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Date : 20070605

Dossier : IMM-4040-06

Référence : 2007 CF 584

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE : 

 

CHEE PING CHONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 21 juin 2006 par laquelle un agent d'examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a rejeté une demande de protection.

 

 

 

LE CONTEXTE

[2]               Chee Ping Chong (le demandeur), citoyen de la Malaisie, est arrivé au Canada en août 2003 et a présenté une demande d’asile en janvier 2004 au motif qu’il courait un risque du fait qu’il avait été témoin d’un meurtre et qu’il avait collaboré avec la police à l’enquête relative à ce meurtre.

 

[3]                La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande après avoir jugé que le demandeur n’était pas crédible compte tenu des nombreuses contradictions entre les renseignements fournis dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et son témoignage devant la SPR, comme l’année précise à laquelle remontait le meurtre allégué, et les omissions importantes dans son FRP. En outre, la SPR n’a pas jugé vraisemblable qu’en 2004 des groupes de personnes veuillent tuer le demandeur d’asile parce qu’il a été témoin d’un meurtre en 1984. La SPR a également souligné que les actes du demandeur n’étaient pas compatibles avec la crainte alléguée, étant donné qu’il était demeuré en Malaisie pendant les dix-neuf années suivant l’incident et qu’il avait voyagé à l’étranger à plusieurs reprises, seulement pour à chaque fois rentrer en Malaisie et se réclamer de sa protection. Enfin, la SPR a conclu que la présomption relative à la protection de l’État n’avait pas été réfutée et qu’il existait des possibilités de refuge intérieur pour le demandeur.

 

[4]               Le demandeur a sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, ce qui lui a été refusé le 19 juillet 2005.

 

[5]               Le 21 février 2006, le demandeur a déposé une demande d’ERAR fondée sur les mêmes risques que ceux invoqués précédemment devant la SPR. À l’appui de l’allégation de menace à sa vie dans l’éventualité où il serait contraint de retourner en Malaisie, le demandeur faisait accompagner sa demande d’une lettre de présentation rédigée par son avocat, d’une traduction de l’exposé circonstancié de son FRP et d’une lettre datée du 19 février 2006 signée par le surintendant adjoint du quartier général de la police de Kuala Lumpur.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[6]               Dans le présente demande, la seule question soulevée est de savoir si l’agent d’ERAR a omis d’évaluer convenablement les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]               Pour déterminer quelle est la norme de contrôle applicable dans les affaires relatives à des décisions d’agents d’ERAR, je me fonde, comme je l’ai déjà fait , sur l’analyse du juge Luc Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, au paragraphe 51, qui se lit ainsi :

51   À mon avis, en appliquant l’approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (C.F.) (QL), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (C.F.) (QL), au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l’agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l’agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l’agent a tiré la conclusion de fait d’une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 14).

 

 

ANALYSE

[8]               Pour commencer, je me réfère aux propos qu'a tenus mon collège le juge Robert L. Barnes  au sujet du rôle de l’agent d’ERAR dans la décision Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, aux paragraphes 20 et 21 :

20   Certains des arguments se rapportant à la preuve qui ont été avancés ici au nom du demandeur semblent montrer une incompréhension du rôle de l’agente d’ERAR. Il n’appartient pas à l’agente d’ERAR de réexaminer la preuve évaluée par la Commission, et il ne lui appartient pas non plus de revenir sur les conclusions de la Commission portant sur les faits ou sur la crédibilité du demandeur. Ce n’est pas non plus le rôle de l’agente d’ERAR d’apprécier la preuve qui aurait pu être présentée à la Commission, mais qui ne l’a pas été. Le rôle de l’agente d’ERAR, défini par l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), consiste à n’examiner « que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés ». En l’espèce, l’agente d’ERAR a défini clairement et correctement son rôle, d’une manière conforme aux limites précisées dans l’article 113.

 

21     Dans la décision Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 27, 2004 CF 32, le juge Michael Kelen confirmait très succinctement le rôle limité d’un agent d’ERAR, au paragraphe 11 :

 

[…] Pour ce motif, l’agent n’aurait pas dû tenir compte de ces lettres. La procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience de statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience [de la CISR] et la date du renvoi.

 

 

J’ajouterais aussi aux observations du juge Kelen qu’il n’appartient pas à un agent d’ERAR de jouer le rôle d’une cour d’appel et d’infirmer une décision antérieure en matière d’asile.

 

[9]        À la lumière de ces propos, je vais maintenant examiner les prétentions du demandeur. Essentiellement, le demandeur soutient que l’agent d’ERAR avait l’obligation de fournir des motifs adéquats pour justifier le rejet de la preuve documentaire à l’appui de sa demande. Étant donné que l'obligation de fournir des motifs augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question en regard des faits contestés, une déclaration générale selon laquelle l’agent a examiné la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve qu’il n'a pas analysés dans ses motifs semblent contredire carrément sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425). Par conséquent, le demandeur soutient que l’obligation de l’agent d’ERAR de fournir des motifs adéquats s’étend à sa conclusion relative à la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, surtout du fait que ceux-ci appuyaient sa position, et que tout manquement à cette obligation suffit pour que la Cour annule la décision (Babilly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1473).

