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Date : 20070711

Dossier : T-1757-06

T-1772-06

 

Référence : 2007 CF 739

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

 

DANIEL JOURDAIN

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête, introduite en vertu des articles 466 et 467 des Règles des Cours fédérales (les Règles), visant à faire condamner M. Daniel Jourdain pour outrage au tribunal. Cette requête fait suite à une ordonnance de justification intimant à M. Jourdain l’ordre de comparaître devant un juge de cette Cour pour entendre la preuve de l’outrage au tribunal qui lui est reproché et être prêt à présenter une défense. Nonobstant l’ordonnance de justification lui enjoignant de comparaître, M. Jourdain ne s’est pas présenté à la Cour.

 

HISTORIQUE DE L’INSTANCE

[2]               Le Ministre du Revenu national (le Ministre) a transmis au défendeur, par le biais d’une lettre datée du 19 avril 2006 et remise de main à main le jour même, une demande péremptoire de renseignements conformément aux alinéas 231.2(1)(a) et (b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), L.R.C. 1985, (5e suppl), ch. 1. Les documents exigés étaient les suivants :

a.       Les registres de salaires établis de janvier 2003 à décembre 2003;

b.      Les registres de salaires établis de janvier 2004 à décembre 2004;

c.       Les registres de salaires établis de janvier 2005 à décembre 2005;

d.      Les registres de salaires établis de janvier 2006 jusqu’à la date de la réponse de la présente demande;

 

e.       Les relevés bancaires ainsi que les chèques oblitérés couvrant les années 2003, 2004, 2005 et 2006.

 

[3]               Malgré le délai accordé au défendeur pour y répondre, la demande péremptoire du Ministre demeura sans réponse. Ce voyant, le Ministre entrepris des procédures légales afin d’obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de se conformer à la demande péremptoire, conformément à l’article 231.7 de la Loi.

 

[4]               Le 23 octobre 2006, le juge Simon Noël de cette Cour rendait une ordonnance enjoignant au défendeur de répondre à la demande péremptoire de renseignements du Ministre dans un délai de 10 jours suivant la signification de l’ordonnance. Cette ordonnance fut signifiée à Daniel Jourdain personnellement, à son lieu de travail, le 6 novembre 2006.

 

[5]               Devant le refus du défendeur de se conformer à l’ordonnance du juge Noël, le Ministre décida d’initier une procédure d’outrage à ladite ordonnance. Le 2 avril 2007, le juge Luc Martineau en vint à la conclusion que la preuve démontrait prima facie que le défendeur avait désobéi à l’ordonnance du juge Noël. En conséquence, il rendit une ordonnance ex parte contre le défendeur l’enjoignant à comparaître devant cette Cour le 30 avril 2007, à 14 :30, et d’être alors prêt à présenter une défense contre les accusations d’outrage qui lui sont reprochées, le tout conformément au paragraphe 467(2) des Règles des Cours fédérales.

 

[6]               Le 12 avril 2007, le demandeur a fait une demande auprès de la Cour afin d’obtenir une prolongation des délais accordés pour la signification des ordonnances et des dossiers de requête et également une remise de la date de comparution. Le 13 avril 2007, le juge Luc Martineau a rendu une ordonnance modifiée ex parte enjoignant M. Daniel Jourdain à comparaître devant cette Cour le 28 mai 2007, à 14 :30, et d’être alors prêt à présenter sa défense aux allégations d’outrage à l’ordonnance du juge Noël. La Cour ordonnait également que le demandeur signifie personnellement à M. Jourdain une copie de cette ordonnance et du dossier de requête du demandeur, ainsi qu’une liste des témoins que le demandeur entendait faire entendre pour faire la preuve de l’acte reproché.

