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Date : 20070615

Dossier : IMM-3192-06

Référence : 2007 CF 623

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

DANIUS SABADAO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable que M. Eric Therriault, agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR), a rendue à son égard le 24 mai 2006.

 

 

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

[2]               L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur de droit en omettant d’évaluer le risque auquel le demandeur serait exposé en tant que personne exclue en vertu des alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est négative. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Le demandeur, un citoyen des Philippines, est arrivé au Canada le 6 avril 1991 comme marin à bord du NM Waterklerk. Le 17 avril 1991, il a présenté une demande d’asile en invoquant avoir été pris pour cible par des membres de la Nouvelle Armée du peuple (la NAP) en raison de son refus de quitter l’armée et de se joindre à leurs rangs à titre d’officier d’entraînement.

 

[5]               Le 11 août 1993, sa demande a été rejetée à cause de son manque de crédibilité mais également parce qu’on a jugé qu’il avait été complice des violations des droits de la personne commises contre la NAP par l’armée philippine pendant qu’il y avait été en service de mars 1979 à février 1984. Il a donc été exclu en vertu des alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[6]               Le 23 février 1994, après s’être marié avec une citoyenne canadienne, le demandeur a retiré l’appel qu’il avait interjeté contre cette décision. Il a obtenu le statut de résident au Canada grâce au parrainage de son épouse sans avoir déclaré dans sa demande qu’il avait été exclu du Canada. Le 1er mars 2001, il a été déclaré non admissible par la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

 

[7]               En novembre 2005, la Cour d’appel fédérale a rendu son arrêt concernant l’appel interjeté par le demandeur auprès de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de l’ordonnance d’expulsion. La Cour d’appel a jugé que le demandeur n’avait pas droit d’appel auprès de la SAI. De même, le 7 mars 2006, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’encontre de la décision de la Section d’arbitrage.

 

[8]               La première demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 4 décembre 2002. La Cour est actuellement saisie de la deuxième demande d’ERAR du demandeur datée du 12 mai 2006 et des conclusions défavorables de l’agent d’ERAR à son égard.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[9]               Après avoir examiné les allégations du demandeur et la nouvelle preuve documentaire, l’agent d’ERAR a conclu que les documents présentés ne permettaient pas d’établir un lien avec les risques que le demandeur prétend courir. De plus, la preuve ne contenait rien qui n’eût pas déjà été examiné dans les instances antérieures.

 

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[10]           La Cour a établi que les décisions des agents d’ERAR étaient assujetties aux normes de contrôle habituelles, soit, pour les questions de fait, la décision manifestement déraisonnable, pour les questions mixtes, la décision raisonnable simpliciter et pour les questions de droit, la décision correcte (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, [2005] A.C.F. no 540 (C.F.) (QL)).

 

[11]           Dans la présente affaire, les questions sont de nature purement factuelle. L’agent d’ERAR était chargé d’évaluer les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur à l’appui de ses allégations selon lesquelles la NAP exercerait contre lui des représailles et le torturerait. L’agent n’a jamais eu, en l’espèce, à interpréter le droit ou à l’appliquer aux faits qui reposaient entièrement sur la preuve documentaire. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Ainsi, la Cour n’interviendra pas sauf si le demandeur réussit à établir que la décision de l’agent d’ERAR est, sans l’ombre d’un doute, déraisonnable.

 

[12]           Ce n'est d’emblée pas le cas en l'espèce. Le demandeur conteste la décision relative à l’ERAR sur le fondement que l’agent d’ERAR a omis de tenir compte du fait qu’il pourrait être exposé à un grand risque s’il était renvoyé aux Philippines, étant donné qu’il avait été déclaré non admissible par le Canada, qui lui reprochait d’avoir été complice des atrocités commises par l’armée philippine dont il avait fait partie pendant cinq années déterminantes au cours desquelles des crimes contre l’humanité avaient été commis.