 

[10]      Dans la lettre du 19 février 2006, signée par Tan Kim Tong, surintendant adjoint du quartier général de la police de Kuala Lumpur, on confirme que le demandeur a collaboré à l’enquête relative à une affaire de meurtre en 1985, et que sa collaboration a été grandement appréciée. Le troisième et dernier paragraphe fait état du risque que court le demandeur par suite de sa collaboration avec la police. M. Tong a écrit :

[traduction] Il est conseillé que M. Chong ne rentre pas en Malaisie puisque le meurtrier cherche à se venger des personnes qui ont fourni des renseignements menant à sa mise en accusation pour meurtre. Avant le procès, quatre des cinq témoins sont morts. Le service de police n’est pas en mesure d’offrir à M. Chong une protection 24 heures sur 24.

 

 

[11]      L’agent d’ERAR a évalué la preuve de la façon suivante :

[traduction] La lettre signée par le surintendant adjoint du quartier général de la police de Kuala Lumpur affirme que, grâce à la collaboration du demandeur, le meurtrier en question a été condamné à purger une peine de dix ans d’emprisonnement. Elle recommande que le demandeur ne rentre pas en Malaisie, étant donné que le « service de police n’est pas en mesure d’offrir à M. Chong une protection 24 heures sur 24 ».

 

En ce qui concerne cette lettre de la police, je ne l’ai pas prise en compte dans l’appréciation de la preuve relative à l’ERAR du demandeur pour les motifs suivants. D’abord, je ne suis pas convaincu qu’elle constitue un nouvel élément de preuve survenu depuis le rejet ou qui n’était alors pas normalement accessible. Ensuite, il n’y a pas suffisamment de preuve pour établir qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur l’ait présentée au moment du rejet.

 

[12]      En l’espèce, l’agent d’ERAR n’a pas simplement fait une « déclaration générale »  selon laquelle il avait pris en considération toute la preuve, mais il a plutôt traité directement de la question figurant dans la lettre, résumé le contenu de celle-ci et refusé d’en tenir compte à titre de nouvelle preuve, étant donné qu’elle ne répondait pas aux conditions prévues à l’alinéa 113a) de la Loi, qui sont les suivantes :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[13]      Bien qu’il soit vrai que l’agent d’ERAR n’a pas fourni expressément les motifs pour lesquels il en était arrivé à la conclusion que les conditions n’avaient pas été remplies dans la présente affaire, il est aussi vrai que la réponse à cette question est plutôt évidente, étant donné que la lettre en question ne fait que confirmer à grands traits le récit du demandeur concernant un meurtre commis vingt ans auparavant et une audience de détermination de la peine remontant à quinze ans, et que le demandeur n’a pas donné à l’agent d’ERAR les raisons pour lesquelles cette lettre n’avait pas été rédigée plus tôt et présentée à la SPR. Le fait que la lettre est datée du 19 février 2006 ne signifie pas qu'elle n’aurait pas pu être préparée plus tôt, compte tenu des faits qui y sont relatés. Comme dans la décision Yousef, précitée, on ne trouve dans cette lettre aucun nouveau fait, c’est-à-dire postérieur à l’audience tenue par la SPR. En outre, à défaut d’une preuve de la part du demandeur de circonstances l’ayant empêché d’obtenir la lettre plus tôt, elle ne constitue pas un élément de preuve qui n’était alors pas normalement accessible au moment de l’audience de la SPR. Ainsi, d’après la preuve dont disposait l’agent d’ERAR, la décision de refuser cette lettre, au motif qu’elle ne pouvait pas être considérée comme un nouvel élément de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la Loi, était plus que raisonnable.

 

[14]      Le demandeur, dans l’affidavit présenté à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, affirme qu’il n’était pas en mesure de produire cette lettre plus tôt, parce qu’il n’arrivait pas à trouver M. Tong, même avec l’aide de ses amis en Malaisie. Cependant, cette information ne se trouve nulle part dans les documents présentés à l’agent d’ERAR. De ce fait, cette explication n’a pas pu être prise en compte par l’agent dans son analyse et n’a pas d’incidence sur le caractère raisonnable de sa conclusion.

 

[15]      Compte tenu de ce qui précède, je suis d’accord avec le défendeur que l’agent d’ERAR n’a commis aucune erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[16]      En outre, j’ajouterai que, même si l’agent d’ERAR avait accepté ce « nouvel » élément de preuve, je ne suis pas persuadé qu’il aurait été suffisant pour l’emporter sur les conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité du demandeur, à l’invraisemblance de son récit et à l’existence de possibilités de refuge intérieur. Comme l’a précisé le juge Michel Beaudry dans la décision Waheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 329, au paragraphe 27 :

Une conclusion générale de manque de crédibilité peut s’appliquer au témoignage d’un demandeur dans son ensemble, et il ne peut pas être présumé que la preuve documentaire s’applique à une allégation qui n’est pas crédible : Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.); voir également Tsafack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 506 (1re inst.) (QL).

 

[17]      Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[18]      Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

       « Pierre Blais »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-4040-06

 

INTITULÉ :                                                                           CHEE PING CHONG c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’ IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 31 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 5 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Calvin Huong                                                                            POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

David Joseph                                                                            POUR LE DÉFENDEUR                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Calvin Huong                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général au Canada

Toronto (Ontario)

 

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