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Date : 20070619

Dossier : IMM-4804-06

Référence : 2007 CF 644

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2007

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

 

TEDDY JOSE RIVALDO ESCORCIA,

ROSA HORTENCIA OSORIO CASTELLANOS,

GABRIEL ALEJANDRO RIVALDO,

HEINER ANDRES RIVALDO ESCORCIA

ET TEDDY ALEXANDER RIVALDO OSORIO

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Teddy Jose Rivaldo Escorcia (le demandeur principal), sa femme, Rosa Hortencia Osorio Castellanos, et leurs enfants, Heiner Andres Rivaldo Escorcia, Teddy Alexander Rivaldo Osorio et Gabriel Alejandro Rivaldo cherchent à obtenir la protection du Canada. Sauf Gabriel Alejandro, qui est citoyen des États-Unis, tous sont des citoyens de la Colombie. Le demandeur principal fonde sa demande de protection sur la crainte alléguée de persécution de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) pour des motifs d’opinion politique et pour son appartenance à un groupe social particulier, le Département administratif de sécurité (le DAS). Les autres membres de la famille fondent leur demande sur leur appartenance à un groupe social particulier, à savoir la famille.

 

[2]        Dans une décision datée du 9 août 2006, une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur principal est exclu de la protection en vertu de la section 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) parce qu’il s’est rendu complice de crimes contre l’humanité. La Commission a également conclu que les autres membres de la famille n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Les conclusions clés de la Commission

[3]        La Commission a conclu que le DAS ne vise pas une fin limitée et brutale et que, dans cette mesure, la complicité doit être établie par l’examen de six facteurs permettant de déterminer s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur principal participait personnellement et en connaissance de cause aux crimes du DAS.

 

[4]        La Commission a conclu à l’existence de renseignements convaincants, crédibles et corroborés à l’appui de l’allégation selon laquelle le DAS a commis des crimes méritant l’exclusion et le demandeur principal devait être tenu complice de ces crimes. La Commission a conclu que les faits établissent que le demandeur principal était un membre informé et actif d’une organisation responsable du meurtre, de la torture et de la disparition forcée à grande échelle ou systémiques de personnes et de groupes considérés comme agissant à l’encontre des intérêts de la Colombie. Compte tenu du poste occupé par le demandeur principal au DAS, soit chef de la Section du renseignement, la Commission a conclu qu’elle n’estimait pas crédible que le demandeur principal n’ait jamais entendu parler ou n’ait jamais eu quelque connaissance de ce qui se passait, à moins qu’il ait délibérément choisi de ne pas en tenir compte.

 

[5]        La Commission, en notant que la femme et les enfants s’appuyaient sur le récit du demandeur principal pour justifier leurs demandes, a conclu que les agresseurs allégués ne s’intéressaient pas aux demandeurs. Par conséquent, la Commission a conclu que les membres des FARC recherchaient le demandeur principal et ne recherchaient pas sa famille.

 

Les questions soulevées

[6]        Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal est exclu de la protection accordée aux réfugiés en vertu de l’alinéa 1F a) de la Convention?

 

2.                  Au terme de sa conclusion d’exclusion, la Commission était-elle tenue de rendre une décision sur l’inclusion du demandeur principal?

 

3.                  Les motifs de la Commission fournissent-ils une analyse suffisante relative à la famille conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)?

 

L’analyse

Principes généraux de l’exclusion

[7]        Avant d’aborder les questions spécifiques soulevées dans la présente demande, il serait utile de passer en revue les principes généralement acceptés régissant la décision d’exclusion.

