d’énoncer une conclusion relativement à la question du sursis.

 

[35]           Ceci étant dit, comme la décision de la SAI repose de toute évidence sur l’ensemble de son analyse, le point mis en relief à la question 1 s’applique et le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la SAI sur l’opportunité d’accorder un sursis dépend en fin de compte de la troisième question que le demandeur a soulevée en l’espèce et dont je vais discuter ci-après.

 

3. Évaluation du constat de police

 

[36]           Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340, au paragraphe 12 :

12     L’article 175 de la LIPR permet à la SAI de recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision. Ces éléments de preuve peuvent parfois être faibles et peuvent comprendre des témoignages d’informateurs : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523 (C.F.), au paragraphe 107; conf. à [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.). C’est la SAI, et non la cour de révision, qui doit décider de l’importance à accorder à la preuve.

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]           De plus, dans l’arrêt Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F., no 472 (QL) (1re inst.), la Cour d'appel fédérale a estimé que ce qui s’appelait à l’époque la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n’avait pas commis d’erreur justifiant l’intervention de la Cour en admettant certains éléments de preuve qui pouvaient être qualifiés de « ouï-dire double » et en y ajoutant foi. La Cour a conclu que la Commission « avait le droit d'entendre le témoignage et de s'y fier s'il le jugeait utile, crédible et digne de foi ».

 

[38]           La Cour a également reconnu que la SAI disposait d’une grande latitude pour constater les faits constitutifs d’une infraction, et qu’elle pouvait même conclure à l’innocence d’un demandeur ayant plaidé coupable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hua, 2001 CFPI 722, au paragraphe 34).

 

[39]           Il était de toute évidence loisible à la SAI de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve portés à sa connaissance et de se fier à ces éléments de preuve si elle les jugeait pertinents, crédibles et dignes de foi. Il était par ailleurs certainement loisible aussi à la SAI d’écarter les explications données par le demandeur au sujet des faits constitutifs de son infraction et de préférer ceux qui été allégués dans le constat de police.

 

[40]           Ceci étant dit, le demandeur plaide en l’espèce que la SAI a commis une erreur parce qu’elle a mal qualifié les éléments de preuve en se fondant sur l’hypothèse erronée que le constat de police exposait les faits sur lesquels le plaidoyer était fondé. À l’appui de cet argument, le demandeur souligne le fait qu’après avoir analysé la version des faits du demandeur, la SAI a déclaré : « Toutefois, je constate que l’appelant a plaidé coupable à l’accusation décrite dans le rapport et, partant, je préfère cette version des faits au témoignage de l’appelant et conclus qu’elle reflète ce qui s’est passé, selon la prépondérance des probabilités » [non souligné dans l’original]. La SAI ajouté qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la déclaration de culpabilité.

 

[41]           De prime abord, on ne sait pas avec certitude si la déclaration précitée de la SAI que j’ai soulignée constitue une conclusion de fait ou une hypothèse suivant laquelle le plaidoyer de culpabilité doit nécessairement correspondre aux faits allégués dans le constat de police.

 

[42]           Pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable, les motifs de la SAI doivent, dans l’ensemble, pouvoir résister à un examen assez poussé. Toutefois, comme je l’ai déjà fait observer, le caractère raisonnable de la décision de la SAI dépend à ce point de cette seule conclusion pour qu’on en conclue que le caractère raisonnable de la décision dépend effectivement de ce seul et unique point sous-jacent.

 

[43]           Il semble, lorsqu’on examine cet énoncé particulier, que c’est la partie qui est soulignée qui constitue le raisonnement suivi par la SAI pour expliquer pourquoi elle préfère le contenu du constat au témoignage du demandeur. Malgré le fait qu’il lui aurait été loisible de tirer une telle conclusion, la SAI ne pouvait régulièrement en faire une hypothèse. Ce faisant, elle a mal qualifié la nature du constat de police. Le constat renfermait des allégations consignées par le policier au cours de son enquête sur la plainte et non les conclusions de fait tirées par le tribunal qui avait reconnu la culpabilité du demandeur et lui avait infligé une peine. Bien que la SAI eusse pu citer des éléments de preuve ou des témoignages pour appuyer l’argument suivant lequel, selon la prépondérance des probabilités, le constat de police qualifiait probablement de façon exacte les faits constitutifs de l’infraction, la SAI ne l’a pas fait. Il n’appartient pas à la Cour de revenir sur la preuve ou de l’évaluer de nouveau pour justifier les conclusions de la SAI.

 

[44]           Comme il est dit dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 :

55     La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

56      Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[45]           Cette norme n’a pas été respectée dans le cas qui nous occupe. La conclusion que la SAI a tiré au sujet de la nature du constat de police a influencé le reste de son analyse au point où l’on ne pourrait dire que sa conclusion est appuyée par un seul élément de son analyse si l’on fait abstraction de cette erreur.

 

[46]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie. La décision de la SAI est annulée et elle sera renvoyée à la SAI pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

 

[47]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR accueille la demande et renvoie l’affaire à la Section d’appel de l’immigration pour réexamen par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4173-06

 

INTITULÉ :                                                   RAMANAN RAJAGOPAL

                                                                        c.

                                  MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krissina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Krissina Kostadinov

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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