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Date : 20070705

Dossier : T-592-06

Référence : 2007 CF 704

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

FÉDÉRATION DES PRODUCTEURS ACÉRICOLES DU QUÉBEC

et

CINTECH AGROALIMENTAIRE, DIVISION INSPECTION INC.

 

demanderesses

ET

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A-1 (la LAI), les demanderesses, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (la Fédération) et Cintech Agroalimentaire, Division Inspection Inc. (Cintech), exercent devant cette Cour un recours en révision de la décision de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence), rendue le 14 mars 2006 et qui autorise la divulgation de certains documents se rapportant aux demanderesses. Le Procureur général du Canada (PGC) qui est en l’instance co-défendeur avec l’Agence soutient que la présente demande doit être rejetée.

 

I.   CONTEXTE

[2]               La Fédération est une fédération de onze syndicats professionnels de producteurs acéricoles et a le statut d’office de mise en marché des produits du sirop d’érable dans la province de Québec au sens de l’article 65 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche, L.R.Q., c. M-35.1. Elle applique et administre le Plan conjoint des producteurs acéricoles du Québec (décision numéro 5057 de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (la RMAAQ), 1990 G.O. 2, 743) (le Plan conjoint). Pour l’administration du Plan conjoint, la RMAAQ a approuvé, entre autres, le Règlement sur l’agence de vente des producteurs acéricoles (décisions 7449 et 7484 de la RMAAQ, 2002 G.O.2, 1707, modifié par des décisions subséquentes de la RMAAQ) (le Règlement sur l’agence de vente).

 

[3]               Essentiellement, l’agence de vente des producteurs acéricoles du Québec, soit la Fédération, est une voie unique par laquelle tout le sirop d’érable produit au Québec et commercialisé sous forme de grands contenants est vendu par les producteurs acéricoles aux acheteurs intéressés. La Fédération utilise deux entrepôts de sirop d’érable au Québec pour lesquels la Fédération est titulaire d’un agrément en vertu du Règlement sur les produits de l’érable, (C.R.C., ch. 289) (le Règlement sur les produits de l’érable). Ces entrepôts appartiennent à l’entreprise 9020-2292 Québec Inc. qui fait également affaires sous le nom Decacer. Ainsi, comme l'exige le Règlement des producteurs acéricoles sur les normes de qualité et le classement (décision 7360 de la RMAAQ, 2001 G.O. 2, 7217) (le Règlement sur les normes de qualité), tout le sirop produit au Québec sous forme de grands contenants est inspecté et classé avant d’être vendu par la Fédération au nom des producteurs.

 

[4]               Le Règlement sur les normes de qualité permet par ailleurs à la Fédération de conclure des conventions en déléguant à un tiers l’exécution des tâches de classement et de vérification. En vertu de ce pouvoir, la Fédération a conclu avec le Centre d’innovation technologique agro-alimentaire (Cintech Agroalimentaire) diverses conventions qui couvrent ensemble la période allant du 18 janvier 2002 au 28 février 2006. De plus, Cintech Agroalimentaire peut elle-même confier des tâches de classement et de vérification à une de ses filiales en propriété exclusive, ce qu’elle a fait en confiant ces tâches à Cintech. En pratique, ce sont les employés de Cintech qui agissent comme inspecteurs.

 

[5]               Pour ce qui est de l’Agence, celle-ci est une personne morale constituée en vertu de la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments, L.C. 1997, c. 6 (la Loi sur l’ACIA), qui exerce ses pouvoirs uniquement à titre de mandataire de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. L’Agence est chargée d’assurer et de contrôler l’application de certaines lois, dont la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 20 (la Loi sur les produits agricoles). D’ailleurs, c’est en vertu de cette loi habilitante relative aux produits agricoles que le Règlement sur les produits de l’érable a été adopté et duquel la Fédération a obtenu un agrément.