 

[8]        L’objet de la section 1F de la Convention est de veiller à ce que des auteurs de crimes graves n’aient pas droit à la protection internationale dans le pays où ils demandent l’asile (voir, par exemple, l’arrêt Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CAF 125, 253 D.L.R. (4th) 606, [2005] A.C.F. n° 584 au paragraphe 22 (C.A.F.) (QL)). Point qui intéresse particulièrement la présente demande, les crimes contre l’humanité sont une catégorie de crimes expressément mentionnée. L’alinéa 1F a) prévoit :

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 …

 

 

 

[9]        Ce principe du droit de la protection internationale est inscrit à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui dispose :

 

La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

 

[10]      Par conséquent, par l’effet de la conclusion de la Commission portant que cet article s’applique au demandeur principal, celui-ci ne peut être déclaré réfugié au sens de la Convention ni personne à protéger en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR. En d’autres termes, ces personnes n’ont pas droit à ce qui est décrit comme « l’asile » (Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, 243 D.L.R. (4th) 385, [2004] A.C.F. n° 1142 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 33, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] C.S.C.R. n° 418). Comme l’a déclaré le juge Pelletier dans l’arrêt Xie :

 

Ceux qui font lobjet de lexclusion prévue à larticle 98 n'ont pas droit à lasile mais peuvent présenter une demande de protection à létape de lexamen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait daccorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui lasile a été conféré.

 

[11]      Une audience en matière d’exclusion en vertu de la section 1F n’est pas de la nature d’un procès en matière criminelle, où la culpabilité ou l’innocence doivent être établies hors de tout doute raisonnable. Comme l’a expliqué le juge Malone, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lai, précité, au paragraphe 25 :

 

De manière générale, la Commission doit évaluer et apprécier la preuve qu’elle a jugée crédible ou digne de foi en l’occurrence, et décider si on a satisfait ou non au critère minimal des « raisons sérieuses de penser » que les crimes graves de droit commun allégués ont été commis (voir Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, paragraphes 309 et 311 (C.A.)). La norme de preuve qu’il faut utiliser dans l’application du critère minimal va au delà du simple soupçon mais sans aller jusqu’à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve (voir la décision Zrig au paragraphe 174; et Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, pages 312 à 314 (C.A.)).

 

[12]      Il importe également de noter que la Commission n’a pas besoin de conclure que le demandeur principal a personnellement commis les crimes. La définition du crime contre l’humanité embrasse le fait d’être complice du crime (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 303, 259 D.L.R. (4th) 281, [2005] A.C.F. n° 1567 (C.A.F.) (QL)).

 

[13]      La jurisprudence établit aussi clairement que plus le demandeur participe au processus décisionnel de l’organisation et moins il cherche à contrecarrer la perpétration des actes criminels énumérés à l’alinéa 1F a) de la Convention, plus il est vraisemblable que la Commission conclura qu’il y a des raisons sérieuses de penser que la personne était complice dans la perpétration de ces crimes (Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, 107 D.L.R. (4th) 424, [1993] A.C.F. n° 912 au paragraphe 53 (C.A.F.) (QL); Collins c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 732 au paragraphe 25, 276 F.T.R. 60; Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, 163 N.R. 197, [1993] A.C.F. n° 1145 au paragraphe 10 (C.A.F.) (QL)).

 

[14]      Cependant, quand elle prend en considération le poste d’une personne au sein de l’organisation qui a commis un crime en vertu de l’alinéa 1F a) de la Convention, la Commission doit également pondérer ce facteur par les circonstances qui établissent que la personne visée a protesté contre le crime, cherché à l’arrêter ou cherché à quitter l’organisation (Sivakumar, précité, au paragraphe 10; voir également Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] 2 C.F. 79, 71 F.T.R. 171, [1993] A.C.F. n° 1292 au paragraphe 6 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[15]      Le juge Pinard, dans la décision Justino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1138, 152 A.C.W.S. (3d) 117, est allé plus loin et il a déclaré au paragraphe 10 :

 

Le rang qu’occupe une personne au sein d’une organisation, notamment, dénote la probabilité que cette personne connaisse les agissements répréhensibles de l’organisation et qu’elle y participe. Il n’est toutefois pas nécessaire d’occuper un poste de premier plan pour être considéré comme complice.

 

[16]      Par conséquent, le poste d’une personne dans l’organisation peut établir aux yeux de la Commission que cette personne en était membre personnellement et en connaissance de cause et, en fin de compte, établir la complicité de cette personne dans la perpétration des crimes de l’organisation.

