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Date :  20070530

Dossier :  IMM-6053-06

Référence :  2007 CF 576

Ottawa, Ontario, le 30 Mai 2007

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

SAID RMIKI

Demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (Commission), qui a déterminé que le demandeur n’était ni un réfugié, au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger, au sens de l’article 97, au motif qu’il n’avait pas établi que l’État des Pays-Bas, un état diplomatique possédant un appareil judiciaire et policier capable de protéger ses citoyens, n’était pas en mesure de le protéger.

 

[2]                Le demandeur, Said Rmiki, détient la double nationalité algérienne et hollandaise. Les faits à l’origine de sa demande de statut de réfugié ont pris naissance alors qu’il vivait toujours en Algérie, où il est sous le coup d’une Fatwa, soit un jugement d’un tribunal islamique le condamnant à mort. Cette fatwa était le fondement de sa demande d’asile aux Pays-Bas où il a résidé dix ans.

 

[3]                Le demandeur soutient que des islamistes afghans ont retrouvé sa trace, à la suite d’un appel téléphonique qu’il a donné à un de ses amis d’enfance en Algérie en 2005, et qu’ils menaçaient d’exécuter cette Fatwa. À la suite de cet appel, le demandeur a appris que deux islamistes avaient demandé des informations à son sujet à la mosquée qu’il fréquentait aux Pays-Bas. Il a alors demandé la protection de la police dans la ville où il résidait, mais celle-ci ne l’aurait pas pris au sérieux compte tenu de l’absence de preuve. Le demandeur a été forcé de déménager dans une autre ville pour échapper à ses poursuivants.

 

[4]                Le 1 septembre 2005, le demandeur est retourné à la police dans la nouvelle ville où il résidait. Celle-ci lui a alors affirmé ne pouvoir lui offrir une protection vu le manque de ressources. Craignant pour sa vie, celui-ci a quitté les Pays-Bas pour le Canada où il a fait une demande de réfugié.

 

[5]                La Commission a considéré que le demandeur en allant voir la police qu’une seule fois n’avait pas démontré qu’il avait fait tout ce qui était objectivement raisonnable dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État. Par conséquent, elle a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante de l’incapacité des Pays-Bas à le protéger.

 

[6]                La seule question en litige en l’instance est à savoir si la Commission a erré en fait et en droit, en déterminant que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de preuve quant à la protection de l’État. De prime abord, il convient de mentionner que, puisque la crédibilité du demandeur n’a pas été mise en doute, le volet »subjectif » de la crainte de persécution était rencontré. Il s’agit donc de savoir si la crainte était objectivement justifiable. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada v. Ward, 1 [1993] 2 R.C.S. 689, a décrit le fardeau de preuve applicable en de telles circonstances dans les termes suivants :

« Il s’agit de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur. »

 

[7]                 La Cour d’appel fédérale a, par la suite, précisé dans l’arrêt Kadenko c. Canada (ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1996] A.C.F. no. 1376, que le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra chercher à épuiser les recours qui s’offrent à lui.

 

[8]                En l’espèce, le demandeur prétend essentiellement que la conclusion de la Commission, selon laquelle il n’avait pas fait tout ce qui était objectivement raisonnable dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État, repose sur une détermination de fait erronée.  Je suis de cet avis.

 

[9]                En effet, il appert à la lecture du FPR du demandeur et de la transcription, que le demandeur est allé à la police à deux reprises et non pas une seule fois : premièrement, lorsqu’il a appris que deux jeunes islamistes voulaient exécuter la fatwa émise contre lui; deuxièmement, après son départ dans une autre ville pour échapper à ses poursuivants alors qu’il a réalisé qu’il était toujours suivi par ces personnes. Or, la Commission a clairement affirmé que « le fait de n’être allé à la police qu’une seule fois en donnant des informations approximatives et de n’être jamais retourné à la police lorsqu’à deux reprises les jeunes islamistes le suivaient, démontre que le demandeur n’a pas cherché avec persévérance la protection». La Commission a également déterminé, qu’ « à cause de cette inertie, le demandeur n’a pas renversé la présomption selon laquelle les Pays-Bas sont capables de le protéger ». La conclusion de la Commission sur la protection de l’État reposait donc essentiellement sur cette détermination de fait erronée.

 

[10]            Dans la mesure où cette détermination était au cœur de la décision de la Commission sur la protection de l’État, il ne convient pas pour cette cour de tirer une  conclusion en fait, rôle qui relève exclusivement du champ d’expertise de la Commission. En conséquence, il y a lieu pour cette Cour d’intervenir. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.  La décision est cassée et le dossier est retourné pour ré-détermination devant un panel nouvellement constitué.

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est cassée et le dossier est retourné pour ré-détermination devant un panel nouvellement constitué.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6053-06

 

INTITULÉ :                                                  

SAID RMIKI

Demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Darin Jacques

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me. Darin Jacques

1410 rue Guy, Suite 20

Montréal, Québec H3H 2L7

 

POUR LE DEMANDEUR

Le procureur général du Canada

Per: Me Alexandre Tavadian

Complexe Guy-Favreau

200 Boulevard René-Lévesque

Tour est, 12ème étage

Montréal, Québec H2Z 1X4

 

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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