 

II.   FAITS À L’ORIGINE DE LA PRÉSENTE DEMANDE

[6]               Vers le 5 décembre 2005, une plainte contre la Fédération est déposée auprès de l’Agence. Avec la dénonciation sont joints divers documents appartenant aux demanderesses et qui sont déposés sans leur consentement. Même si le nom de la personne à l’origine de la dénonciation n’a pas été dévoilée par l’Agence (son identité doit demeurer confidentielle en vertu de la loi), les demanderesses soutiennent que les documents joints à la dénonciation proviennent d'une ancienne employée de Cintech qui a été congédiée.

 

[7]               Vers le 16 janvier 2006, l’Agence reçoit une demande d’accès à l’information concernant la dénonciation. Les représentants du centre opérationnel de l’Agence du Québec identifient et transmettent à la section d’accès à l’information 45 pages de documents pertinents, les numérotant de 1 à 45. Après avoir retranché certaines pages qu’il considère visées par l’article 3 de la LAI, M. Denis Châtelain, analyste principal de la section d’accès à l'information et protection des renseignements personnels de l’Agence, avise les demanderesses par lettres datées du 13 février 2006 de l’existence de la demande d’accès et les invite à présenter des observations écrites à ce sujet.

 

[8]               Par lettre datée du 1er mars 2006, les demanderesses s’opposent en entier à la divulgation complète de tous les documents portant les pages 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 43, 44 et 45, au motif que leur divulgation est interdite en vertu de l'article 20 de la LAI. Par ailleurs, elles s’opposent également en entier, s’appuyant pour ce faire sur le même article de la LAI, à la divulgation complète du document portant la page 4, qui fait état de la dénonciation elle-même et qui contient des informations que les demanderesses considèrent non fondées et de nature diffamatoire.

 

[9]               Par lettre datée du 14 mars 2006, M. Châtelain avise les demanderesses que l’Agence procédera à la divulgation d'une partie seulement des 45 pages. Plus particulièrement, les pages 4, 10 à 14, 16 et 17, 26, 36 et 37, et 41 à 45 seront divulguées, soit 16 pages. Il s’agit de cette décision qui fait l’objet de la présente demande de révision.

 

III.   DOCUMENTS EXAMINÉS PAR LA COUR

[10]           À l’ouverture de l’audience tenue le 31 mai 2007, le procureur des demanderesses confirme à la Cour que ces dernières ne s’objectent plus à la divulgation complète des documents portant les pages 4 et 43. Par la même occasion, l’Agence souligne que dans le cadre de la demande d’accès à l’information entreprise, les documents portant les pages 15, 18 à 25, 27 à 32, 34, 35 et 44 ne seront pas communiqués. De plus, suivant les prétentions alléguées au paragraphe 96 de leur mémoire des faits et du droit, les demanderesses ne s’opposent plus à la communication des documents portant les pages 41 et 42. Par conséquent, le dossier en l’instance porte exclusivement sur les objections des demanderesses quant à la communication des documents portant les pages 10 à 14, 16, 17, 26, 33, 36, 37, et 45 (les documents examinés) pour que soit empêché la divulgation de leur contenu. Les demanderesses allèguent au paragraphe 96 de leur mémoire des faits et du droit déposé à la Cour le 2 octobre 2006 dans la section « ORDONNER » que le document portant la page 33 est contesté et que sa communication devrait être empêché, alors que la décision de l’ACIA en date du 14 mars 2006, a déjà conclu que ce document ne doit pas être communiqué, donc ne doit pas être  divulgué. Par conséquent, il appert en l’instance que le document portant la page 33 n’est pas en litige.

 

IV.   NORME D’EXAMEN JUDICIAIRE

[11]           Dans la décision Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 257 au paragraphe 15, la Cour d’appel fédérale a déterminé, suivant l’approche pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle applicable aux décisions concernant la question à savoir si des documents à être communiqués doivent faire l’objet ou non d’une exemption en vertu du paragraphe 20(1) de la LAI est celle de la décision correcte (voir également : H.J. Heinz Company of Canada Ltd. v. Canada (Attorney General), 2006 FCA 378 au para. 15).

 

[12]           D’autre part, dans le cadre d'un recours en révision en vertu de l’article 44 de la LAI, la Cour doit examiner l'affaire de nouveau et doit procéder au besoin à la révision détaillée de chacun des documents en litige déposés (Air Atonabee Ltd. (f.a.s. City Express) c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 au para. 30 (C.F. 1re inst.) (QL). Conformément à ce qui est prescrit, c’est ce qu’elle a fait en l’espèce, bien que les présents motifs soient formulés en termes généraux.

