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Date : 20070626

Dossier : IMM‑3224‑06

Référence : 2007 CF 674

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

RAFIQ REHMAT LAKHANI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par Marie‑Louise Côté, membre de la Section de l’immigration (le tribunal), en date du 31 mai 2006, après l’enquête menée en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit dans sa manière d’évaluer l’infraction que le demandeur aurait commise aux États‑Unis d’Amérique ainsi que dans sa manière de qualifier l’infraction d’après le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question à double volet est négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

L’HISTORIQUE

[4]               Le demandeur est né au Pakistan le 23 juillet 1965. Il est entré aux États‑Unis le 10 octobre 1992 avec un visa de visiteur. Il y a demandé l’asile, mais on lui a refusé. Il a vécu aux États‑Unis jusqu’au 22 février 2004, date à laquelle il s’est enfui au Canada où il a demandé l’asile.

 

[5]               Le demandeur n’est pas citoyen des États‑Unis. Cependant, en novembre 1999, il a décidé, à l’instigation d’un ami, d’apposer son nom sur une demande de prêt présentée à La Small Business Administration pour pouvoir acheter un dépanneur à Forth Worth, au Texas. Il dit qu’il n’a pas lu les documents de la demande de prêt avant de les signer le 26 mai 2000. Il était écrit, sur les documents, qu’il était citoyen des États‑Unis, ce qui lui a permis d’obtenir un prêt de 1 190 000 $.

 

[6]               Le 25 septembre 2003, le demandeur a été arrêté et accusé de s’être faussement et délibérément fait passer pour un citoyen des États‑Unis dans la demande de prêt présentée à La Small Business Administration, contrevenant ainsi à l’article 911 du titre 18 du United States Code (U.S.C.) et du paragraphe 645(a) du titre 15 du U.S.C. Si cette infraction avait été commise au Canada, elle aurait, affirme‑t‑on, constitué une fraude, qui est un acte criminel selon l’article 380 du Code criminel.

 

[7]               Le 3 décembre 2003, le demandeur a plaidé coupable en réponse à l’accusation de s’être fait passer pour un citoyen des États‑Unis, et le juge a ordonné la tenue d’une audience de détermination de la peine, qui devait avoir lieu le 22 mars 2004. Le 6 février 2004, le demandeur a déposé une requête en retrait de son plaidoyer de culpabilité, requête qui fut accordée le 10 février 2004. Il ne s’est pas présenté à l’audience de détermination de sa peine car il s’était enfui du pays le 22 février 2004. Un mandat d’arrêt fut donc décerné contre lui le 31 mars 2004, l’accusant de non‑comparution à l’audience de détermination de sa peine.

 

[8]               Le 29 novembre 2005, un agent d’immigration a établi, en application du paragraphe 

44(1) de la Loi, un rapport disant que le demandeur était frappé d’interdiction de territoire pour raison de grande criminalité, conformément aux alinéas 36(1)c) et 36(2)c) de la Loi. Le tribunal a mené, le 29 novembre 2005, une enquête d’interdiction de territoire, conformément au paragraphe 44(2), afin de savoir si le demandeur était une personne décrite dans l’alinéa 36(1)c). Le défendeur a décidé de ne pas invoquer l’alinéa 36(2)c) contre le demandeur. Le tribunal est arrivé à la conclusion que le demandeur était interdit de territoire pour raison de grande criminalité, et le demandeur a ensuite déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Après avoir examiné le témoignage du demandeur, la preuve documentaire relative aux accusations criminelles portées contre lui et le mandat d’arrêt décerné contre lui pour non‑comparution à l’audience de détermination de la peine, le tribunal est arrivé à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible, et ce, pour les trois raisons suivantes :

a)      le demandeur a décidé de faire une fausse déclaration à propos de son statut aux États‑Unis, afin d’obtenir un prêt de La Small Business Administration;

b)      le demandeur n’a pas donné aucune explication raisonnable justifiant sa non‑comparution le 22 mars 2004 devant la Cour criminelle de Dallas, au Texas, pour l’audience de détermination de la peine;

c)      le demandeur a prétendu qu’il n’a pas reçu le produit du prêt, ce que dément la preuve documentaire.

