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Date : 20070615

Dossier : IMM-5138-06

Référence : 2007 CF 645

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2007

EN PRÉSENCE DE :                        Madame la juge Snider

 

ENTRE :

ROBERT NSABIMANA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]        Le demandeur appartient à l’ethnie tutsie et il est citoyen du Burundi. Il fonde sa demande de protection sur la crainte alléguée de persécution de la part d’agents non gouvernementaux du fait de son appartenance à un groupe social, en l’occurrence sa famille. Dans une décision datée du 23 août 2006, une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]        Le fondement de la décision de la Commission est le manque de crédibilité. Dans ses motifs, la Commission a examiné un certain nombre de volets de la preuve, notamment le témoignage du demandeur et celui de son frère. Au terme de l’examen, la Commission a tiré les conclusions clés suivantes :

 

  • La Commission n’a pas jugé crédible le récit du demandeur au sujet d’attaques perpétrées sur la voiture de la tante du demandeur et sur la maison familiale en 2005.

 

  • La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve convaincants à l’appui de sa prétention selon laquelle des groupes rebelles s’intéressaient à lui, essentiellement à la lumière des conclusions suivantes : a) entre 2001 et 2005, le demandeur n’avait subi aucun harcèlement ni aucune intimidation à Cibitoke et b) le demandeur n’a jamais été membre d’un groupe pacifiste ni un rastafarian.

 

Les questions soulevées

[3]        Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions dans ses observations écrites initiales et en réponse, mais il en a traité quatre seulement devant moi. Ces questions peuvent être formulées comme suit :

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur de fait importante quand elle a déclaré que le demandeur avait l’intention d’aller étudier à l’étranger?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en attaquant la crédibilité du demandeur au motif de déclarations contradictoires dans une demande de visa antérieure?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en compte l’effet du profil du demandeur sur la perception de celui-ci par les agents de la persécution?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne rejetant pas expressément le témoignage du frère du demandeur, témoin à l’audience?

 

L’analyse

[4]        Comme je l’ai noté, la décision de la Commission repose sur la conclusion générale que le récit de persécution du demandeur n’était pas crédible. S’agissant de toutes les questions soulevées, le demandeur conteste essentiellement des conclusions de fait. La norme de contrôle est le caractère manifestement déraisonnable, au sens où la décision ne sera annulée que si la Commission a rendu sa décision i) d’une manière abusive et arbitraire ou ii) sans tenir compte des documents dont elle était saisie. En outre, l’erreur de fait doit être importante pour la décision (Rohm et Haas Canada Ltd. c. Canada (Tribunal anti-dumping), (1978) 91 D.L.R. (3d) 212, [1978] A.C.F. n° 522 (C.A.) (QL); Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] A.C.F. n° 565 (C.A.) (QL)).

 

[5]        Cette norme étant posée, je passe aux erreurs spécifiques qui ont été alléguées.

 

La première question : la Commission a-t-elle commis une erreur de fait importante quand elle a déclaré que le demandeur avait l’intention d’aller étudier à l’étranger?

[6]        Dans sa décision, la Commission a déclaré que, d’après le témoignage du demandeur, celui‑ci avait l’intention d’aller étudier à l’étranger. Comme l’a reconnu le défendeur, cette déclaration était incorrecte, le demandeur ayant témoigné qu’il avait l’intention de rester dans son pays pour aider au soutien de ses parents. La Commission a commis cette erreur deux fois dans ses motifs. Toutefois, contrairement aux observations du demandeur, je ne conclus pas qu’il s’agit d’une erreur importante qui justifierait d’accueillir la présente demande. Bien que l’erreur figure dans les motifs au sujet de la période de temps où sont survenus les incidents allégués, elle n’est pas cruciale pour la décision.

 

La deuxième question : la Commission a-t-elle commis une erreur en attaquant la crédibilité du demandeur au motif de déclarations contradictoires dans une demande de visa antérieure?