 

[17]      En l’espèce, comme l’organisation ne vise pas une fin limitée et brutale, la Commission doit examiner la nature des actes de l’organisation et le rôle de la personne au sein de l’organisation. Dans la décision Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092, au paragraphe 12, 141 A.C.W.S. (3d) 612, le juge Hughes a simplifié l’analyse que doit faire la Commission pour décider s’il y a des raisons sérieuses de penser qu’un demandeur s’est rendu complice des crimes visés à l’alinéa 1F a) de la Convention en énumérant six facteurs que la Commission devrait considérer :

 

1.      la nature de l’organisation;

 

2.    la méthode de recrutement;

 

3.    le poste ou le grade au sein de l’organisation;

 

4.    la période de temps passée dans l’organisation;

 

5.      la possibilité de quitter l’organisation;

 

6.      la connaissance des atrocités commises par l’organisation.

 

(Voir également Ardila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1518, 143 A.C.W.S. (3d) 1072, [2005] A.C.F. n° 1876 (C.F.) (QL).)

 

La première question : les erreurs alléguées dans la conclusion d’exclusion

[18]      Le demandeur principal soutient que le tribunal exagère et déforme la nature du DAS et particulièrement de la complicité organisationnelle alléguée du DAS à des crimes. Le demandeur principal affirme que la Commission n’a pas fondé sa conclusion portant que le DAS participait à des crimes contre l’humanité sur des éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Au contraire, la Commission ne tient pas compte des fonctions légitimes, essentielles et bénéfiques du DAS sur le plan de la sécurité de l’État en Colombie. Le demandeur principal fait valoir que la mention sur des documents des [traduction] « forces de sécurité » n’entraîne pas que ces forces de sécurité comprennent d’office le DAS, et qu’il s’agit là d’une erreur inique et arbitraire. De la même manière, le demandeur principal soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve établissant qu’il aurait eu une connaissance directe de la participation du DAS dans la perpétration de crimes et que la Commission a commis une erreur en dégageant cette conclusion. Dans l’élaboration de sa conclusion relative à la durée des services qui étayent une conclusion de complicité, le demandeur principal prétend que la Commission a fait erreur.

 

[19]      Dans la suite du mémoire des demandeurs, le demandeur fait valoir que la Commission aurait dû décider si le demandeur principal était un complice des crimes sur le fondement de l’alinéa 1F a) de la Convention et qu’il n’existe aucune conclusion à l’égard d’aucun crime particulier.

 

[20]      S’agissant de la question de l’exclusion par la voie de la section 1F de la Convention (ou de l’article 98 de la LIPR), la décision de la Commission fera généralement l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable (Médina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 62, [2006] A.C.F. n° 86 (C.F. 1re inst.) (QL); Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1204, 142 A.C.W.S. (3d) 319, [2005] A.C.F. n° 1461 aux paragraphes 8 et 9 (C.F.) (QL)), étant entendu que des conclusions de fait particulières seraient naturellement soumises à une norme plus rigoureuse. Selon la norme du caractère raisonnable, la Cour ne peut intervenir que dans le cas où la décision ne résiste pas à un examen assez poussé.

 

[21]      Dans sa décision, la Commission a étudié en détail les six facteurs que le juge Hughes a présentés dans la décision Bedoya, précitée. Le demandeur conteste en particulier la conclusion de la Commission au sujet de la nature de l’organisation, de la période de temps passée dans l’organisation et de la connaissance qu’il avait des atrocités commises par l’organisation.

 

[22]      S’agissant du caractère du DAS, première question, contrairement aux observations du demandeur principal, la Commission a bien reconnu les fonctions légitimes du DAS :

 

[traduction]

Le DAS a été constitué en 1962 pour organiser le renseignement relatif aux efforts de l’État contre l’insurrection. Il est divisé en quatre branches principales : le renseignement, la protection, les enquêtes et les affaires étrangères.

