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Date : 20070706

Dossier : IMM-4221-06

Référence : 2007 CF 727

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

MAJID RAFIEYAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la Protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision, datée du 5 mai 2006, par laquelle un agent d’immigration (l’agent de CH et d’ERAR) a rejeté la demande de dispense de visa du demandeur, qui était fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (la demande CH).


LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, Majid Rafieyan, est né en 1964 et est citoyen de l’Iran. Sa famille et lui ont fui au Canada en 1995 à l’aide de faux passeports et ils ont demandé l’asile dès leur arrivée à l’aéroport de Vancouver. La famille a obtenu l’asile sans audience en octobre 1995, au motif que le demandeur avait dissimulé dans son restaurant des tracts antigouvernementaux, que la police iranienne avait découverts. Peu de temps après, la famille a demandé la statut de résident permanent en invoquant la dispense relative à la catégorie des personnes protégées.

 

[3]               En avril 1996, peu après son arrivée au Canada, le demandeur a été arrêté et reconnu coupable d’agression à l’endroit de la femme qui était alors son épouse. Il s’est vu infliger une peine avec sursis et a été placé en probation pour deux ans. Pendant qu’il était encore en probation, le demandeur a poignardé violemment son épouse enceinte, à quatorze reprises, et il a été reconnu coupable en octobre 1997 de tentative de meurtre et de possession d’une arme dangereuse. Il a été condamné à huit ans d’emprisonnement.

 

[4]               Après que l’on eut décidé en octobre 1 997 qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, en application de l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch.

I-2 (l’ancienne Loi) en octobre 1997, le demandeur a été avisé que les agents d’immigration avaient l’intention de demander au ministre de formuler l’opinion qu’il était un danger pour le public, au sens du paragraphe 70(5) et de l’alinéa 53(1)a) de l’ancienne Loi.

 

[5]               En mai 1998, un avis de danger a été délivré à l’encontre du demandeur et, par une décision de la Section d’arbitrage, il a été ordonné qu’il soit expulsé en juin 1999. La présente Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de M. Rafieyan à propos de l’opinion de danger. En 2002, le demandeur et le conseil avec lequel celui-ci faisait affaire à l’époque ont demandé que l’on soumette l’opinion de danger à un nouvel examen, ce qui a été fait par un délégué du ministre, qui a rejeté la demande.

 

[6]               Les autorités de l’immigration ont décidé que la mesure d’expulsion prise contre le demandeur ne serait pas exécutée avant que ce dernier ne soit libéré de prison et qu’il puisse fournir des documents d’identité iraniens qui soient suffisants pour obtenir les documents de voyage requis. Le demandeur a été libéré par les autorités de l’immigration, avec des conditions de remise en liberté de base, en 2001, après un examen des motifs de détention dans le cadre duquel l’arbitre a conclu que le demandeur ne représentait pas un danger pour le public et qu’il ne risquait pas de fuir.

 

[7]               Une fois que la mesure d’expulsion est devenue exécutoire, le demandeur et son conseil ont demandé la tenue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cependant, à cause des sérieux antécédents criminels du demandeur, les agents de l’immigration ont informé le demandeur qu’il n’était pas admissible à cet examen.

 

[8]               Pendant qu’il se trouvait en libération conditionnelle, le demandeur a commencé à faire du bénévolat auprès de plusieurs organismes communautaires, dont le YMCA, où il a rencontré sa seconde épouse. Ils se sont mariés le 1er décembre 2002. Le demandeur a alors présenté en mai 2003 une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, qui comportait une demande de parrainage de la part de sa seconde épouse. Les deux ont été interrogés le 12 novembre 2004, et la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (la demande CH) a été rejetée par un agent d’immigration, dans une décision datée du 26 novembre 2004 (la décision CH).