[7]        En 2005, le demandeur a obtenu un visa d’étudiant pour aller faire des études aux États‑Unis (dossier certifié du tribunal, page 42). La demande de visa comportait certains renseignements que la Commission a évalués dans sa décision, en faisant les observations suivantes :

 

[traduction]

J’accepte que le demandeur vivait avec sa grand-mère à Cibitoke et y avait terminé ses études secondaires. Il a produit le certificat d’études afférent. Cependant, rien ne confirme que le reste de la famille ait quitté Bujumbura à un moment ou à un autre. La demande de l’étudiant indique que le père de celui-ci avait une case postale et un compte de banque à Bujumbura. Le demandeur a témoigné que ces documents sont faux et ont été contrefaits par sa tante Sophie pour établir qu’il provenait d’une famille stable vivant dans un bon quartier de Bujumbura, en vue d’obtenir le visa. L’explication est insuffisante.

 

[8]        Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur des contradictions en regard du visa d’étudiant et en déclarant qu’il y avait une contradiction entre les renseignements du visa du demandeur et d’autres éléments de la preuve. En fait, le demandeur a reconnu facilement avoir menti dans sa demande de visa. Le demandeur s’appuie sur la jurisprudence pour soutenir que les renseignements d’une demande de visa ne doivent pas être utilisés pour attaquer la crédibilité du demandeur (Fajardo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 157 N.R. 392, 21 Imm. L.R. (2d) 113, [1993] A.C.F. n° 915 (C.A.F.) (QL); Quinteros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 82 A.C.W.S. (3d) 980, [1998] A.C.F. n° 1363 (QL)). Il ne s’agit pas d’une affaire où la Commission a rejeté la demande en raison d’omissions dans la demande de visa. La Commission a plutôt examiné les renseignements de la demande de visa dans le contexte de l’ensemble du récit présenté par le demandeur. Cela dit, l’usage fait de la contradiction n’est pas, en l’espèce, déraisonnable ou à l’encontre de la jurisprudence.

 

La troisième question : la Commission a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en compte l’effet du profil du demandeur sur la perception de celui-ci par les agents de la persécution?

[9]        Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas en considération si le demandeur serait perçu comme un activiste pacifiste et un rastafarian par des groupes rebelles, sans égard au fait qu’il en soit un ou non. À mon avis, la Commission a réellement évalué si le demandeur était perçu comme associé aux activistes pacifistes et aux rastafarians :

 

[traduction]

… le demandeur a vécu quatre ans à Cibitoke, de 2001 à 2005, sans être victime d’aucun incident de harcèlement ou d’intimidation… L’absence de tout incident menaçant de quelque nature que ce soit indique qu’au cours des quatre années d’absence de Raoul, le demandeur n’était pas « recherché » par les sans-échec.

 

(Dossier certifié du tribunal, page 19)

 

[10]      Si le demandeur avait été perçu comme associé aux activistes pacifistes et aux rastafarians, il aurait vraisemblablement été en mesure de fournir des éléments de preuve attestant qu’il avait été menacé ou ciblé d’une autre manière. L’absence de tout élément de preuve de cette nature appuie l’idée selon laquelle le demandeur n’est pas perçu comme une personne d’intérêt. La seule existence d’une preuve documentaire portant que certaines personnes sont perçues comme des menaces pour les groupes rebelles et que des milliers de personnes sont en détention pour leurs croyances, telles qu’on les perçoit, ne signifie pas, à défaut d’autres éléments, qu’une personne donnée sera ainsi perçue. S’agissant de ces faits, la preuve établissant que le demandeur avait été laissé tranquille pendant une période de quatre ans justifie de conclure qu’il ne serait pas perçu comme associé aux activistes pacifistes et aux rastafarians. La Commission n’a pas commis d’erreur.

 

La quatrième question : la Commission a-t-elle commis une erreur en ne rejetant pas expressément le témoignage du frère du demandeur, témoin à l’audience?

