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Date : 20070704

Dossier : T‑806‑06

Référence : 2007 CF 692

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

KAREN COMMANDANT

demanderesse

et

 

LES MOHAWKS DE WAHTA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du conseil de la bande des Mohawks de Wahta (le conseil de la bande) qui lui refusait le versement d’une indemnité de subsistance pour études.

 

[2]               La demanderesse est membre des Mohawks de Wahta (la bande). Elle a travaillé comme administratrice de la bande d’août 1998 à juillet 2004. Elle dit qu’elle a été congédiée injustement, et elle a déposé un recours contre la bande, le conseil de la bande et le chef de la bande. Elle est actuellement une conseillère élue de la bande.

 

[3]               Depuis septembre 2003, la demanderesse est inscrite comme étudiante dans le Programme de gouvernance et d’administration publique, géré conjointement par l’Institut technique des Premières nations – Université Ryerson. Le programme offre un certificat, un certificat de niveau avancé et un baccalauréat ès arts en administration publique et en gouvernance. La demanderesse a obtenu son certificat en juin 2005 et son certificat de niveau avancé en avril 2006. Elle poursuivait ses études en vue d’un baccalauréat ès arts, qu’elle devait obtenir en juin 2009.

 

[4]               Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a informé la Cour que, parce que les défendeurs refusaient de « financer » ses études, elle avait dû y mettre fin.

 

[5]               Le 7 juillet 2004, la bande a adopté une politique d’éducation. La politique en question prévoit que les étudiants peuvent obtenir le remboursement intégral de leurs frais de scolarité, le remboursement de leurs manuels à concurrence de 600 $, et une indemnité mensuelle de subsistance de 800 $. L’indemnité mensuelle de subsistance n’est offerte qu’aux étudiants inscrits comme étudiants à temps plein. La Politique d’éducation prévoit aussi que toute personne qui n’est pas en règle avec la bande n’obtiendra aucun soutien financier tant qu’elle ne sera pas en règle dans ses « comptes » avec la bande.

 

[6]               En mars 2005, la demanderesse a sollicité son indemnité mensuelle de subsistance pour l’année scolaire 2005‑2006 et, en mars 2006, elle l’a sollicitée pour l’année scolaire 2006‑2007. Le 29 septembre 2005, le conseiller d’éducation de la bande a téléphoné à la demanderesse pour l’informer que son indemnité mensuelle de subsistance avait été approuvée. Le 15 octobre 2005, le conseiller d’éducation communiquait de nouveau avec la demanderesse pour l’informer que le conseil de la bande n’était pas prêt à lui verser l’indemnité parce qu’il croyait qu’elle devait la somme de 961 $ à la bande et qu’elle n’était donc pas en règle dans ses « comptes » avec la bande.

 

[7]               La somme que devait la demanderesse à la bande fut l’objet d’une décision arbitrale de Micheal Sherry (l’arbitre) le 15 mars 2002. Pour le résumé des faits qui ont donné lieu au différend concernant cette dette, j’ai adopté les faits constatés par l’arbitre.

 

[8]               En 1989, la bande avait prêté à la demanderesse une somme de plus de 35 000 $. En février 1990, la demanderesse avait remboursé 13 000 $, et le solde du prêt était de 22 428 $. La demanderesse était admissible à un remboursement de la bande pour les frais de transport scolaire de sa fille, et une partie du remboursement fut imputée directement au solde de l’emprunt. Le 31 mars 1995, ce solde se chiffrait à 16 312 $. Quelque temps plus tard, cette entente fut reniée et les parties ne s’entendaient plus sur le solde restant impayé. La bande disait que la demanderesse lui devait 11 046,36 $, mais la demanderesse croyait qu’elle ne devait plus que 961,91 $. En juin 2001, la demanderesse a envoyé à la bande un chèque de 961,91 $, en paiement final du solde du prêt. N’ayant reçu de la bande aucune confirmation de paiement, la demanderesse a proposé que les parties recourent à l’arbitrage obligatoire pour régler leur différend. L’arbitre a jugé que la demanderesse devait à la bande 961,91 $, ajoutant qu’elle ne devait pas d’intérêts sur cette somme puisqu’elle avait présenté auparavant à la bande un chèque de ce montant. Selon la décision de l’arbitre, le paiement de la somme de 961,91 $ au 15 avril 2002 aurait pour effet d’éteindre le prêt. Le jour du paiement, la bande devait remettre à la demanderesse une confirmation écrite attestant que l’emprunt avait été remboursé intégralement et, pour le cas où la bande ne lui remettrait pas cette confirmation, alors le chèque que lui avait remis la demanderesse, auquel s’ajoutait la décision arbitrale, constituerait la preuve absolue de l’extinction du prêt, même si le chèque n’avait pas été encaissé.