 

Le DAS fait partie des forces de sécurité publique en Colombie et les mentions des « forces de sécurité » dans la documentation sur les droits de la personne doivent être interprétées comme incluant le DAS. Si le DAS est une organisation indépendante qui relève du Président, il est reconnu qu’une partie du mandat du DAS était de recueillir des renseignements sur toute organisation qui travaillait contre la constitution colombienne et que le DAS fournissait des rapports de renseignements au Président et à ses conseillers, qui les transmettaient ensuite aux militaires et/ou à la police. Le demandeur principal a déclaré que cette unité échangeait des renseignements techniques avec la police et effectuait en équipe avec la police des missions contre des groupes subversifs[…]

 

(Dossier certifié du tribunal, page 14)

 

[23]      De plus, la Commission est raisonnablement arrivée à la conclusion que [traduction] « le DAS a participé directement au meurtre, à la torture et aux enlèvements en Colombie sur une large échelle ou de manière systématique et il a collaboré avec les paramilitaires, se rendant complice des mêmes crimes que les autres ». Il existe en effet une preuve documentaire abondante à l’appui de cette conclusion et de l’idée que le DAS recourt à des violations des droits de la personne « dans le cadre ordinaire » de ses activités ou que ces violations sont « entrées dans ses mœurs » (Justino, précitée, au paragraphe 16; Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 173, [1992] A.C.F. n° 109 au paragraphe 37 (C.A.F.) (QL)).

 

[24]      Par exemple, la Commission interaméricaine des droits de l’homme rapporte que le DAS figure au nombre des organisations publiques qui ont commis des violations aux droits de l’homme (Dossier du demandeur, page 81). De même, le Comité interéglises des droits humains en Amérique latine rapporte que, selon le Groupe de travail des Nations-Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, le DAS figure au nombre des responsables des disparitions au cours de 1993 (Dossier du demandeur, page 141). Un rapport du Conseil économique et social des Nations Unies a affirmé que le Rapporteur spécial avait reçu des rapports faisant état d’assassinats et de menaces reliés aux disparitions et aux massacres ultérieurs, en 1990, de plus de 40 personnes à Trujillo et que des enquêtes ont indiqué que le DAS y avait participé (Dossier du demandeur, page 185). Le rapport de 1995 du Secrétariat d’État des États-Unis sur les pratiques des Droits de l’homme en Colombie a signalé que trois détectives du DAS avaient été mis en accusation pour leur participation présumée à des actes de torture. Le rapport de 1996 du Secrétariat d’État des États-Unis affirme que le DAS faisait l’objet d’une enquête au sujet de cas de torture. Dans ses motifs, la Commission a présenté en détail ces violations alléguées des droits de la personne ainsi que d’autres commises par le DAS (Dossier certifié du tribunal, pages 15 à 21).

 

[25]      En plus de sa participation directe à des violations des droits de la personne, le DAS, en tant qu’organe du renseignement, a travaillé main dans la main avec les autorités colombiennes et les paramilitaires. L’appartenance à une organisation qui commet des crimes internationaux n’est pas une condition essentielle dans le cas où, comme en l’espèce, la relation entre la personne et l’organisation peut être établie (Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 1209 (C.A.F.) (QL), A-400-95). En l’espèce, la preuve établit que le DAS était très engagé dans les crimes tant des forces militaires que paramilitaires. Plus particulièrement encore, la preuve comporte de nombreuses références au rôle du DAS dans la région de Sucre, où le demandeur principal a été en poste pour une longue période de temps. Par conséquent, en se fondant sur ces faits et même en l’absence d’éléments de preuve (ce qui n’est pas le cas), la Commission pouvait raisonnablement conclure que le DAS était une organisation qui, par la prestation de services de renseignements aux auteurs de violations des droits de la personne et par sa collaboration avec eux, pratiquait de manière continue et régulière des violation des droits de la personne.

 

[26]      De la même manière et contrairement aux observations du demandeur principal, il n’y avait rien de déraisonnable dans la conclusion de la Commission portant que le demandeur principal avait une connaissance directe de la participation du DAS dans la perpétration des crimes allégués.