 

[9]               Le demandeur a demandé que l’on soumette à un contrôle judiciaire la décision CH défavorable. Sur consentement, la Cour a rendu une ordonnance annulant la décision et la renvoyant en vue de la prise d’une nouvelle décision parce que l’agent précédent avait omis de prendre en considération les risques équivalant à des difficultés auxquelles le demandeur serait confronté s’il était renvoyé en Iran.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[10]           Après l’annulation de la première décision CH, l’agent a invité le demandeur à présenter des observations additionnelles à l’appui de sa demande CH. Le demandeur a demandé, d’une part, qu’on lui communique la totalité des éléments de preuve que détenait l’agent et, d’autre part, qu’on lui accorde un entretien; l’agent a refusé dans les deux cas. Le demandeur a produit des observations additionnelles le 29 mars 2006.

 

[11]           Le 5 mai 2006, l’agent a rendu une décision défavorable quant à la demande CH, se disant non convaincu que les raisons d’ordre humanitaire que le demandeur avait invoquées étaient suffisantes pour justifier sa demande de dispense.

 

[12]           En dépit de sa conclusion selon laquelle il existait une preuve d’établissement au Canada, l’agent n’était pas convaincu que ce facteur à lui seul devait être déterminant, et en outre que le renvoi causerait au demandeur et à sa famille des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent n’était pas non plus convaincu qu’il s’était écoulé assez de temps depuis la fin de la peine du demandeur pour conclure que ce dernier s’était réadapté.

 

[13]           S’agissant du risque que courrait le demandeur s’il était renvoyé en Iran, l’agent a pris en compte la situation religieuse et politique dans ce pays. Il a conclu que le demandeur s’était bel et bien converti au christianisme durant son séjour en prison. Cependant, il n’était pas convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur subirait un préjudice sérieux pour cause d’apostasie s’il était renvoyé en Iran. Il a conclu aussi qu’il était peu probable que le demandeur éprouve des difficultés pour des raisons d’ordre politique ou religieux.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.         Les affidavits produits après que la décision CH fut rendue sont-ils admissibles dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire?

 

2.         L’agent a-t-il omis de prendre en considération des éléments de preuve importants?

 

3.         L’agent a-t-il manqué aux principes de l’équité procédurale?

 

4.         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était renvoyé en Iran?

 

 

 

 

L’ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[15]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle qui s’applique à une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire que rend un agent d’immigration est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir aussi : Khosa c. Canada (M.C.I.), [2007] A.C.F. no 139 (C.A.)). La Cour ne substituera pas sa décision à celle de l’agent, mais déterminera plutôt si la décision est étayée par des motifs quelconques qui peuvent résister à un examen assez poussé (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56).

 

[16]           Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’un manquement aux principes de l’équité procédurale ou de la justice naturelle n’est soumis à aucune norme de contrôle, concluant ce qui suit :

L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations.

 

La tentative de maintenir séparés ces différents genres de questions peut parfois engendrer une certaine confusion. Force est de constater que certains « facteurs » utilisés pour déterminer les exigences de l’équité procédurale servent également à déterminer la « norme de contrôle » applicable à la décision discrétionnaire elle‑même. […]

 

Il reste que, même s’il existe certains « facteurs » communs, l’objet de l’examen du tribunal judiciaire diffère d’un cas à l’autre.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

1.         Les affidavits produits après que la décision CH fut rendue sont-ils admissibles dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire?

 

[17]           Le demandeur est d’avis qu’une preuve nouvelle peut être présentée dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsqu’on soulève une allégation de crainte raisonnable de partialité ou de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, ou une contestation de nature constitutionnelle. Comme il invoque de telles questions dans la présente demande, il soutient que la présente Cour aurait dû prendre en considération la preuve par affidavit additionnelle, même si elle datait d’avant la décision faisant l’objet du contrôle.