 

[9]               La demanderesse a présenté à la bande, avant le 15 avril 2002, un chèque de 961,91 $, mais le conseil de la bande refusa encore de l’encaisser. L’affaire en resta là jusqu’au jour où la demanderesse reçut du conseil de la bande une lettre portant la date du 29 novembre 2005, où l’on pouvait lire ce qui suit :

[traduction]

Le conseil est d’avis que l’intention de la décision arbitrale a été très clairement exprimée. L’intention de la décision était de liquider le solde contesté du prêt, et vous avez alors fait le paiement final de 961 $. Vous aviez rencontré des difficultés avec le conseil de l’époque lorsque vous lui aviez présenté votre paiement final, mais cela n’annulait aucunement l’intention de la décision ni ne mettait fin à votre obligation de donner effet à l’intention de la décision.

 

(Affidavit de Karen Commandant, établi sous serment le 1er juin 2006, pièce N)

 

 

[10]           Dans sa réponse, la demanderesse écrivait que, selon la décision arbitrale, qui, de l’avis des parties, serait contraignante, le prêt était éteint parce que la bande ne lui avait pas donné une confirmation écrite qu’il avait été remboursé intégralement. Elle écrivait que plus rien n’était dû, mais que, pour faire régner la concorde et pour régler une fois pour toutes cette question déjà ancienne, elle était disposée à accepter que la somme de 961,91 $ soit déduite de son indemnité de subsistance pour la période allant de septembre à décembre 2005 (Affidavit de Karen Commandant, établi sous serment le 1er juin 2006, pièce O).

 

[11]           En avril 2006, la bande n’avait pas répondu à l’offre de la demanderesse de déduire la somme de 961,91 $ de son indemnité de subsistance pour études. Le 10 mai 2006, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Le 19 mai 2006, le conseil de la bande a envoyé à la demanderesse une lettre l’informant que ses demandes d’indemnité de subsistance pour les années 2005‑2006 et 2006‑2007 étaient refusées en raison du non‑remboursement de sa dette à la bande.

 

[12]           Dans ses conclusions écrites, les défendeurs disent que la somme de 961,91 $ ne saurait venir en déduction de quoi que ce soit puisque la demanderesse n’est pas admissible à l’indemnité de subsistance pour études étant donné qu’elle n’est pas étudiante à temps plein.

 

LES POINTS LITIGIEUX

[13]           Cette affaire soulève les points litigieux suivants :

1.      Y a‑t‑il une décision que la Cour puisse réviser?

 

2.      La demanderesse a‑t‑elle épuisé ses autres recours?

 

3.      Peut‑on raisonnablement craindre la partialité du conseil de la bande?

 

4.      La décision du conseil de la bande de refuser à la demanderesse l’indemnité de subsistance pour études était‑elle raisonnable?

 

 

L’ANALYSE

 

1.  Y a‑t‑il une décision que la Cour puisse réviser?

 

 