 

V.   CONTRÔLE DE L’AGENCE

[13]           Il importe en premier lieu de traiter d’un argument préliminaire qui a été présenté par les demanderesses. Ces dernières soutiennent que l’article 2088 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, empêche que des documents obtenus illégalement par une salariée, congédiée de surcroît par son employeur, puissent être communiqués à l’Agence. Il s’ensuit qu'en vertu de l'article 4 de la LAI, l’Agence n’a pas le « contrôle » légal à l’égard des documents qui ont été produits avec la dénonciation sans son consentement. En bref, elles font valoir qu’il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’application de l’article 20 de la LAI.

 

[14]           Je ne peux faire mien l’argument des demanderesses pour les raisons suivantes.

 

[15]           Le paragraphe 4(1) de la LAI confère aux citoyens canadiens et aux résidents permanents un droit général d’accès aux documents relevant d’une institution fédérale, sous réserve des exceptions prévues par le législateur. Même si des documents sont communiqués à l’institution fédérale sans l’autorisation du tiers en cause, s'il s'agit de documents qui relèvent de l’institution fédérale ou qui sont sous son contrôle et pour cause, la LAI s'applique. Il s'agit alors de se demander si les documents en question sont visés par l'une des exceptions prévues ailleurs dans la LAI. Dès lors, la façon dont une institution fédérale a obtenu les documents examinés n’est pas un facteur pertinent pour déterminer si un document est susceptible de communication en vertu de la LAI. En pareilles circonstances, le fait qu’une institution fédérale ait en sa possession des documents, dans le sens légal ou matériel du terme, suffit pour que la LAI ait force de loi (Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) (C.A.), [1995] 2 C.F. 110, confirmant un appel d’une décision de première instance, [1993] 3 C.F. 320).

 

[16]           De façon générale, on peut certainement dire ici que les documents examinés « relèvent » de l’Agence, puisqu'il est lui appartient d’assurer et de contrôler l’application du Règlement sur les produits de l’érable, qui a été adopté en vertu de la Loi sur les produits agricoles comme il en a déjà été question plus haut en ces lignes. Or, celui-ci interdit la commercialisation – soit interprovinciale, liée à l’importation ou à l’exportation – d’un produit de l’érable ayant été contaminé. Ceci inclut également la commercialisation de tout produit non-contaminé ayant été mélangé à un produit contaminé. Or, la dénonciation, qui se fonde sur les documents dont la communication est contestée en l’instance, fait état de certaines irrégularités survenues lors de la pasteurisation du sirop d’érable aux entrepôts de la Fédération. Selon l’information contenue à la dénonciation, document au sujet duquel il n’y a plus d’objection à la communication, du sirop d’érable impropre à la consommation a été mélangé avec du sirop répondant aux normes de qualité. En fait, c’est que du sirop d’érable a été ramassé du sol et mis dans les barils lors de la pasteurisation pour l’année 2003-2004.

 

[17]           Il est clair qu’en vertu des articles 20 et suivants du Règlement sur les produits de l’érable, les inspecteurs de l’Agence ont le pouvoir d’enquêter au sujet de la dénonciation, d’inspecter les lieux où les faits allégués sont survenus, de saisir tout produit de l’érable contaminé, et de recueillir des demanderesses toute information utile. Par conséquent, dans le cadre de son enquête, un inspecteur de l'agence aurait pu demander de voir tout document pertinent en possession des demanderesses, incluant les originaux des documents joints à la dénonciation. Ceci étant dit, le fait que certains documents joints à la dénonciation aient trait aux procédures d’inspection et de contrôle de la qualité volontairement mises en œuvre par les demanderesses en vertu de la législation ou de la réglementation provinciale, n’est pas un facteur qui me permet d’exclure ces documents de l’application de la LAI. Si leur pertinence à titre d’éléments de preuve permettant de démontrer la commission des infractions reprochées est contestée par les demanderesses, il leur appartient de s’adresser à l’Agence afin que ces documents soient retirés du dossier et qu’ils leur soient retournés le cas échéant. Or, une telle demande n’a jamais été faite par les demanderesses.