 

[18]           Le défendeur soutient que les documents datant d’après la décision CH n’avaient pas été soumis à l’agent quand la décision faisant l’objet du contrôle a été prise, et que la Cour ne peut donc pas les prendre en considération en l’espèce. Il ne faut pas permettre à une partie de se soustraire à la règle interdisant la présentation de nouvelles preuves au stade du contrôle judiciaire en requalifiant simplement des arguments de « questions constitutionnelles » ou d’allégations de partialité.

 

[19]           Comme l’a déclaré mon collègue, le juge Pierre Blais, dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1357, [2005] A.C.F. no 1656 (QL), au paragraphe 5, le contrôle judiciaire n’est pas le forum approprié pour introduire un supplément d’information à l’appui d’une demande rejetée. C’est précisément ce que tente de faire le demandeur en l’espèce, en reformulant tout simplement ses arguments dans les mémoires complémentaires sous forme de questions constitutionnelles ou d’allégations de partialité.

 

[20]           Il est bien établi en droit que seuls les documents soumis au décideur initial peuvent être pris en considération au stade du contrôle judiciaire (Smith c. Canada, 2001 CAF 86, au paragraphe 7; Lemiecha (Tuteur d’instance de) c. Canada (M.E.I.), 1993 A.C.F. no 1333 (QL) aux paragraphes 3 et 4). Bien que l’on puisse prendre en considération, à titre exceptionnel, des documents qui sont postérieurs à une décision lorsque des questions constitutionnelles ou d’équité procédurale ou des allégations légitimes de crainte raisonnable de partialité sont valablement soulevées, ce n’est pas le cas en l’espèce. Le demandeur fait simplement état de telles questions à un stade ultérieur, dans le cadre du contrôle judiciaire, de façon à contourner la règle interdisant la production de nouveaux éléments de preuve. Il avait eu la possibilité de présenter les affidavits en litige à l’agent de CH avant que la décision soit rendue, et le présent contrôle judiciaire n’est pas « le forum approprié » pour tenter de corriger cette omission. La Cour ne prendra donc pas en considération les affidavits additionnels du demandeur, qui datent d’après la décision CH.

 

2.         L’agent a-t-il omis de prendre en considération des éléments de preuve importants?

 

[21]           Il est bien établi en droit qu’un agent est présumé avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui sont soumis, et que l’évaluation de l’importance à leur accorder est une question qui relève de sa discrétion et de son expertise (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 946 (QL); Shah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 132, [2007] A.C.F. n185 (QL).

 

[22]           Le demandeur soutient que l’agent a omis de prendre en considération les avis d’experts au sujet de sa réadaptation, ainsi que les risques auxquels il s’exposerait en Iran du fait de son apostasie, et qu’il s’est plutôt fié à ses propres opinions. Il soutient que la preuve présentée à l’agent sur son apostasie est importante et que ce dernier n’en a pas tenu compte. Le demandeur a fourni des documents sur la torture d’apostats en Iran, l’opinion d’un professeur et une lettre de son frère, indiquant que l’on peut considérer que ce que le demandeur a fait est [traduction] « contraire à l’Islam », ce qui, en Iran, est considéré comme une infraction criminelle grave. Le demandeur allègue aussi que grâce à des mesures prises par le gouvernement canadien, il s’est réadapté avec succès en devenant chrétien.

 

[23]           Après avoir pris en considération les motifs de l’agent et les éléments de preuve, je suis convaincue que cet agent, en plus de tenir compte du dossier d’immigration complet du demandeur, a pris dûment en considération la totalité des documents que le demandeur avait fournis, y compris toutes les observations concernant les raisons d’ordre humanitaire et l’allégation de risque. Non seulement l’agent jouit-il de la présomption d’avoir pris en considération la totalité de la preuve dont il disposait (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158 (QL)), mais, dans ses motifs, il fait expressément référence à la totalité des éléments de preuve que le demandeur lui a soumis. Aucune autre preuve extrinsèque n’a été examinée.