 

[7]               Étant donné l’impossibilité de retracer le défendeur pour lui signifier personnellement les documents mentionnés dans l’ordonnance du juge Martineau, le demandeur s’adressa de nouveau à la Cour pour obtenir une nouvelle prolongation du délai de signification et un autre mode de signification. Dans une nouvelle ordonnance rendue le 3 mai 2007, le juge Luc Martineau ordonna qu’il soit permis au huissier de signifier son ordonnance du 13 avril ainsi que le dossier de requête du demandeur en laissant un exemplaire de ces documents « dans la boîte aux lettres, sous l’huis de la porte ou fixé à la porte de sa seule adresse connue » et en publiant lesdits documents « par avis public dans un journal de la région de Montréal, soit le Journal de Montréal, publié samedi le 12 mai 2007 ». La preuve de signification, effectuée le 10 mai 2007, a été déposée au dossier de la Cour le 14 mai 2007, ainsi qu’une copie de l’Avis public paru dans le Journal de Montréal conformément à l’ordonnance du juge Martineau.

 

[8]               Le 28 mai 2007, le juge Martineau ajourna l’audition aux prochaines séances générales de la Cour à Montréal, le 4 juin 2007, de façon à permettre à la procureure du demandeur d’effectuer des vérifications supplémentaires dans le dossier quant à la signification par huissier de l’ordonnance du juge Noël datée du 23 octobre 2006 au défendeur. Bien que satisfait de la preuve de signification de l’ordonnance modifiée rendue le 13 avril 2007 et du dossier de requête du demandeur, ainsi que de la publication de l’avis public dans le Journal de Montréal le 12 mai 2007, le juge Martineau considéra que la procureure du demandeur ne peut à la fois témoigner et plaider sur les faits reprochés au défendeur ainsi que sur la signification de l’ordonnance du juge Noël.

 

[9]               L’audition fut de nouveau reportée au 18 juin 2007. Le défendeur n’étant toujours pas présent, je décidai d’ajourner de nouveau l’audition jusqu’au 29 juin 2007, avec instruction à la procureure de la partie demanderesse d’entreprendre d’ultimes tentatives, conjointement avec l’agent du Ministre chargé du dossier, pour tenter de contacter le défendeur et l’aviser des nombreuses ordonnances l’enjoignant de comparaître devant cette Cour pour présenter une défense aux accusations pour outrage qui pesaient contre lui. Malgré tous les efforts de bonne foi pour tenter de rejoindre le défendeur, ce dernier s’avéra introuvable et l’audition de la requête se fit donc en son absence le 29 juin 2007.

 

ANALYSE

[10]            Le paragraphe 466(b) des Règles prévoit qu’une personne est coupable d’outrage au tribunal lorsqu’elle « désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour ». C’est évidemment la partie qui allègue l’outrage au tribunal qui a le fardeau de le prouver, hors de tout doute raisonnable (Règle 469). Par conséquent, la partie à qui l’outrage est reproché ne peut être contrainte à témoigner et n’est pas tenue de présenter quelque preuve que ce soit à la Cour (Règle 470(2)). D’autre part, le fardeau de preuve du demandeur s’applique à tous les éléments constitutifs de l’outrage; il lui faudra donc établir l’existence de l’ordonnance, le fait que le présumé coupable en connaissait l’existence, et la désobéissance elle-même. En revanche, il n’est pas nécessaire de prouver l’intention coupable; il pourra tout au plus en être tenu compte, comme la bonne foi du défendeur, lorsque viendra le moment de déterminer la sanction.

Voir :  - The Minister of National àRevenue v. Kevin William Middleton, 2006 FC 455;

            - Canada (Ministre du Revenu national) c. Wigemyr, 2004 CF 930;

            - The Minister of National Revenue c. Jane Becelaere, 2007 FC 409.

 

[11]           L’existence de l’ordonnance rendue par le juge Simon Noël le 23 octobre 2006 ne fait aucun doute en l’occurrence. Le dossier du demandeur contient d’ailleurs une copie certifiée conforme à l’original de cette ordonnance. Cette ordonnance, faut-il le préciser, est d’une très grande limpidité et ne laisse place à aucune ambiguïté.

