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Date : 20070626

Dossier : IMM‑2605‑06

Référence : 2007 CF 671

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

THAN SOE

(alias YE YINT et THIT LWIN)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU GÉNÉRAL

[1]               Le demandeur a été décrit comme une personne qui s’est livrée à une activité terroriste, plus précisément au détournement d’un aéronef depuis le Myanmar (Birmanie) vers la Thaïlande, en guise de protestation contre le régime du Myanmar. En conséquence, le demandeur n’est pas recevable à revendiquer la qualité de réfugié, aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR); néanmoins, l’article 97 de la LIPR prévoit un examen des risques avant renvoi (ERAR).

La Cour a jugé à maintes reprises que les droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte), n’entrent pas en jeu au stade du processus d’immigration et du statut de réfugié qui consiste à savoir si une demande d’asile est recevable. Voir le jugement Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266 (C.F. 1re inst.), paragraphes 31 à 33, conf. : [2001] A.C.F. n° 1956 (C.A.) (QL), le juge John Maxwell Evans.

La Cour prend note du jugement Mursal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 995, [2003] A.C.F. n° 1261 (QL). En outre, la Cour d’appel a fait la distinction entre le cas d’une personne dont la demande d’asile n’est pas recevable et le cas dont il s’agissait dans l’arrêt Singh c. M.E.I. Voir les arrêts suivants : Berrahma c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. n° 180 (QL), paragraphes 11 et 12; et Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177.

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 16 janvier 2004, par laquelle la Commission l’a déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR et a prononcé contre lui une mesure d’expulsion.

 

LE CONTEXTE

[3]               En octobre 1989, le demandeur et un ami ont détourné, depuis la Birmanie vers la Thaïlande, un avion transportant 80 passagers. Le demandeur et son ami étaient des activistes luttant pour la démocratie. Ils ont décidé de leur plein gré de dérouter l’avion dans le dessein d’appeler l’attention de la communauté internationale sur le sort du peuple birman soumis à la dictature militaire.

 

[4]               À l’atterrissage de l’appareil en Thaïlande, le demandeur et son ami ont conféré avec les autorités thaïlandaises. Ils ont communiqué leurs exigences aux dirigeants birmans, via le vice‑premier ministre thaïlandais. Le gouvernement du Myanmar devait notamment libérer tous les prisonniers et ordonner aux soldats de rentrer dans leurs casernes. Le demandeur et son ami se sont finalement rendus aux autorités thaïlandaises.

 

[5]               Le demandeur a été déclaré coupable en Thaïlande en mars 1990 et condamné à un emprisonnement de six ans; il n’a cependant purgé que deux ans et demi de sa peine. En août 1992, il a obtenu en Thaïlande une grâce royale assortie d’une libération conditionnelle et il a été relâché. Le demandeur a dit qu’il ne prétend pas que cette grâce équivaut à un pardon en droit canadien car ce sont deux notions très différentes.

 

[6]               Le demandeur est demeuré en Thaïlande jusqu’en 1995, année où il fut déclaré « personne d’intérêt » par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR). Dans l’avis consultatif du HCNUR, il est écrit que le risque de persécution que court le demandeur est élevé. Se fondant sur sa connaissance de première main de la Birmanie, le HCNUR Thaïlande a conclu que le demandeur avait une crainte fondée de persécution et que la situation n’avait pas évolué. Il écrivait aussi :

[traduction] … M. Soe a des raisons de craindre d’être torturé et emprisonné indéfiniment en Birmanie pour le rôle qu’il a joué dans le détournement de 1989 et pour son activisme en faveur de la démocratie. Le gouvernement birman aurait un intérêt légitime à poursuivre M. Soe pour le détournement de 1989, mais il est probable que M. Soe serait soumis à une peine excessive pour l’acte qu’il a commis, notamment la torture en cours d’interrogatoire et l’emprisonnement à perpétuité…

 

 

 

[7]               En 1996, le demandeur a sollicité une bourse en vue d’étudier aux États‑Unis. Il était l’un de six étudiants birmans à décrocher une bourse pour étudier à l’Université d’État de l’Indiana, à Bloomington.

 

[8]               Le demandeur est entré aux États‑Unis avant d’être admis à l’Université d’État de l’Indiana. En août 2000, il a obtenu un baccalauréat en économie. Peu après, il a entrepris un programme d’études supérieures en technologie informatique à l’Université de l’Indiana.