 

[24]           En ce qui concerne l’établissement du demandeur au Canada, l’agent a pris en compte les antécédents professionnels de ce dernier, les biens qu’il possède au Canada, le fait qu’il a suivi une formation d’« anglais comme langue seconde » ainsi que d’autres cours destinés aux adultes, son travail comme bénévole et les références de la communauté, mais il n’était pas convaincu que ce facteur devait être déterminant en rapport avec la demande.

 

[25]           Pour ce qui est de ses conclusions relatives à la criminalité et à la réadaptation, l’agent s’est reporté au rapport de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) où il est dit que les antécédents de violence conjugale du demandeur sont [traduction] « longs et sérieux » et où il est fait état de ses efforts visant à assumer la responsabilité de son grave comportement criminel. Il a fait référence aussi au rapport du Dr Monkhouse, ainsi qu’au surveillant de libération conditionnelle Cottrell, et il reconnaît que le demandeur a été catégorisé comme présentant un faible risque de récidive et comme ayant fait des progrès par rapport aux facteurs ayant contribué à sa criminalité. L’agent a pris note des efforts positifs faits par le demandeur en vue de se réadapter et de changer de comportement; cependant, compte tenu du temps relativement court qui s’était écoulé depuis la fin de la peine du demandeur (y compris la période de libération conditionnelle), en octobre 2005, il a indiqué qu’il n’était pas suffisamment convaincu de la réadaptation du demandeur.

 

[26]           Le demandeur soutient que l’accent mis par l’agent sur le temps écoulé est sans rapport avec sa conclusion concernant sa réadaptation. Je ne suis pas d’accord, car la Loi et le règlement qui y est associé font expressément référence au temps écoulé depuis qu’une peine a été purgée en tant que facteur pertinent lorsque l’on considère la réadaptation dans le contexte de l’immigration (voir le paragraphe 36(1) et l’article 18.1 du Règlement, plus précisément). En outre, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable que l’agent ait pris en considération le temps relativement restreint qui s’était écoulé depuis la fin de la peine du demandeur, à la lumière de la gravité des infractions commises, pour tirer sa conclusion sur la question de la réadaptation.

 

[27]           Dans le même ordre d’idées, l’agent a tiré des conclusions raisonnables au vu de la preuve qu’il avait en main quant à l’effet qu’aurait le renvoi du demandeur sur ses familles, soit celle de son mariage précédent et celle de son mariage actuel.

 

[28]           Le demandeur conteste essentiellement le poids que l’agent a accordé à la totalité de cette preuve, ce qui dépasse le cadre du présent contrôle judiciaire. Il n’y a pas lieu de croire que l’agent a fait abstraction d’une preuve quelconque, ou qu’il a examiné une preuve quelconque de façon irrégulière, au moment de prendre la décision CH qui fait l’objet du présent contrôle.

 

 

3.         L’agent a-t-il manqué aux principes de l’équité procédurale?

 

[29]           Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 21, le concept de l’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas, compte tenu de tous les faits et de toutes les circonstances. La teneur de l’obligation d’équité procédurale dépend d’un certain nombre de facteurs, dont : la « nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir », la « nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question », « l’importance de la décision pour les personnes visées », « les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision » et l’obligation de « respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse aux décideurs la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances » (Baker, précité aux paragraphes 22 à 27). 

 

[30]           Le demandeur allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale car on ne lui a pas communiqué toutes les preuves qu’il y avait contre lui et on ne l’a pas interrogé, s’appuyant dans une large mesure sur l’arrêt Suresh c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 3.

 

[31]           Je suis toutefois d’avis qu’il faut faire une distinction entre l’arrêt Suresh et la présente espèce, car il était question dans cet arrêt de l’obligation d’équité procédurale dans le contexte précis d’un avis de danger. Contrairement à ce qui se passe dans le cas d’un avis de danger, dans une demande CH il n’y a pas d’allégation portée contre un demandeur. Le processus CH est plutôt enclenché par un demandeur qui souhaite obtenir une dispense par rapport aux exigences législatives ordinaires, et qui a le fardeau de produire une preuve qui justifie sa demande. En outre, dans ce contexte, contrairement à l’avis de danger, le ministre n’est pas soumis à l’obligation correspondante de communiquer des éléments de preuve et il n’y a pas de « preuve à réfuter », car il incombe au demandeur de produire les éléments qui étayent sa demande.

