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Date : 20070509

Dossier : T-525-07

Référence : 2007 CF 503

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 mai 2007

En présence de l’honorable Barry Strayer

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

 

DAVID MORTON

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête soumise en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur d’obtempérer à la demande de renseignements et de documents que lui a signifiée le ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi.

 

II. Rappel des faits

[2]               Le défendeur était un dirigeant et un administrateur de la société Intelligent Software (1997) Ltd., dont il a démissionné avec effet au 2 février 1999. Il n’est pas contesté que la société a été dissoute le 14 septembre 2001 conformément à l’article 257 de la loi provinciale Company Act, R.S.B.C. 1996, c. 62.

 

[3]               La société s’est vue imposer des cotisations au titre de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur les produits et services qui s’établissent actuellement à 65 544 $ et à 22 597,73 $ respectivement. Sa dette d’impôt sur le revenu se rapporte à l’année d’imposition 1998.

 

[4]               Le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu porte que :

 

231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis:

 

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

b) qu’elle produise des documents.

 

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque -- appelé “tiers” au présent article -- la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

 

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément -- appelée “groupe” au présent article --, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit:

 

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

 

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

 

 

231.2. (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

 

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

 

(b) any document.

 

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

 

(a) the person or group is ascertainable; and

 

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

 

[5]               Le 10 janvier 2007 ou aux environs de cette date, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a signifié un avis par courrier recommandé au défendeur en vertu du paragraphe 231.2(1). L’avis de production de documents et de fourniture de renseignements portait le titre [traduction] « Dette fiscale de la société Intelligent Software Engineering (1997) Ltd. » et renvoyait aux états financiers de la société datés du 30 juin 1998, sur lesquels figurait la ligne suivante sous l’élément [traduction] « actifs » : « À recevoir de personnes liées... 66 927 $ ». Voici des extraits de l’avis en question :
[traduction]

1.         Veuillez fournir des précisions au sujet de l’identité de chacune des « personnes liées » en cause.

 

2.         Veuillez fournir des pièces justificatives et une explication de la manière dont la somme de 66 927 $ due à la société a été utilisée.

 

 

En réponse à l’avis, le défendeur s’est contenté du message suivant :
[traduction]

La société Intelligent Software Engineering (1997) Ltd. a été dissoute le 14 septembre 2001. Les registres et les livres comptables ne sont plus disponibles.

 

Étant donné que la demande octroyait 30 jours au défendeur pour produire les renseignements et les documents exigés après la réception de l’avis, et que celui-ci n’a pas obtempéré à la demande dans sa réponse, le ministre soumet la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance de production en vertu du paragraphe 231.7(1).

 

[6]               Le défendeur soulève deux objections. Premièrement, il soutient que l’avis notifié en vertu du paragraphe 231.2(1) ne peut être considéré comme valide puisque les renseignements ne sont pas demandés « pour l’application ou l’exécution de la [présente] loi [...] », tel que l’exige la disposition. Il réfute l’existence d’une dette puisque, selon lui, une société dissoute ne peut pas devoir de l’impôt sur le revenu et elle ne peut pas non plus avoir de créance sur des « personnes liées ». Deuxièmement, le défendeur fait valoir que l’avis est invalide puisque, en vertu du paragraphe 231.2(2), le ministre était tenu d’obtenir l’autorisation de la Cour avant de notifier à un tiers (lui-même en l’occurrence) une demande de production de renseignements concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément.

 

[7]               Le demandeur soutient pour sa part que le recouvrement d’une dette fiscale et les mesures prises à cet égard font partie intégrante de l’application ou de l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu telles qu’elles sont envisagées au paragraphe 231.2(1). L’avis de production de renseignements ne vise pas expressément à recouvrer une dette, mais il peut s’inscrire dans un processus de recouvrement qui pourrait avoir lieu ultérieurement si le ministre en venait à demander la reconstitution de la société, qui serait dans ce cas réputée avoir continué d’exister comme si elle n’avait jamais été dissoute, conformément au paragraphe 364(4) de la Business Corporations Act, S.B.C. c. 57. En ce qui a trait à la prétention du défendeur concernant l’obligation prévue au paragraphe 231.2(2) d’obtenir l’autorisation d’un juge pour exiger d’un tiers qu’il produise des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, le demandeur fait valoir que cette disposition ne s’applique pas en l’espèce dans la mesure où lesdites personnes ne font pas l’objet d’une enquête sur leur obligation fiscale.

