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Date : 20070607

Dossier : IMM‑1704‑06

Référence : 2007 CF 602

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

JOSE ROBERTO CARIAS

(alias JOSE ROBERTO CARIAS JUAREZ)

JOSE ROBERTO CARIAS MARTINEZ

JUAREZ PEREIRA DE CARIAS MARTA LIDIA

(alias MARTA LIDIA JUAREZ PEREIRA DE CA)

FERNANDO CARIAS JUAREZ

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (LIPR), les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en date du 28 février 2006, par laquelle elle a statué que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs demandent que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit réexaminée par une formation de la Commission différemment constituée.

 

Faits et procédures

 

[3]               Les demandeurs sont citoyens du Honduras. Pour plus de commodité, il sera ici question des quatre membres de la famille comme suit : Jose Roberto Carias Martinez (le père), Marta Lidia Juarez Pereira de Carias (la mère), Jose Roberto Carias Juarez (le fils aîné) et Fernando Carias Juarez (le fils cadet). Les allégations du père, de la mère et du fils aîné découlent de la participation du fils cadet à une enquête sur des agents de police et militaires honduriens corrompus ayant été mêlés à un réseau de vol de voitures. Les demandeurs disent avoir été menacés et persécutés en raison de la participation du fils cadet à l’enquête en question. Le père et la mère allèguent qu’ils craignent d’être persécutés en raison de leur appartenance à un certain groupe social, à savoir la famille Carias. Le fils aîné allègue qu’il craint d’être persécuté en raison de son appartenance à trois groupes sociaux : l’armée, les chrétiens et la famille Carias. Le fils cadet allègue qu’il craint d’être persécuté en raison de ses opinions antigouvernementales, qui ont pour source son enquête sur les fonctionnaires honduriens corrompus.

 

[4]               Le père a exposé le fondement de ses allégations dans la partie narrative du Formulaire de renseignements personnels (FRP) déposé en octobre 2003. Il y explique que sa situation d’homme relativement riche lui a attiré des difficultés. En 1997, son fils aîné a été enlevé, et une rançon lui a été demandée. Il a payé la rançon, et son fils lui a été rendu. Il n’a cessé d’être la cible d’un gang organisé, mais il ne pouvait pas se tourner vers les autorités, car les fauteurs avaient des liens avec la police. Un ami lui a conseillé de ne pas porter plainte à la police. Il a payé le gang régulièrement, mais, le 6 mai 2003, il a été battu et laissé à demi conscient. Il a quitté le Honduras pour se rendre aux États-Unis le 27 juin 2003. Il s’est ensuite dirigé vers le Canada où il est arrivé le 7 octobre 2003 et demandé l’asile. Au cours de l’audience, il a déclaré que sa fille Melisa, qui se trouvait encore au Honduras, était victime de menaces et d’agressions en raison de l’enquête effectuée par son fils cadet. La mère n’a pas fourni de description narrative dans son FRP : elle a renvoyé à celle de sa famille pour justifier sa crainte d’être persécutée. Elle a quitté le Honduras le 27 novembre 2003 et est arrivée au Canada, après avoir traversé les États-Unis, le 9 décembre 2003, où elle a aussitôt demandé l’asile.

 

[5]               Le fils aîné s’est expliqué sur sa crainte de persécution dans la partie narrative de son FRP, déposé en octobre 2003. Il a été militaire de 1984 à 1994, puis est passé dans l’enseignement. Il a été harcelé pour avoir quitté l’armée. Il a également été harcelé en raison de sa foi chrétienne, lorsqu’il est devenu pasteur. Il s’est aperçu ultérieurement que ces actes de harcèlement étaient le fait de membres de gang. En novembre 1997, il a été enlevé par un gang. Il aurait alors été battu et torturé. Il a été libéré trois jours après que son père eut versé une rançon. Il a fui aux États-Unis le 3 décembre 1997. Il y est resté légalement jusqu’au moment où il a rejoint son père au Canada en octobre 2003 pour demander l’asile. 

