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Date : 20070614

Dossier : T-2187-06

Référence : 2007 CF 639

Winnipeg (Manitoba), 14 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

GEORGE SMITH et GEORGE

 SMITH TRUCKING LIMITED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DU TRAVAIL et

 SA MAJESTÉ LA REINE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les défendeurs présentent une requête visant l’obtention d’un jugement sommaire en vertu de l’article 213 des Règles de la Cour fédérale (1998). Selon eux, l’action des demandeurs devrait être rejetée parce qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse.

[2]               Le 12 décembre 2006, les demandeurs ont institué une action contre les défendeurs par voie de déclaration. Ils alléguaient la saisie déraisonnable d’un chariot élévateur à fourches en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et réclamaient un montant de 500 000 $ à titre de dommages-intérêts.

[3]               George Smith est un dirigeant et administrateur de George Smith Trucking Limited, dont il est la tête pensante, entreprise de camionnage sous réglementation fédérale assujettie aux dispositions du Code canadien du travail. Les demandeurs n’étaient pas représentés par avocat pour la présente requête.

[4]               En avril 2004, les demandeurs ont fait l’objet d’une mesure d’exécution prise par des fonctionnaires de la direction des normes du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) à la suite d’une plainte selon laquelle le chariot élévateur à fourches en cause, dont la conception originale avait été modifiée, était dangereux.

[5]               Après avoir inspecté le chariot élévateur à fourches le 1er avril 2004, un inspecteur de la direction des normes du travail (DNT) a ordonné que des réparations soient effectuées sur le mécanisme de direction et, quelques jours plus tard, un autre ordre a interdit l’utilisation du chariot élévateur à fourches avec les rallonges de fourches modifiées existantes ou avant que le problème de direction ait été corrigé. Le 19 avril 2004, un autre ordre a été donné concernant le rail de guidage tordu et la chaîne de levage usée du chariot élévateur à fourches. Selon cet ordre, le chariot élévateur à fourches devait être mis hors d’usage jusqu’à ce qu’il soit réparé ou modifié convenablement par un ingénieur qualifié.

[6]               Aucun de ces ordres n’a été porté en appel dans le cadre de la procédure d’appel interne existante ni contesté devant les tribunaux judiciaires.

[7]               Après avoir découvert que le chariot élévateur à fourches était utilisé en violation des ordres, la DNT a demandé et obtenu sur consentement (je le souligne) une injonction, décernée par le juge Pinard le 3 juin 2004, interdisant aux demandeurs d’utiliser ou de faire fonctionner le chariot élévateur à fourches jusqu’à ce qu’il ait été donné suite à tous les ordres.

[8]               À la suite d’une allégation de violation de l’injonction du juge Pinard, le juge Heneghan de la Cour a, le 5 juillet 2004, statué qu’il y avait eu violation à première vue de l’injonction du juge Pinard et ordonné aux demandeurs de comparaître devant la Cour pour expliquer les motifs pour lesquels ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal pour cette violation.

[9]               Avant la tenue de l’audience pour outrage au tribunal le 13 janvier 2005 devant mon collègue, le juge Beaudry, la DNT a demandé et obtenu, le 21 juillet 2004, une injonction interlocutoire ordonnant la mise sous séquestre du chariot élévateur à fourches jusqu’à la conclusion de la procédure relative à l’outrage au tribunal.

[10]           Le dossier indique que les demandeurs ont reçu signification du dossier de requête le 19 juillet 2004, mais qu’ils n’ont pas comparu pour contester la demande d’ordonnance. Se fondant sur les documents dont il disposait, le juge Shore a conclu que tout préjudice sur les plans de la santé et de la sécurité découlant de la continuation de l’utilisation du chariot élévateur à fourches serait irréparable et que la protection de la santé et de la sécurité l’emportait sur les intérêts des demandeurs à demeurer en possession du chariot élévateur à fourches qu’on leur avait enjoint de ne pas utiliser ni de faire fonctionner.

[11]           Les demandeurs n’ont pas interjeté appel de l’ordonnance du juge Shore.