 

[32]           Dans l’arrêt Baker, précité, qui est l’arrêt de principe à propos des exigences de l’équité procédurale dans le contexte d’une demande CH, la Cour suprême du Canada n’impose pas aux agents d’immigration l’obligation de divulguer la preuve sur laquelle ils entendent se fonder pour rendre leur décision ou d’informer un demandeur de la preuve qu’il doit réfuter.

 

[33]           Dans le contexte d’une demande CH, il n’est pas obligatoire de communiquer des documents lorsqu’un agent ne s’appuie pas sur une preuve extrinsèque qu’une tierce partie a établie; il n’est donc pas obligatoire de donner à l’intéressé une occasion de répondre (Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.); voir aussi Jayasinghe c. Canada (M.C.I), 2007 CF 193, [2007] A.C.F. no 275 (QL), au paragraphe 26; Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407, [2000] A.C.F. n854 (QL) (C.A.), au paragraphe 26).

 

[34]           Dans l’affaire qui nous occupe ici, l’agent s’est uniquement fondé sur le dossier d’immigration du demandeur et la preuve que ce dernier a fournie. Nulle part dans ses observations à l’agent de CH le demandeur ne nuance-t-il la teneur de la décision prélibératoire dans laquelle la CNLC qualifie ses antécédents de violence conjugale de [traduction] « longs et sérieux », ni n’en met-il en doute la véracité. En plus de fournir ce rapport à l’agent, le demandeur n’a contesté ses conclusions qu’après que la décision sur la demande CH a été prise. Étant vraisemblablement au courant de la teneur du rapport de la CNLC qu’il avait fourni, le demandeur avait l’occasion de produire des affidavits ou d’autres preuves à l’agent de CH pour contester la façon dont ses antécédents de violence conjugale étaient qualifiés dans ce rapport, et ce, avant que la décision CH ne soit rendue. C’était au stade de la demande CH qu’il fallait le faire, et non après avoir reçu une décision défavorable. Je conclus donc qu’il n’y avait aucune obligation de communiquer des documents au demandeur avant de rendre la décision, et l’agent n’a pas commis d’erreur à cet égard.

 

[35]           En outre, le droit à une entrevue n’est pas automatique. Dans l’arrêt Owusu, précité, la Cour d’appel fédérale est on ne peut plus claire :

Le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. […]

 

[voir aussi : Shah, précité, au paragraphe 37]

 

[36]           Depuis l’arrêt Baker, précité, les tribunaux ont déclaré à maintes reprises que, dans le contexte des demandes CH, il n’existe aucun droit, ni aucune attente légitime, quant à la tenue d’une entrevue : il suffit que les demandeurs aient une occasion valable de présenter des observations écrites et de produire des éléments de preuve au soutien de leur demande de dispense.

 

[37]           En juin 2006, le demandeur a reçu deux lettres d’agents d’immigration indiquant qu’une entrevue a pour but de faire part en personne de la décision CH et que, d’ordinaire, on ne fournit pas de documents avant une entrevue; cela se fait plutôt en personne, au moment où la décision est communiquée. En l’espèce, le demandeur ne pouvait pas s’attendre légitimement à ce qu’on l’interviewe. Dans ces circonstances, il faudrait qu’une attente légitime soit fondée sur une indication explicite, non ambiguë et absolue. Je suis persuadée que l’on n’a pas indiqué clairement au demandeur qu’il serait interviewé, mais juste qu’il pourrait l’être, suivant la nature des arguments présentés.

