Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070523

Dossier : T-1596-06

Référence : 2007 CF 540

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

JOHN COLISTRO

demandeur

et

 

BMO BANQUE DE MONTREAL

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 août 2006 par un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, et ses modifications (le Code). Dans cette décision, l’arbitre a conclu que le demandeur, M. John Colistro, avait démissionné de son poste à la Banque de Montréal (la BMO ou la Banque) et n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé.

 

[2]               M. Colistro a commené sa carrière à la Banque en 1975. Le dernier poste qu’il a occupé était celui de spécialiste en prêts à l’investissement. Dans l’exercice de ses fonctions, il devait solliciter les planificateurs financiers, c’est‑à‑dire leur offrir des prêts à l’investissement ou des prêts hypothécaires pour leurs clients, ainsi que promouvoir et accorder des prêts personnels aux employés de sociétés privées dans le cadre des programmes, approuvés par la BMO, de prêts à l’achat d’actions à l’intention des employés. Sa supérieure hiérarchique était Mme Pam Schiwinsky, qui était également la directrice régionale.

 

[3]               Le 2 mai 2005, M. Colistro a eu une réunion disciplinaire avec Mme Schiwinsky, à laquelle assistait également par téléphone M. Tim Douglas, directeur de Mme Schiwinsky. Le demandeur a reçu un avis de mesure disciplinaire de niveau 4 qui rendait compte de deux événements. Premièrement, il était allégué que M. Colistro avait accordé un prêt sans avoir vérifié qu’il disposait de garanties et de documents de prêt complets et exacts. Deuxièmement, il était allégué que M. Colistro avait pris des vacances au cours de la période pendant laquelle un client de la Banque, PCL, émet des actions à ses employés. C’était la période la plus occupée de l’année pour le spécialiste en prêts à l’investissement et, comme M. Colistro était responsable du dossier PCL, son absence avait exercé des pressions considérables sur les autres employés. En outre, PCL avait exprimé son insatisfaction face à la manière dont M. Colistro avait mené des entrevues avant son départ, et on estimait que la relation de la BMO avec ce client avait été mise en péril. Il était par ailleurs allégué que M. Colistro avait aussi communiqué à une tierce partie des renseignements confidentiels sur des employés de PCL. L’avis de mesure disciplinaire renfermait un plan d’action visant à améliorer les résultats. Il y était précisé que tout défaut de s’y conformer dans l’avenir pourrait entraîner le congédiement immédiat de M. Colistro pour un motif valable.

 

[4]               Le 3 mai 2005, lors d’une autre réunion disciplinaire, M. Colistro, Mme Schiwinsky et M. Douglas ont discuté de la teneur de l’avis. M. Colistro a refusé de signer l’avis. Cette rencontre n’a pas permis de régler la situation. Il semble que la Banque n’a pas suspendu M. Colistro et n’avait pas encore décidé de la mesure disciplinaire, le cas échéant, qu’elle prendrait.

 

[5]               Le lendemain, M. Colistro a informé Mme Schiwinsky par téléphone qu’il ne reviendrait pas au travail. Il a confirmé cette conversation plus tard dans la journée au moyen d’un message envoyé par courriel :

[traduction] Pam, pour faire suite à notre discussion de ce matin, je te confirme que je quitte mon poste à la BMO. J’aimerais que mon départ entre en vigueur le 20 mai 2005. Dans l’intervalle, je serai disponible, si on m’en fait la demande, pour aider un membre du personnel à prendre mes dossiers en charge. Cependant, j’aimerais éviter toute interaction avec les clients, si possible.

 

Tu peux communiquer cette information au personnel, ce qui pourra réduire le nombre de questions sur la situation.

 

J’apprécierais que tu me confirmes que la date proposée en mai convient.

 

[6]               Une audience de deux jours s’est déroulée en juillet 2006 devant un arbitre certifié, Douglass Miller Tadman, qui a été saisi de la plainte de congédiement injuste déposée par M. Colistro. Dans une décision de 18 pages, l’arbitre a exposé les motifs pour lesquels il rejetait la plainte. En résumé, il a déterminé que M. Colistro avait quitté volontairement son poste à la Banque et que cette dernière ne l’avait pas congédié de façon déguisée.

 

[7]               Le demandeur soulève essentiellement deux points. Premièrement, il soutient que la conduite de l’arbitre lors de l’audience dénote un parti pris en faveur de la Banque. Deuxièmement, il affirme que l’arbitre a tiré plusieurs conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Lorsqu’elles sont conjuguées, ces erreurs rendent la conclusion générale de l’arbitre manifestement déraisonnable.

 

[8]               Pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, il faut se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S 369, à la page 394). Étant donné que les audiences devant l’arbitre n’ont pas été enregistrées, je dois me fonder sur les affidavits déposés par le demandeur et par Mme Janet Jumaga de même que sur l’affidavit présenté par Mme Tara John pour le compte de la Banque; toutes ces personnes étaient présentes lorsque les événements allégués se seraient déroulés.

