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Date : 20070615

Dossier : IMM-3815-06

Référence : 2007 CF 643

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2007

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

SHAKO DJEDI

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Il fonde sa demande d’asile sur sa crainte alléguée d’être persécuté du fait de son soutien politique et financier aux « Rwandophones du Sud Kiwi ». Dans une décision datée du 12 juin 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]        La Commission n’a pas cru les allégations du demandeur, principalement pour les motifs suivants :

 

  • La Commission a souligné que les actes de persécution allégués par le demandeur s’étaient produits à Bukavu pendant une période où, selon ce qu’il avait déclaré dans le formulaire de traitement de la demande au Canada (le formulaire IPI), il était étudiant dans une autre ville.

 

  • La Commission a également constaté que les adresses indiquées par le demandeur dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son formulaire IPI n’étaient pas les mêmes.

 

  • La Commission a estimé que les contradictions constatées en ce qui concerne la date et la durée de sa ou de ses présumées détentions minaient sa crédibilité.

 

Questions en litige

[3]        Le demandeur affirme que la Commission a commis des erreurs relativement à chacun des motifs qu’elle a invoqués. Les questions en litige dans la présente demande sont par conséquent les suivantes :

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne saisissant pas pleinement les explications fournies quant aux contradictions constatées au sujet des dates où le demandeur étudiait et en s’attendant à ce qu’il rectifie non seulement son FRP, mais aussi son formulaire IPI?

 

  1. En ce qui concerne la confusion créée au sujet de l’adresse du demandeur, la Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que deux adresses différentes étaient indiquées dans le formulaire IPI?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne signalant pas au demandeur la contradiction relevée au sujet du nombre de détentions?

 

Analyse

[4]        Ainsi qu’il a déjà été mentionné, la décision de la Commission reposait sur sa conclusion générale que les allégations de persécution du demandeur n’étaient pas crédibles. Pour ce qui est des deux premières questions en litige, le demandeur remet essentiellement en question les conclusions de fait qui ont été tirées. La norme de contrôle est donc celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire que la décision ne sera infirmée que si la Commission a tiré sa conclusion (i) soit de façon abusive ou arbitraire, (ii) soit sans tenir compte des éléments dont elle disposait. De plus, toute erreur de fait doit avoir joué un rôle déterminant dans la décision.

 

[5]        La troisième question se rapporte à un manquement présumé à l’équité procédurale, dont le contrôle n’est assujetti à aucune norme en particulier. Si elle conclut à un manquement à l’équité procédurale, la Cour doit plutôt annuler la décision.

 

[6]        Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue la principale question qui a été soumise à la Commission, en l’occurrence celle de l’endroit où se trouvait le demandeur lors des persécutions alléguées. Le demandeur doit en outre démontrer qu’il se trouvait à Bukavu au moment des persécutions alléguées étant donné qu’il incombe aux demandeurs d’asile d’établir qu’ils satisfont à tous les éléments de leur demande (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, au paragraphe 6).

 

[7]        Gardant ces considérations à l’esprit, je passe maintenant à l’analyse des erreurs reprochées à la Commission.

 

Première question : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne saisissant pas pleinement les explications fournies quant aux contradictions constatées au sujet des dates où le demandeur étudiait et en s’attendant à ce qu’il rectifie non seulement son FRP, mais aussi son formulaire IPI?

[8]        Au début de l’audience de la Commission, l’avocat du demandeur a corrigé deux erreurs dans les documents soumis à la Commission avant de déclarer ensuite que le reste était « juste et exact ». Il n’a apporté aucune correction au formulaire IPI. Or, la Commission a constaté une divergence importante entre le FRP et le formulaire IPI, en l’occurrence le fait que la persécution relatée par le demandeur était censée s’être produite à Bukavu, alors qu’il était écrit dans le formulaire IPI qu’il étudiait à Kinshasa à ce moment-là. La Commission s’est ensuite servie de cette divergence pour justifier sa conclusion que le demandeur n’était pas crédible.

 

[9]        Le demandeur affirme que la Commission n’a pas saisi son explication selon laquelle quelqu’un d’autre avait écrit les déclarations contenues dans le formulaire IPI; il ajoute que la Commission a commis une erreur en s’attendant à ce qu’il corrige à l’audience les notes prises lors de son entrevue IPI.