 

[38]           L’agent a clairement déclaré dans la décision qu’il s’était fondé sur tous les documents que le demandeur avait fournis, y compris les documents mis à jour qu’il avait présentés en vue du réexamen de sa demande CH. Après avoir étudié avec soin la décision et la totalité des éléments de preuve dont l’agent disposait, je ne suis pas persuadée que ce dernier a fait une analyse déraisonnable, ni qu’il n’a fait état de motifs qui amèneraient une personne éclairée et raisonnable, examinant l’affaire de manière réaliste et pratique, à croire que l’agent a fait preuve de partialité.

 

[39]           En conséquence, je conclus que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une crainte de partialité, ou que l’agent a manqué à un principe quelconque de l’équité procédurale ou de la justice naturelle ou qu’il a enfreint l’article 7 de la Charte.

 

4.         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était renvoyé en Iran?

 

[40]           Dans le cas d’une demande CH, le rôle d’un agent consiste à déterminer si une personne subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était obligée de retourner dans son pays d’origine pour demander un visa de résident permanent. Il incombe au demandeur de convaincre l’agent que, dans les circonstances particulières et personnelles qui lui sont propres, les difficultés que pose le fait d’avoir à obtenir de la manière habituelle un visa de résident permanent à l’extérieur du Canada seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives (Owusu, précité; Pinter c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 296, [2005] A.C.F. no 366 (QL) aux paragraphes 3 et 4; Shah, précité, au paragraphe 14).

 

[41]           Par ailleurs, je souscris aux conclusions du juge Shore, dans la décision Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1108, [2006] A.C.F. no 1408 (QL), où l’on peut lire ce qui suit au paragraphe 24 :

Notre Cour ne doit pas s'immiscer à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un agent CH. Une décision CH ne suppose pas simplement l'application de principes juridiques, mais l'appréciation de nombreux facteurs aux faits de l'espèce. Dès lors que l'agent CH a tenu compte de facteurs d'ordre humanitaire pertinents et appropriés, la Cour ne modifiera pas l'appréciation que l'agent CH a faite de ces divers facteurs, même si elle aurait apprécié ces facteurs différemment […].

 

[42]           Le demandeur allègue que sa famille et lui subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était renvoyé en Iran. Certes, une séparation crée des difficultés, mais il est bien établi qu’une séparation familiale est insuffisante en soi pour justifier l’octroi d’une dispense pour raisons d’ordre humanitaire (par exemple, voir : Rettegi c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 194 (QL), au paragraphe 16; Adomako c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] A.C.F. no 1384, 2006 CF 1100, au paragraphe 17). En l’espèce, l’agent a conclu qu’étant donné que le demandeur n’a aucun contact avec son épouse et ses enfants biologiques précédents, que sa relation conjugale actuelle est instable et qu’il y a eu au moins deux périodes de séparation, que son épouse est financièrement autonome, que le couple était au courant de l’incertitude de son statut d’immigrant dès le début de la relation, et que le demandeur n’est apparu dans la vie des enfants de sa conjointe que depuis un temps relativement court, son renvoi n’occasionnerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[43]           Pour ce qui est des risques que courrait le demandeur s’il retournait en Iran, l’agent a tenu compte des facteurs tant religieux que politiques qui sont propres au demandeur. Il a signalé que ce dernier a obtenu le statut de réfugié au Canada pour des raisons d’ordre politique en 1995, et qu’il prétend maintenant qu’il court également un risque en Iran pour des motifs d’ordre religieux, s’étant converti au christianisme pendant son séjour au Canada.