 

[9]               Durant ses études, le demandeur a sollicité l’asile aux États‑Unis, mais l’asile lui a été refusé en raison de son rôle dans le détournement de 1989. Le juge qui a instruit la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis a estimé que le détournement qu’il avait commis ne faisait pas de lui une menace pour la sécurité nationale des États‑Unis; cependant, en raison de la nature de ce délit, il a refusé de lui accorder l’asile aux États‑Unis. Mais selon la loi en vigueur aux États‑Unis, le demandeur ne pouvait pas être renvoyé, parce qu’il était probable qu’il serait persécuté et torturé par les autorités du Myanmar.

 

[10]           Alors qu’il était aux États‑Unis, le demandeur a été détenu puis relâché deux fois, la première fois en 1997 pour un mois, la seconde fois en 2002 pour huit mois. À chaque fois, le motif de l’arrestation du demandeur avait trait à ses activités politiques antérieures en Birmanie. La deuxième fois, en juillet 2003, il a été relâché moyennant un cautionnement de 20 000 $ et l’obligation pour lui de se présenter régulièrement aux autorités. Dans un accord de transaction conclu avec le Département de la Sécurité intérieure, le demandeur s’est engagé à coopérer avec les États‑Unis en vue de la conclusion d’un accord avec un pays, autre que la Birmanie, où il puisse être renvoyé. Les États‑Unis ont accepté de donner un préavis de 14 jours au demandeur s’ils décidaient de le renvoyer en Thaïlande.

 

[11]           Après sa mise en liberté en 2002, le demandeur s’est adressé à un consulat du Canada pour obtenir la résidence permanente, mais il a été informé qu’il devait présenter à nouveau ses formulaires à un autre consulat. Le demandeur a cependant quitté les États‑Unis puis est entré au Canada illégalement en novembre 2003. Au début de décembre, il s’est présenté à un centre d’immigration, où il a déposé une demande d’asile. Il a d’abord été détenu à cause du risque qu’il disparaisse dans la nature; ensuite il a été relâché sous réserve de l’obligation de se présenter chaque mois aux autorités.

 

[12]           Le 16 janvier 2004, le demandeur a été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. Il a sollicité un ajournement jusqu’à la présentation d’une demande de dispense conformément au paragraphe 34(2) de la LIPR. L’enquête concernant son admissibilité a été ajournée jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande de dispense. La demande de dispense a été refusée. Le demandeur vit au Canada sans statut.

 

LES POINTS EN LITIGE

[13]           (1) Les droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte entrent‑ils en jeu?

(2) La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle s’est servie de la définition du terrorisme donnée par le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 pour tirer une conclusion fondée sur l’alinéa 34(1)c) de la LIPR? Cette définition est‑elle trop étendue au point de contrevenir à l’article 7 de la Charte?

            (3) La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

 

LE CADRE LÉGISLATIF

[14]           L’alinéa 34(1)c) de la LIPR prévoit ce qui suit :

34.     (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

34.     (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c) engaging in terrorism;

 


Le paragraphe 83.01(1) du Code criminel prévoit ce qui suit :

«activité terroriste »

 

a) Soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger — qui, au Canada, constitue une des infractions suivantes :

(i) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en œuvre la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970,

 

(ii) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en œuvre la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971,

 

(iii) les infractions visées au paragraphe 7(3) et mettant en œuvre la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973,

 

(iv) les infractions visées au paragraphe 7(3.1) et mettant en œuvre la Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979,

 

(v) les infractions visées aux paragraphes 7(3.4) ou (3.6) et mettant en œuvre la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, conclue à New York et Vienne le 3 mars 1980,

 

(vi) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en œuvre le Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signé à Montréal le 24 février 1988,

 

(vii) les infractions visées au paragraphe 7(2.1) et mettant en œuvre la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, conclue à Rome le 10 mars 1988,

 

(viii) les infractions visées aux paragraphes 7(2.1) ou (2.2) et mettant en œuvre le Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, conclu à Rome le 10 mars 1988,

 

(ix) les infractions visées au paragraphe 7(3.72) et mettant en œuvre la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997,

 

(x) les infractions visées au paragraphe 7(3.73) et mettant en œuvre la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1999;

 

b) soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :

 

(i) d’une part, commis à la fois :

 

(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

 

(B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada,

 

(ii) d’autre part, qui intentionnellement, selon le cas :

 

(A) cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l’usage de la violence,

 

(B) met en danger la vie d’une personne,

 

(C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,

 

 

(D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu’il est probable que l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,

 

(E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail qui n’ont pas pour but de provoquer l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).

