Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070710

Dossier : IMM-5284-06

Référence : 2007 CF 732

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

GURDHIAN SINGH

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]                La présente porte sur une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (Commission), rendue le 6 septembre 2006. À ce moment, la demande d’asile du demandeur a été rejetée.

 

[2]                Le demandeur réclame de cette Cour qu’elle casse la décision de la Commission et qu’elle renvoie le dossier devant un tribunal autrement constitué. 

 

2.         Contexte factuel

[3]                Le demandeur est un citoyen indien qui occupe des fonctions de granthi (prête). Il revendique le statut de réfugié et de personne à protéger au motif qu’il craint d’être persécuté par la police et par des terroristes s’il témoigne contre eux.

 

[4]                Le 12 août 2003, un Ragi Jatha (un groupe de chanteurs religieux) est venu au temple du village. Le lendemain, une descente de police, au cours de laquelle des armes ont été découvertes dans les instruments musicaux des chanteurs, a eu lieu au temple. Deux de ses chanteurs ont été arrêtés et un troisième, Dalip Singh, s’est échappé.

 

[5]                Le demandeur a également été arrêté lors de l’intervention de la police. Il a alors été torturé au moyen du supplice de la cheera avant d’être libéré. Le demandeur associe sa libération à l’action du conseil du village et du temple qui ont versé un pot-de-vin aux policiers. Il soutient avoir été traité par un médecin pour ses blessures.

 

[6]                À la suite de ces événements, les policiers ont fouillé la maison du demandeur et l’ont informé qu’il serait appelé à témoigner contre les terroristes arrêtés.

 

[7]                Le demandeur prétend avoir fait des démarches pour obtenir un visa pour le Canada, à la suite de ces événements, sans succès.

 

[8]                Le 24 janvier 2004, Dalip Singh, s’est présenté chez le demandeur et l’a menacé de mort s’il allait témoigner contre ses amis. Le demandeur a alors tenté à nouveau d’obtenir un visa pour le Canada, sans succès.

 

[9]                Le 30 mars 2004, la police a arrêté le demandeur et l’a torturé pour ensuite le relâcher. Le demandeur associe encore une fois sa libération à l’action du conseil du village et du temple. Il précise toutefois qu’un pot-de-vin a également été versé par sa famille à la police. Lors de sa libération, le demandeur s’est vu imposer la condition de se rapporter à la police, à partir du 1er mai 2004. Il soutient avoir aussi été médicalement traité pour ses blessures.  

 

[10]            Le demandeur a quitté l’Inde le 23 juillet 2004, muni d’un faux passeport pour le Canada, où il a demandé l’asile.

 

[11]            Une décision sur la demande d’asile du demandeur a été rendue le 17 mai 2005 par la Commission, décision qui a été cassée par le juge Luc Martineau le 30 novembre 2005 au motif que les conclusions relatives à la non-crédibilité du demandeur et à la protection de l’État étaient manifestement déraisonnables.

 

[12]             Une autre audience devant la Commission a eu lieu le 2 juin 2006 et une décision négative a été rendue le 2 juin 2006. Cette dernière décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

3.         Décision contestée

[13]            La Commission a déterminé que le demandeur n’était ni un réfugié, au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger, au sens de l’article 97, puisqu’il n’avait fourni aucun élément de preuve crédible ou digne de foi. La Commission a donc conclu à l’absence de minimum de fondement, au sens du paragraphe 107(2) de la LIPR. 

 

[14]            Dans ses motifs, la Commission s’est employée à expliquer les raisons pour lesquelles la preuve présentée par le demandeur n’était pas crédible. Ainsi, elle a rejeté le témoignage du demandeur sur ses allégations de torture et a déterminé que le rapport du docteur Dongier n’appuyait pas celles-ci. Elle a essentiellement déterminé que les conclusions du docteur Dongier, qui a examiné le demandeur, ne confirment pas que le demandeur a été victime de torture. Selon la Commission, ce rapport confirme uniquement les dires du demandeur, soit qu’il souffre de douleurs aux jambes, au dos et au bras. Or, la Commission soulève que la preuve documentaire fait état du fait que la torture, qu’allègue avoir subie le demandeur, laisse des séquelles physiques comme des cicatrices, des dommages aux jointures et aux muscles, des éléments ne ressortant pas du rapport de l’expert. La Commission a également soulevé que, lorsqu’interrogé par l’agent d’immigration à savoir s’il avait eu des problèmes médicaux sérieux, le demandeur a répondu par la négative. À ce sujet, la Commission a rejeté l’explication du demandeur, suivant laquelle la question posée concernait des problèmes pour lesquels il prenait des médicaments.

