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Date : 20070529

Dossier : IMM-3928-06

Référence : 2007 CF 563

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

VASANTHAN KRISHNAPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Vasanthan Krishnapillai demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 mai 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a rejeté sa demande d’asile.

 

Les faits

[2]               M. Krishnapillai est un citoyen sri-lankais tamoul de la région de Jaffna. Il est arrivé au Canada en 2004 après un itinéraire tortueux passant par Singapour, l’Italie et la République dominicaine. Il allègue, à l’appui de sa demande d’asile, qu’il a été victime de harcèlement de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et de violence physique de la part des autorités sri‑lankaises. Les principaux actes de persécution invoqués ont trait à deux incidents de détention et de mauvais traitements aux mains de l’armée sri‑lankaise, à la fin de 2003 et au début de 2004, qui sont ainsi décrits dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur :

[traduction]

En septembre 2003, j’ai été arrêté au poste de contrôle militaire de Manipay. J’ai été accusé d’être un partisan des TLET, interrogé et battu par les soldats. J’ai été détenu pendant environ un mois. J’ai été libéré à la suite de l’intervention du chef de village (gramaseveka) et de la Croix-Rouge internationale.

 

En janvier 2004, l’armée a procédé à une autre vague d’arrestations dans notre région. J’ai été appréhendé avec d’autres jeunes hommes tamouls et emmené au camp Ilavalai. Là, les soldats m’ont battu et l’un deux m’a marqué à l’épaule avec un couteau. J’ai aussi été blessé par un autre soldat qui m’a donné un coup de crosse de fusil à la jambe droite.

 

 

[3]               Dans son FRP, M. Krishnapillai faisait état de l’amoindrissement de la sécurité au Sri Lanka et de son impression que les TLET s’apprêtaient à recruter de nouveau. Il a affirmé également que son père et son frère avaient été détenus par l’armée sri-lankaise comme suspects tamouls en mars 2003 et qu’ils n’avaient pas encore été libérés en août 2004 lorsqu’il était parti pour le Canada.

 

[4]               C’est sur ces allégations que M. Krishnapillai fonde sa demande d’asile.

 


La décision de la Commission

[5]               La Commission a rejeté le témoignage de M. Krishnapillai, le jugeant « dénué de crédibilité ». Elle a tiré cette conclusion négative en raison de nombreuses incohérences et omissions relevées dans la déposition du demandeur, dont les suivantes :

a.                de graves contradictions entre l’exposé circonstancié du FRP et le témoignage en ce qui a trait au moment et à l’endroit où se sont produits les actes de harcèlement des TLET;

b.               des contradictions semblables en ce qui a trait à la période où il fréquentait l’école au Sri Lanka;

c.                une contradiction entre son témoignage selon leque il n’avait pas été inquiété par l’armée sri‑lankaise avant 2003 et son FRP dans lequel il décrivait les mauvais traitements reçus aux postes de contrôle militaire, dont des violences verbales, des périodes de détention de plusieurs heures (parfois en plein soleil) et des vols;

d.            une contradiction entre son affirmation, lors de son entrevue au point d’entrée, qu’il avait été arrêté avec son père et son frère en mars 2003 et son témoignage devant la Commission qu’il n’avait pas arrêté à cette date;

e.             l’omission de mentionner dans son FRP qu’il avait été brûlé à la cigarette;

f.              une contradiction entre son FRP et son témoignage relativement à la question de savoir si son frère et son père avaient ou non été libérés avant son départ du Sri Lanka;

g.             d’importantes contradictions en ce qui concerne les dispositions prises pour venir au Canada auxquelles s’ajoute l’absence de documents de voyage;

h.             l’omission de déposer des documents existants de la Croix-Rouge corroborant ses arrestations.

 

[6]               Lorsque ces problèmes relatifs à la preuve ont été exposés à M. Krishnapillai, il les a expliqués en invoquant la maladie, la non‑compréhension des questions posées, la confusion, des erreurs de l’interprète et le refus de l’agent d’immigration qui effectuait l’entrevue au point d’entrée de lui permettre de fournir [traduction] « toutes les précisions ». La Commission a rejeté ces explications et a conclu qu’il n’avait pas été victime de harcèlement de la part des TLET et qu’il n’avait jamais été arrêté par les autorités sri‑lankaises. Comme elle n’avait pas ajouté foi aux allégations de persécution, la Commission a jugé inutile d’analyser la prétendue crainte du demandeur de retourner au Sri Lanka en raison de la situation générale décrite dans la preuve documentaire.

 

Les questions

[7]               a.         Quelle norme de contrôle s’applique aux questions soulevées par M. Krishnapillai?

b.                  La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’évaluation de la crédibilité?

c.                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le demandeur était un Tamoul de sexe masculin manifestement originaire du nord du Sri Lanka?