 

[13]           La prétention du demandeur serait valable si celui-ci était en mesure d’établir qu’il a fourni la preuve d’un tel risque et que l’agent d’ERAR a omis, par inadvertance ou d’une manière arbitraire, de tenir compte de la preuve dont il disposait.  Dans sa deuxième demande, le demandeur mentionne le risque suivant, [traduction] « je crois toujours que je serai pris pour cible par la NAP si on me reconnaît. On se souviendra de mon refus à joindre leurs rangs [...] » (p. 237 du dossier du tribunal). Ce risque a été pris en compte, examiné et rejeté par le premier agent d’ERAR.

 

[14]           La nouvelle preuve documentaire présentée par le demandeur a également été prise en compte et examinée par le deuxième agent d’ERAR, qui a conclu qu’elle ne constituait pas de nouveaux éléments de preuve permettant d’établir un lien avec les risques qu’il prétendait courir. Je ne peux voir aucune erreur susceptible de contrôle en l'espèce (Dreta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, [2005] A.C.F. no 1053 (C.F.) (QL)).

 

[15]           L’agent d’ERAR est tenu d’examiner toute la preuve présentée par le demandeur et n’a pas à rechercher des renseignements que le demandeur aurait dû fournir. C’est pourquoi, lorsque l’agent d’ERAR tient compte d’éléments de preuve extrinsèques importants et pertinents susceptibles d’avoir une incidence sur la demande du demandeur, les règles d’équité procédurale exigent que de tels éléments de preuve soient portés à la connaissance du demandeur en question afin qu’il puisse présenter des observations à l’agent d’ERAR avant qu’il rende sa décision. En outre, dans les cas où l’application des règles d’équité procédurale a été jugée insatisfaisante, la Cour a décidé de sanctionner un tel manquement et de renvoyer l’affaire à un autre agent d’ERAR pour nouvel examen.

 

[16]           Rien dans la preuve du demandeur présentée à l’agent d’ERAR ne suscitait un examen de l’idée novatrice voulant que le demandeur ayant un profil qui le stigmatisait, cela aurait dû, selon son avocat, faire prendre conscience à l’agent d’ERAR que le demandeur était susceptible d’être mis en état d’arrestation et de subir des peines cruelles et inusitées, selon la situation particulière dans le pays d’origine. En effet, le demandeur ne fait aucune mention de cette question dans son affidavit, qu’il a soulevée pour la toute première fois dans son mémoire des arguments.

 

[17]           Les parties ont attiré l’attention de la Cour sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.). Le demandeur plaide que sa situation peut être distinguée d’avec les faits de la décision en matière de motifs d’ordre humanitaire dont il était question dans l’arrêt Owusu, où le juge John Evans a conclu que l’obligation de l’agent d’immigration de tenir compte de certains motifs aux fins de réparation ne s’impose que lorsque celui-ci dispose d’éléments de preuve suffisants qui seraient pertinents ou liés à de tels motifs. Le demandeur soutient que, dans la présente affaire, l’agent d’ERAR disposait d’éléments de preuve suffisants à partir de la conclusion sur les « crimes de guerre » pour se voir obligé d’entreprendre son examen des risques avant renvoi à partir de là.

 

[18]           Je conclus que l’arrêt Owusu, précité, n’est d’aucun secours au demandeur. Le juge Evans a écrit au paragraphe 5 :

L’agent d’immigration qui examine une demande pour des raisons d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l’expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l’obligation n’existe que lorsqu’il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu’une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée.

 

[19]           En aucun temps le demandeur n’a affirmé dans sa demande d’ERAR que, s’il retournait aux Philippines, il serait exposé à un grand risque du fait qu’il avait été déclaré non admissible par le Canada, qui lui reprochait d’avoir été complice des atrocités commises par l’armée philippine. L’argument du demandeur doit donc être rejeté. Les agents d’ERAR peuvent être blâmés à bien des égards mais lire dans les pensées n’en fait pas partie.

 

[20]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-3192-06

 

INTITULÉ :                                                                           DANIUS SABADAO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 13 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 15 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pia Zambelli                                                                              POUR LE DEMANDEUR      

 

Sylviane Roy                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pia Zambelli                                                                              POUR LE DEMANDEUR Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

 

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