 

[27]      Le demandeur principal a été membre du DAS pendant environ 13 ans, s’étant joint volontairement à l’organisation le 17 octobre 1983 (Dossier certifié du tribunal, pages 52 et 804). Il a commencé comme détective et enquêteur, puis a été promu chef du renseignement à Sucre en 1991 et, en 1994, il a été chef des enquêtes à Riohacha, ce qui correspond au poste de chef du renseignement (Dossier certifié du tribunal, pages 52 et 830). Le demandeur principal a témoigné qu’à titre d’enquêteur/détective, il était responsable de la collecte des renseignements et de l’information à l’aide de diverses techniques, notamment la collaboration de civils tels que des agriculteurs. En qualité de chef du renseignement, il dirigeait un certain nombre de détectives et assumait la gestion de la collecte des renseignements et de l’information (Dossier certifié du tribunal, page 52).

 

[28]      Ainsi, le demandeur principal a déclaré dans son témoignage qu’il assistait aux réunions de sécurité en compagnie de membres de haut rang du DAS, de la police, de l’armée et de fonctionnaires de l’État et qu’il y apprenait les violations qui étaient commises. Il a témoigné qu’il faisait rapport à ses supérieurs de ce qu’il entendait (Dossier certifié du tribunal, pages 845 et 846). Le demandeur principal a aussi témoigné avoir été informé des violations de l’armée par ses détectives qui travaillaient sur le terrain (Dossier certifié du tribunal, pages 863 et 864), ce qui correspond aux éléments de preuve documentaire (Dossier certifié du tribunal, pages 512 à 789). Il a aussi été informé des violations commises par le DAS par les journaux, la radio, les télécopies internes et les enquêtes internes (Dossier certifié du tribunal, pages 877 et 900). Cela correspond aux rapports faisant état de violations commises par le DAS dans la preuve documentaire présentée à la Commission.

 

[29]      Le demandeur principal a témoigné qu’il a rarement eu le sentiment que les ordres donnés par le DAS étaient incorrects ou inappropriés (Dossier certifié du tribunal, page 890) et il a également déclaré qu’il n’aurait pas quitté le DAS s’il n’avait pas reçu des menaces de mort de la part des FARC (Dossier certifié du tribunal, page 911). Sur la foi de ce témoignage, la Commission peut raisonnablement déduire qu’il partageait l’objectif du DAS et avait une connaissance personnelle des violations des droits de la personne commises par le DAS (Penate, précitée, au paragraphe 14).

 

[30]      Le demandeur principal occupait un poste d’encadrement au DAS comme chef du renseignement, ce qui dénote la probabilité qu’il connaissait les agissements répréhensibles de l’organisation et y participait (Justino, précitée, au paragraphe 10). Le demandeur principal n’a fourni aucun élément de preuve établissant qu’il avait pris des mesures pour empêcher la commission d’actes criminels. En outre, il n’a pas quitté l’organisation à la première occasion pour se dissocier du DAS et des actes criminels allégués de l’organisation. On peut raisonnablement conclure de cette attitude qu’il partageait l’objectif de l’organisation (Justino, précitée, au paragraphe 10).

 

[31]      L’espèce n’est pas sans rappeler la décision El-Kachi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 403, [2002] A.C.F. n° 554 aux paragraphes 24 à 26 (C.F. 1re inst.) (QL), où la Cour a conclu que la preuve étayait la conclusion de la Commission selon laquelle l’organisation avait commis des crimes et que, sur la foi de la preuve, la conclusion de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable. De même, la Cour a conclu que le demandeur avait joint les rangs de l’organisation attaquée et y avait travaillé pendant 16 ans et qu’il avait été promu à un grade où il dirigeait 45 hommes. La Cour a conclu qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure sur la base de ces faits que le demandeur avait participé à l’organisation parce qu’il partageait ses objectifs et souhaitait collaborer à leur réalisation, ce qu’il a effectivement fait. Enfin, la Cour a conclu que le demandeur savait que l’organisation avait commis des crimes et le demandeur a reconnu à l’audience qu’il était au courant de crimes particuliers.

 

[32]      Bref, sur cette question, la décision de la Commission relative à l’exclusion n’est pas déraisonnable.

 

La deuxième question : l’inclusion du demandeur principal

[33]      Le demandeur soutient que, nonobstant la conclusion de la Commission sur l’exclusion du demandeur principal en vertu de l’alinéa 1F a) de la Convention et de l’article 98 de la LIPR, la Commission était tenue d’examiner le fond de la demande du demandeur principal visant l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention. De même, le demandeur fait valoir que l’examen de la question de l’exclusion avant celle de l’inclusion a constitué une erreur.