[11]      Le frère du demandeur a témoigné à l’audience. Il a fourni des éléments de preuve sur la situation de la famille quand il est revenu au Burundi pour une visite, notamment sur les incidents allégués de l’incendie de la voiture et de l’entrée par effraction dans la maison de Bujumbura. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne rejetant pas expressément les éléments de preuve présentés par son frère.

 

[12]      Comme l’a noté le demandeur, la jurisprudence confirme que le défaut de prendre dûment en considération le témoignage fourni par un témoin constitue une erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle (voir, par exemple, Lai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 906 (C.A.) (QL); Camille c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 877 (C.A.) (QL)). Toutefois en l’espèce, la Commission a fait état du témoignage du frère du demandeur. En fait, la Commission a également dégagé des conclusions sur la vraisemblance ou l’invraisemblance de la preuve. Par exemple :

 

[traduction]

En outre, Raoul a témoigné que ce n’est qu’au moment où il est arrivé au Burundi qu’il a appris que le quartier de la famille à Bujumbura était sécuritaire. Il a témoigné avoir d’abord habité chez un ami, par crainte de retourner dans son ancien quartier. Il n’est pas vraisemblable ou raisonnable qu’à peine quelques jours plus tard, il ait convaincu toute la famille de se déraciner pour revenir à la maison familiale à Bujumbura.

 

(Dossier certifié du tribunal, page 21)

 

[13]      Le demandeur fait également valoir que la Commission a commis une erreur en ne fournissant pas de motifs clairs et explicites pour rejeter le témoignage de son frère (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 130 N.R. 236, [1991] A.C.F. n° 228 (C.A.F.) (QL)). Je ferai d’abord remarquer que l’extrait ci-dessus semble rejeter le témoignage du frère pour son invraisemblance, particulièrement quand on le lit en regard du reste des motifs sur les incidents allégués de 2005.

 

[14]      Quoi qu’il en soit, j’estime que le demandeur interprète de manière trop étroite la conclusion de l’arrêt Hilo. Je note d’abord qu’au premier chef, la Commission cherche à établir la crédibilité du récit du demandeur, ce qui est la fonction centrale de la Commission. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Hilo, la Commission est « dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant ». À mon avis, ce critère a été rempli. La Commission a justifié « en termes clairs et explicites » pourquoi elle doutait de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit allégué par le demandeur. Ces motifs, à mes yeux, établissent clairement quels éléments du récit fait par le demandeur des attaques à Bujumbura ont été rejetés et ce pourquoi ils l’ont été. Cela suffit pour satisfaire aux critères exposés dans l’arrêt Hilo.

 

[15]      Somme toute, je ne suis pas persuadée que le rejet explicite du témoignage du frère sur les deux incidents de Bujumbura était nécessaire. Quand on lit la décision dans son ensemble, il est clair que la Commission a rejeté le récit des attaques à l’époque comme invraisemblable. Sans identifier explicitement la source et la nature des éléments de preuve, la Commission donne des motifs adéquats pour conclure à l’invraisemblance du récit. À mon avis, la Commission a suivi en l’espèce la jurisprudence exposée dans les arrêts Camille et Hilo, précités, et n’a pas commis d’erreur en ne nommant pas le frère au sujet de ce seul point.

 

Conclusion

[16]      En conclusion, prise dans son ensemble, la décision de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable. À la lumière des nombreux problèmes décelés dans la demande du demandeur, la seule erreur relevée ne fournit pas de fondement suffisant qui permettrait d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas convaincue que la décision de la Commission doit être annulée et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[17]      Aucune des parties n’a proposé de question à faire certifier. Je conviens que les questions en litige dans l’espèce ne soulèvent pas de question d’intérêt général et je ne certifierai aucune question.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.      Aucune question d’intérêt général n’est certifiée.

 

           « Judith A. Snider »

__________________________

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5138-06

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT NSABIMANA c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         LE 15 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Micheal Crane

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Maria Burgos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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