 

[10]           Le tribunal s’est dit convaincu que le demandeur a accepté de faire une fausse déclaration à la Bank United en disant qu’il était citoyen des États‑Unis. Par ailleurs, le demandeur a délibérément déclaré, au moment de présenter sa demande de prêt, qu’il allait recevoir très prochainement une carte verte, alors que ce n’était pas le cas. Il n’avait même pas encore présenté sa demande de résidence permanente aux États‑Unis à l’époque de la demande de prêt. Le tribunal avait donc la preuve que le demandeur avait l’intention d’obtenir de l’argent frauduleusement, ce qui portait atteinte à sa crédibilité sous un aspect essentiel.

 

[11]           Le tribunal n’a pas cru les raisons invoquées par le demandeur pour expliquer sa non‑comparution à l’audience de détermination de sa peine devant la cour criminelle. Le juge de l’immigration avait donné au demandeur et à son épouse jusqu’au 23 mars 2004 pour quitter le pays. L’audience de détermination de la peine devait avoir lieu le 22 mars 2004. Au lieu de rester aux États‑Unis pour s’y présenter, le demandeur s’est enfui au Canada le 22 février 2004, tout juste un mois avant l’audience, ce qui mine sa crédibilité et démontre qu’il voulait se soustraire à la justice. De l’avis du tribunal, le demandeur aurait pu contester les accusations portées contre lui aux États‑Unis, mais il ne l’a pas fait.

 

[12]           Par ailleurs, le demandeur dit qu’il n’a pas reçu le produit du prêt, mais cette affirmation est contredite par la preuve, qui démontre qu’il a pu acheter un magasin Chevron après l’approbation du prêt. Il est devenu le propriétaire du magasin et a plus tard cessé de rembourser le prêt. Le tribunal s’est dit convaincu que le demandeur avait bien reçu le produit du prêt car la preuve existante avait plus de poids que l’argument du demandeur selon lequel il aurait logiquement été accusé d’un chef de fraude s’il avait obtenu de l’argent illégalement.

 

[13]           Finalement, le tribunal a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait effectivement fait une fausse déclaration aux fins d’obtenir le prêt et qu’il avait contrevenu au paragraphe 645(a) du titre 15 du U.S.C. Il a également estimé que la même infraction, eût‑elle été commise au Canada, rendrait le demandeur passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans, conformément à l’article 380 du Code criminel. Le tribunal a également jugé que les infractions dont le demandeur était accusé aux États‑Unis équivalaient aux infractions prévues par le paragraphe 361(1) du Code criminel. En conséquence, le demandeur fut réputé être un étranger interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, et ce, en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la Loi.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[14]           L’article 44 de la Loi confère le pouvoir d’établir les modalités de l’interdiction de territoire et du renvoi des étrangers qui se trouvent au Canada et qui sont déclarés interdits de territoire. L’article 44 est ainsi rédigé :

PERTE DE STATUT ET RENVOI

Constat de l’interdiction de territoire Rapport d’interdiction de territoire

 44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

 

 

Conditions

(3) L’agent ou la Section de l’immigration peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution, au résident permanent ou à l’étranger qui fait l’objet d’un rapport ou d’une enquête ou, étant au Canada, d’une mesure de renvoi.

 

LOSS OF STATUS AND REMOVAL

Report on Inadmissibility

Preparation of report

 

 44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

Conditions

(3) An officer or the Immigration Division may impose any conditions, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions, that the officer or the Division considers necessary on a permanent resident or a foreign national who is the subject of a report, an admissibility hearing or, being in Canada, a removal order.

 

[15]           Le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, en application de l’alinéa 36(1)c) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

Grande criminalité

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 [. . .]

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

INADMISSIBILITY

Serious criminality

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 [. . .]

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

[16]           Les infractions prévues par le U.S.C. et dont le demandeur a été accusé aux États‑Unis sont ainsi formulées :

[traduction]

ARTICLE 911 du titre 18, U.S.C.

Quiconque faussement et délibérément se fait passer pour un citoyen des États‑Unis est passible d’une amende en vertu du présent titre, ou d’un emprisonnement maximal de trois ans, ou à la fois de l’amende et de l’emprisonnement.

