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Date : 20070628

Dossier : IMM-4255-06

Référence : 2007 CF 682

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

FREDERICK LUKE RUSSELL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               « Car même si le Tribunal avait raison de douter de certains aspects des circonstances qui avaient conduit le revendicateur à quitter son village et finalement son pays, il y avait des éléments de preuve, y inclus de la preuve documentaire irréfutable, susceptibles d'appuyer ses prétentions quant au danger réel de persécution dont il pouvait être victime dans son pays à cause de sa nationalité et du groupe familial et social auquel il appartient. Et cette preuve, le Tribunal n'en a tenu aucun compte et il l'a complètement ignorée » (Djama c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 531 (C.A.F.) (QL), juge Louis Marceau).

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue d’obtenir l’annulation de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle on a conclu que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

CONTEXTE

[3]               Le demandeur, M. Frederick Luke Russell, allègue que son père a été accusé d’avoir effectué de la fausse propagande contre le groupe rebelle des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (les LURD). Au début de l’année 2003, le père de M. Russell et d’autres personnes ont été exécutés par le chef rebelle des LURD, Sekou Conneh. M. Conneh a aussi mis le feu à la maison familiale de M. Russell, ce qui a entraîné le décès du fils de M. Russell, de sa sœur et de deux de ses demi-frères. M. Russell croit que M. Conneh ne sera pas satisfait tant et aussi longtemps que sa famille et lui ne seront pas tués.

 

QUESTION EN LITIGE

[4]               La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[5]               Il faut établir que la Commission a tiré les conclusions de fait de « façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments dont elle disposait », et que celles-ci sont donc manifestement déraisonnables.

 

 

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

[6]               Les conclusions relatives à la crédibilité sont fondées sur des questions de fait qui font généralement partie de la compétence de la Section de la protection des réfugiés. Néanmoins, la Cour d’appel fédérale a bien établi que la Commission commet une erreur de droit si elle fonde ses conclusions relatives à la crédibilité sur des facteurs non pertinents (Salamat c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 58 (C.A.F.)).

 

[7]               La preuve dont disposait la Commission ne permettait pas de conclure que la crainte de persécution au Libéria, alléguée par M. Russell, n’était pas objectivement bien fondée. Au contraire, M. Russell a témoigné longuement sur le fait qu’il serait exposé à une situation très difficile s’il était contraint de retourner dans son pays d’origine. Il a présenté des éléments de preuve pour établir le fondement de sa crainte de persécution au Libéria : membre d’un groupe social quelconque et preuve claire concernant des personnes au Libéria qui ont été persécutées en raison de leur filiation (affidavit du demandeur; décision de la SPR). De plus, l’omission d’indiquer les motifs de refus d’une demande pour justifier des conclusions relatives à la crédibilité constitue une erreur susceptible de contrôle. Des motifs non justifiés et fondés sur des hypothèses sont susceptibles de contrôle.

 

[8]               Dans ses motifs, la Commission a fait état de tous les documents que le demandeur a déposés pour corroborer son témoignage. En présentant ses observations au sujet du certificat du notaire, la Commission a indiqué que ce dernier comportait des fautes d’orthographe et que, de ce fait, il ne pouvait pas avoir été délivré par les autorités compétentes au Libéria. Dans la décision Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, [2004] A.C.F. no 255 (QL), la Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle en n’étayant pas ses conclusions relatives à la fabrication de faux documents :

 

[7]        Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. Comme l’a souligné le défendeur, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[9]               Bien qu’il soit reconnu qu’une preuve de divergence apparente peut influer sur la crédibilité du demandeur, la Commission ne peut pas omettre de tenir compte d’éléments de preuve objectifs qui appuient la position du demandeur. En l’espèce, le demandeur a en fait été ciblé et persécuté par les rebelles LURD en raison de sa filiation paternelle. La Commission a rejeté sans justification le témoignage de M. Russell selon lequel sa maison familiale située dans la région de Paynesville, à Monrovia, avait été rasée par les rebelles LURD. La preuve documentaire relative à cette période de temps pertinente indique clairement un effondrement presque complet de l’ordre public qui a entraîné l’imposition d’un couvre-feu dans la ville. Le vendredi 29 octobre 2004, un reportage à la BBC (tirée du dossier du demandeur), accusait clairement des ex-militants d’être les auteurs d’actes de violence commis dans la ville. Si un des éléments de preuve corroborants présentés par le demandeur avait été pris en compte, le résultat aurait peut-être été différent. La Commission a omis de fournir des motifs précis à l’appui de la conclusion selon laquelle il n’existait aucune preuve crédible et fiable lui permettant de rendre une décision favorable (Pour c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 1282 (QL)).

 

[10]           En soi, l’absence de preuve corroborante à l’appui du témoignage du demandeur constitue un motif insuffisant pour discréditer son témoignage portant sur l’incendie de sa maison et le décès de son fils, de sa sœur et de deux de ses demi-frères qui s’y trouvaient. En particulier, il faut examiner cette situation au regard des éléments de preuve objectifs et du fondement même des connaissances spécialisées de la Commission, par lesquels cette dernière a en fait reconnu qu’il existait un effondrement presque complet de l’ordre public au Libéria. En omettant de tenir compte des points clés du témoignage de M. Russell, la Commission a rejeté des éléments de preuve corroborants très pertinents quant aux éléments subjectif et objectif de la demande du demandeur. La Commission a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve dans son examen relatif à la crédibilité générale de M. Russell (Djama, précité).

 

[11]           En omettant de tenir compte des points clés du témoignage de M. Russell quant à sa crainte de persécution au Libéria, la Commission a aussi rejeté, sans motifs, sa crainte subjective de persécution dans ce pays. De plus, l’examen de la Commission relativement à l’élément de crainte objective présenté dans la demande d’asile de M. Russell est fondé sur des hypothèses et ne tient pas compte de son témoignage quant à sa crainte d’un retour au Libéria.

 

CONCLUSION

[12]           Pour tous ces motifs, la conclusion de la Commission relative à la crédibilité de M. Russell était manifestement déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                              IMM-4255-06

 

INTITULÉ :                                                                             FREDERICK LUKE RUSSELL

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                     LE 21 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 28 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Solomon Orjiwuru

 

POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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