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Date : 20070622

Dossier : IMM-4666-06

Référence : 2007 CF 668

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

MASUD TALUKDER

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Masud Talukder est un citoyen du Bangladesh qui craint d’être persécuté par la police et par les « hommes de main » du Parti national du Bengladesh et du Parti Jamaat‑e‑Islami. Il soutient avoir été la cible de ces groupes au motif qu’il a la réputation d’être un homme d’affaires prospère et du fait qu’il est membre de la Ligue Awami.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Talukder au motif qu’elle était seulement fondée sur son l’allégation d’être un homme d’affaires prospère, et non sur son appartenance à un parti. De plus, la Commission a conclu que M. Talukder n’avait pas fourni des éléments de preuve crédibles en vue d’établir qu’il était bel et bien un homme d’affaires prospère au Bangladesh. 

 

[3]               M. Talukder sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission. Il affirme qu’elle a conclu injustement qu’il n’avait pas établi qu’il était un homme d’affaires prospère, étant donné que la Commission n’avait pas indiqué que cette question allait être traitée à l’audience. Il soutient que la Commission a commis une autre erreur en omettant d’accorder de l’importance à la preuve documentaire qu’il a produite, laquelle, selon lui, établit qu’il était effectivement un homme d’affaires prospère.

 

[4]               M. Talukder allègue également que la Commission a agi injustement en concluant que son omission de quitter rapidement le Bangladesh était incompatible avec une crainte subjective de persécution, dans la mesure où la Commission n’a pas indiqué que le « départ tardif » allait être une question soulevée à l’audition de sa demande d’asile.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la Commission n’a pas agi injustement et qu’elle pouvait raisonnablement tirer ces conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

           

La décision de la Commission

[6]               Étant donné l’affirmation de M. Talukder selon laquelle tous les hommes d’affaires bangladais font l’objet d’extorsion d’argent, qu’ils soient liés au parti au pouvoir ou non, la Commission a conclu que l’appartenance de M. Talukder à la Ligue Awami n’était pas importante dans le cadre sa demande. Cette conclusion n’est pas contestée.

 

[7]               La Commission a ensuite rejeté l’allégation de M. Talukder selon laquelle il avait été victime d’extorsion du fait qu’il était un homme d’affaires prospère. À cet égard, la Commission a conclu que M. Talukder n’avait pas présenté des éléments de preuve dignes de confiance et suffisamment crédibles pour établir qu’il était en effet un homme d’affaires prospère au Bangladesh.

 

[8]               La Commission a conclu que les documents produits par M. Talukder à l’appui de l’allégation selon laquelle il était à la tête d’une entreprise d’import-export et d’un restaurant florissants n’étaient pas convaincants. Un certificat d’adhésion à l’Association des épiciers du Bangladesh n’établissait pas en soi que M. Talukder avait des activités reliées à ces entreprises. De plus, la Commission a conclu que le document était d’une authenticité douteuse du fait qu’il semblait avoir été préparé incorrectement. 

 

[9]               Selon un deuxième certificat, M. Talukder était [traduction] « membre du marché numéro 400 », et il avait participé à [traduction] « des activités commerciales […] depuis très longtemps ». La Commission a déterminé qu’en raison du peu de renseignements que ce document fournissait, il était d’une utilité limitée.

 

[10]           Le dernier document présenté par M. Talukder, qui a été produit après l’audience, était une photocopie du bail d’un local dans lequel il aurait exploité son restaurant. La Commission a rejeté ce document en partie parce que M. Talukder avait affirmé lors de son témoignage que ses documents d’affaires avaient été volés par des pilleurs du Jamaat‑e‑Islami en mars 2005. Selon la Commission, la production d’une copie du bail, sans aucune explication sur la façon dont il l’avait obtenue, remettait en question l’authenticité du document.

 

[11]           La Commission a conclu qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que M. Talukder soit en mesure de produire des documents d’affaires tels que des dossiers bancaires, des documents  comptables, des reçus, du papiers à en‑tête, des cartes de visite, des actes constitutifs ou des photographies. L’incapacité de produire de tels documents, combinée avec l’incohérence des déclarations de M. Talukder quant à la nature et l’emplacement de ses intérêts commerciaux, a mené la Commission à conclure qu’il n’avait pas établi qu’il était effectivement un homme d’affaires prospère au Bangladesh. 

 

[12]           Étant donné que M. Talukder a affirmé qu’il avait été ciblé du fait qu’il était un homme d’affaires, la Commission a rejeté sa demande.

 

[13]           La Commission a également conclu qu’il était incompatible avec le fait d’avoir une crainte subjective de persécution que M. Talukder ait choisi d’essayer d’obtenir un visa de visiteur canadien lorsque, selon ses dires, il avait commencé à craindre pour sa vie, au lieu d’utiliser son visa de visiteur britannique qu’il possédait déjà, pour fuir le Bangladesh.

 

Analyse

[14]           Je souligne immédiatement que les arguments énoncés pour le compte du demandeur lors de l’audition de la présente demande n’ont qu’un semblant de ressemblance avec ceux qui figurent au mémoire des faits et du droit de M. Talukder, lequel a de toute évidence été préparé sans l’aide d’un avocat. Lorsque la Cour a exposé cette situation aux parties, l’avocate du défendeur a fait savoir qu’elle était prête à répondre aux arguments reformulés du demandeur, et elle a seulement demandé à ce qu’elle puisse fournir la jurisprudence pertinente après l’audience. Nous avons engagé l’audience sur ce fondement, et la Cour a tenu compte des nouveaux arguments des parties.