 

Paragraphe 645(1) du Titre 15, U.S.C.

(a) Fausses déclarations; surévaluation de titres

Quiconque fait une déclaration en la sachant fausse, ou quiconque délibérément surévalue un titre, aux fins d’obtenir pour lui‑même ou pour une autre personne un prêt, ou la prorogation d’un prêt par renouvellement, par ajournement d’action ou autrement, ou l’acceptation, la levée ou le remplacement d’une sûreté garantissant le prêt, ou aux fins d’influencer de quelque façon la décision de l’Administration, ou d’obtenir de l’argent, un bien ou quelque chose de valeur, en vertu du présent chapitre, est puni d’une amende d’au plus 5 000 $, ou d’un emprisonnement d’au plus deux ans, ou à la fois de l’amende et de l’emprisonnement.

 

 

Section 911 of Title 18, U.S.C.

 

Whoever falsely and wilfully represents himself to be a citizen of the United States shall be fined under this title or imprisoned not more than three years or both.”

 

 

 

 

Paragraph 645(a) of Title 15, U.S.C.

(a) False statements; overvaluation of securities

Whoever makes any statement knowing it to be false, or whoever wilfully overvalues any security, for the purpose of obtaining for himself or for any applicant any loan, or extension thereof by renewal, deferment of action, or otherwise, or the acceptance, release, or substitution of security therefore, or for the purpose of influencing in any way the action of the Administration, or for the purpose of obtaining money, property, or anything of value, under this chapter, shall be punished by a fine of not more than $5,000 or by imprisonment for not more than two years, or both.

 

 

 

 

 

 

[17]           L’équivalent canadien de ces infractions prévues par l’U.S.C. se trouve à l’article 380 du Code criminel, qui prévoit ce qui suit :

Code criminel

PARTIE X : OPÉRATIONS FRAUDULEUSES EN MATIÈRE DE CONTRATS ET DE COMMERCE

Fraude

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

 

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

 

b) est coupable :

(i) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans,

 

(ii) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas cinq mille dollars.

Criminal Code

PART X: FRAUDULENT TRANSACTIONS RELATING TO CONTRACTS AND TRADE

Fraud

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

(a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding fourteen years, where the subject‑matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject‑matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

(b) is guilty

(i) of an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding two years, or

(ii) of an offence punishable on summary conviction,

where the value of the subject‑matter of the offence does not exceed five thousand dollars.

 

[18]           L’infraction commise par le demandeur aux États‑Unis correspond également à l’infraction de « faux semblant » ou « faux prétexte » prévue par le paragraphe 361(1) du Code criminel, ainsi formulé :

Code criminel

PARTIE IX : INFRACTIONS CONTRE LES DROITS DE PROPRIÉTÉ

Escroquerie

Définition de

« faux semblant » ou « faux

prétexte  »

361. (1) L’expression

« faux semblant » ou « faux prétexte » désigne une représentation d’un fait présent ou passé, par des mots ou autrement, que celui qui la fait sait être fausse, et qui est faite avec l’intention frauduleuse d’induire la personne à qui on l’adresse à agir d’après cette représentation.

Criminal Code

PART IX: OFFENCES AGAINST RIGHTS OF PROPERTY

False pretence

 

 

 

 

361. (1) A false pretence is a representation of a matter of fact either present or past, made by words or otherwise, that is known by the person who makes it to be false and that is made with a fraudulent intent to induce the person to whom it is made to act on it.

 

[19]           Une mesure d’expulsion a été prononcée contre le demandeur conformément à l’alinéa 229(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Cette procédure se présente ainsi :

Mesures de renvoi à prendre

229. (1) Pour l’application de l’alinéa 45d) de la Loi, la Section de l’immigration prend contre la personne la mesure de renvoi indiquée en regard du motif en cause :

[. . .]

c) en cas d’interdiction de territoire pour grande criminalité du résident permanent au titre du paragraphe 36(1) de la Loi ou de l’étranger au titre des alinéas 36(1)b) ou c) de la Loi, l’expulsion;

Specified Removal Order

229. (1) For the purposes of paragraph 45(d) of the Act, the applicable removal order to be made by the Immigration Division against a person is

[. . .]