[14]           Selon les défendeurs, il n’y a aucune décision que la Cour puisse réviser puisque la bande n’a pris sa décision qu’après que la demanderesse eut déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[15]           Je suis d’avis que l’argument des défendeurs n’est pas recevable. La décision du conseil de la bande de refuser la demande d’indemnité de subsistance de la demanderesse a été communiquée à celle‑ci par le conseiller d’éducation le 15 octobre 2005. Le 19 octobre 2005, le conseiller d’éducation a envoyé à la demanderesse une lettre l’informant que sa demande de versement de la somme de 800 $ était en suspens. Était joint à la lettre un bordereau d’après lequel le premier versement de l’indemnité de subsistance avait été viré au compte de la demanderesse le 26 septembre 2005, puis annulé (Affidavit de Karen Commandant, établi sous serment le 1er juin 2006, pièce M). Cette lettre, à laquelle s’ajoute l’appel téléphonique du 15 octobre 2005, constitue une décision susceptible de contrôle. Les défendeurs ne peuvent pas invoquer la décision communiquée par lettre en date du 19 mai 2006 pour prétendre qu’aucune décision n’a été prise jusqu’à cette date, d’autant que cette lettre fut envoyée après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire et pourrait avoir été conçue comme moyen de faire échec à ladite demande. Il s’est écoulé sept mois entre la date où le conseiller d’éducation a communiqué avec la demanderesse pour lui dire que le conseil de la bande n’approuverait pas sa demande d’indemnité et la date à laquelle le conseil de la bande a envoyé sa décision par lettre. Rien n’avait changé durant cette période, et les défendeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils ont attendu sept mois pour faire connaître leur décision.

 

2.  Un autre recours s’offrait‑il à la demanderesse?

[16]           Selon les défendeurs, la demanderesse ne peut pas solliciter un contrôle judiciaire parce qu’elle n’a pas épuisé les autres mécanismes de règlement des différends prévus dans la Politique de l’éducation. Le paragraphe 9(4) de cette Politique est ainsi formulé :

[traduction]

Si l’étudiant ne croit pas que les conditions sont observées par le conseiller et si l’affaire ne peut pas être résolue entre le conseiller et l’étudiant, une lettre d’appel doit alors être adressée au directeur dans les deux semaines après que le différend a surgi. Une rencontre aura lieu entre le directeur, le conseiller d’éducation et l’étudiant pour qu’ils se concertent. L’étudiant ne peut pas être représenté par un parent, mais les parents sont tout à fait libres d’assister à la rencontre pour apporter un soutien moral à l’étudiant. Pareillement, si le conseiller d’éducation ne peut résoudre une difficulté avec un étudiant après avoir raisonnablement tenté de le faire, alors le conseiller d’éducation peut en référer au directeur, qui rendra une décision. Une réunion entre tous les intéressés pourra avoir lieu, ou un avis écrit de la décision sera envoyé à l’étudiant.

 

[17]           Le principe du recours subsidiaire adéquat fera en général obstacle à une procédure de contrôle judiciaire si le demandeur ne s’est pas prévalu d’un recours prévu par la loi qui est considéré comme un recours pouvant se substituer à un contrôle judiciaire (Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Toronto : Canvasback Publishing, 2004) § 3:2100). Dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit :

[…] les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.‑à‑d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.

 

[18]           Appliquant ces facteurs à la présente affaire, je suis d’avis que la demanderesse n’était pas tenue de déposer un recours en vertu de la section 9(4) de la Politique d’éducation.

 

[19]           Le document d’Affaires indiennes et du Nord Canada intitulé Enseignement postsecondaire, Lignes directrices nationales du Programme, en date de novembre 2003, donne un exemple utile de ce à quoi pourrait ressembler un mécanisme d’appel adéquat. Ce document expose les lignes directrices présidant à l’administration du programme de l’enseignement postsecondaire du ministère. La section 8.0 de ce document renferme ce qui suit :

[traduction]

Pour garantir un traitement impartial et équitable dans l’application du programme de l’enseignement postsecondaire, les organismes responsables doivent se doter d’un mécanisme d’appel. Ce mécanisme devra comprendre les éléments fondamentaux suivants :

[…]

b)      Faire en sorte que l’étudiant puisse se prévaloir d’une procédure d’appel bien établie. Cela comprend l’existence d’une commission d’appel impartiale.

[…]

f)        Fixer des délais précis pour les audiences à tenir et les décisions à rendre.

 

g)      Garantir que l’organisme responsable se conformera à la décision de la commission d’appel.