 

[18]           Dans ces circonstances, je considère que l’ensemble des documents que représentent les 45 pages se rapportant à la demande d’accès à l’information, dont font état les avis adressés par l’Agence en vertu de l’article 27 de la LAI, sont légalement en possession de l’Agence en vertu de l’article 4 de la LAI et qu’ils doivent par conséquent faire l’objet d’un examen par la Cour en vertu de l’article 47 de la LAI afin de déterminer si l’une ou l’autre des exceptions mentionnées au paragraphe 20(1) de la LAI trouve application en l’espèce.

 

VI.   APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA LOI

[19]           Pour les fins des présentes, seule l’application des alinéas a), b) et c) du paragraphe 20(1) de la LAI est en cause. Ces dispositions d’exception prévoient :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

a) des secrets industriels de tiers;

 

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

(a) trade secrets of a third party;

 

 

(b) financial, commercial,

scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

 

[20]           Étant donné que les documents examinés font l’objet d’une ordonnance de confidentialité, la Cour n’abordera les documents examinés qu’en termes généraux. Je traiterai d’abord des objections fondées sur les alinéas 20(1)a) et c) de la LAI, qui doivent être rejetées compte tenu de la preuve au dossier de la Cour, pour ensuite examiner l’objection fondée sur l’alinéa 20(1)b) de la LAI, qui doit cette fois être accueillie vu les éléments de preuve que renferme le dossier de la Cour.

 

A.   Alinéa 20(1)a) de la LAI

 

[21]           La page 45 contient les codes de pasteurisation et des données quant aux pourcentages de transmission de lumière dans le sirop, et ce relativement aux diverses classes réglementaires de sirop. Plus particulièrement, les demanderesses soumettent que les codes de pasteurisation que l’on trouve à la page 45 constituent des renseignements à caractère technique, lesquels ont été élaborés par monsieur Bernard Perreault de la Fédération, dans le but évident de les garder secrets. D’un autre côté, les défendeurs soutiennent que les renseignements contenus à la page 45 ne sont pas des secrets industriels dont l’Agence est tenue d’en refuser la communication aux termes de l’alinéa 20(1)a) de la LAI.

 

[22]           Bien que la page 45 contienne des renseignements à caractère technique, je ne crois qu'ils contiennent des « secrets industriels ». Dans la décision Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] A.C.F. no 589 (QL) au paragraphe 7, la Cour a défini un secret industriel comme étant « ([…]) un renseignement, probablement de caractère technique que l'on garde très jalousement et qui est pour celui qui le possède tellement précieux que sa seule divulgation ferait naître en faveur de ce possesseur une présomption de préjudice ».

 

[23]           Or, la plupart de ces renseignements que l'on trouve à la page 45 font déjà partie du domaine public. En effet, la pièce « A » de l’affidavit public de Sandra McKinnon fait état de trois documents provenant de trois sites web qui contiennent des renseignements quant aux pourcentages de transmission de lumière dans le sirop et leur correspondance quant aux classes de sirop. Bien que ces sites web n’indiquent pas les numéros de codes de pasteurisation, je ne peux voir comment ces renseignements sont tellement précieux que leur seule divulgation ferait naître en faveur de ce possesseur une présomption de préjudice. Par conséquent, la page 45 n’est pas visée par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)a) de la LAI. Cette détermination n’exclut toutefois pas l’application possible de l’alinéa 20(1)b) de la LAI et pour cause, elle sera prise en compte plus loin en ces lignes.

 

B.   Alinéa 20(1)c) de la LAI

[24]           Les demanderesses soutiennent que l’exception prévue à l’alinéas 20(1)c) de la LAI s’applique en l’espèce puisque la divulgation des documents examinés aurait un impact négatif sur la perception des consommateurs, des acheteurs et des producteurs de sirop d’érable, ainsi que sur la gestion par la Fédération des stocks de ce produit, ce qui risquerait de nuire à leur écoulement. Pour leur part, les défendeurs soutiennent au contraire que les documents examinés sont visés par l’alinéa 20(1)c) de la loi seulement si le tiers en cause arrive à démontrer que leur divulgation risquerait vraisemblablement d’entraîner un préjudice ou que ce dernier arrive à démontrer qu'il existe des motifs clairs à l’effet qu’il y a une attente raisonnable d’un préjudice probable.