 

[15]            Ensuite, la Commission a considéré qu’il est invraisemblable qu’aucun article de journaux n’ait rapporté l’arrestation des terroristes présumés, alors que le demandeur a admis que des journalistes étaient venus au village à la suite de l’incident. À ce sujet, la Commission a rejeté les explications du demandeur, suivant lesquelles les journalistes auraient abandonné l’idée pour éviter de créer une mauvaise impression du village et d’empêcher sa libération. La Commission a également considéré invraisemblable que les policiers n’aient pas publicisé l’affaire, puisqu’ils font généralement de grands éclats dans les médias quand de présumés terroristes sont arrêtés pour démontrer leur efficacité.

 

[16]            De plus, la Commission a jugé que l’histoire du demandeur était une invention, dans la mesure où ce dernier a affirmé qu’aucune cause n’avait été enregistrée contre lui, qu’aucune cause ne le citant à comparaître n’avait été enregistrée, et qu’il ignorait si une cause avait été enregistrée contre les terroristes appréhendés.

 

[17]            Finalement, la Commission a identifié une contradiction dans l’histoire du demandeur.  Ce dernier a présenté, lors de la seconde audience, un second affidavit du sarpanch du village, soit la pièce P-10. Or, dans cet affidavit, le sarpanch affirmait que des pots-de-vin avaient été à la fois versés à la police et aux terroristes, alors que le premier affidavit de même que le récit du demandeur mentionnaient uniquement qu’un pot-de-vin avait été versé à la police. Confronté à cette contradiction, le demandeur a expliqué que c’est son fils qui aurait versé un pot-de-vin aux terroristes après son départ pour le Canada. Cette explication a été rejetée par la Commission, puisque selon le second affidavit du sarpanch les pots-de-vin auraient été versés avant le départ du demandeur pour le Canada. La Commission a jugé que cette incohérence ne faisait qu’ajouter à l’invraisemblance de l’histoire du demandeur et n’a accordé aucune valeur probante à la pièce P-10.

 

4.         Questions en litige

[18]            Les questions à trancher par la Cour fédérale dans la présente affaire peuvent se résumer ainsi :

-         la Commission a-t-elle rendue une décision fondée sur des conclusions de fait manifestement déraisonnables?

-         est-ce que la Commission a commis une erreur en omettant d’évaluer la demande d’asile du demandeur au regard de son statut de membre d’un groupe social particulier, soit les sikh baptisés?

 

5.         Norme de contrôle

[19]            Avant toute chose, il convient de déterminer quelle est la norme de contrôle applicable aux différentes questions sur lesquelles la Cour doit se prononcer. La première des questions en litige concerne la crédibilité du demandeur et de son récit. Il est de jurisprudence constante que la norme applicable à de telles déterminations est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir les décisions : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1993] A.C.F. n732 (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2003] A.C.F. n162 (QL) et Khaira c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2004 C.F. 62.

 

[20]            La seconde des questions en litige à être tranchée par cette Cour consiste à évaluer si la Commission aurait dû analyser les risques pour le demandeur, compte tenu du fait qu’il est sikh et qu’il est baptisé. La norme applicable à cette question est celle de la décision correcte, puisqu’il s’agit d’une question de droit.

 

6.         Analyse

[21]            Le demandeur prétend en premier lieu que la Commission a erré dans son évaluation de la preuve et de sa crédibilité. Au soutien de cet argument, il soulève que plusieurs des conclusions de fait de la Commission sont erronées. J’ai examiné avec attention les diverses conclusions auxquelles le demandeur réfère sans toutefois identifier d’erreur qui justifierait la révision de la décision sur cette base.

 

[22]            Le demandeur prétend en deuxième lieu que la Commission ne pouvait pas conclure à l’absence de minimum de fondement sans analyser la preuve suivant laquelle les sikhs baptisés, un groupe dont il fait sans contredit parti, est un groupe à risque de persécution en Inde. Au soutien de sa prétention, il réfère aux propos formulés par le juge Evans, au paragraphe 51, de Rahaman c. Canada (M.C.I.), 2002 CAF 89, [2002] 3 C.F. 537 :

Enfin, bien que je ne puisse pas accepter la thèse de l'avocate de M. Rahaman, je reconnais que la Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu'une revendication n'a pas un minimum de fondement lorsqu'elle conclut que le revendicateur n'est pas un témoin crédible. Comme j'ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l'absence de minimum de fondement seulement s'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. [Je souligne.]