 

Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l’encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l’acte — action ou omission — commis au cours d’un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d’autres règles de droit international.

"terrorist activity" means

 

(a) an act or omission that is committed in or outside Canada and that, if committed in Canada, is one of the following offences:

 

(i) the offences referred to in subsection 7(2) that implement the Convention for the Suppression of Unlawful Seizure of Aircraft, signed at The Hague on December 16, 1970,

 

(ii) the offences referred to in subsection 7(2) that implement the Convention for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Civil Aviation, signed at Montreal on September 23, 1971,

 

 

(iii) the offences referred to in subsection 7(3) that implement the Convention on the Prevention and Punishment of Crimes against Internationally Protected Persons, including Diplomatic Agents, adopted by the General Assembly of the United Nations on December 14, 1973,

 

 

 

(iv) the offences referred to in subsection 7(3.1) that implement the International Convention against the Taking of Hostages, adopted by the General Assembly of the United Nations on December 17, 1979,

 

(v) the offences referred to in subsection 7(3.4) or (3.6) that implement the Convention on the Physical Protection of Nuclear Material, done at Vienna and New York on March 3, 1980,

 

(vi) the offences referred to in subsection 7(2) that implement the Protocol for the Suppression of Unlawful Acts of Violence at Airports Serving International Civil Aviation, supplementary to the Convention for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Civil Aviation, signed at Montreal on February 24, 1988,

 

 

 

(vii) the offences referred to in subsection 7(2.1) that implement the Convention for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Maritime Navigation, done at Rome on March 10, 1988,

 

 

(viii) the offences referred to in subsection 7(2.1) or (2.2) that implement the Protocol for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Fixed Platforms Located on the Continental Shelf, done at Rome on March 10, 1988,

 

(ix) the offences referred to in subsection 7(3.72) that implement the International Convention for the Suppression of Terrorist Bombings, adopted by the General Assembly of the United Nations on December 15, 1997, and

 

(x) the offences referred to in subsection 7(3.73) that implement the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism, adopted by the General Assembly of the United Nations on December 9, 1999, or

 

(b) an act or omission, in or outside Canada,

 

 

(i) that is committed

 

 

(A) in whole or in part for a political, religious or ideological purpose, objective or cause, and

 

 

 

 

(B) in whole or in part with the intention of intimidating the public, or a segment of the public, with regard to its security, including its economic security, or compelling a person, a government or a domestic or an international organization to do or to refrain from doing any act, whether the public or the person, government or organization is inside or outside Canada, and

 

 

(ii) that intentionally

 

 

 

(A) causes death or serious bodily harm to a person by the use of violence,

 

 

(B) endangers a person’s life,

 

(C) causes a serious risk to the health or safety of the public or any segment of the public,

 

(D) causes substantial property damage, whether to public or private property, if causing such damage is likely to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C), or

 

 

 

(E) causes serious interference with or serious disruption of an essential service, facility or system, whether public or private, other than as a result of advocacy, protest, dissent or stoppage of work that is not intended to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C),

 

 

and includes a conspiracy, attempt or threat to commit any such act or omission, or being an accessory after the fact or counselling in relation to any such act or omission, but, for greater certainty, does not include an act or omission that is committed during an armed conflict and that, at the time and in the place of its commission, is in accordance with customary international law or conventional international law applicable to the conflict, or the activities undertaken by military forces of a state in the exercise of their official duties, to the extent that those activities are governed by other rules of international law.

 

ANALYSE

(1)        Question préliminaire : Les droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte entrent-ils en jeu?

 

[15]           Le demandeur fait valoir que l’article 7 de la Charte entre en jeu parce qu’il a été décrit comme une personne qui « s’est livré au terrorisme ». Par conséquent, le demandeur n’est pas recevable, en vertu de l’article 96 de la LIPR, à présenter une demande d’asile; cependant, le demandeur reconnaît qu’il pourra encore, à la faveur d’un ERAR, se prévaloir d’une protection en application de l’article 97 de la LIPR.