 

(Affidavit de Karen Commandant, établi sous serment le 1er juin 2006, pièce I)

 

[20]           Le recours prévu dans la section 9(4) de la Politique d’éducation ne renferme aucun de ces éléments. Il n’y a aucune commission d’appel impartiale. L’« appel » dont parle la section 9(4) requiert que l’étudiant s’adresse au conseiller d’éducation et au directeur. Le directeur n’est pas défini dans la Politique d’éducation, et il n’est donc pas possible de dire s’il est impartial ou non. Par ailleurs, le recours dont parle cette section n’est pas suffisant en tant que recours permettant de régler le problème de la demanderesse parce que, selon cette section, le conseiller d’éducation est la personne mandatée pour régler le différend, mais la difficulté à laquelle se heurtait la demanderesse était une difficulté que le conseiller d’éducation n’a semble‑t‑il pas le pouvoir de trancher, dans la mesure où il s’agit de la situation financière de la demanderesse auprès du conseil de la bande. Le recours dont parle la section 9(4) de la Politique ne répond pas non plus aux critères f) et g) du document intitulé Enseignement postsecondaire, Lignes directrices nationales du Programme : aucun délai n’est précisé dans la section 9(4), et il n’y a aucune garantie que l’organisme responsable se conformerait à la décision de la commission d’appel. En bref, le recours dont parle la section 9(4) est un mécanisme informel de règlement des différends, qui ne saurait être qualifié de processus d’appel. Je suis par conséquent d’avis qu’il n’atteint pas le niveau d’un recours subsidiaire adéquat, et le fait que la demanderesse ne se soit pas prévalue de ce recours ne devrait donc pas l’empêcher d’introduire une procédure de contrôle judiciaire.

 

3.  Peut‑on raisonnablement craindre la partialité du conseil de la bande?

[21]           Selon la demanderesse, on peut raisonnablement craindre que le conseil de la bande ne soit pas objectif étant donné qu’il a refusé d’accepter la conclusion de la décision arbitrale obligatoire, qu’il a sans cesse cherché à découvrir de nouvelles raisons de lui refuser l’aide financière à laquelle elle a droit et que, avec la bande et le chef de la bande, il est désigné comme défendeur dans la plainte de congédiement injuste déposée par la demanderesse.

 

[22]           Les règles de la crainte raisonnable de partialité ont été exposées par le juge de Grandpré, dans des motifs dissidents, dans l’arrêt Committee for Justice & Liberty c. Office national de l’énergie (1978), 68 D.L.R. (3d) 716. Le critère consiste à se demander si une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que le décideur ne rendra pas une décision juste.

 

[23]           L’application du critère de la crainte raisonnable de partialité à un contexte particulier requiert d’évaluer le contenu de l’obligation d’équité procédurale. Les facteurs suivants pourront permettre de dire ce qui est juste dans un cas donné : la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif; l’importance de la décision pour l’intéressé; les attentes légitimes des parties, enfin les choix de procédure faits par le tribunal (arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817). Cette liste de facteurs n’est pas limitative. Dans l’arrêt Chiau, la Cour d’appel fédérale a jugé que, s’agissant de la nature de la décision, trois facteurs donnant à penser qu’il convient d’attribuer un contenu procédural relativement élevé à l’obligation d’équité : la décision était fondée sur des critères raisonnablement objectifs, plutôt que sur un pouvoir discrétionnaire subjectif et sans limite précise; elle était fondée sur des faits qui concernaient l’intéressé; et elle ne s’appliquait qu’à l’intéressé (Chiau c. M.C.I., [2001] 2 C.F. 297, paragraphe 42).