 

Autrement dit, pour rejeter une demande d’asile sur la base de l’absence de minimum de fondement, la Commission doit conclure à l’absence de tout élément de preuve crédible.

 

[23]            Il apparaît clairement, à la lecture de la décision de la Commission et de la transcription de l’audience, que la question de l’appartenance du demandeur à un groupe social particulier, soit les sikhs baptisés, n’a pas été examinée. Cette question, qui n’a pas été spécifiquement soulevée par le demandeur lors de la seconde audience, l’avait été lors de la première. Lors de la première audience, le demandeur avait effectivement présenté de la preuve documentaire indiquant que, bien que la situation se soit améliorée pour les sikhs baptisés en Inde au cours des dernières années, les membres de ce groupe soulèvent toujours la suspicion des autorités et sont à risque d’être arrêtés.  Or, bien que la seconde audience à laquelle le demandeur a eu droit à la suite de l’ordonnance du juge Martineau fût une étude de novo de sa demande d’asile, tous les documents se rapportant à la première audience ont été versés au dossier de la nouvelle audience. Dans cette optique, la Commission ne pouvait pas rejeter la demande de statut de réfugié du demandeur sur la base de l’absence de minimum de fondement sans considérer des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi quant au statut de sikh baptisé du demandeur et aux risques de persécution associés à ce statut.

 

[24]            La preuve relative à l’appartenance du demandeur au groupe des sikhs baptisés se limite à la preuve documentaire déposée à la première audience et au témoignage du demandeur. Il convient de mentionner que le demandeur s’est également identifié dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), comme étant de religion sikh, et qu’il y a déclaré avoir exercé les fonctions de prêtre dans un temple sikh. Qui plus est, le statut de prêtre du demandeur était également corroboré par les pièces P-2 et P-3, lesquelles consistent en un affidavit du sarpanch Surjit Kaur et en une lettre émanant du temple sikh d’Ibrahimpur.

 

[25]            Quoique l’histoire du demandeur ait été jugée non crédible et qu’aucune valeur probante n’ait été accordée aux pièces P-2 et P-3, tant dans la première décision que dans la seconde, le statut de prêtre sikh du demandeur n’a jamais été remis en question. Une lecture des transcriptions confirme que les commissaires n’étaient pas préoccupés par la véracité de cette information, en ce sens où ils n’ont pas réellement questionné le demandeur à ce sujet. Par ailleurs, l’appartenance du demandeur à la religion sikh a été tenue pour avérée par mon collège Luc Martineau lors de la révision judiciaire de la première décision de la Commission sur la demande d’asile du demandeur. Dans un tel contexte, j’estime qu’il est logique d’assumer que, si cet élément du récit du demandeur avait été subséquemment remis en doute par la Commission, cette dernière aurait spécifiquement traité de cette question dans ses motifs ou elle l’aurait à tout le moins abordée lors de l’audience, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

 

[26]            Ainsi, dans la mesure où il y avait de la preuve non contredite au dossier établissant que le demandeur était un prêtre sikh et où la preuve documentaire établit que les sikhs baptisés sont un groupe à risque de persécution en Inde, la Commission ne pouvait valablement conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur.

 

[27]            La Commission avait l’obligation d’analyser la preuve, suivant laquelle les sikhs baptisés étaient un groupe à risque de persécution en Inde et d’évaluer les risques auxquels faisait face le demandeur en tant que membre de ce groupe. Ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

 

[28]            Pour ces motifs la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, sera accueillie. L’affaire sera retournée pour être reconsidérée par un tribunal autrement constitué en conformité avec les présents motifs.

 

[29]            Les parties n’ont pas proposé la certification d’une question grave de portée générale telle qu’envisagée à l’alinéa 74(d) de la LIPR. Je suis satisfait qu’une telle question ne soit soulevée en l’espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, rendue le 6 septembre 2006 est accueillie.

 

2.         L’affaire est retournée pour être considérée par un tribunal différemment constitué en conformité avec ces motifs.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5284-06

 

INTITULÉ :                                       Gurdhian Singh c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 mai 2007

 

MOTIFS  :                                         le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel LeBrun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Brendan Naef

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel LeBrun

Montréal QC

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.