 

[16]           La Cour a jugé à maintes reprises que les droits garantis par l’article 7 de la Charte n’entrent pas généralement en jeu au stade du processus d’immigration qui concerne le point de savoir si une demande d’asile est recevable. Il n’est donc pas contraire à l’article 7 de la Charte de restreindre l’accès à la Section de la protection des réfugiés. Dans le jugement Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1503 (QL), on trouve ceci :

[31]      … s’il est vrai qu’un verdict d’irrecevabilité dénie à la demanderesse l’exercice d’un droit important, ce droit n’est pas compris dans « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne »…

 

[32]      … il peut y avoir atteinte aux droits protégés par l’article 7 si le gouvernement renvoie une non‑citoyenne dans un pays où elle craint d’être probablement violentée ou emprisonnée. Cependant, la conclusion que la revendication n’est pas recevable n’est qu’une étape dans le processus administratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada…

 

(Il est également fait référence à la jurisprudence suivante : Mursal, précité; Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] 1 C.F. 696, [1993] A.C.F. n° 47 (QL).)

 

[17]           La Cour d’appel a aussi fait la distinction entre le cas d’une personne non recevable à présenter une demande d’asile et le cas dont il s’agissait dans l’arrêt Singh, précité, invoqué par le demandeur, dans lequel les droits prévus par l’article 7 de la Charte entraient en jeu. Dans l’arrêt Berrahma, précité, la Cour d’appel fédérale s’exprimait ainsi :

[11]      Je ne vois absolument pas comment on peut dire qu’en refusant le refuge à un ressortissant étranger, le Parlement porte atteinte à la vie ou à la sécurité de cette personne. L’article 7 de la Charte ne s’interprète pas dans l’abstrait; il définit des limites à l’action de l’autorité publique, mais ne force pas celle‑ci à agir; il exige, pour entrer en jeu, un geste concret, une législation, non pas seulement une abstention. Il n’impose pas en lui‑même à l’État d’assurer une protection à tous ceux dont la vie ou la liberté seraient en danger, encore moins de fournir un refuge à tous les habitants du globe qui auraient peur pour leur vie ou leur sécurité, et ce, au reste, quelle que soit la cause du danger appréhendé.

 

[12]      Si la Cour suprême a conclu comme elle l’a fait dans l’arrêt Singh, du moins à ce que je comprends, c’est que le Parlement avait, pour donner effet à des obligations internationales assumées préalablement, reconnu et accordé à un étranger le droit de revendiquer le statut de réfugié mais avait omis d’assortir en même temps l’exercice de ce droit – un droit qui se rattachait à la protection de la vie et de la sécurité – à une procédure conforme aux exigences de la justice fondamentale. C’est là, je pense, que se trouve la différence entre le cas Singh et le cas du revendicateur non‑admissible : Singh se voyait dénier un statut que la loi lui donnait droit de réclamer sans qu’il ait eu toutes les chances de démontrer qu’il remplissait les conditions pour l’obtenir alors que le revendicateur non‑admissible ne se voit dénier aucun statut qu’il a droit de réclamer.

 

Par conséquent, dans la présente affaire, il semble que les droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu; j’analyserai néanmoins les points soulevés par le demandeur.

 

(2)        La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle s’est servie de la définition du terrorisme donnée par le Code criminel pour tirer une conclusion fondée sur l’alinéa 34(1)c) de la LIPR? Cette définition est‑elle trop étendue au point de contrevenir à l’article 7 de la Charte?

 

[18]           Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en utilisant la définition du terrorisme donnée par le Code criminel pour conclure, en application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, qu’il s’est livré au terrorisme. Le demandeur dit que, puisque ses droits garantis par l’article 7 de la Charte entrent en jeu, la définition du terrorisme qui est donnée par le Code criminel ne s’accorde pas avec les principes de justice fondamentale car elle est trop étendue. Le demandeur dit aussi que l’alinéa 83.01(1)a) du Code criminel fait abstraction de l’élément intentionnel. Il affirme enfin qu’il vaut mieux utiliser la définition donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

 

                        (i) L’arrêt Suresh englobe la définition donnée par le Code criminel

[19]           La définition du terrorisme donnée par le Code criminel comprend deux parties. La première partie, appelée partie fonctionnelle, énumère une série d’infractions qui sont destinées à mettre en œuvre dix conventions internationales et qui constituent chacune une activité terroriste. La deuxième partie, appelée partie stipulative, définit le terrorisme en fonction de ses divers éléments fondamentaux.

 

[20]           La Cour suprême du Canada a fondé sa définition du terrorisme sur la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, qui elle aussi donne une définition fonctionnelle et une définition stipulative du terrorisme. La Cour suprême favorise une définition stipulative quant elle déclare ce qui suit :

[98]      … on peut conclure…, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

(Arrêt Suresh, précité.)