 

[25]           En vertu de l’alinéa 20(1)c) de la LAI, le responsable de l’institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité. Or, dans Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture) (C.A.F.), [1989] 1 C.F. 47, la Cour a interprété l’alinéa 20(1)c) de la LAI comme exigeant un « ([…]) risque vraisemblable de préjudice probable ». D’autre part, quant à l’exigence relative à la preuve de la « perte financière appréciable », le juge MacKay a conclu au paragraphe 43 dans la décision SNC-Lavallin Inc. c. Canada (Ministre des travaux publics), [1994] A.C.F. no 1059 (QL), qu’il faut présenter la preuve d’« ([…]) une attente raisonnable d’un préjudice probable. »

 

[26]           À mon avis, l’alinéa 20(1)c) de la LAI ne s'applique pas ici. En l’espèce, les demanderesses n’ont soumis aucun élément de preuve me permettant de conclure que la divulgation des documents en question risquerait vraisemblablement d’entraîner un préjudice probable. Le risque allégué est spéculatif et lointain. L’affidavit de M. Bernard Perrault contenant des allégations générales selon lesquelles la communication de renseignements risque d’entraîner des pertes et des dommages appréciables n’est pas convaincant en l'espèce.

 

C.            Alinéa 20(1)b) de la LAI

 

[27]           Les demanderesses soutiennent enfin que les documents examinés contiennent des renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) de la LAI. Les défendeurs ne contestent pas le fait que les documents examinés ne sont pas généralement accessibles au public et qu'ils ont directement trait aux opérations d’inspection, de pasteurisation et conservation du sirop, qui sont menées par les demanderesses aux fins de la vente et de la commercialisation des produits de l’érable. Toutefois, puisque les activités des demanderesses sont réalisées dans l’intérêt public et que la commercialisation du sirop d’érable est une activité réglementée par les deux ordres de gouvernement, la divulgation des documents examinés devrait être autorisée par la Cour selon les défendeurs.

 

[28]           Considérant les éléments de preuve de nature publique déposés au dossier de la Cour, ayant examiné chacun des documents visés par les objections des demanderesses et ayant considéré les arguments soumis par les procureurs en audience publique et lors de la portion de l'audience tenue à huis clos au moment où le contenu de chaque document a été discuté, je suis d'avis que l'alinéa 20(1)b) de la LAI s'applique à l'ensemble des documents examinés en l’instance.

 

[29]           Pour satisfaire au régime d’exception visé à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, les renseignements contenus dans les documents examinés doivent être à la fois :

            1.         des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques ;

            2.         des renseignements de nature confidentielle ;

            3.         des renseignements fournis à une institution fédérale par un tiers ; et

            4.         des renseignements traités comme tels par le tiers et de façon constante.

 

[30]           Ces quatre conditions sont ici réunies.

 

[31]           En l'espèce, les documents examinés contiennent des renseignements d’ordre technique ou commercial. Il peut s’agir d’instructions émanant de la direction quant à l'inspection du sirop, à la manutention des barils de sirop ou à la gestion des inventaires. Ces consignes d'ordre technique doivent être respectées par les inspecteurs et les autres employés. Il peut s'agir également de notes internes ou de courriels échangés entre employés relativement au classement, à l’élimination, à la pasteurisation, à la manutention ou à la reclassification du sirop, incluant certains constats effectués par les inspecteurs sur la qualité du sirop lui-même ou l’état général des barils qui le contiennent. Ces derniers renseignements ont directement trait à la commercialisation du sirop.

 

[32]           Je suis également satisfait que les documents examinés sont de nature confidentielle, en ce sens que selon les éléments de preuve au dossier de la Cour, ils n’ont jamais été publiquement mis en circulation par les demanderesses et ils ne sont toujours pas accessibles au public.