[12]           Enfin, le 21 mars 2005, le juge Beaudry a statué que le demandeur était coupable d’outrage au tribunal du fait de la violation de l’ordonnance du juge Pinard. Il a condamné le demandeur à des amendes et aux dépens et a ordonné qu’il puisse être disposé du chariot élévateur à fourches si les demandeurs ne se conformaient pas aux ordres dans les 180 jours de cette ordonnance.

[13]           Les demandeurs n’ont pas interjeté appel de la déclaration d’outrage rendue par le juge Beaudry ni des amendes et de l’ordonnance de disposition.

[14]           Je conviens avec l’avocat des défendeurs que les demandeurs n’ont pas démontré que leur action soulevait une véritable question litigieuse. Leur action est tellement douteuse qu’elle ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès. (Voir la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.), rendue par ma collègue la juge Tremblay-Lamer.)

[15]           Suivant l’arrêt de la Cour suprême R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, il est clair que la saisie du chariot élévateur à fourches ne saurait être qualifiée de déraisonnable. Elle a été autorisée par mon collègue le juge Shore dans le cadre d’une procédure à laquelle les demandeurs ont participé.

[16]            À l’audience ce matin, M. Smith a soutenu pour le compte des demandeurs qu’il existait une véritable question litigieuse parce que les défendeurs n’avaient pas établi, comme l’exige l’arrêt McKinlay Transport, précité, que l’ordonnance du juge Shore était étayée par des motifs raisonnables et crédibles établis sous serment. Cette prétention est dénuée de fondement. Mon collègue disposait de l’affidavit non contesté de M. Andrew McKechnie, daté du 19 juillet 2004, qui faisait état de l’ordonnance d’interdiction sur consentement rendue par le juge Pinard et du fait que, dans son état actuel, le chariot élévateur à fourches était dangereux et indiquait qu’il avait des inquiétudes quant à la sécurité de ceux qui l’utilisaient et qui travaillaient à proximité du chariot.

[17]           Les demandeurs ont choisi de ne pas contre-interroger M. McKechnie et de ne pas déposer des affidavits contradictoires contestant ces faits.

[18]           À l’audience ce matin, M. Smith a cependant cherché à attaquer l’ordonnance de saisie en invoquant des témoignages livrés devant le juge Howell de la Cour provinciale du Manitoba dans le cadre d’une accusation de violation d’une disposition du Code canadien du travail, à savoir les ordres mentionnés plus haut. Le procès tenu devant le juge Howell a eu lieu les 21 et 22 novembre 2005, soit bien après la saisie du chariot élévateur à fourches. La majorité des extraits que m’a présentés George Smith visaient à démontrer que la DNT n’avait jamais eu aucune preuve que le chariot élévateur à fourches était dangereux. Le juge Howell n’a formulé aucune conclusion quant à savoir si le chariot élévateur à fourches était dangereux ou non. Cette question était sans rapport avec la question qu’il avait à trancher. Il a déclaré les demandeurs coupables de ne pas s’être conformés aux ordres de la DNT et leur a imposé une amende de 1000 $ pour chacun des chefs.

[19]           J’irai même plus loin. On ne saurait permettre la poursuite de l’action parce qu’elle constitue une attaque indirecte inadmissible contre des ordres de la DNT ou des ordonnances de la Cour qui auraient pu être portés en appel. Les éléments de preuve que M. Smith a présentés ce matin étaient disponibles lorsque les ordonnances judiciaires en cause ont été prononcées. Ainsi, l’action est futile et vexatoire et constitue un usage abusif de la procédure judiciaire.

 

JUGEMENT

 

1.      L’action est rejetée et les dépens sont fixés à 1000 $.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2187-06

 

INTITULÉ :                                                   George Smith et George Smith Trucking Limited c. le ministre du Travail et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           14 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                                 14 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

George Smith

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Jeff Dodgson

Ministère de la Justice

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

George Smith

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

ON HIS OWN BEHALF

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

FOR THE DEFENDANTS

 

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