 

[12]           S’agissant de la preuve que M. Jourdain connaissait l’existence de l’ordonnance du juge Noël, cela ne semble pas faire de doute dans la présente instance. Le paragraphe 146(1) des Règles prévoit, à son alinéa (a), que la preuve de la signification d’un document peut être établie, au Québec, par un procès-verbal de signification d’un shérif, d’un huissier, ou autre personne autorisée par le Code de procédure civile du Québec. Tel que mentionné précédemment, la procureure du demandeur a déposé à la Cour le rapport de signification dressé par un huissier dûment enregistré en date du 6 novembre 2006, attestant que la copie conforme de l’ordonnance du juge Noël avait été remise en mains propres à M. Jourdain. Il me faut donc conclure que le défendeur connaissait l’existence de l’ordonnance du juge Noël.

 

[13]           Reste la question de savoir si la preuve de la désobéissance de cette ordonnance par M. Jourdain a été faite. À cet égard, la procureure du demandeur a fait témoigner Monsieur Jean-Fresnel Thélismond, examinateur des comptes en fiducie à l’Agence du revenu du Canada. Ce dernier a témoigné des faits suivants. Tel que mentionné dans le récit des faits à l’origine de la présente requête, M. Jourdain a refusé de répondre à une demande de renseignements du ministre, malgré les nombreux délais qui lui ont été accordés pour ce faire. Il appert que M. Jourdain change fréquemment de lieu de résidence, sans en aviser les autorités du Ministère. La dernière fois que M. Thélismond aurait communiqué avec lui, l’automne dernier, M. Jourdain lui aurait clairement laissé entendre qu’il n’entendait pas se conformer à la demande de renseignements du Ministère et donc, qu’ « ils se verraient en Cour ».

 

[14]           Par la suite, M. Jourdain n’aurait donné aucun signe de vie au Ministère ou à M. Thélismond. Suite à mes instructions du 18 juin dernier, plusieurs tentatives ont été faites pour tenter de retracer M. Jourdain, sans succès. On a consulté le Registre des entreprises du Québec, une compagnie (Equifax) spécialisée dans l’évaluation de crédit, les fichiers de la Société de l’assurance automobile du Québec, le registre des droits personnels et réels mobiliers du Québec, le site internet « Canada411.ca », ainsi que l’index criminel et pénal et l’index civil et d’appel dans lesquels sont répertoriés tous les dossiers judiciaires du Québec. Aucune de ces ressources n’a permis de retracer l’adresse de M. Jourdain.

 

[15]           Je suis d’avis que le témoignage de M. Thélismond est crédible et digne de foi. Compte tenu de tous ses efforts pour retrouver la trace du défendeur, de l’attitude cavalière de ce dernier lorsqu’il a pu être rejoint, de son refus systématique de fournir l’information requise, et de l’avis paru dans le Journal de Montréal le 12 mai 2007, j’estime que la preuve a été faite hors de tout doute raisonnable que M. Jourdain n’a pas fourni les renseignements exigés par le juge Noël dans son ordonnance du 23 octobre 2006 et qu’il cherche par tous les moyens à se soustraire à cette ordonnance de la Cour.

 

[16]           J’estime également que le demandeur s’est conformé à l’ordonnance modifiée du juge Martineau en date du 3 mai 2007, par laquelle il autorisait un mode alternatif de signification de l’ordonnance de justification. Tous les moyens raisonnables ont donc été pris pour aviser le défendeur de la présente audition et de la possibilité qui lui était offerte de présenter une défense aux accusations d’outrage qui pesaient contre lui.

 

[17]           Par voie de conséquence, je fais donc droit à la demande du Ministre et je déclare Daniel Jourdain coupable d’outrage au tribunal, tant à titre personnel dans le dossier T-1772-06 qu’à titre d’administrateur de la compagnie (9131-8113 QUEBEC INC.) dans le dossier T-1757-06.