(c) a deportation order, in the case of a permanent resident inadmissible under subsection 36(1) of the Act on grounds of serious criminality or a foreign national inadmissible under paragraph 36(1)(b) or (c) of the Act on grounds of serious criminality;

 

L’AnalysE

La norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle applicable à la présente affaire, qui fait intervenir des questions de fait, est celle de la décision manifestement déraisonnable. L’interdiction de territoire pour

« grande criminalité » aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la Loi requiert en effet une évaluation des circonstances de l’infraction commise à l’étranger, laquelle infraction qui correspond à une infraction commise au Canada. La Cour a jugé que la décision consistant à dire si une infraction commise à l’étranger équivaut à une infraction commise au Canada doit être revue selon la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[21]           Dans le jugement Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1742, [2005] A.C.F. n° 2161 (C.F.), la juge Judith Snider écrivait ce qui suit, aux paragraphes 10 et 11 :

Le point que je dois décider se rapporte aux conclusions de fait tirées par la Commission. Pour juger de l’équivalence, la Commission devait établir les faits à l’origine d’une déclaration de culpabilité prononcée à l’étranger. Le seul point de désaccord entre les parties est de savoir si la Commission a validement jugé que le demandeur avait « employé » le faux document d’immatriculation, entraînant ainsi sa déclaration de culpabilité dans l’État de

New York.

 

La Cour d’appel fédérale a donné à entendre, dans l’arrêt Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122 (voir aussi Dhanani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 169 (C.F.), au paragraphe 22), qu’une décision de la Commission en matière d’équivalence est examinée au regard de la décision manifestement déraisonnable. Les conclusions de fait de la Commission ne doivent pas être modifiées à moins qu’elles ne soient manifestement déraisonnables. Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait « des motifs raisonnables de croire » que le demandeur avait employé le document contrefait était manifestement déraisonnable.

 

[22]           Je m’en rapporte également à un arrêt de la Cour d’appel fédérale selon lequel l’état du droit étranger est une question de fait. Il s’agit de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, [2002] 1 C.F. 200 (C.A.), où l’on peut lire ce qui suit, au paragraphe 26 :

[…] Le droit étranger est une question de fait qui doit être prouvée B la satisfaction du tribunal. Les conclusions judiciaires au sujet du droit étranger ont donc toujours été considérées en appel comme des questions de fait (Castel, Canadian Conflict of Laws 4e éd. 1997, B la page 155). De plus, il est de jurisprudence constante que notre Cour ne modifiera une conclusion de fait, y compris une conclusion de fait portant sur un témoignage d’expert, que si une erreur manifeste et dominante a été commise (voir, par exemple les arrêts N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247 et Stein c. Le « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802).

 

[23]           Je fais mien le raisonnement suivi par mon collègue dans le jugement Ferguson, précité. Pour obtenir gain de cause, le demandeur doit prouver que la décision du tribunal était si manifestement erronée, eu égard à la preuve qu’il avait devant lui, qu’il était manifestement déraisonnable pour le tribunal d’en arriver à la conclusion qu’il a tirée.

 

Le tribunal a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a évalué la preuve se rapportant aux infractions commises aux États‑Unis?

[24]           Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a évalué les accusations portées contre lui, en ce sens qu’il a confondu la machination frauduleuse visant à tromper Bank United, une machination dont il fut victime, avec les fausses déclarations qu’il a faites à la banque. Le demandeur jure qu’il n’avait pas l’intention de déclarer, dans sa demande de prêt, qu’il était citoyen des États‑Unis, mais plutôt qu’il était un étranger sur le point d’obtenir sa carte verte. Le demandeur fait valoir que, s’il avait vraiment eu l’intention de dire qu’il était citoyen des États‑Unis, il n’aurait pas présenté son permis de travail, un permis dont les citoyens des États‑Unis et les titulaires d’une carte verte n’ont pas besoin pour travailler aux États‑Unis. Il affirme aussi que Bank United devait savoir qu’il n’était pas citoyen des États‑Unis étant donné qu’il était en attente de sa carte verte.

 

[25]           Le défendeur soutient d’une manière inflexible la décision du tribunal. Le tribunal a eu raison, selon lui, de dire que la déclaration imputée au demandeur était une déclaration frauduleuse aux termes du paragraphe 645(a) du titre 15 du U.S.C. Le tribunal n’a pas confondu les fausses déclarations du demandeur avec la machination frauduleuse visant à escroquer Bank United.