 

[10]      Il convient tout d’abord de souligner qu’il y a des contradictions évidentes entre les renseignements contenus dans le formulaire IPI et ceux qui se trouvent dans le FRP. Étant donné que le demandeur ne s’est pas prévalu de la possibilité de corriger les erreurs contenues dans le formulaire IPI, tant au moment où le formulaire a été rempli qu’au début de l’audience, la Commission a rejeté son explication que ces contradictions démontraient uniquement qu’il y avait une erreur dans le formulaire.

 

[11]      Le demandeur tente de discréditer cette conclusion en affirmant qu’il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il aurait pu corriger le formulaire IPI à l’audience ou au moment où il a été rempli. Je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point. Non seulement l’avocat du demandeur a‑t‑il été en mesure de corriger d’autres erreurs au début de l’audience, mais le demandeur a signé, au bas du formulaire IPI, une déclaration suivant laquelle tous les renseignements fournis dans ce document étaient exacts et complets. Peu importe l’identité de la personne qui a rempli le formulaire, il n’en demeure pas moins que le demandeur a bel et bien déclaré que tous les renseignements qu’il contenait étaient « justes et exacts ». Comme le demandeur est intervenu, par l’intermédiaire de son avocat, pour corriger le FRP, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de présumer que les autres erreurs, dans le FRP ou dans les autres documents versés au dossier, avaient été corrigées.

 

[12]      Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise.

 

Deuxième question : En ce qui concerne la confusion créée au sujet de l’adresse du demandeur, la Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que deux adresses différentes étaient indiquées dans le formulaire IPI?

[13]      Le second aspect du récit du demandeur qui permettait de douter de sa crédibilité avait trait aux multiples adresses qu’il avait indiquées dans son FRP, dans son formulaire IPI et au cours de l’audience. Le demandeur reconnaît que la preuve présentée a pu créer de la confusion au sujet de son adresse. On peut résumer comme suit la preuve et les explications du demandeur :

 

  • Dans son formulaire IPI, il donne comme adresse, pour la période de 1995 à 2005, le 23, avenue Kasavubu, à Bukaru et le 5, avenue Marine, à Kinshasa. Bien qu’il ait expliqué que l’adresse de Kinshasa était celle de ses parents dont il se servait aussi, il y avait d’autres contradictions.

 

  • Dans son FRP, il est écrit qu’il était plutôt domicilié au 40, avenue Kasavubu, entre 1995 et 2004. À l’audience, il a expliqué cette contradiction en précisant qu’au cours de cette période, il habitait aux deux adresses. Il a ensuite affirmé avoir habité d’abord au numéro 23, puis au numéro 40, pour ensuite inverser cet ordre dans les explications qu’il a données à la Commission, ainsi qu’il est indiqué à la page 15 de la transcription de l’audience de la Commission.

 

  • L’adresse qui est indiquée sur sa carte de membre de l’UDPS est le 639, avenue Yumbu, à Kinshasa. Il a expliqué cette contradiction par le fait que ses parents sont propriétaires de deux parcelles de terrain. La première est située sur l’avenue Marine, où se trouve la maison. Il pouvait toutefois utiliser les deux adresses.

 

[14]      Sur ce point, la Commission a estimé que pareille confusion ne lui permettait pas de savoir où le demandeur avait vraiment habité pendant la période où il prétendait avoir été persécuté et qu’il y avait lieu de conclure à un manque de crédibilité.

 

[15]      L’argument qu’invoque le demandeur pour contester cette conclusion de la Commission est qu’elle a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui expliquaient les apparentes contradictions et en tirant ensuite un conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité (Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (CAF)). Dans le même ordre d’idées, le demandeur soutient que la Commission ne peut pas faire abstraction des explications logiques données par un demandeur d’asile au sujet d’une contradiction mineure qui ne se rapporte pas au fond du débat (Wei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 285).

 

[16]      Le problème que pose cet argument est que la Commission n’a pas tant fait abstraction des éléments de preuve que refusé de croire les explications données par le demandeur, explications que, de toute évidence, la Commission n’a pas trouvées convaincantes au sujet d’une contradiction qui, loin d’être mineure, portait sur l’essentiel même de la demande. Aucune erreur susceptible du contrôle n’a donc été commise.

 

Troisième question : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne signalant pas au demandeur la contradiction relevée au sujet du nombre de détentions?