 

[6]               Le fils cadet était enquêteur à la Direction des enquêtes criminelles. Dans son FRP, daté de janvier 2004, il explique les raisons pour lesquelles il craint d’être persécuté au Honduras. En 1998, il a été nommé à la tête du service de lutte contre les vols de voitures. Après un certain nombre de vols, son service a pu arrêter des membres d’un réseau de vol de voitures. Lui et sa famille ont été victimes de menaces de mort, de harcèlement et de tentatives de meurtre en raison de sa participation à ces enquêtes. Sa maison aurait été incendiée et des coups de feu auraient été tirés, une bombe aurait fait exploser sa voiture, ses chiens auraient été tués et il aurait reçu un appel téléphonique d’une personne le menaçant de mort s’il ne mettait pas fin aux enquêtes.

 

[7]               Le fils cadet a rendu compte de ses enquêtes à ses supérieurs immédiats, qui n’ont cependant pas réagi parce qu’ils étaient corrompus. En fin de compte, le rapport a été remis à de hauts fonctionnaires qui, selon lui, recevaient des pots‑de‑vin. Il aurait été enlevé le 25 juillet 2002, puis torturé pendant deux jours. Ses ravisseurs lui ont enjoint de cesser ses enquêtes, faute de quoi sa famille serait tuée. Il a pris deux mois de congé et n’a pas repris les enquêtes à son retour. En décembre 2002, il  a reçu un coup de téléphone du ministre de la Défense qui lui a demandé de quitter le pays et l’a menacé de mort. Il a accepté à condition que sa femme et son enfant soient protégés. Il a réinstallé sa famille dans une autre région du Honduras et s’est enfui aux États-Unis en janvier 2003. Sa mère lui a appris ultérieurement qu’on avait tenté d’enlever son enfant. Il est arrivé au Canada le 9 décembre 2003 et y a demandé l’asile.

[8]               Les demandeurs ont déposé un FRP commun supplémentaire en août 2004. Selon leurs renseignements complémentaires, le fils cadet avait été contacté par téléphone en 1997, lorsque le fils aîné avait été enlevé, et on lui avait dit que l’enlèvement avait été ordonné par ceux qui faisaient l’objet de ses enquêtes. Les demandeurs ont été entendus par la Commission les 24 août 2004 et 5 mai, 14 septembre et 17 octobre 2005. Dans sa décision datée du 28 février 2006, la Commission a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. C’est cette décision que nous sommes invités à contrôler.

 

Motifs de la Commission

 

[9]               Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ne remettent pas en cause les conclusions de la Commission en matière de crédibilité.

 

[10]           La seule question dont je suis saisi est celle de savoir si les demandeurs sont des personnes à protéger aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. 

 

[11]           La Commission a conclu que les incidents suivants se sont effectivement produits :

RÉSUMÉ DES DEMANDES D’ASILE

 

En résumé, je conclus que les incidents suivants se sont produits :

 

1)      harcèlement verbal à l'endroit du deuxième demandeur d'asile en 1994‑1995;

2)      coups de feu tirés en direction de la voiture et de la maison du quatrième demandeur d'asile en 1996;

3)      enlèvement du deuxième demandeur d'asile contre versement d'une rançon en 1997;

4)      vol visant le premier demandeur d'asile en 2003;

5)      tentative non réussie d'enlèvement de la fille du quatrième demandeur d'asile en 2003;

6)      agression physique à l’endroit de Melisa en mars 2005.

 

 

Motifs de la Commission concernant l’article 97 de la LIPR

 

[12]           Aux pages 53 à 55 du dossier du tribunal, la Commission fait les observations suivantes :

À la lumière des six incidents susmentionnés, j’ai tenté de déterminer si l'un ou la totalité des demandeurs d'asile couraient un risque d'être personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s'ils retournaient au Honduras. Je conclus que le harcèlement verbal à l'endroit du deuxième demandeur d'asile ne lui a pas causé un tort suffisamment grave et, comme cet incident s’est produit il y a dix ans, je ne peux établir de façon objective le tort dont pourrait être victime l'un ou l'autre des demandeurs d'asile à l’avenir.

