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Date : 20070704

Dossier : T-1780-06

Référence : 2007 CF 697

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

MOHAMMED FARROKHYAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, à l’encontre de la décision d’une juge de la citoyenneté (la juge) de rejeter, en date du 8 septembre 2006, la demande de citoyenneté présentée par le demandeur au motif qu’il ne satisfaisait pas au critère de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[2]               Mohammed Farrokhyar (le demandeur) est un citoyen d’Iran né en 1949. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 17 avril 2002. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 11 octobre 2005 et s’est présenté à un examen pour l’obtention de la citoyenneté le 17 janvier 2006. Dans sa demande, il a écrit qu’il avait été absent du Canada pendant un total de 136 jours au cours de la période pertinente. Il s’était alors rendu en Iran pour rendre visite à sa mère infirme.

 

[3]               Le demandeur avait plus de 55 ans au moment de l’audience. Aussi, la seule question que je dois trancher est celle de savoir si le demandeur a résidé au Canada pendant 1 095 jours, comme l’exige la Loi sur la citoyenneté.

 

[4]               La juge a souligné dans sa décision que le demandeur n’avait produit que son passeport actuel, lequel n’était valide que pendant seulement six des semaines comprises dans la période pertinente. Il n’a pas expliqué de manière concrète où se trouvait son passeport périmé. Au lieu du passeport manquant, le demandeur a produit différents documents au soutien de sa demande. Après avoir examiné le dossier du demandeur, la juge a conclu que la preuve n’établissait pas la présence physique du demandeur au Canada pendant la période pertinente. Elle a donc rejeté sa demande de citoyenneté parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il [traduction] « a résidé au Canada pendant 1 095 jours, comme l’exige la Loi sur la citoyenneté ».

 

[5]               Le demandeur fait principalement valoir que, le 17 janvier 2006, il a présenté à un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent de CIC) son passeport iranien actuel et son passeport iranien expiré; dans ce dernier étaient estampillés les dates d’entrée et de sortie d’Iran qui correspondaient aux dates d’entrée et de sortie du Canada et de sortie indiquées dans sa demande. Il allègue que l’agent de CIC lui a dit qu’il n’était pas nécessaire de conserver son passeport périmé et qu’il l’a donc détruit par la suite.

 

L’analyse

[6]               Il est bien établi que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux pures questions de droit. Aussi, la Cour doit d’abord déterminer si la juge s’est servie du critère juridique approprié pour tirer la conclusion concernant la résidence qui est contestée en l’espèce.

 

[7]               Le reste de la décision, qui consiste en l’application des faits aux règles de droit relatives à la résidence, est clairement une question mixte de fait et de droit. Je rappelle que, même s’il n’y a pas de clause privative, les juges de la citoyenneté possèdent une certaine expertise dans les affaires de résidence comme celle dont je suis saisie en l’espèce (Farshchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487, [2007] A.C.F. no 674 (QL), au paragraphe 8). Comme je l’ai mentionné précédemment dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. no 88 (QL), au paragraphe 7, je suis convaincue qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle révèle que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. Pour parvenir à cette conclusion, je me fonde également sur de nombreuses décisions de la Cour (voir, par exemple, Farshchi, précitée; Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439, [2006] A.C.F. no 1807 (QL), au paragraphe 11; Tshimanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1579, [2005] A.C.F. no 1940 (QL)).

 

[8]               Le critère juridique qui s’applique en matière de citoyenneté est prévu au paragraphe 5(1) de la Loi (voir la disposition législative pertinente en annexe). La personne qui demande la citoyenneté doit notamment avoir accumulé trois années de résidence au Canada au cours des quatre années antérieures. Le terme « résidence » n’est pas défini dans la Loi, mais il a été interprété de diverses façons par la Cour (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, [2003] A.C.F. no 841 (QL), au paragraphe 6).

 

[9]               La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

 

[10]           Je suis d’accord pour l’essentiel avec le juge James O’Reilly lorsqu’il écrit, au paragraphe 11 de la décision Nandre, précitée, que le premier critère exige la présence physique, alors que les deux autres nécessitent un examen plus qualitatif :

Manifestement, la Loi peut être interprétée de deux manières, l’une exigeant une présence physique au Canada pendant trois ans sur un total de quatre, et l’autre exigeant moins que cela, pour autant que le demandeur de citoyenneté puisse justifier d’attaches étroites avec le Canada. Le premier critère est un critère physique et le deuxième un critère qualitatif.

 

[11]           Il a aussi été reconnu que le juge de la citoyenneté est libre d’appliquer l’un ou l’autre de ces trois critères (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.) (QL)). Par exemple, dans la décision Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. no 862 (QL), la juge Elizabeth Heneghan conclut, au paragraphe 4, que l’un ou l’autre de ces critères peut être appliqué :

La jurisprudence sur les appels en matière de citoyenneté a clairement établi qu’il existe trois critères juridiques permettant de déterminer si un demandeur a démontré qu’il était un résident selon les exigences de la Loi sur la citoyenneté […] le juge de la citoyenneté peut soit calculer de façon stricte le nombre de jours de présence physique, soit examiner la qualité de la résidence, soit analyser la centralisation au Canada du mode de vie du demandeur.

 

[Renvois omis.]

 

[12]           Si le juge de la citoyenneté peut choisir d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner » (Tulupnikov, précitée, au paragraphe 17).

 

[13]           Le demandeur soutient que la juge a commis une erreur en ne précisant pas lequel des trois critères elle appliquait et, en outre, en fusionnant le critère de la « présence physique » avec des éléments appartenant aux deux autres critères. Je ne suis pas de cet avis.

