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Date : 20070620

Dossier : IMM-4999-06

Référence : 2007 CF 662

Toronto (Ontario), le 20 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

AMJAD M. S. QALAWI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Amjad Qalawi est un citoyen de la Jordanie qui a demandé l’asile au Canada en raison de la crainte qu’il éprouve envers les membres d’une famille rivale, lesquels voudraient le tuer au motif qu’il a déshonoré une femme de leur famille en entretenant une relation illégitime avec elle.

 

[2]               Bien qu’elle ait conclu qu’aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité était suffisante en elle-même pour compromettre la demande de M. Qalawi, la Commission a néanmoins conclu que le récit, examiné dans son ensemble, manquait de crédibilité.

 

[3]               M. Qalawi sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission, en alléguant qu’un certain nombre de conclusions défavorables qu’elle a tirées étaient manifestement déraisonnables. Pour les motifs suivants, j’accueillerai donc la demande, car je suis du même avis.

 

Le contexte

[4]               M. Qalawi affirme qu’au moment où il fréquentait l’université en Jordanie, il avait amorcé une relation clandestine à caractère sexuel avec une femme nommée Faten Tahar El Edwan. Ils avaient planifié de se marier à la fin leurs études.

 

[5]               Lorsque Faten a terminé ses études, sa famille a commencé à exercer des pressions pour qu’elle marie un prétendant choisi par la famille. Ne voulant pas marier cet homme, Faten a confié à sa famille qu’elle avait eu une relation intime avec M. Qalawi, et qu’elle avait dû subir un avortement. Son aveu a enragé sa famille.

 

[6]               Entre‑temps, M. Qalawi est venu au Canada pour poursuivre ses études. Son père l’a contacté au Canada pour lui dire qu’il ne devait pas rentrer en Jordanie étant donné que des membres de la famille de Faten avaient menacé de le tuer en raison du déshonneur qu’il leur avait causé.

 

[7]               Le père de M. Qalawi a ensuite contacté la famille de Faten en vue de discuter d’une possible solution au conflit, et les anciens et les cheiks des tribus respectives de M. Qalawi et de Faten se sont finalement entendus pour que M. Qalawi retourne et marie Faten.

 

[8]               M. Qalawi a acheté un billet d’avion pour retourner en Jordanie, et la date de son départ était fixée au 28 juin 2005. Cependant, peu avant le départ, deux des frères et un cousin de Faten ont annoncé qu’ils rejetaient l’entente, et ils ont dit au père de M. Qalawi qu’ils tueraient son fils s’il rentrait en Jordanie. M. Qawali a donc décidé de demeurer au Canada et de demander l’asile.

 

[9]               Le sort de Faten est inconnu.

 

Analyse

[10]           Un des motifs avancés par la Commission pour conclure que le récit de M. Qalawi était invraisemblable portait sur le fait que M. Qalawi avait acheté son billet d’avion en vue de retourner en Jordanie, deux jours avant que l’entente écrite entre les deux familles soit signée. Selon la Commission, il était inconcevable que M. Qalawi ait acheté son billet avant d’être convaincu qu’une entente avait bel et bien été conclue.

 

[11]           M. Qalawi a expliqué que son père l’avait contacté pour l’aviser qu’une entente avait été conclue entre les deux familles, et qu’il devait retourner en Jordanie en vue de marier Faten. Même si l’entente n’avait pas été immédiatement mise par écrit, M. Qalawi a affirmé qu’il s’était fondé sur le fait qu’une entente avait bel et bien été conclue en vue qu’il retourne en Jordanie, pour honorer sa part de l’entente. La Commission ne semble pas avoir tenu compte de cette explication, étant donné qu’elle n’en a fait aucunement mention dans la décision.

 

[12]           La Commission a aussi constaté que le processus de négociation mentionné par M. Qalawi n’avait pas été décrit dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Étant donné que cette négociation était un élément clé du récit de M. Qalawi, la Commission a jugé que cette importante omission touchait le cœur même de la demande et remettait en question sa crédibilité.

 

[13]           M. Qalawi a présenté un FRP dont l’énoncé circonstancié, bien que très bref, révèle qu’il a bien mentionné que, lorsque la relation qu’il entretenait avec Faten avait été connue de tous, son père avait tenté d’apaiser la famille de Faten en proposant qu’il rentre en Jordanie et marie Faten, et qu’une entente à ce sujet avait finalement été conclue. Même si M. Qalawi a sans l’ombre d’un doute fourni plus de détails sur les négociations au cours de son témoignage, je ne suis pas convaincu qu’il y avait une importante omission dans son FRP de la nature décrite par la Commission.

 

[14]           La famille de Faten demeurait à Amman. Son père était un homme d’affaire prospère, et certains de ses frères avaient de toute évidence étudié à l’université. La Commission a donc conclu que la famille ne correspondait pas au profil d’une famille dont les membres commettraient un crime d’honneur.

 

[15]           Cependant, la preuve documentaire dont disposait la Commission fait précisément état du fait que les crimes d’honneur ne se limitent pas aux familles pauvres à la campagne, mais qu’ils se produisent également dans les familles riches à la ville. Bien qu’il y ait une présomption selon laquelle la Commission a apprécié tous les éléments de preuve dont elle disposait, cette preuve documentaire va directement à l’encontre des conclusions de la Commission et elle aurait dû en faire mention dans son analyse : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425, 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17. 

 

[16]           La Commission n’a également pas cru l’allégation selon laquelle les frères et le cousin de Faten auraient menacé de tuer M. Qalawi, étant donné qu’une entente d’un mariage entre Faten et M. Qalawi avait été conclue entre les familles. Une fois de plus, la preuve documentaire dont disposait la Commission révélait plusieurs incidents lors desquels des crimes d’honneur avaient eu lieu malgré des ententes signées par les hommes des familles qui s’étaient engagés à ne pas faire de mal à la personne qui avait été prise en faute. À mon avis, la Commission aurait dû faire mention de cette preuve dans son analyse étant donné qu’elle va à l’encontre de sa conclusion.

 

[17]           Je suis d’avis qu’un certain nombre des autres conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission n’étaient pas manifestement déraisonnables. Cependant, étant donné que la Commission a affirmé que c’est l’effet cumulatif de toutes les conclusions défavorables qui a mené à la conclusion selon laquelle l’ensemble du récit de M. Qalawi n’était pas crédible, il est impossible d’affirmer quelle importance les conclusions que j’ai jugées erronées ont eue dans l’analyse effectuée par la Commission et dans la conclusion finale qu’elle a tirée.

[18]           Autrement dit, on ne peut conclure avec certitude que la Commission en serait venue à la même décision si elle n’avait pas commis dans ses conclusions les erreurs que le demandeur lui a reprochées. La demande sera donc accueillie.

 

La certification

[19]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

                                                                                                              « Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4999-06

 

 

INTITULÉ :                                                               AMJAD M. S. QALAWI

                                                c.

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 19 JUIN 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 20 JUIN 2007       

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen                                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.                                                        

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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