[17]      L’affirmation du demandeur suivant laquelle il serait exposé à un risque s’il était contraint de retourner en RDC repose sur le fait qu’il a déjà été arrêté et torturé pour ses actes (ou ses opinions). Invité à fournir des précisions au sujet de son arrestation, il a donné deux dates différentes et deux durées différentes pour ce qui aurait dû être le même incident. Dans son formulaire IPI, le demandeur écrit en toutes lettres à la question 4 qu’il avait été arrêté et détenu pendant 30 jours en 2004, et qu’il avait été battu et torturé pendant cette période. Ces renseignements sont identiques à ce qu’a écrit l’agent d’immigration dans ses notes d’entrevue. Toutefois, dans son FRP, le demandeur écrit qu’il a été arrêté en 2003 et a été détenu pendant 15 jours, à la suite d’une attaque de membres de la milice Mai-Mai, et qu’il a été battu et torturé. Il ajoute qu’il a par la suite été arrêté à huit ou neuf reprises et que, chaque fois, il a été gardé en cellule pendant une quinzaine de jours. La Commission a estimé que ces éléments de preuve contradictoires minaient aussi la crédibilité du demandeur. La Commission n’a cependant pas soulevé cette question à l’audience.

 

[18]      Le demandeur affirme maintenant que la Commission a commis une erreur en ne lui signalant pas ces contradictions et ne lui donnant pas la possibilité de clarifier la preuve.

 

[19]      Il n’y a aucun doute qu’il y a des contradictions importantes au sujet du nombre de fois où le demandeur a été détenu et de la durée de la détention (ou des détentions). Il s’agit de contradictions flagrantes qui touchent à l’essence même de l’allégation de persécution, et la Commission a agi de façon raisonnable en tirant une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité sur ce fondement. La question soulevée par le demandeur est celle de savoir si la Commission était tenue de lui signaler ces contradictions avant de tirer une conclusion en se fondant sur celles‑ci.

 

[20]      Je conviens avec le demandeur qu’on a affaire à une contradiction qui « exige une explication ». Il est toutefois également vrai que ce ne sont pas toutes les contradictions qui doivent être portées à l’attention du demandeur (Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (C.F. 1re inst.) (QL)). En l’espèce, la contradiction est évidente et provient de déclarations que le demandeur a lui-même signées. De plus, le demandeur était représenté par un avocat à l’audience, de sorte que la question aurait pu être soulevée par l’avocat lors de l’interrogatoire.

 

[21]      Pour étayer ses arguments sur ce point, le demandeur cite une brève annotation que l’on trouve dans la déclaration annexée aux notes prises par l’agent d’immigration lors de l’entrevue aux bureaux d’Etobicoke (et qui fait partie du formulaire IPI). Dans cette déclaration, il est mentionné que le demandeur a été victime à maintes reprises de violences de la part des autorités ce qui, selon le demandeur, corrobore au lieu de contredire son allégation qu’il a été détenu à de nombreuses reprises (8 ou 9 fois selon son FRP) après sa première arrestation et que la Commission aurait dû tenir compte de ces faits.

 

[22]      Bien que le demandeur ait raison d’affirmer que la Commission a omis de mentionner ces faits, il n’en demeure pas moins que le fait d’être malmené par les autorités n’est pas nécessairement la même chose que d’être arrêté et détenu pendant plusieurs semaines à huit ou neuf reprises. La Commission n’a pas agi de façon déraisonnable en se concentrant sur les passages où il était question de détentions et en ne mentionnant pas les mauvais traitements allégués.

 

[23]      En somme, les éléments de preuve relatifs à la détention (ou aux détentions) du demandeur font ressortir des contradictions qui étaient flagrantes et qui n’obligeaient pas la Commission à se livrer à de l’interprétation ou à des conjectures. Le défaut de la Commission de signaler cette contradiction au demandeur à l’audience ne constitue donc pas une erreur susceptible de contrôle.

 

Conclusion

[24]      En conclusion, j’estime après avoir lu la décision de la Commission dans son ensemble qu’elle n’est pas manifestement déraisonnable et qu’elle ne révèle pas un manquement à l’équité procédurale. Je ne crois pas que la décision de la Commission devrait être infirmée. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[25]      Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale et je ne vais donc pas certifier de question.

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

  1. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Judith A. Snider

________________________

                                                                                                                     Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3815-06

 

INTITULÉ :                                                   SHAKO DJEDI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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