 

[24]           Appliqués aux circonstances de la présente affaire, plusieurs de ces facteurs donnent à penser qu’il convient d’attribuer un faible contenu procédural à l’obligation d’équité. Le processus de l’organe décisionnel n’est pas aisément assimilable au processus décisionnel des cours de justice et donc l’étendue des protections procédurales sera moindre (arrêt Baker, paragraphe 23). En outre, la composition de l’organe décisionnel appelle un contenu moindre d’équité procédurale. La Cour suprême du Canada a jugé que, s’agissant du critère de la partialité, une norme moins rigoureuse sera appliquée lorsque l’organe administratif en cause est une commission composée de membres élus par la population (Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, page 638). Quant au critère de l’importance de la décision pour la demanderesse, je suis d’avis que la décision est relativement bénigne étant donné qu’il s’agit d’une décision financière plutôt que d’une décision portant atteinte aux droits, à la réputation ou au moyen d’existence de la demanderesse. Le facteur des attentes légitimes donne également à penser qu’il convient d’attribuer un faible contenu procédural à l’obligation d’équité puisque la demanderesse n’a pas dit qu’elle avait des attentes légitimes quant à la procédure qui serait suivie par le conseil de la bande.

 

[25]           D’autres facteurs donnent à penser qu’il convient d’attribuer un contenu procédural plus élevé à l’obligation d’équité. La décision de verser l’indemnité de subsistance pour études, en application de la Politique d’éducation, procède de critères objectifs, et il ne s’agit pas d’une décision fondée sur un pouvoir discrétionnaire subjectif sans limite précise. Par ailleurs, la décision était fondée sur des faits propres à la demanderesse, et elle ne s’appliquait qu’à la demanderesse. Je suis d’avis que le contenu procédural de l’obligation d’équité se situe vers le milieu de l’échelle.

 

[26]           Une crainte raisonnable de partialité pourra être justifiée si la preuve est faite d’une hostilité personnelle ou de l’existence d’un préjugé contre une partie. Selon la demanderesse, il y a lieu de craindre la partialité du conseil de la bande. L’actuel conseil de la bande, qui a été élu en avril 2005, comprend la demanderesse, Lawrence Schell, Shirley Hay, Gloria Greasley et Blaine Commandant, l’actuel chef de la bande. Les trois dernières personnes ont été élues titulaires.

 

[27]           L’un des moyens sur lesquels la demanderesse fonde son allégation de partialité est le fait que le conseil de la bande est désigné défendeur dans la poursuite qu’elle a engagée pour congédiement injuste. Dans l’arrêt Grabowski v. Joint Chiropractic Professional Review Committee, 1999 SKQB 9, confirmé : 2000 SKCA 61, la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan a jugé que le rôle joué par une partie dans une autre procédure ne permettra pas nécessairement de conclure à sa partialité. Dans l’affaire Grabowski, les parties que le demandeur accusait de partialité avaient été désignées défenderesses dans une action déposée par le demandeur. La Cour du banc de la Reine a fait observer que les personnes que le demandeur accusait de partialité n’étaient pas les instigateurs du procès, et elle a jugé que leur statut récent de défenderesses désignées dans un procès intenté contre elles ne pouvait pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. En l’espèce, ce n’est pas le conseil de la bande qui était l’instigateur du recours déposé par la demanderesse, et, par conséquent, me fondant sur l’arrêt Grabowski, je suis d’avis que ce facteur, à lui seul, n’autorise pas une crainte raisonnable de partialité.

 

[28]           La demanderesse dit aussi que le refus de la bande de se soumettre à la décision arbitrale obligatoire autorise une crainte raisonnable de partialité. D’après la preuve produite devant la Cour, le conseil de la bande n’admet pas la décision et a refusé d’encaisser le chèque de la demanderesse et de mettre ainsi fin au différend. À l’époque où la demanderesse a sollicité l’indemnité de subsistance pour études, le conseil de la bande, dont trois membres avaient également été membres du conseil antérieur, ont pareillement refusé de se soumettre à la décision arbitrale, ainsi que l’atteste la lettre du conseil de la bande, en date du 29 novembre 2005, où le conseil écrit que, en ce qui le concerne, le différend serait réglé sur paiement de la somme de 961 $. À mon avis, il ressort très clairement de la preuve produite devant la Cour que le conseil de la bande croyait que la demanderesse devait encore de l’argent à la bande, en dépit du fait que, de son propre aveu, la demanderesse avait « rencontré des difficultés » avec le conseil de l’époque dans la remise du paiement final, et en dépit du fait que la décision arbitrale obligatoire précisait que la demanderesse ne serait plus redevable à la bande de la somme de 961 $ si la demanderesse remettait au conseil de la bande, à l’intérieur du délai requis, un chèque de 961 $, quand bien même le conseil de la bande déciderait‑il de ne pas encaisser le chèque. Si l’on ajoute à cela que l’une des conditions que doit remplir un étudiant pour obtenir de la bande une aide financière dans ses études est que l’étudiant soit en règle avec la bande, je suis d’avis qu’une personne raisonnable aurait le sentiment que le conseil de la bande a préjugé la question de savoir si la demanderesse remplissait cette condition, étant donné qu’il ne s’était pas soumis à la décision arbitrale.