 

[15]           Les arguments de M. Talukder relativement au fait qu’il serait un homme d’affaires prospère soulèvent des questions quant à l’équité procédurale et à la crédibilité. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle concernant la question de l’équité procédurale; c’est à la Cour de décider si la procédure qui a été suivie dans une affaire était juste, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53.

 

[16]           Dans la mesure où la demande soulève des questions quant à la crédibilité de M. Talukder, la décision devrait être annulée seulement si les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables.

 

[17]           M. Talukder fonde ses arguments relatifs à l’équité procédurale sur l’omission de la Commission d’indiquer expressément que le fait qu’il soit un homme d’affaires prospère allait être une question traitée à l’audience. À cet égard, il souligne que, sous l’intitulé « identité », le formulaire d’examen initial de la Commission a une case nommée « études/profession » que l’on peut cocher lorsque ces sujets sont considérés comme un enjeu dans une affaire donnée. Étant donné que la Commission n’avait pas coché cette case, il était injuste, selon M. Talukder, que la Commission conclue qu’il n’avait pas établi qu’il était bel et bien un homme d’affaires prospère au Bangladesh.

 

[18]           Selon M. Talukder, cette erreur est aggravée par le fait qu’au début de l’audience, lorsque le président a énuméré les questions qui devaient être traitées, il n’a pas mentionné que la question des études et de la profession était un enjeu.

 

[19]           Pour plusieurs raisons, je suis convaincue que M. Talukder a eu droit à une audience équitable.

 

[20]           Tout d’abord, la crédibilité est toujours une question en litige dans les demandes d’asile. Ensuite, le formulaire de « préparation des cas » de la Commission est très clair : les cases cochées ne représentent qu’une évaluation préliminaire des questions qui sont considérées être au cœur de la demande.  Cependant, le formulaire dit expressément que « le demandeur d’asile devrait déposer des éléments de preuve, conformément aux Règles de la SPR, et être prêt à témoigner sur tous les aspects de la demande d’asile » [non souligné dans l’original]. Dans la présente affaire, le fait que M. Talukder soit un homme d’affaires prospère était un élément essentiel de sa demande et non un élément secondaire.

 

[21]           En fait, M. Talukder avait très bien compris qu’il devait fournir des documents à l’appui de l’allégation selon laquelle il était un homme d’affaire prospère, comme le prouve le fait qu’il a bel et bien produit certains documents de ce genre à l’audience.

[22]           De plus, au cours de l’audience, le commissaire a posé des questions au sujet du témoignage contradictoire de M. Talukder concernant ses intérêts commerciaux au Bangladesh et au Royaume‑Uni. Il a également clairement exprimé ses réserves au sujet de l’absence de documents à l’appui de l’allégation de M. Talukder. Aucune objection n’a été soulevée quant à ces questions et ni M. Talukder ni son avocat n’ont mentionné avoir des appréhensions relativement à l’équité procédurale, que ce soit pendant ou après la tenue de l’audience. Ils n’ont jamais prétendu qu’ils n’étaient pas prêts à traiter de la question. En outre, ils n’ont présenté aucune demande de prorogation de délai en vue de déposer des documents supplémentaires à l’appui de la demande après la clôture de l’audience. En fait, rien ne donne à penser que M. Talukder avait quelque autre document d’affaires qu’il aurait pu fournir à l’appui de sa demande. 

 

[23]           Enfin, les observations faites par l’agent de protection des réfugiés à la suite de l’audience remettent clairement en cause la question de la situation d’homme d’affaires prospère de M. Talukder.  Aucune objection n’a été présentée dans les observations écrites déposées par la suite par l’avocat de M. Talukder quant à l’équité de soulever cette question à ce moment-là de l’audience.

 

[24]           Dans les circonstances, je suis convaincue que M. Talukder comprenait bien les questions qui seraient examinées lors de son audience relative au statut de réfugié et qu’il a eu pleinement l’occasion d’y répondre.

 

[25]           En ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve de M. Talukder relativement à ses intérêts commerciaux n’était pas crédible, le propre avocat de M. Talukder a reconnu dans ses observations finales devant la Commission que le témoignage de son client avait changé à quelques reprises et qu’à un certain moment au cours de l’audience son discours avait été [traduction] « lourd et décousu ».  

 

[26]           À ce sujet, la Commission a clairement expliqué son rejet du témoignage de M. Talukder. Plus particulièrement, la Commission a souligné que la demande de visa de visiteur au Canada de M. Talukder ne faisait mention ni du restaurant ni de l’entreprise d’import-export au Bengladesh. Dans ces circonstances, je suis convaincue qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer la conclusion selon laquelle M. Talukder n’avait pas réussi à établir qu’il était un homme d’affaires prospère.

 

[27]           La conclusion de la Commission selon laquelle M. Talukder n’avait pas réussi à établir qu’il était un homme d’affaire prospère, moyen sur lequel il avait fondé sa demande, était le motif principal de sa décision, et elle a déterminé l’issue de la demande. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’erreur reprochée à la Commission au sujet de sa conclusion subsidiaire concernant le fait que M. Talukder ait attendu avant de partir du Bangladesh.

 

Conclusion

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

La certification

[29]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4666-06

 

 

INTITULÉ :                                                               MASUD TALUKDER

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 20 JUIN 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 JUIN 2007       

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Guoba

 

POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel-Yan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Guoba

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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