 

III. Analyse

[8]               Concernant la première objection du défendeur, je ne crois pas que le ministre puisse être privé de son pouvoir d’exiger des renseignements en vertu du paragraphe 231.2 au seul motif qu’une société contribuable a été dissoute. Il m’apparaît plutôt que pour se préparer en vue d’une éventuelle mesure de recouvrement, il est légitime que le ministre puisse recueillir de l’information sur les actifs d’une société dissoute dont la reconstitution pourrait s’avérer nécessaire. À ma connaissance, si la société est reconstituée, tous les actifs retournés au gouvernement provincial à titre de biens vacants pourraient être rétablis en vertu de l’article 368 de la Business Corporations Act susmentionnée. Quoi qu’il en soit, si la société est reconstituée et que des « personnes liées » lui doivent de l’argent – comme c’est le cas de la société en cause selon son bilan de 1998 –, elles pourraient être saisies. Le défendeur se fonde essentiellement sur des écrits et la jurisprudence, en grande partie obsolètes et provenant d’autres ressorts, pour faire valoir une thèse très générale voulant qu’une société dissoute ne puisse pas avoir de dette ou de créance, et que ses actifs deviennent des biens vacants. Pour ce qui est de la jurisprudence canadienne en matière fiscale, il s’appuie principalement sur le jugement Thomas v. Minister of National Revenue, (1990) 90 D.T.C. 1806, rendu par la Cour canadienne de l’impôt. Or, ce n’est pas l’obligation de production de renseignements prévue au paragraphe 231.2(1) qui était en litige dans Thomas, mais l’incapacité en droit du ministre de saisir les débiteurs d’une société dissoute par application du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il s’agissait d’une tentative non équivoque de la part du ministre de recouvrer une dette due à une société dissoute. En l’espèce, les renseignements demandés ont trait aux actifs ayant appartenu à une société dissoute qui avait une dette fiscale et est susceptible d’être reconstituée aux fins du recouvrement.

 

[9]               Eu égard à la seconde objection du défendeur, qui allègue que le ministre doit obtenir l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(2) pour demander des renseignements à un « tiers » concernant des « personnes non désignées nommément », je ne suis pas convaincu. À mon avis, deux arrêts de la Cour d’appel fédérale font autorité sur cette question : Canada (Ministre du Revenu national) c. Banque Toronto Dominion, [2004] ACF No 1779, et Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c. Artistic Ideas Inc., [2005] ACF No 350. Force m’est d’admettre que j’ai eu de la difficulté à concilier les deux arrêts. Dans Banque Toronto Dominion, la Cour a jugé que le ministre ne pouvait pas exiger que la Banque lui fournisse le nom du titulaire d’un compte auquel il avait des raisons de croire que le débiteur fiscal avait transféré de l’argent pour dissimuler ses actifs. Dans ce cas, il était indubitable que la Banque était un « tiers ». Le ministre avait affirmé qu’il ne faisait pas d’enquête sur le titulaire du compte bancaire, et que le paragraphe 231.2(2) protégeait seulement les personnes non désignées nommément qui faisaient l’objet d’une enquête fiscale. La Cour a toutefois déclaré ce qui suit :

Les paragraphes 231.2(2) et (3) existent précisément pour protéger les personnes non identifiées qui ne sont pas sous enquête tout en permettant, avec un contrôle judiciaire, que, dans l’intérêt de la justice, la collecte de renseignements puisse se faire à l’égard de celles qui sont, de fait, sous enquête.