 

[34]      À mon avis, la jurisprudence récente a répondu à la question. Une fois que le demandeur principal a été reconnu faisant l’objet de l’exclusion, il n’avait plus droit à « l’asile » (Xie, précité). Par conséquent, toute analyse ultérieure de la Commission, dans la mesure où elle concernait le demandeur principal, était superflue.

 

[35]      Dans certains cas, la Commission peut être tenue d’évaluer la demande d’un demandeur visé par l’exclusion pour apprécier les demandes des membres de la famille non exclus. Est-on en présence d’un tel cas? La question suivante y répondra.

 

La troisième question : le défaut allégué d’évaluation de la famille du demandeur principal

[36]      Ayant conclu que la Commission n’a pas l’obligation d’effectuer une analyse en vertu de l’article 96 au sujet du demandeur principal, en présence d’une conclusion d’exclusion selon l’article 98 de la LIPR, j’aborde maintenant la question de savoir si la Commission devait néanmoins effectuer une analyse à l’égard des articles 96 et 97 pour apprécier les demandes des autres membres de la famille.

 

[37]      Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas pris en considération le rapport entre les faits qui sous-tendent les demandes des autres membres de la famille et leur appartenance alléguée à un groupe social particulier selon la définition du réfugié au sens de la Convention. En particulier, les demandeurs ont le sentiment que la Commission n’a pris en compte aucun des éléments de la preuve documentaire dont elle était saisie au sujet de l’agent allégué de la persécution, les FARC.

 

[38]      Dans l’arrêt Moreno, précité, au paragraphe 67, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la Commission peut commettre une erreur de droit en ne décidant pas si, pour l’évaluation des demandes indépendantes du statut de réfugié présentées par les personnes à charge, le demandeur principal aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention. Comme l’exprime l’arrêt Moreno, précité, au paragraphe 63, « [l]a probabilité que l’appelante soit persécutée n’est pas éteinte simplement du fait que la disposition d’exclusion rend la revendication de l’appelant irrecevable ».

 

[39]      Toutefois, le fait de dire qu’une demande n’est pas éteinte ne dégage pas les membres de la famille non visés par l’exclusion de l’obligation de présenter des éléments de preuve à l’appui de leur demande. Selon la jurisprudence de la Cour, la persécution dirigée contre un membre d’une famille ne donne pas droit d’office à tous les autres membres de la famille d’être considérés comme des réfugiés (voir Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.), 39 Imm. L.R. (2d) 103; Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] F.C.T. 178, 103 A.C.W.S. (3d) 1198). Dans la décision Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, 136 A.C.W.S. (3d) 123, [2004] A.C.F. n° 2164 (C.F.) (QL), cas analogue d’une famille dont les membres revendiquaient le statut de réfugiés en raison de la crainte d’un membre de la famille d’être persécuté par les FARC, la Cour a déclaré au paragraphe 16 :

 

La famille peut être considérée comme un groupe social uniquement dans les cas où certains éléments de preuve indiquent que la persécution vise les membres de la famille en tant que groupe social : Al-Busaidy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1992), 139 N.R. 208 (C.A.F.); Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.); Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 122 F.T.R. 150; Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 408, [2001] A.C.F. no 657 (C.F. 1re inst.) (QL). Cependant, l’étendue du principe de l’assimilation de la famille à un groupe social n’est pas illimitée; la famille en question doit elle-même, en tant que groupe, être l’objet de représailles et de vengeance. En d’autres termes, les demandeurs doivent être ciblés et visés simplement parce qu’ils sont membres de la famille, même s’ils ne se sont jamais mêlés de politique eux-mêmes et ne le feront jamais (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bakhshi, [1994] A.C.F. n977 (CAF) (QL)).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]      L’examen de la décision de la Commission établit que celle-ci s’est penchée sur l’évaluation des demandes des membres de la famille. La Commission a déclaré :

 

[traduction]

Bien que le passé du demandeur principal le soustraie à la protection du Canada, son récit est présenté comme le fondement des demandes de Rosa et des enfants. Par conséquent, il faut examiner ce récit pour voir s’il contient un fondement valide.