 

 

[21]           La Cour suprême emploie le mot « inclut » dans sa définition du terrorisme, signifiant par là que la liste donnée pour la définition n’est pas limitative. Il vaut aussi la peine de noter que la Cour suprême définit le mot « terrorisme » tout de suite après avoir été invitée à privilégier une définition fonctionnelle plutôt que stipulative :

 

[97]      … Nous sommes conscients que le terme « terrorisme » se prête à la manipulation, mais nous ne sommes pas persuadés qu’il est nécessaire ou souhaitable d’écarter d’emblée toute définition stipulative au profit d’une énumération susceptible de changer avec le temps et de nécessiter, en fin de compte, que l’on distingue certains actes (proscrits)…

 

(Arrêt Suresh, précité.)

 

[22]           Il est donc clair que la Cour suprême n’exclut pas une définition fonctionnelle du terrorisme. La définition qu’elle donne n’est pas limitative. Elle écrivait aussi qu’il n’était pas nécessaire d’« écarter » une définition stipulative en faveur d’une définition fonctionnelle. Si une définition fonctionnelle est incluse et adoptée, alors la conclusion selon laquelle le demandeur a transgressé l’une des dix conventions internationales énumérées dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, à savoir la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, ne suscite pas de difficultés. Par conséquent, la définition du terrorisme donnée par le Code criminel reflète celle qui apparaît dans l’arrêt Suresh, précité. (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1053, [2005] A.C.F. n° 1303 (QL).)

 

[23]           La Cour suprême du Canada déclarait aussi ce qui suit, dans l’arrêt Suresh :

[98]      … Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

 

[24]           Au reste, des modifications récentes apportées au Code criminel définissent un peu plus le terrorisme. Étant donné que la Cour suprême a entendu le pourvoi Suresh avant lesdites modifications, il est difficile de savoir si elles ont pu influer sur l’arrêt lui‑même. Il convient néanmoins de noter que la Cour suprême n’a pas tiré de conclusions négatives à leur sujet.

 

                        (ii) La définition du Code criminel n’est pas trop étendue

[25]           Dans le jugement R c. Khawaja, [2006] O.J. No. 4245, le juge Douglas Rutherford, de la Cour supérieure de l’Ontario, examinait, dans le contexte d’un procès criminel, la définition du terrorisme donnée par le Code criminel :

[traduction]

[6]        … les dispositions contestées ne sont pas nulles pour imprécision ni trop étendues puisqu’elles peuvent être lues, interprétées et appliquées dans le respect des principes de justice fondamentale.

 

 

[26]           La Cour supérieure de l’Ontario a estimé que la clause 83.01(1)b)(i)(A) du Code criminel était contraire à l’article 2 de la Charte, mais elle a jugé que le reste de la disposition n’était pas trop étendue et n’était pas contraire à l’article 7 de la Charte.

 

                        (iii) Certains actes criminels vont au‑delà de la simple criminalité

[27]           Le demandeur fait valoir que l’alinéa 34(1)c) de la LIPR doit traiter de sujets qui vont au‑delà du Code criminel, puisque l’article 36 de la LIPR traite déjà de l’interdiction de territoire pour criminalité. Il importe de noter que les articles 34, 35, 36 et 37 de la LIPR présentent tous des éléments qui relèvent du Code criminel. Ainsi, l’article 37 de la LIPR vise les membres du crime organisé. Le Code criminel renferme lui aussi des dispositions précises qui traitent du crime organisé. Par conséquent, le simple fait qu’une disposition de la LIPR traite d’un sujet que l’on trouve aussi dans le Code criminel ne rend pas cette disposition redondante par rapport à l’article 36 de la LIPR.

 

[28]           Sur ce point, le législateur a choisi de retenir certains actes criminels qui sont d’une importance plus marquée, en adoptant les articles 34, 35 et 37 de la LIPR. Ces articles prévoient des sanctions plus rigoureuses que l’article 36. Par exemple, une conclusion d’interdiction de territoire en application de l’article 36 de la LIPR ne supprime pas le droit d’en appeler à la Section d’appel de l’immigration, tandis qu’une conclusion semblable rendue en vertu des articles 34, 35 et 37 empêche l’intéressé d’en appeler. De plus, les conclusions d’interdiction de territoire rendues en vertu de ces articles privent l’intéressé du droit de demander l’asile, tandis qu’une conclusion semblable rendue en vertu de l’article 36 ne l’en prive pas nécessairement. Il est clair que le législateur a adopté ces dispositions pour appliquer des conséquences plus graves à ceux qui ont commis des actes criminels d’un certain type.