 

[29]           Je crois donc que la lettre du 29 novembre 2005 du conseil de la bande montre qu’il y avait raisonnablement lieu de craindre la partialité du conseil de la bande.

 

4.  La décision du conseil de la bande de refuser à la demanderesse l’indemnité de subsistance pour études était‑elle raisonnable?

a)      La norme de contrôle

[30]           La norme de contrôle doit être déterminée selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Il faut pour cela considérer quatre facteurs : la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi; la spécialisation du tribunal administratif dans la question posée, par rapport à la spécialisation de la juridiction de contrôle; l’objet du texte législatif, ainsi que de la disposition considérée; enfin la nature de la question (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19).

 

[31]           Il n’y a dans la Politique d’éducation aucune clause privative. Par conséquent, ce facteur signale que la décision du conseil de la bande appelle une retenue moindre.

 

[32]           Le second facteur est la spécialisation relative du conseil de la bande quant à la question de savoir qui a le droit, en vertu de la Politique d’éducation, d’obtenir une aide financière. D’après la Politique d’éducation, les étudiants n’ont pas droit automatiquement à une aide financière pour leurs études, mais la bande viendra en aide à autant d’étudiants que possible, et les étudiants seront choisis et soutenus financièrement en accord avec les lignes directrices des Mohawks de Wahta (section 2). Pour le cas où le budget serait insuffisant, le conseil de la bande appliquera les critères de sélection prévus dans la section 7 pour savoir lesquels des étudiants bénéficieront d’une aide. La condition applicable dans le cas présent est que l’étudiant qui présente une demande d’aide doit être en règle avec la bande sur le plan financier. La question de savoir si un étudiant est en règle avec la bande sur le plan financier est une question de fait, qui exige qu’un examen de la relation financière entre l’étudiant et la bande soit fait. En général, cette question relèvera de la spécialisation du conseil de la bande, puisqu’il connaît les politiques financières qui sont les siennes, ainsi que les antécédents de la relation financière de l’étudiant avec la bande. Cependant, en l’espèce, la question de savoir si la demanderesse était en règle avec la bande sur le plan financier exigeait qu’une analyse de la décision arbitrale soit faite. Le conseil de la bande n’est pas plus spécialisé que la Cour pour la question de savoir si, d’après la décision arbitrale contraignante, et à la lumière des événements qui ont suivi cette décision, une somme reste due à la bande. En conséquence, ce facteur n’appelle qu’une faible retenue envers la décision du conseil de la bande.

 

[33]           D’après l’article 2 de la Politique d’éducation, l’objet de cette politique est d’aplanir les difficultés de ceux qui sont admissibles à une aide financière et de leur conférer un accès juste et équitable à cette aide. La disposition précise de la Politique d’éducation qui est en cause ici est celle qui prévoit que seuls les étudiants qui sont en règle avec la bande sur le plan financier sont admissibles à une aide. On ne saurait dire que l’objet de la disposition est polycentrique étant donné qu’elle ne met pas en balance des intérêts rivaux, mais plutôt oblige le conseil de la bande à tirer une conclusion factuelle sur l’admissibilité d’un candidat à une aide financière pour études. Ce facteur appelle une retenue moindre envers la décision du conseil de la bande.

 

[34]           Le dernier facteur concerne la nature de la question. La question de savoir si la demanderesse est en règle avec la bande est une question de fait, qui appelle donc un niveau élevé de retenue envers la décision du conseil de la bande.

 

[35]           Après pondération de ces facteurs, je suis d’avis que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

b) La décision du conseil de la bande était‑elle déraisonnable?