 

Analyse

[8]               L’avocate de M. Krishnapillai a invoqué deux motifs pour contester la décision de la Commission. Elle a fait valoir d’abord que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission étaient viciées du fait qu’à plusieurs égards, celle‑ci n’avait pas tenu compte d’explications « raisonnables » fournies par le demandeur concernant les contradictions et omissions relevées dans son témoignage. Elle a aussi soutenu que, même si la crédibilité de M. Krishnapillai avait été affaiblie, la Commission était tenue d’examiner si son statut de jeune Tamoul de sexe masculin l’exposait à un risque généralisé de subir un préjudice.

 

[9]               Il y a lieu d’appliquer aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité la norme de contrôle appelant la plus grande déférence, c’est‑à‑dire celle de la décision manifestement déraisonnable. Suivant cette norme, il doit s’agir d’une décision ne laissant aucune possibilité réelle de douter  qu’elle est viciée ou d’une décision viciée au point qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir : voir Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan,  [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20.

 

[10]           La deuxième question soulevée par M. Krishnapillai est une question mixte de fait et de droit. Il s’agit de déterminer si la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), fait obligation à la Commission de procéder à un examen distinct fondé sur l’article 97, même si elle a jugé le demandeur non crédible. Il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle de cette question, parce qu’aucune erreur ne ressort de la décision de la Commission.

 

[11]           Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient toutes étayées par la preuve. M. Krishnapillai s’est montré un piètre témoin à l’égard de presque tous les faits qu’il a relatés. Son témoignage était truffé de contradictions et les justifications qu’il a fournies pour les expliquer pouvaient, pour la plupart, être jugées douteuses au premier regard. Même à l’égard de celles qui pouvaient être jugées plausibles, il était possible pour la Commission de tirer une conclusion contraire, à cause, notamment, du poids cumulatif des excuses non convaincantes. Je me rends à cet égard à l’argument de M. Anderson selon lequel une conclusion négative de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable du seul fait qu’il existe une explication raisonnable au sujet d’un contradiction dans la preuve. Le même raisonnement s’applique en matière d’interprétation et d’appréciation de la preuve par la Commission. Le fait que la preuve permettait une autre conclusion ne veut pas dire que la Commission a mal apprécié la preuve.

 

[12]           En l’espèce, l’appréciation de la crédibilité faite par la Commission n’était pas seulement raisonnable, elle était en fait inévitable.

 

[13]           En ce qui concerne la deuxième question soulevée par l’avocate de M. Krishnapillai, je conviens qu’il existe des situations où les conclusions négatives de la Commission en matière de crédibilité n’abolissent pas son obligation d’examiner d’autres éléments de preuve substantielle corroborants :  voir Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130, [1999] A.C.F. no 694, par. 11; Voytik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 50, 2004 CF 66, par. 20. Toutefois, ça n’est pas le cas en l’espèce. Le seul élément de preuve dont on peut prétendre qu’il répond à cette condition, dans le cas qui nous occupe, est une lettre paraissant émaner d’une connaissance du demandeur qui avait appris que M. Krishnapillai était [traduction] « surveillé par les Forces de sécurité ainsi que par les groupes anti‑TLET ». La lettre n’indique d’aucune façon d’où venait l’information pas plus qu’elle ne corrobore les incidents de persécution allégués par M. Krishnapillai. Étant donné le contenu de cette lettre, la Commission n’a pas commis d’erreur en n’en tenant pas compte.

 

[14]           Je ne suis pas prêt à dire non plus que la Commission est absolument tenue d’examiner la question du risque généralisé lorsqu’elle a catégoriquement rejeté la preuve relative au risque personnellement couru par le demandeur. S’il appert du passé du demandeur, sur plusieurs années de résidence, qu’il n’a pas été victime de persécution, il est difficile de voir comment un risque personnel pourrait être raisonnablement manifeste par ailleurs sans changement dans la situation générale relative au risque dans la région. Sur ce point, je souscris à l’opinion exprimée par le juge Paul Rouleau dans Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. 995, 2004 CF 808, par. 22 :

Ainsi l'appréciation de la crainte chez le défendeur doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale. Le fait que la preuve documentaire illustre de façon inéquivoque la violation systématique et généralisée des droits humains au Pakistan ne suffit absolument pas pour établir la crainte de persécution spécifique et individualisée chez le défendeur en particulier. En l'absence de la moindre preuve pouvant lier la preuve documentaire générale à la situation spécifique du demandeur, je conclus que la Commission n'a pas erré dans sa façon d'analyser la revendication du demandeur sous l'article 97.

 

 

[15]           Même si je suis dans l’erreur sur ce point, je ne crois pas que le résultat aurait différé si la Commission avait analysé la preuve de la situation générale au Sri Lanka concernant les Tamouls. La preuve soumise sur ce point n’avait pas le poids suffisant pour entraîner un résultat différent après l’effondrement  des allégations de M. Krishnapillai relatives à la persécution : voir Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540, 2003 CF 1211, par. 42.

 

[16]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a formulé de question pour certification, et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 

JUGEMENT

            LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

                «R. L. Barnes »

Juge

 

 

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

 

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3928-06

 

INTITULÉ :                                       VASANTHAN KRISHNAPILLAI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               22 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

EN DATE DU :                                  9 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helen P. Luzius                                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Helen Luzius

Avocate et procureure                                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto(Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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