 

[26]           Par ailleurs, la preuve contredit l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas l’intention de prétendre qu’il était citoyen des États‑Unis et qu’il n’a donc pas commis l’infraction prévue par le titre 15. Au soutien de cet argument, le défendeur appelle l’attention de la Cour sur le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, dont le tribunal a également tenu compte. Dans son FRP, le demandeur reconnaît que, dans le formulaire de demande de prêt, il était désigné comme étant citoyen des États‑Unis. En outre, le demandeur a fait d’autres fausses déclarations dans sa demande de prêt, contrevenant ainsi aux dispositions générales du titre 15. Au moment où il a signé le formulaire à remplir pour la demande de prêt, non seulement sa demande de résidence permanente ne lui avait pas été accordée, elle n’avait même pas été présentée. Le demandeur a donc délibérément fait une fausse déclaration aux fins d’obtenir un prêt, contrevenant ainsi au paragraphe 645(a) du titre 15.

 

[27]           Après lecture attentive de la décision du tribunal et après examen de la preuve documentaire, ainsi que des transcriptions des audiences, je suis d’avis que l’argument du demandeur selon lequel le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur de fait n’est pas recevable. Les conclusions tirées par le tribunal étaient raisonnables, au vu de l’ensemble de la preuve.

 

[28]           Dans sa déclaration faite sous serment le 24 septembre 2003 (pièce C‑3), le plaignant, Ronald Joe Brookshire, du Bureau de l’immigration et des douanes dit que le formulaire de demande de prêt mentionne clairement que le demandeur était citoyen des États‑Unis, et il dit que la signature de ce dernier apparaît sur le document. Nul n’est censé ignorer la loi. Et, aspect plus important, on est censé avoir lu un document avant de le signer. L’évaluation que fait le tribunal des éléments du dossier conduit à la même conclusion, celle selon laquelle les deux infractions prévues par le titre 15 et le titre 18 pouvaient être imputées au demandeur. Par conséquent, je ne vois là aucune erreur susceptible de contrôle, et je suis d’avis que la décision défavorable confirmant l’interdiction de territoire du demandeur n’était pas manifestement déraisonnable.

 

Le tribunal a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a qualifié l’infraction d’après le droit canadien?

[29]           Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur de fait et une erreur de droit lorsqu’il a qualifié d’après l’alinéa 380(1)a) et le paragraphe 361(1) du Code criminel les infractions commises aux États‑Unis. Il dit que le tribunal est tombé dans l’erreur ici également car, puisqu’il a confondu les infractions commises aux États‑Unis, il ne pouvait logiquement pas qualifier les infractions d’après le droit canadien. Pareillement, le demandeur fait valoir qu’il ne pouvait pas exister au Canada une infraction correspondant à celle qui consiste à se faire passer pour un citoyen des États‑Unis. Ni le Code criminel ni la Loi, affirme le demandeur, ne disent que celui qui se fait passer pour un citoyen canadien commet de ce fait un acte criminel.

 

[30]           Le défendeur rejette catégoriquement ce raisonnement et appelle l’attention de la Cour sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 C.F. 235, qui porte sur la notion d’équivalence. S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Barry Strayer a exposé les paramètres servant à déterminer les équivalences entre les infractions commises à l’étranger et les infractions commises au Canada. Il a écrit ce qui suit, au paragraphe 12 :

Il convient, pour examiner cette question, de se reporter aux termes mêmes du sous‑alinéa 19(2)a.1)(i), selon lequel ne peuvent être déclarées non admissibles sous son régime que les personnes

 

19. (2) [. . . .]

(i) déclarées coupables d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction [qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, par mise en accusation] [Non souligné dans l’original.]