 

[33]           À ce sujet, j'ai également tenu compte des commentaires faits par le juge MacKay dans la décision Air Atonabee, précitée. Ce dernier proposait au paragraphe 41 la démarche suivante afin de déterminer si un document donné contenait des « renseignements confidentiels » :

([...]) la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :

1)         le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

 

2)         les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

 

3)         les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.

 

[34]           En l'espèce, il n’y a aucun élément de preuve au dossier à l'effet que les renseignements commerciaux et techniques contenus dans les documents examinés peuvent être obtenus à partir de sources auxquelles le public a autrement accès ou qui peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante. Je ne crois pas non plus que le caractère réglementaire des activités de la Fédération confère en lui-même un droit général d’accès du public aux renseignements contenus dans les documents examinés. Si dans un cadre réglementaire fédéral ou provincial, des documents pouvant contenir des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques sont communiqués par la Fédération à l’Agence ou à la RMAAQ, il y a alors lieu de se demander si ceux-ci ont été transmis confidentiellement par la Fédération avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas communiqués au public. Or, il ne s’agit pas ici de renseignements confidentiels qui ont été volontairement fournis par le tiers, soit les demanderesses, à la demande de l’institution fédérale, soit l’Agence, mais plutôt des renseignements qui ont été fournis par une quatrième partie, soit la personne ayant fait la dénonciation et ce, sans l’autorisation du tiers en cause.

[35]           Je note que dans l’affaire SNC-Lavallin, précitée, la Cour a précisé que le « tiers » au sens de l’alinéa 20(1)b) de la LAI ne se limite pas à la partie requérante aux termes de l’article 44 de la LAI. Au paragraphe 35, le juge MacKay écrit :

L'intimée prétend que l'alinéa 20(1)b) ne s'applique pas au rapport d'évaluation parce qu'il n'a pas été fourni à TPC par le requérant, soit le tiers, mais plutôt par une quatrième partie, c'est-à-dire un consultant dont les services ont été retenus par TPC. Voilà qui n'empêche pas l'application de cette disposition, à mon avis, puisqu'à l'article 2 de la Loi, un "tiers" s'entend d'une personne, d'un groupement ou d'une organisation autres que l'auteur de la demande ou l'institution gouvernementale.

 

[36]           Enfin, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve déposé au dossier de la Cour, je suis d’avis qu’à tout événement, les documents examinés ont été traités de façon confidentielle par les demanderesses.

 

[37]           En conséquence, conformément à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, le responsable de l'agence est tenu de refuser la communication des documents examinés.

 

VII.   CONCLUSION

[38]           La présente demande doit être accueillie. En principe, selon le paragraphe 53(1) de la LAI, les frais et les dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal. En l’espèce, bien qu’il y ait deux demanderesses et deux défendeurs, il n’y aura qu’un seul mémoire de frais contre les défendeurs.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ACCUEILLE la demande de révision et ordonne à l’Agence de ne pas communiquer au demandeur d’accès à l’information les documents visés par la demande d’accès à l’information dans le dossier A-2005-0218 / dc et portant les pages 10 à 14, 16, 17, 26, 33, 36, 37 et 45 visés par la décision du 14 mars 2006, de même que les documents portant les pages 15, 18 à 25, 27 à 32, 34, 35 et 44, qui selon l'admission des parties, ne doivent pas être communiqués également afin d’en empêcher leur divulgation. Les demanderesses ont droit à leurs dépens contre les défendeurs ; un seul mémoire de frais devant être préparé en l’espèce.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-592-06

 

INTITULÉ :   FÉDÉRATION DES PRODUCTEURS ACÉRICOLES DU QUÉBEC

ET CINTECH AGROALIMENTAIRE, DIVISION INSPECTION INC.,

 

demanderesses

- et –

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

défendeurs

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 31 mai 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     L’honorable juge Luc Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alexandre Ajami

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Marie Crowley

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson Pouliot sencrl

Avocats

Montréal, Québec

 

POUR LES DEMANDERESSES

Ministère fédéral de la Justice Canada

Contentieux des affaires civiles

POUR LES DÉFENDEURS

 

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