 

[44]           En ce qui concerne l’analyse de risque qu’il convient de faire dans le cas d’une décision CH, je souscris aux conclusions suivantes de la juge Johanne Gauthier, dans la décision

Monemi c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1648, [2004] A.C.F. no 2004 (QL), au paragraphe 39, à savoir que le concept de risque :

[…] englobe beaucoup plus que les exigences étroites pertinentes dans une demande d’ERAR, à savoir celles énoncées aux articles 96 et 97 de la LIPR. Les difficultés inhabituelles, injustes ou indues incluent non seulement des éléments qui ne comportent pas de risques, mais elles incluent également des éléments de risques qui peuvent ne pas être visés par les articles 96 et 97, par exemple de la discrimination qui peut ne pas équivaloir à de la persécution.

 

[45]           Dans la présente affaire, l’agent n’a pas mis en doute la décision favorable qui a été rendue pour raisons d’ordre politique au sujet de la demande d’asile du demandeur en 1995. Cependant, il n’était pas convaincu que ce dernier intéresserait encore les autorités iraniennes plus de 10 années plus tard. Il a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour le convaincre qu’il courrait à ce moment un risque s’il retournait en Iran.

 

[46]           Le demandeur conteste manifestement l’importance que l’agent a accordée à la lettre de son frère ainsi qu’à une déclaration que les autorités iraniennes auraient faite à sa mère en 1999, mais cela ne veut pas dire que les conclusions de l’agent sont déraisonnables. Ce dernier a clairement pris en considération la preuve du demandeur, mais celle-ci ne l’a pas convaincu. Je suis persuadée que la conclusion de l’agent au sujet du risque que court le demandeur en rapport avec ses convictions politiques peut résister à l’examen assez poussé que requiert la norme de la décision raisonnable (Baker, précité, au paragraphe 63).

 

[47]           En ce qui concerne les motifs religieux, l’agent a admis que le demandeur s’était converti au christianisme pendant qu’il était en prison. Il s’est reporté à la preuve documentaire montrant qu’un musulman qui commet l’apostasie en Iran s’expose à de graves conséquences, telles que la peine de mort ou la torture. D’autres éléments de preuve documentaires que l’agent a expressément examinés montrent que les chrétiens sont une minorité religieuse reconnue en Iran, et, en général, les chrétiens qui courent un risque de préjudice grave en Iran appartiennent à une confession évangéliste ou s’adonnent ouvertement au prosélytisme; en l’absence de prosélytisme ou d’une autre activité religieuse manifeste, ces personnes ne s’exposent pas à un grave risque de persécution.

 

[48]           Bien qu’il ait tenu expressément compte de la preuve du professeur que le demandeur a soumise, à savoir que ce dernier courrait un risque de préjudice grave pour apostasie, l’agent s’est fondé sur la preuve indiquant que personne n’a été persécuté pour crime d’apostasie en Iran depuis 1994. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte des avis d’experts, et qu’il y a substitué ses propres opinions et conjectures. Je ne suis pas d’accord; l’agent est tenu de prendre en considération les éléments de preuve qui lui sont soumis, y compris ceux des experts, mais il n’a pas à considérer nécessairement ces opinions comme des conclusions de fait. Il est de sa compétence de soupeser la preuve en fonction de l’évaluation qu’il en fait lui-même, et il n’y a pas lieu de croire que ce dernier n’a pas tenu convenablement compte de la preuve relative à cette question.

 

[49]           Je suis convaincue que l’agent n’a pas commis d’erreur qui justifierait une intervention de la présente Cour en concluant que même si les peines que prévoit la loi peuvent dénoter l’existence d’un risque, ces dernières ne sont pas déterminantes en ce qui concerne la question en cause s’il existe une preuve que ces lois ne sont pas mises à exécution. Dans le même ordre d’idées, en l’absence de preuve que le demandeur appartenait à l’un des groupes chrétiens susceptibles d’être victimes de sanctions, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il s’exposait à un risque personnel de préjudice grave équivalant à des difficultés.

 

[50]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision CH est rejetée.


 

JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4221-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MAJID RAFIEYAN

 

 

                                                            c.

 

 

                                                            MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 JUIN 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

B. Rory Morahan

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morahan & Company Law Offices

Victoria (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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