 

Les cinq autres incidents ont eu lieu entre 1996 et 2005. Cinq membres de la même famille ont vécu cinq types différents de crimes économiques et/ou violents. Selon le témoignage du premier demandeur d'asile, la famille Carias est perçue comme une famille bien nantie. Le FRP des demandeurs d'asile révèle qu'ils occupaient des postes professionnels au Honduras; par exemple, à titre d'agronome, d'enseignant, de mécanicien aéronautique et d'enquêteur. La preuve documentaire révèle qu'environ les deux tiers des ménages du pays vivent sous le seuil de la pauvreté et que 40 % de la population dispose de moins d’un dollar par jour pour vivre. Dans ce contexte, je conclus que les membres de la famille Carias sont perçus comme des gens relativement riches et sont donc victimes de crimes de nature économique.

 

La preuve documentaire révèle que la criminalité et la violence sont en hausse au Honduras. Amnistie internationale signale que [traduction] « les conditions socioéconomiques, la pauvreté qui frappe un pourcentage élevé de la population dans son ensemble, l'inefficacité du système judiciaire et de la police, le manque de confiance du public à leur égard, tout cela a créé une grande insécurité au sein de la population en général. Ces conditions ont [traduction]  ‘poussé bon nombre à fuir le pays’ ».

 

Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d'asile ainsi que les autres membres de la famille Carias qui sont toujours au Honduras ont été victimes d'actes criminels économiques aléatoires et isolés et parfois violents au cours de la dernière décennie en raison d'une augmentation de la criminalité au Honduras. J'estime donc que ces incidents ne permettent pas de croire que le premier, le deuxième, la troisième et le quatrième demandeurs d'asile seraient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture au Honduras.

 

CONCLUSION

 

Je conclus qu'il n'est pas raisonnable de croire que les demandeurs d'asile seront persécutés ou personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture pour les raisons susmentionnées. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés conclut que le premier, le deuxième, la troisième et le quatrième demandeurs d'asile n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger et rejette donc leur demande d'asile.

 

Question

 

[13]           Les demandeurs nous demandent de statuer sur la question suivante :

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les demandeurs étaient des cibles de premier choix en raison de leur richesse dans son évaluation du risque qu’ils pouvaient courir au Honduras? 

 

[14]           Je formulerais la question autrement :

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

 

Les observations des demandeurs

 

[15]           Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du fait qu’ils étaient des cibles de premier choix pour les criminels, de ce qu’ils ont vécu en conséquence et des risques personnels qu’ils couraient au Honduras. Ils font valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’ils appartiennent à un certain groupe social, à savoir une famille relativement riche victime de criminels et qu’ils risquent d’être de nouveau victimes de crimes violents. Dans l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, (1990), 73 D.L.R. (4th) 551 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsque la demande est fondée sur des conditions d’oppression généralisée, la question n’est pas de savoir si l’intéressé est plus en danger qu’une autre dans son pays, mais de savoir si la situation est suffisamment grave pour justifier la demande d’asile.

 

[16]           Les demandeurs font valoir que la criminalité est un grave problème au Honduras, mais que la police est inefficace et qu’ils en étaient des cibles privilégiées. Ils risquaient donc de faire l’objet de traitements cruels et inusités.  Selon eux, la Commission a commis une erreur en exigeant qu’ils fassent la preuve qu’ils seraient exposés à des risques à l’avenir plutôt que de leur appartenance à un groupe vulnérable. Dans la décision Cuevas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1169, le juge Kelen a estimé que le fait d’être victime de violence en raison de la richesse personnelle peut justifier une crainte de persécution. Les demandeurs considèrent qu’ils sont précisément dans ce genre de situation. Selon eux, les preuves attestent que la protection de la police est inefficace au Honduras. Par conséquent, estiment‑ils, la Commission a commis une erreur en leur imposant une norme trop élevée lorsqu’elle a demandé des preuves des risques personnels.