 

            (3)        La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

                        (i) La conclusion de la Commission était fondée sur deux articles séparés de la LIPR

[29]           D’abord, la Commission a conclu que le demandeur entrait dans la définition du terrorisme donnée par le sous‑alinéa 83.01(1)a)(i) du Code criminel. Deuxièmement, la Commission a conclu que le demandeur tombait sous le coup des clauses 83.01(1)b)(i)(A) et (B) et des clauses 83.01(1)b)(ii)(B) et (C) du Code criminel. Elle a précisé que les alinéas a) et b) sont autonomes et qu’une conclusion tirée en vertu de l’un ou de l’autre suffit donc à dire que le demandeur répond à la définition du terrorisme et tombe par conséquent sous le coup de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR.

 

[30]           Il importe de noter que la norme de preuve à observer pour une conclusion tirée par la Commission en vertu de l’article 34 de la LIPR est celle des « motifs raisonnables de croire ». La Cour a jugé que cette norme établit un seuil relativement faible qui va au‑delà du simple soupçon, mais qui n’atteint pas la prépondérance de la preuve (Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] A.C.F. n° 395 (QL)).

 

[31]           Il semble, d’après ses arguments, que le demandeur conteste uniquement la constitutionnalité de l’alinéa 83.01(1)a) de la définition du terrorisme donnée par le Code criminel. La Cour s’empresse de noter que, même si elle devait dire que cette définition est contraire à l’article 7 de la Charte (ce qui n’est pas le cas), la conclusion de la Commission subsisterait néanmoins, en vertu de l’alinéa 83.01(1)b) du Code criminel.

 

                        (ii) Le demandeur a l’intention requise

[32]           La Commission a estimé que le demandeur tombait sous le coup des clauses 83.01(1)b)(i)(A) et (B) et des clauses 83.01(1)b)(ii)(B) et (C) du Code criminel.

 

[33]           Le demandeur fait valoir qu’il était impossible de le faire entrer dans une définition telle que celle de l’alinéa 83.01(1)b) du Code criminel parce que cet alinéa requiert l’élément intentionnel, et il affirme que ses actes ne présentaient pas cet élément.

 

[34]           La Commission a jugé que le demandeur possédait bel et bien l’intention requise. Plus précisément, elle a trouvé que le recours à des menaces d’explosion et de mort, même s’il n’y avait aucun moyen de mettre telles menaces à exécution, a eu pour effet d’intimider le public, en particulier les passagers de l’aéronef. Les menaces proférées par le demandeur auraient d’ailleurs pu entraîner une erreur de pilotage ou des blessures par suite des opérations de sauvetage.

 

[35]           Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur avait l’intention requise, compte tenu de la preuve qui lui était soumise.

 

DISPOSITIF

[36]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[37]           La Cour voudrait dire sa reconnaissance aux avocats pour leurs arguments approfondis et perspicaces.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Remarque incidente :

                  Toute décision judiciaire est évidemment plus qu’un dialogue avec les parties et entre elles; c’est aussi un dialogue silencieux entre les trois branches de gouvernement (chacune à l’intérieur de sa sphère, avec la mesure qui s’impose) : le pouvoir exécutif établit l’orientation des politiques gouvernementales et met en œuvre les lois en amorçant, gérant et appliquant les politiques découlant des lois; le pouvoir législatif adopte les lois; le pouvoir judiciaire interprète les lois et leur donne une application.

                  Pour ce dialogue, la constitution, loi suprême du pays, sert de guide aux trois branches de gouvernement. Le pouvoir législatif ne peut pas adopter de lois dont l’effet serait de soumettre une personne à des traitements ou peines cruels et inusités; le pouvoir exécutif ne peut pas quant à lui priver quiconque du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, si ce n’est en conformité avec les principes de justice fondamentale.

                  En l’espèce, la gamme des possibilités ne prend pas fin avec ce jugement. Il revient au pouvoir exécutif d’agir et d’appliquer la mesure suivante, une mesure dont il est le seul à pouvoir apprécier l’opportunité.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2605‑06

 

INTITULÉ :                                       THAN SOE (alias YE YINT et THIT LWIN)

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews et

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN ET ASSOCIÉS

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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