 

[10]           L’arrêt Artistic Ideas porte sur un marchand qui organisait la vente d’œuvres d’art à des personnes qui en faisaient ensuite don à des organismes de bienfaisance enregistrés et dont la valeur d’expertise très généreuse leur procurait une déduction fiscale très avantageuse. Le ministre avait demandé à Artistic Ideas de lui fournir les noms des organismes de bienfaisance et des donateurs. La Cour a conclu qu’Artistic Ideas devait fournir les noms des organismes de bienfaisance parce qu’ils ne faisaient pas l’objet d’une enquête, mais pas les noms des donateurs visés par une enquête. La Cour s’exprime ainsi au paragraphe 11 :

Par contre, les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles-mêmes l’objet d’une enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément [...]

 

 

[11]           En toute déférence, l’arrêt Artistic Ideas, rendu après l’arrêt Banque Toronto Dominion, énonce plus clairement l’intention du paragraphe 231.2(2). L’arrêt Artistic Ideas établit une distinction très nette entre les organismes de bienfaisance qui ne font pas l’objet d’une enquête et dont les noms devaient donc être fournis, et les donateurs sur qui le ministre enquêtait et dont l’identification ne pouvait donc être exigée.

 

[12]           Cela dit, je ne trouve pas la plus infime raison de considérer le défendeur comme un « tiers ». Il était dirigeant et administrateur de la société durant l’année d’imposition 1998, soit l’année au cours de laquelle le « bilan » visé par la demande de renseignements détaillés a été produit et joint à la déclaration de revenus. Ces renseignements sont demandés en appui à l’identification des actifs de l’ancienne société du défendeur en vue du recouvrement possible de la dette fiscale de celle-ci. En bref, les renseignements demandés concernent l’ancienne société du défendeur, et non un « tiers ». Le simple fait que les renseignements demandés au sujet des actifs inscrits au bilan pourraient révéler l’identité des personnes sur qui la société avait alors une créance ne fait pas de la procédure une enquête sur leur obligation fiscale.

 

IV. Décision

[13]           Je vais par conséquent rendre une ordonnance de production, avec dépens, sous la forme demandée par le demandeur.


ORDONNANCE

 

 

VU la demande présentée par le ministre du Revenu national (le ministre) et faisant l’objet de l’audience du lundi 7 mai 2007 au palais de justice sis au 701, rue West Georgia, à Vancouver (Colombie-Britannique);

ET APRÈS examen des pièces déposées par le ministre et audition des observations de son avocate ainsi que de celles de l’avocat du défendeur;

ET ÉTANT CONVAINCUE QUE :

1)               Les conditions ont été respectées pour l’octroi d’une ordonnance contre le défendeur en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu lui enjoignant de fournir les renseignements ou les documents demandés par le ministre en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, ces conditions étant :

a)                  que le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige le défendeur à fournir les renseignements et documents exigés par le ministre;

b)                  que le défendeur a fait défaut de fournir ces renseignements et documents;

c)                  que le privilège avocat-client ne s’applique pas aux renseignements et documents exigés par le ministre;

LA COUR ORDONNE au défendeur de fournir les renseignements et documents demandés par le ministre en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à savoir :

a)      des précisions au sujet de l’identité des [traduction] « personnes liées » auxquelles font référence les états financiers de la société Intelligent Software Engineering (1997) Ltd. du 30 juin 1998;

            b) des pièces justificatives et une explication de la manière dont la somme de 66 927 $ due à la société Intelligent Software Engineering (1997) Ltd. a été utilisée.

LA COUR ORDONNE EN OUTRE au défendeur de transmettre, dans tous les cas au plus tard dans les 30 jours après avoir été notifié de la présente ordonnance, les renseignements et documents demandés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à un fonctionnaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada agissant sous l’autorité conférée par la Loi de l’impôt sur le revenu, ou à une autre personne désignée par le commissaire des douanes et du revenu.

LA COUR AUTORISE PAR AILLEURS le ministre à faire signifier à personne la présente ordonnance au défendeur.

ENFIN, LA COUR ADJUGE des dépens de 450 $ au ministre.

 

« Barry Strayer »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-525-07

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. DAVID MORTON

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 mai 2007

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :  LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE :                                                                                   Le 9 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Elizabeth (Lisa) McDonald

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Alastair Wade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Gourlay Spencer Wade LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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