 

Les observations du défendeur

 

[17]           Selon le défendeur, la Commission n’a pas commis d’erreur en rendant une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Il fait valoir que la norme d’examen indiquée à cet égard est celle de la décision manifestement déraisonnable. 

 

[18]           Le défendeur fait valoir que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les crimes dont les demandeurs ont été victimes ne sont pas visés par la Convention. Selon lui, la preuve attestant que les demandeurs auraient été visés en raison des enquêtes effectuées par le fils cadet n’était pas crédible. Il estime que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention en raison de leur richesse ou du fait qu’ils ont été victimes de crimes (voir la décision Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1180). La Commission a conclu que les cinq membres de la famille Carias ont été victimes de crime à cinq reprises en neuf ans. Le défendeur fait valoir que la Commission avait conclu à juste titre que cela ne signifiait pas qu’ils courent un risque grave d’être menacés personnellement au Honduras, selon les critères de l’article 97 de la LIPR (voir les décisions Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385; Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459. 

 

[19]           Selon le défendeur, le risque d’être victime de crime couru par les demandeurs était général et non particulier, car il existe dans tout le pays. Il estime que le fait que les demandeurs aient été considérés comme une famille riche peut aggraver le risque qu’ils soient victimes de crime, mais que cela ne signifie pas que ce risque ne soit plus tout aussi général. Selon lui, la Commission a conclu à juste titre que le risque couru par les demandeurs était de nature générale.  

 

Analyse et décision

 

Norme de contrôle

 

[20]           La Commission a conclu que nul élément n’indiquait raisonnablement que les demandeurs risquaient d’être persécutés, personnellement menacés dans leur vie ou risquaient de subir des traitements cruels ou inusités ou d’être torturés s’ils retournaient au Honduras. Cette décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999) 173 F.T.R. 280, 2 Imm. L.R. (3e) 191 (C.F.P.I.)).

 

[21]           Question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

            La Commission a reconnu que la criminalité et la violence sont généralisées au Honduras et elle a conclu que les demandeurs en ont souffert :

1)      Harcèlement à l’égard du fils aîné en 1994-1995.

2)      Coups de feu sur la voiture et la résidence du fils cadet en 1996.

3)      Enlèvement du fils cadet en 1997.

4)      Vol visant le père en 2003.

5)      Tentative d’enlèvement de la fille du fils cadet en 2003.

6)      Agression physique contre Melisa en mars 2005.

La Commission a cependant conclu que cela ne prouvait pas que les demandeurs d'asile seraient persécutés ou personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture. Autrement dit, les demandeurs couraient les mêmes risques que tous les citoyens du Honduras.

 

[22]           Dans l’arrêt Salibian (précité), la Cour d’appel fédérale a suivi l’opinion doctrinale du professeur Hathaway concernant l’oppression généralisée :

[traduction] Compte tenu de la valeur probante des expériences vécues par des personnes dont la situation est semblable à celle du demandeur du statut de réfugié, il est ironique que les tribunaux canadiens se soient toujours montrés très réticents [page 259] à reconnaître les allégations de personnes dont la crainte de persécution est confirmée par les souffrances endurées par un grand nombre de leurs concitoyens. Au lieu de considérer le sort réservé à d'autres membres du groupe racial, social ou autre du demandeur comme le meilleur indicateur d'un éventuel préjudice, les décideurs ont privé de leurs droits les personnes dont les craintes étaient fondées sur l'oppression généralisée d'un groupe donné.

 

[…]

 

[traduction] En somme, tandis que le droit des réfugiés moderne s'attache à reconnaître la protection dont doivent bénéficier les demandeurs pris individuellement, la meilleure preuve que l’intéressé risque sérieusement d'être persécuté réside généralement dans le traitement accordé aux personnes placées dans une situation semblable dans le pays d'origine. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de demandes fondées sur des situations où l'oppression est généralisée, la question n'est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n'importe qui d'autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manoeuvres d'intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer la demande d’asile. Si des personnes comme le demandeur sont susceptibles de subir un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention.

