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Date : 20070613

Dossier : IMM-6375-06

Référence : 2007 CF 632

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

AMARJIT KHERA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 25 octobre 2006 dans laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel déposé par la demanderesse, Amarjit Kaur Khera (Gill).

 

[2]               La demanderesse, citoyenne canadienne, vit à Surrey en Colombie-Britannique. La personne parrainée, Dalvir Singh Khunkhun, citoyen de l’Inde, vit à Jalandhar dans ce pays. Un entremetteur a arrangé un mariage entre la demanderesse et la personne parrainée. Entre mars et avril 2004, ces derniers se sont parlé au téléphone à trois reprises. Ils se sont fiancés en mai 2004. Le 17 juillet 2004, la demanderesse est arrivée en Inde, où ils se sont rencontrés en personne pour la première fois. Ils se sont mariés le 25 juillet 2004. La demanderesse est rentrée au Canada le 2 août 2004. Le 5 août 2004, la demanderesse a présenté une demande de parrainage visant son époux. Le 28 mai 2005, la demanderesse est retournée en Inde en vue de rendre visite à son époux. Pendant cette période, ce dernier a été interrogé par une agente du Haut‑commissariat du Canada. La demanderesse est rentrée au Canada le 8 juin 2005.

 

[3]               Dans une lettre de refus datée du 6 juin 2005, une agente d’immigration au Haut‑commissariat du Canada à New Delhi a indiqué qu’elle croyait que le mariage entre la demanderesse et la personne parrainée n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. Le 29 juin 2005, la demanderesse a déposé un avis d’appel auprès de la SAI. Près d’un an plus tard, le 28 juin 2006, la SAI a entendu l’appel de la demanderesse. Au moment de l’appel devant la SAI, la demanderesse et la personne parrainée étaient respectivement âgées de 43 et de 32 ans.

 

[4]               Dans une décision rendue le 25 octobre 2006, à deux contre trois, le tribunal (à la majorité) a conclu que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. Le tribunal a également conclu, à la majorité, que le manque de compatibilité entre les époux était inhabituel pour un mariage arrangé. Les membres du tribunal ont souligné que la demanderesse, divorcée et mère de deux enfants, poursuit une carrière et se trouve dans une bonne situation financière. En revanche, la personne parrainée gagne sa vie sur la ferme, ne parle pas anglais et n’a jamais été mariée. Ils ont également souligné que la personne parrainée avait tenté de venir au Canada par le passé, mais que sa demande avait été refusée. En outre, la majorité a conclu qu’il était invraisemblable que la personne parrainée n’en connaisse pas plus au sujet des filles de la demanderesse étant donnée que, tout au long de l’audience, cette dernière avait insisté sur l’importance que ses filles ont pour elle. De plus, la majorité n’a pas accepté l’explication de l’époux parrainé, selon laquelle il n’avait pas mentionné ses belles‑filles dans le formulaire de demande parce que celui-ci avait été rempli par un agent. Elle a conclu qu’il n’était pas vraisemblable qu’une personne parrainée ait signé et déposé un document d’une telle importance sans en connaître le contenu.

 

[5]               Dans une décision du 17 novembre 2006, un des membres du tribunal (la minorité) a conclu qu’il aurait accueilli l’appel. Il n’a tiré aucune conclusion défavorable en ce qui concerne l’incompatibilité entre la demanderesse et la personne parrainée pour ce qui est de leur âge et de leur état matrimonial. Il dit être convaincu par la preuve, dans son ensemble, voulant que les préoccupations initiales de la famille de la personne parrainée quant à ces deux questions aient été totalement éclipsées par d’autres facteurs en faveur de la demanderesse. De plus, il a souligné que la demanderesse n’avait aucun scrupule à marier un homme plus jeune et dont c’est le premier mariage. Bien qu’elle soit d’accord avec la majorité relativement au fait que la personne parrainée n’a pas fait preuve d’une connaissance détaillée des filles de la demanderesse, tel leur âge précis, la minorité ne considère pas cet élément comme déterminant étant donné qu’à l’audience de la SAI il est devenu clair que la personne parrainée avait même de la difficulté à calculer son propre âge. En outre, la minorité a souligné que les filles de la demanderesse demeurent au Canada, et que ces dernières n’ont jamais rencontré en personne l’époux parrainé. Elle a fait ressortir qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle le formulaire de demande avait même été expliqué à la personne parrainée et qu’elle accordait donc peu d’importance au contenu de ce formulaire.

 

[6]               Selon le paragraphe 12(1) de la LIPR, la sélection des étrangers de la catégorie du regroupement familial se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien à titre d’époux. Selon l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), « l’étranger n’est pas considéré comme l’époux […] si le mariage […] n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». Selon la jurisprudence de la Cour, ces deux conditions sont conjonctives. Une interprétation conjonctive n’écarte pas la possibilité qu’un mariage, qui initialement visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR, puisse devenir authentique et, par conséquent, ne plus être exclu par l’application du Règlement (voir Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089, au paragraphe 12; Sanichara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015, au paragraphe 16; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 565, au paragraphe 7).