 

[9]               En l’espèce, le demandeur prétend que deux événements dénotent le parti pris de l’arbitre en faveur de la Banque. D’abord, l’arbitre s’est levé et a serré la main de M. Douglas quand celui‑ci est entré dans la salle pour témoigner. Ensuite, l’arbitre a interrompu le contre‑témoignage de Mme Schiwinsky par l’avocat du demandeur, s’exclamant à tort [traduction] « Oh, voyons donc, Mme Schiwinsky n’était pas en vacances, elle travaillait ». Selon le demandeur, ce commentaire portait sur un point crucial de l’affaire parce qu’il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir pris des vacances pendant une période occupée, alors que Mme Schiwinsky avait aussi pris des vacances pendant cette période. Mme Schiwinsky a toutefois expliqué qu’elle avait continué de travailler, même si elle n’était pas au bureau, et l’arbitre aurait montré son parti pris en faveur de la Banque en interrompant le contre‑interrogatoire pour indiquer qu’il croyait Mme Schiwinsky. Par contre, dans l’affidavit présenté pour la Banque par Mme Tara John, on peut lire que l’arbitre a été [traduction] « courtois et amical avec tous les participants » et qu’il avait permis le contre‑interrogatoire complet de Mme Schiwinsky à l’audience.

 

[10]           Tout d’abord, j’estime que tout décideur devrait éviter de se montrer familier ou amical avec un témoin pendant une audience. Cela étant dit, le fait d’avoir serré la main de M. Douglas, même si inapproprié, était un geste isolé. Quant au commentaire de l’arbitre au sujet du témoignage de Mme Schiwinsky, la preuve présentée à la Cour n’est pas déterminante et est quelque peu contradictoire. Mme Schiwinsky a déclaré que, même si son horaire de vacances indiquait qu’elle serait absente pendant une certaine période, elle a continué de travailler en se servant de la messagerie électronique et du téléphone. Elle a été contre‑interrogée sur ce point et, en l’absence de transcription, je n’ai pas vraiment de preuve des commentaires faits par l’arbitre ni de leur contexte. Que ces deux événements soient évalués isolément ou cumulativement, ils n’amèneraient pas, selon moi, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à conclure que la conduite de l’arbitre suscite une crainte raisonnable de partialité.

 

[11]           En raison de la clause privative forte énoncée à l’article 243 du Code, la décision d’un arbitre doit faire l’objet d’une grande retenue judiciaire. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de l’arbitre est celle de la décision manifestement déraisonnable, et la Cour n’interviendra que si la décision de l’arbitre est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait l’arbitre (North c. West Region Child and Family Services Inc., 2005 CF 1366, au paragraphe 16, conf. par 2007 CAF 96; Conseil de bande de Uashat Mak Mani‑Utenam c. Fontaine, 2005 CAF 357, et alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales).

 

[12]           En l’espèce, le demandeur souligne, dans son affidavit et son mémoire des faits et du droit, plusieurs aspects de la décision contestée qui contiennent des erreurs de fait. À son avis, la conclusion de l’arbitre suivant laquelle il n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé est manifestement déraisonnable.

 

[13]           J’ai examiné plus spécifiquement les diverses allégations faites par le demandeur dans son affidavit et son mémoire des faits et du droit en ce qui concerne les points suivants :

 

1)      la décision préliminaire rendue par l’arbitre aux paragraphes 7 et 8, qui est fondée en droit;

2)      les conclusions tirées par l’arbitre aux paragraphes 20, 21, 22, 27 et 28 en ce qui concerne la démission volontaire de M. Colistro et qui sont appuyées par la preuve;

3)      les conclusions énoncées aux paragraphes 42 à 95 en ce qui concerne les événements 1 à 7 et qui appuient la conclusion finale de l’arbitre suivant laquelle M. Colistro n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé par la Banque.

 

[14]           Bien que je n’aie pas pu, vu l’absence de transcription, vérifier les déclarations attribuées aux différents témoins, l’arbitre a fourni dans la présente affaire des motifs détaillés qui décrivent ses conclusions et leur fondement. Par conséquent, sa conclusion finale doit être confirmée, à moins qu’il ne soit démontré qu’elle est manifestement déraisonnable.

 

[15]           La preuve ne laisse aucun doute quant au fait que le demandeur a démissionné de son poste, et cet aspect de la décision de l’arbitre n’est pas sérieusement contesté. L’arbitre a donc dû déterminer si M. Colostro avait établi, selon la prépondérance de la preuve, que la conduite de l’employeur à son endroit était si hostile qu’il pouvait raisonnablement conclure qu’il était devenu intolérable pour lui de rester en poste, ce qui rendait sa démission non pertinente. Après avoir soigneusement examiné les événements dont M. Colistro a fait état, l’arbitre a conclu que M. Colistro n’avait pas réussi à prouver sa plainte de congédiement déguisé. La Cour ne devrait pas modifier cette conclusion de fait qui se fonde sur le raisonnement clairement exposé par l’arbitre dans sa décision.