 

(Non souligné dans le texte)

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            (Emphasis Add

[23]           Je suis d’avis que les demandeurs sont exposés à un risque généralisé qu’ils partagent avec beaucoup d’autres Honduriens, notamment ceux qui sont considérés comme riches, et que leur situation n’est pas suffisamment grave pour justifier une demande de protection.

 

[24]           Aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, la personne à protéger est celle dont le renvoi dans son pays d’origine l’exposerait à un risque personnel pour sa vie, à des traitement cruels et inusités ou à la torture, à condition qu’elle court ce risque partout dans le pays en question et que les autres habitants du pays ne soient pas dans la même situation. Dans la décision Osorio (précitée), le juge Snider déclare ce qui suit concernant le risque généralisé (paragraphes 24 à 27) :

Il me semble que c’est le bon sens qui doit déterminer la signification du sous‑alinéa 97(1)b)(ii). Disons les choses simplement : si les demandeurs ont raison de dire que les parents en Colombie forment un groupe exposé à un risque auquel les autres personnes de ce pays ne sont généralement pas exposées, cela veut dire que tout ressortissant colombien qui est un père ou une mère et qui vient au Canada est automatiquement une personne à protéger. Il ne peut pas en être ainsi.

 

Le risque décrit par les demandeurs et la Commission dans la présente affaire est un risque auquel des millions de Colombiens sont exposés; en fait, tous les Colombiens qui ont ou qui auront des enfants font partie de ce groupe. Il est difficile d’imaginer un groupe, à l’intérieur d’un pays, qui soit plus important ou considérable que le groupe formé par les « parents ».

 

De plus, je ne vois rien dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission à interpréter le mot « généralement » comme s’appliquant à tous les citoyens. Le mot « généralement » est communément utilisé dans le sens de « courant » ou « répandu ». Le législateur a délibérément choisi d’utiliser le mot « généralement » dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c’est le cas ici, je ne vois pas le besoin d’intervenir.

 

En conclusion, la Commission a raisonnablement conclu que le risque auquel le gendre et son épouse étaient exposés était un risque général qui ne fait pas d’eux des personnes à protéger au sens de l’article 97.

 

[25]           Les demandeurs sont membres d’un vaste groupe de personnes qui risquent d’être visés par des crimes économiques au Honduras parce qu’ils sont considérés comme riches. Ils font valoir que la Commission a commis une erreur en imposant une norme de contrôle trop stricte et en exigeant qu’ils fassent la preuve qu’ils seraient exposés personnellement à un risque. Compte tenu de la formulation du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, les demandeurs devaient convaincre la Commission qu’ils risquaient d’être personnellement exposés à un risque non partagé par les autres habitants du Honduras. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. 

 

[26]           Le défendeur propose que je certifie la question grave de portée générale suivante :

Les personnes victimes de crimes en raison de leur richesse ou du fait qu’on les considère riches sont‑elles exposées à un risque personnel qui n’est pas partagé par d’autres selon l’article 97 de la LIPR?

 

 

[27]           Les demandeurs se sont opposés à la certification. Je ne suis pas disposé à l’accorder pour ma part : la richesse n’est pas un motif suffisant pour justifier la demande présentée en vertu de l’article 97, et cela ne soulève pas de question suffisamment grave pour qu’elle mérite d’être certifiée, car le risque est généralisé.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

[28]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

ANNEXE

 

 

Dispositions législatives applicables

 

Les dispositions législatives applicables à l’espèce sont les suivantes.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27. :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1704‑06

 

INTITULÉ :                                       JOSE ROBERTO CARIAS

                                                            (alias JOSE ROBERTO CARIAS JUAREZ)

                                                            JOSE ROBERTO CARIAS MARTINEZ

                                                            JUAREZ PEREIRA DE CARIAS MARTA LIDIA

                                                            (alias MARTA LIDIA JUAREZ PEREIRA DE CA)

                                                            FERNANDO CARIAS JUAREZ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 FÉVRIER 2007

 

MOTIF DU JUGEMENT :               LE JUGE O’KEEFE

 

DATE :                                               LE 7 JUIN 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis Patel

 

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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