 

[14]           Selon moi, il ne fait aucun doute que la juge a appliqué correctement le critère de la « présence physique » : elle fait explicitement référence au [traduction] « critère de résidence des 1 095 jours » à plusieurs reprises dans sa décision, elle concentre son analyse de la preuve sur la question de savoir si la présence du demandeur au Canada pendant la période pertinente a été établie et elle prend également en considération le nombre de jours pendant lesquels le demandeur a été absent du Canada, dans le but évident de calculer le nombre total de jours à l’égard desquels la présence du demandeur au Canada pouvait être établie. Il ressort clairement de son approche que la juge s’est limitée à une analyse quantitative.

 

[15]           En raison de l’importance de la preuve de la présence physique au Canada, la juge a accordé une grande importance au passeport manquant et s’est concentrée uniquement, dans son examen des documents produits par le demandeur, sur ceux qui démontraient qu’il était présent au Canada pendant la période pertinente. À la lecture de la décision de la juge, il est évident pour moi également qu’elle a assimilé « présence physique » et « résidence » au Canada tout au long de sa décision. Il n’y a, dans cette décision, aucune analyse qualitative qui me permet de croire qu’elle a fusionné les divers critères. Je suis convaincue qu’elle a choisi le critère approprié – celui, de nature quantitative, de la « présence physique » – et qu’elle l’a appliqué correctement en l’espèce.

 

[16]           Le demandeur soutient également que la juge a commis une erreur en ne prenant pas toute la preuve en considération, en n’indiquant pas explicitement combien de temps il avait effectivement passé au Canada et en tirant une conclusion défavorable de son défaut de produire son passeport périmé.

 

[17]           En l’espèce, il incombait au demandeur de produire une preuve suffisante démontrant qu’il satisfaisait aux critères de résidence de la Loi (Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641, [2005] A.C.F. no 2029 (QL), au paragraphe 21). Par conséquent, il devait, selon le critère de la « présence physique », démontrer qu’il avait été présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente, à défaut de quoi sa demande serait rejetée.

 

[18]           En l’espèce, la juge n’a pas été en mesure de confirmer les allégations du demandeur concernant le nombre de jours pendant lesquels il avait été présent au Canada à cause de l’insuffisance de sa preuve. Aussi, la juge ne pouvait pas logiquement établir le nombre exact de jours passés par le demandeur au Canada, et on ne peut pas lui reprocher de ne pas l’avoir fait.

 

[19]           Le demandeur soutient que la « Grant Checklist for Officers » (la liste de vérification Grant) datée du 2 février 2006 confirme son allégation selon laquelle il a présenté son passeport expiré (qui corroborait les dates qu’il avait données) à l’agent de CIC le 17 janvier 2006. Cet élément de preuve n’a pas été pris en compte par la juge. Le demandeur soutient également avoir détruit son passeport périmé parce que l’agent de CIC lui a dit qu’il n’en aurait pas besoin aux fins de sa demande. Dans les circonstances, la juge ne pouvait pas tirer une conclusion défavorable du fait qu’il n’avait pas produit le passeport périmé qui était valide pendant la plus grande partie de la période pertinente au regard de sa demande de résidence.

 

[20]           D’abord, j’estime que l’allégation du demandeur concernant l’avis de l’agent de CIC n’est pas étayée par la preuve :

  • la note manuscrite suivante figure dans les « Residency Questions Form Notes » (les notes concernant les questions relatives à la résidence) : [traduction] « avait un vieux passeport à l’examen ». Rien n’indique cependant que les dates estampillées dans le passeport périmé manquant correspondaient aux dates inscrites par la demandeur dans sa demande de citoyenneté;
  • l’annotation faite par la juge le 10 février 2006 ne corrobore pas, mais contredit la version des faits du demandeur, car elle indique seulement : [traduction] « audience non nécessaire si documents corrects »; elle ne permet pas de croire que tous les documents nécessaires ont effectivement été présentés;
  • il n’y a aucune trace de la déclaration faite par l’agent de CIC au demandeur selon laquelle le passeport expiré ne serait plus nécessaire.

 

[21]           En outre, j’estime important le fait que la présentation de tous les passeports (actuel et périmé) était clairement et précisément demandée dans des lettres subséquemment envoyées au demandeur.

 

[22]           À mon avis, le demandeur n’a pas démontré, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il avait même soulevé devant la juge le fait qu’il s’était fié aux déclarations de l’agent de CIC. La juge a déclaré dans ses motifs que, lorsqu’elle lui a posé des questions au sujet de son passeport précédent, le demandeur a répondu qu’il ne l’avait plus. Il n’a pas été en mesure d’expliquer concrètement où ce passeport se trouvait. Il n’est indiqué nulle part qu’il a détruit le passeport sur l’avis de l’agent de CIC.

 

[23]           La juge pouvait tirer une conclusion défavorable du défaut du demandeur de produire son passeport périmé, lequel aurait été un élément de preuve fondamental au regard de sa demande de résidence. Je souscris aux commentaires suivants faits par ma collègue la juge Eleanor Dawson dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 284, [2000] A.C.F. no 1264 (1re inst.) (QL), au paragraphe 38 :

Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est possible d’inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable.

 

[Renvois omis.]

 

[24]           Après avoir examiné la preuve et les motifs de la décision de la juge, je suis convaincue que celle‑ci a correctement appliqué le droit et examiné et soupesé tous les éléments de preuve et que sa décision est raisonnable.

 

[25]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE A

 

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

5. Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

      * *

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             T-1780-06

 

INTITULÉ :                                                           MOHAMMED FARROKHYAR

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 28 JUIN 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 4 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Wlodyka                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Marjan Double                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lowe & Company                                                    POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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