 

[18]           La procureure du demandeur demande à cette Cour de condamner le défendeur à une amende de 1 500,00$, payable dans les dix (10) jours de la signification de l’ordonnance à être rendue. Elle demande également à cette Cour d’ordonner au défendeur de faire parvenir les documents et renseignements demandés dans la demande péremptoire du Ministre et qui sont toujours manquants dans les dix (10) jours de la signification de l’ordonnance à être rendue, par courrier recommandé, à l’attention de Monsieur Jean-Fresnel Thélismond. Enfin, elle demande une condamnation à des frais de 2 338,43$, payables au demandeur dans les dix (10) jours de l’ordonnance à être rendue.

 

[19]           Compte tenu des circonstances de la présente affaire et de la preuve qui a été faite devant moi, je considère que ces demandes sont fondées et constituent une sanction appropriée. Un délai de 30 jours plutôt que de 10 jours pour se conformer à ces demandes me semble cependant plus approprié dans le cadre de la présente affaire. J’ajouterais également un dispositif à mon ordonnance, compte tenu de la difficulté de retracer le défendeur et de la possibilité réelle que la présente ordonnance demeure lettre morte parce qu’elle ne peut lui être signifiée. Dans l’hypothèse où M. Jourdain ne se conformerait pas à l’ordonnance du juge Noël et de la présente ordonnance, j’ordonne qu’il soit amené devant la Cour pour justifier pourquoi il ne devrait pas être emprisonné pour une période de 30 jours.


ORDONNANCE

 

LA COUR :

 

            DÉCLARE Daniel Jourdain coupable d’outrage au tribunal pour la première fois;

 

CONDAMNE Daniel Jourdain à une amende de 1 500,00$, payable dans les dix (10) jours de la présente ordonnance (le paiement doit être fait à l’ordre du Receveur général du Canada);

 

ORDONNE à Daniel Jourdain de faire parvenir les documents et renseignements demandés dans la demande péremptoire du ministre, à savoir :

1) Les registres de salaires établis de janvier 2003 à décembre 2003;

2) Les registres de salaires établis de janvier 2004 à décembre 2004;

3) Les registres de salaires établis de janvier 2005 à décembre 2005;

4) Les registres de salaires établis de janvier 2006 jusqu’à la date de la réponse de la présente demande;

 

5) Les relevés bancaires ainsi que les chèques oblitérés couvrant les années 2003, 2004, 2005 et 2006. Ces informations sont requises pour les mêmes périodes mentionnées aux paragraphes 1) à 4) pour tous ses employés, par courrier recommandé, à l’attention de Monsieur Jean-Fresnel Thélismond, examinateur des comptes en fiducie au Bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada, au 305, boul. René Lévesque Ouest, Montréal (Québec) H2Z 1A6;

 

 

CONDAMNE Daniel Jourdain à verser au demandeur des frais pour un montant de 2 338,43$, payable dans les dix (10) jours de la présente ordonnance (le paiement doit être fait à l’ordre du Receveur général du Canada);

 

ORDONNE que, dans l’hypothèse où M. Daniel Jourdain ne paierait pas l’amende et les dépens et ne produirait pas les documents et renseignements demandés, le tout dans les 30 jours de la signification de la présente ordonnance, il soit amené devant un juge de cette Cour pour justifier pourquoi il ne devrait pas être emprisonné pour une période allant jusqu’à 30 jours;

 

ORDONNE que la présente ordonnance soit signifiée de la façon suivante : 1) en autorisant un huissier à laisser un exemplaire de la présente ordonnance à l’attention de M. Daniel Jourdain dans la boîte aux lettres ou sous l’huis de porte de sa seule adresse connue, située au 2968, rue Lapierre, à Montréal (Québec) H8N 2W9; ET 2) en publiant cette ordonnance par avis public dans l’édition du Journal de Montréal et de La Presse le 21 juillet 2007.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1757-06 & T-1772-06

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            c.

                                                            DANIEL JOURDAIN

                                                                                                           

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 juin 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :              L’Honorable juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      11 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Isabelle Pipon (stagiaire)

 

POUR LE DEMANDEUR

Aucun

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, QC

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Jourdain, non représenté

POUR LE DÉFENDEUR

 

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