 

[36]           À deux reprises distinctes, la demanderesse a remis au conseil de la bande un chèque représentant la somme due, une fois avant l’arbitrage, puis de nouveau après la décision arbitrale. Le conseil a refusé les deux fois d’encaisser le chèque. Selon la décision arbitrale, la dette s’éteindrait même si le conseil de la bande n’encaissait pas le chèque, à condition que la demanderesse remette au conseil de la bande un chèque représentant la somme due. Par ailleurs, alors même que, selon la décision arbitrale, la dette allait s’éteindre par remise d’un chèque au conseil de la bande, la demanderesse a proposé de déduire de son indemnité de subsistance la somme dont elle avait été auparavant redevable envers la bande. Le conseil de la bande n’a pas répondu à cette proposition. Les défendeurs n’ont pas non plus présenté à la Cour une preuve donnant à penser que la demanderesse doit encore de l’argent à la bande, si ce n’est pour dire que la bande n’a jamais négocié le chèque de la demanderesse. À mon avis, vu la décision arbitrale, la conclusion du conseil de la bande selon laquelle la demanderesse n’était pas en règle avec la bande est déraisonnable, car elle ne résiste pas à un examen assez poussé. C’est la bande elle‑même qui a décidé de ne pas négocier le chèque qui lui a été remis en remboursement de la somme qui lui était due.

 

[37]           Selon les défendeurs, la demanderesse n’est pas non plus admissible à une indemnité de subsistance parce qu’elle n’est pas une étudiante à temps plein. Il n’est pas établi que c’est là la raison pour laquelle la bande a refusé la demande d’indemnité. Ce raisonnement a été avancé pour la première fois dans l’affidavit de Shirley Hay. L’appel téléphonique reçu du conseiller d’éducation, et la lettre envoyée à la demanderesse l’informant que sa demande d’indemnité était refusée, ne faisaient pas état de son statut d’étudiante, et j’accorde davantage de poids à ces faits qu’à l’affidavit de Shirley Hay. Selon moi, le fait que la demanderesse n’ait pas été une étudiante à temps plein n’est pas la raison pour laquelle le conseil de la bande lui a refusé l’indemnité de subsistance. La question de savoir si la demanderesse était une étudiante à temps plein ou à temps partiel a été soulevé après coup.

 

[38]           Je suis tout à fait persuadé que la décision du conseil de la bande selon laquelle la demanderesse n’était pas en règle avec la bande était une décision déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[39]           Dans l’avis de demande, la demanderesse sollicitait ce qui suit :

 

a.       un jugement déclaratoire disant qu’elle a droit, à compter de septembre 2005, au versement de l’indemnité de subsistance pour études dont il est fait état dans la politique d’éducation;

b.      une ordonnance obligeant le conseil de la bande à lui verser l’indemnité;

c.       ses dépens afférents à la demande.

 

[40]           Dans ses conclusions écrites, la demanderesse sollicitait aussi une ordonnance subsidiaire enjoignant à la bande d’étudier sa demande d’aide financière en vertu de la Politique d’éducation, en tenant pour acquis qu’elle n’est redevable envers la bande d’aucune somme d’argent et qu’elle est réputée être une étudiante à temps plein dans son programme d’études. À mon avis, c’est ce dernier recours qui est le plus indiqué. La demande de versement d’une aide financière est renvoyée pour nouvelle décision au conseil de la bande, qui devra se soumettre à la décision arbitrale en tenant pour acquis que la dette de la demanderesse envers le conseil de la bande est éteinte et que la demanderesse est une étudiante à temps plein.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision conforme aux motifs susmentionnés, étant entendu que la demanderesse n’est pas endettée envers le conseil de la bande et que, à l’époque pertinente, elle était étudiante à temps plein, le tout avec dépens.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, trad. a., LL.L


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑806‑06

 

INTITULÉ :                                       KAREN COMMANDANT

                                                            c.

                                                            LES MOHAWKS DE WAHTA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael R. Swartz

 

POUR LA DEMANDERESSE

Patrick Schindler

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weir Foulds llp

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Patrick Schindler

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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