 

[16]           Événement 1 – Adjointe administrative. L’arbitre a conclu que le manque de coopération de Mme Skretting avec le demandeur ne constituait pas du harcèlement de la part de la Banque autorisé par Mme Schiwinsky, la supérieure hiéarchique de M. Colistro. Cette conclusion s’appuie sur la preuve et le raisonnement de l’arbitre ne semble ni abusif ni arbitraire. Les griefs énoncés par le demandeur dans son exposé du droit ne constituent qu’un désaccord à l’égard d’une conclusion de fait que l’arbitre avait le droit de tirer.

 

[17]           Événement 2 – Réunion du 22 février 2005. Selon l’arbitre, cette réunion n’était rien de plus que l’échange sain d’opinions divergentes entre un gestionnaire et son subalterne qui avait une ancienneté similaire mais n’occupait pas le même échelon hiérarchique. Dans sa décision, l’arbitre explique clairement pourquoi il donne préséance au témoignage de Mme Schiwinsky et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion, qui s’appuie sur la preuve.

 

[18]           Événement 3 – Érosion de l’autorité. L’arbitre conclut que M. Colistro n’a jamais fait partie de la haute direction de la Banque. Il fonde sa conclusion sur les témoignages de Mme Linda Shaw et de Mme Schiwinsky, et le demandeur n’a pas réussi à établir que cette façon de procéder était abusive ou arbitraire.

 

[19]           Événement 4 – Rapport 549 daté du 4 janvier 2005. Il n’a pas été démontré qu’il était injustifié de s’attendre à ce que M. Colistro suive les voies hiérarchiques établies. L’arbitre n’a pas agi de façon abusive ou arbitraire en rejetant les inférences tirées par le demandeur à cet égard.

 

[20]           Événement 5 – Gel du salaire. Malgré l’erreur alléguée au sujet du ratio et du pourcentage de rémunération de M. Colistro supérieurs au taux le plus élevé versé pour son niveau de poste, la conclusion de l’arbitre selon laquelle le demandeur n’a pas été ciblé s’appuie sur la preuve et n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[21]           Événement 6 – Mesure disciplinaire de niveau 4. L’arbitre a estimé que l’avis disciplinaire ayant mené aux deux réunions de mai 2005 n’étayait pas la thèse de M. Colistro selon laquelle cette mesure avait été prise dans l’intention de l’humilier ou de l’embarrasser. Même si l’arbitre conclut qu’il n’y a aucune preuve que la Banque avait l’intention de congédier M. Colistro, les inquiétudes étaient assez graves pour nécessiter une mesure disciplinaire ou corrective. Encore une fois, l’arbitre a préféré les déclarations des témoins de la Banque à celles de M. Colistro et il a fourni des motifs clairs et détaillés expliquant pourquoi il l’avait fait. Les conclusions tirées par l’arbitre sont étayées par la preuve et, bien qu’elles ne soient pas exemptes d’erreurs, je ne peux pas conclure que ces erreurs ont influé notablement sur la conclusion finale à laquelle est parvenu l’arbitre.

 

[22]           Événement 7 – Mesure disciplinaire antérieure. L’arbitre a jugé que M. Colistro n’avait pas décrit correctement la nature de cette mesure disciplinaire et, en conséquence, qu’elle ne pouvait pas être utilisée comme un exemple d’événement destiné à embarrasser ou à harceler M. Colistro. L’arbitre a résolu cette contradiction dans les éléments de preuve en accordant préséance au témoignage de M. W. Jaciuk, qui était le mieux placé pour expliquer les faits ayant entouré cet incident. Il n’a pas été établi que cette conclusion est abusive ou arbitraire dans les circonstances.

 

[23]           Même si j’aurais peut‑être tiré une conclusion factuelle différente, ce n’est pas le rôle de la Cour de réexaminer les éléments de preuve pris en considération par l’arbitre, qui était le mieux placé pour évaluer la crédibilité des différents témoins entendus. L’arbitre a conclu que, pris isolément ou cumulativement, les événements invoqués par M. Colistro ne permettaient pas objectivement de croire que Mme Schiwinsky ou la Banque ont agi de manière injustifiable ou inappropriée. Il a également conclu que Mme Schiwinsky, agissant conformément à la politique établie de la Banque, a eu raison de tenir M. Colistro responsable de ses gestes et omissions. Lorsqu’elle l’a fait, M. Colistro a décidé de démissionner.

 

[24]           Bien que l’arbitre reconnaisse que M. Colistro avait 30 années de service à la Banque lorsqu’il a démissionné, ce fait en soi ne prouve pas qu’il y a eu congédiement déguisé de la part de la Banque. M. Colistro devait prouver ses allégations selon la prépondérance de la preuve, ce qu’il n’a pas réussi à faire de l’avis de l’arbitre. Le résultat peut être déplorable et sembler injuste pour le demandeur, mais je ne suis pas en mesure, à la lumière du dossier dans sa forme actuelle, de conclure que la décision contestée est manifestement déraisonnable.

 

[25]           La demande est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T-1596-06

 

INTITULÉ :                                                           JOHN COLISTRO

                                                                                c.

                                                                                BMO BANQUE DE MONTREAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 16 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                      LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 23 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Colistro                                                            POUR SON PROPRE COMPTE

 

Daniel W. Hagg, c.r.                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bryan & Company

Edmonton (Alberta)                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.