 

Il est généralement reconnu que cette disposition pose pour condition « l’équivalence » entre l’infraction punissable dans le pays étranger et l’infraction punissable au Canada, et le juge des requêtes a correctement adopté ce vocabulaire dans les questions certifiées. La mention dans ces questions des « éléments essentiels » à titre de critère d’équivalence s’explique par des décisions antérieures de la Cour. Pour autant que je sache, la jurisprudence de notre Cour n’a jamais abordé expressément la question à trancher en l’espèce, savoir si les « éléments essentiels » à comparer recouvrent aussi les moyens de défense prévus dans l’un et l’autre cas. On peut cependant en dégager certains principes directeurs. Dans Brannson c. M.E.I., affaire portant sur une disposition semblable de la Loi sur l’immigration, le juge d’appel Ryan, prononçant le jugement majoritaire, a fait l’observation suivante au sujet de la comparaison entre l’infraction pour laquelle une personne a été condamnée sous le régime de la loi étrangère et une infraction punissable par une loi fédérale du Canada :

 

[...] Quels que soient les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent. Naturellement, il faut s’attendre à des différences dans le langage employé pour définir les infractions dans les différents pays[...] [Non souligné dans l’original.]

 

La Cour a conclu dans l’affaire susmentionnée que la définition de l’infraction pour laquelle l’intéressé avait été condamné aux États‑Unis était plus large que celle de la soi‑disant infraction équivalente, que prévoit le Code criminel du Canada. Le juge d’appel Ryan a conclu que dans ce cas, il y aurait lieu d’autoriser la production de la preuve des détails de l’infraction pour laquelle l’intéressé avait été condamné afin que l’arbitre pût décider si cette infraction correspondait à l’infraction punissable au Canada. Il semblait indiquer que la preuve de ce que l’intéressé avait vraiment fait serait admissible pour ce qui était de juger si ses agissements constitueraient une infraction au Canada. Par motifs concordants, le juge d’appel Urie voyait les choses un peu différemment. À son avis, il fallait comparer les éléments essentiels (il employait, dans le jugement rendu en anglais, les termes « essentiel ingredients » et non les termes « essentiel elements » qu’employait le juge d’appel Ryan), mais il fallait aussi qu’il y ait la preuve des faits qui justifiaient les poursuites dans le pays étranger, cette preuve pouvant être la preuve authentique (par exemple des détails du chef d’accusation formulé aux États‑Unis) ou le témoignage de vive voix concernant la manière dont l’infraction avait été commise. C’est de cette façon qu’il serait possible de décider si, bien que l’infraction en question ait pu faire l’objet d’une définition plus large aux États‑Unis, les agissements pour lesquels l’intéressé y avait été condamné l’auraient rendu coupable d’une infraction au Canada.

 

 

[31]           Appliquant ce précédent à l’espèce soumise au tribunal, je suis d’avis que le tribunal a correctement établi les équivalences entre, d’une part, les éléments essentiels des infractions commises aux États‑Unis et, d’autre part, les infractions correspondantes prévues dans le

Code criminel. Les éléments essentiels des infractions prévues par les titres 15 et 18 du U.S.C. sont fondés sur la notion de « fausses déclarations faites sciemment ».

 

[32]           À l’instar des infractions prévues aux États-Unis réprimant les déclarations faites sciemment alors que l’auteur sait qu’elles sont fausses en vu d’obtenir un avantage qui ne pourrait pas être obtenu autrement que par la supercherie, les infractions correspondantes prévues par le Code Criminel exigent la mens rea. Lorsqu’il s’agit d’argent, comme c’est le cas pour l’infraction prévue par le Titre 15 du U.S.C., la fraude est un corollaire nécessaire, qui accompagne également l’infraction prévue par l’article 380 du Code criminel. Au vu des faits, le tribunal pouvait parfaitement conclure qu’il y avait équivalence avec l’infraction prévue par l’article 380. Cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable, au vu de la preuve que le tribunal avait devant lui. L’analyse qu’il a faite des lois respectives des États‑Unis et du Canada est cohérente et claire, et elle atteste d’une évaluation approfondie des éléments correspondants de la loi des États‑Unis. On constate le même niveau d’analyse pour le paragraphe 361(1) du Code criminel.

 

[33]           Les parties n’ont pas proposé de questions à certifier, et aucune question du genre ne se pose.

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3224‑06

 

INTITULÉ :                                       RAFIQ REHMAT LAKHANI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Bohbot                                                                              POUR LE DEMANDEUR

 

 

Gretchen Timmins                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan Bohbot                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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