 

[41]      La Commission a ensuite fait l’examen des éléments de preuve dont elle était saisie et a conclu :

 

[traduction]

La formation conclut que les agresseurs allégués ne s’intéressent pas à Rosa, selon le témoignage du demandeur principal et la documentation écrite, mais qu’ils s’intéressent au demandeur principal en raison de son travail au sein du DAS. Le 22 avril 1999, les agresseurs allégués se sont présentés à la pharmacie et, sous la menace du fusil, ont demandé à la femme les allées et venues du demandeur principal et ont volé des médicaments et son alliance. Les FARC, semble-t-il, étaient à la recherche du demandeur principal et quand ils ont réalisé qu’il ne se trouvait pas à la pharmacie, ils sont partis.

 

(Dossier certifié du tribunal, page 36)

 

[42]      Si les membres de la famille avaient produit tout élément de preuve crédible qui aurait établi qu’en raison de leur association avec le demandeur principal ils ont une crainte fondée de persécution à leur retour au pays, j’aurais aisément convenu avec les demandeurs que la Commission aurait eu l’obligation d’en faire l’examen et l’analyse. Cependant, comme aucun élément de preuve n’a été présenté, il n’y a rien qui puisse fonder leur crainte. Telle était la situation devant laquelle s’est trouvée la Commission.

 

[43]      Les demandeurs, dans leurs observations orales devant moi, renvoient à quelques extraits de la preuve documentaire qui indiqueraient que les membres de la famille pourraient être ciblés. Toutefois, les demandeurs ou leur avocat n’en ont pas saisi la Commission à l’audience ni dans leurs observations écrites finales. La Commission ne peut être tenue de prendre en considération une question ou une allégation de risque qui n’a même pas été soulevée par les demandeurs (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380, [2000] A.C.F. n° 2118, aux paragraphes 10 et 11 (C.A.F.) (QL)).

 

[44]      À mon avis, la Commission a fait l’analyse nécessaire des demandes des membres de la famille en se fondant sur la preuve dont elle été saisie. Je n’y vois aucune erreur.

 

[45]      Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a aucunement pris en compte l’article 97 et qu’il aurait été loisible pour elle, d’après la preuve dont elle était saisie, de conclure que les demandeurs sont des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. La difficulté que soulève cette argumentation est que les membres de la famille n’ont présenté absolument aucun élément de preuve à la Commission à l’appui d’une décision fondée sur l’article 97. Dans ces circonstances, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire en n’effectuant pas une analyse distincte selon l’article 97 (Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, 135 A.C.W.S. (3d) 474, [2004] A.C.F. n° 2013, aux paragraphes 22 à 24 (C.F.) (QL); Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84, 245 F.T.R. 52, [2004] A.C.F. n° 84, aux paragraphes 26 et 27 (C.F.) (QL)).

 

[46]      Même si la Commission aurait dû effectuer plus explicitement l’analyse reliée à l’article 97, cette lacune des motifs de la Commission « n’a pas d’incidence sur l’issue de l’affaire » et n’est pas suffisamment contraignante pour un renvoi en vue d’une nouvelle décision (Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119, 125 A.C.W.S. (3d) 873). Il ne semble y avoir aucun élément de preuve qui suggérerait que les demandeurs sont des personnes menacées. En fait, il était raisonnable pour la Commission de conclure, sur le fondement de la preuve dont elle était saisie, que les demandeurs ne sont pas ciblés par les FARC.

 

Conclusion

[47]      Ayant conclu que la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa décision d’exclusion du demandeur principal ni à l’égard des demandes des membres de la famille, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a présenté de question à certifier et aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

  1. Aucune question d’intérêt général n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

___________________________

                        Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4804-06

 

INTITULÉ :                                       TEDDY JOSE RIVALDO ESCORCIA ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 19 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Michael Brodzky

 

                           POUR LES DEMANDEURS

Amina Riaz

                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Michael Brodzky

Toronto (Ontario)

 

                          POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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