 

[7]               L’audition d’un appel par la SAI est une audition de novo au sens le plus large (Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 91 (C.A.F.), 97 N.R. 349). Il incombe donc au demandeur et à la personne parrainée de prouver, selon la balance des probabilités, que l’époux parrainé n’est pas exclu en application de l’article 4 du Règlement. L’examen de la question de savoir si un mariage est de bonne foi s’appuie donc sur des conclusions de fait, ainsi que le tri et l’appréciation de la preuve. De plus, on tient pour acquis que la SAI a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait en vue de rendre sa décision, laquelle doit être interprétée dans son ensemble (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 347, au paragraphe 18; Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 90 (C.A.F.), 253 D.L.R. (4th) 606). La Cour doit donc faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions de la SAI, et la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable (Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 117, au paragraphe 23; Ni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 241, au paragraphe 10; Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1090, au paragraphe 12).

 

[8]               La demanderesse n’a pas convaincu la Cour que la SAI avait fondé sa décision sur une erreur de droit, qu’elle avait manqué à un principe de justice naturel ou qu’elle avait sinon tiré une conclusion de fait non corroborée par la preuve. De façon générale, je conclus que la décision n’est pas manifestement déraisonnable pour les motifs suivants.

 

[9]               La demanderesse a essentiellement soutenu que le tribunal, à la majorité, n’a pas apprécié correctement l’ensemble de la preuve, qu’il a omis dans sa décision d’analyser des éléments de preuve pertinents ou qu’il n’a pas tenu compte des diverses explications données par la personne parrainée dans son témoignage. Plus particulièrement, elle soutient que la majorité n’a fait aucun commentaire sur les factures de téléphone, les photos, les affidavits (de l’entremetteur, de la mère de la personne parrainée et de l’une des filles de la demanderesse) et les transferts d’argent fournis à l’appui de l’appel de la demanderesse. Ces omissions révèlent donc que la majorité n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve pertinents pour en arriver à sa décision.

 

[10]           Les arguments du demandeur à l’encontre de la décision rendue par la majorité sont tous, à mon avis, non fondés, et ils ne résistent pas à un examen poussé des motifs. En effet, il était loisible à la SAI de prendre en considération dans sa décision, comme elle l’a fait, la durée de la relation des époux avant leur mariage arrangé, leur différence d’âge, leur ancien état matrimonial et civil, leur situation financière et d’emploi respective, leurs antécédents familiaux, leur connaissance respective du vécu de l’autre (y compris l’âge des filles de la demanderesse et la situation générale de ces dernières), leur langue, leurs intérêts respectifs, le fait que la mère de la personne parrainée, deux de ses frères, des tantes et des cousines vivent en Colombie‑Britannique et le fait que la personne parrainée avait tenté de venir au Canada par le passé. Compte tenu de ces facteurs pertinents et déterminants, le seul fait que la décision de la majorité ne mentionnait pas tous les éléments de preuve déposés par la demanderesse ne me permet pas de conclure en l’espèce que la majorité a omis de prendre en considération des éléments de preuve en tirant sa conclusion, tel que l’a allégué la demanderesse.

 

[11]           Aucune observation ou allégation n’a été présentée par la demanderesse, selon laquelle la SAI aurait manqué à un principe de justice naturelle ou omis d’appliquer le bon critère juridique dans l’examen visant à déterminer si la disposition d’exclusion, l’article 4 du Règlement, s’appliquait dans la présente affaire. Essentiellement, la demanderesse enjoint à la Cour d’examiner de nouveau la preuve dont disposait la SAI. La majorité avait de très sérieuses réserves quant à l’authenticité du mariage en raison du manque de compatibilité entre les époux. Elle a également mis en doute l’intention de la personne parrainée de demeurer en permanence avec la demanderesse et conclu que l’intérêt premier de l’époux en entrant au Canada était de rejoindre sa famille nucléaire. Les préoccupations de la majorité sont bien exposées et clairement étayées par la preuve au dossier. De façon générale, je conclus que le raisonnement de la majorité n’est pas abusif ou arbitraire et qu’il appuie sa conclusion finale. Même si j’aurais peut-être tiré une conclusion différente, comme l’a fait la minorité, il n’était pas manifestement déraisonnable de la part de la majorité de la SAI d’en arriver à cette conclusion en se fondant sur la preuve dont elle disposait.

 

[12]           Pour ces motifs, la présente demande doit être rejetée. Aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6375-06

 

INTITULÉ :                                                   AMARJIT KHERA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 JUIN 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Baldev Sandhu

 

POUR LA DEMANDERESSE

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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