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Date : 20070706

Dossier : IMM-324-06

Référence : 2007 CF 719

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

ENTRE :

KAYODE ZAHEED KASSIM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR). Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 12 janvier 2006 par laquelle l’agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.

 

[2]               Il demande :

            a) que soit rendue une ordonnance annulant la décision qui a rejeté sa demande de dispense d’application de l’article 11 de la LIPR, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée en vertu du paragraphe 25(1) en vue d’obtenir la résidence permanente, ou, subsidiairement;

            b) que soit rendu un jugement déclaratoire disant qu’il répond aux conditions du paragraphe 25(1) de la LIPR pour une dispense d’application de l’article 11 et disant que sa demande de résidence permanente peut être traitée depuis le Canada en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire ou, subsidiairement; que soit rendue une ordonnance renvoyant l’affaire en vue d’une nouvelle décision enjoignant de rendre un jugement déclaratoire disant qu’il répond aux conditions du paragraphe 25(1) de la LIPR pour une dispense d’application de l’article 11 et disant que sa demande de résidence permanente peut être traitée depuis le Canada en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire; ou

            c) que soit rendue une ordonnance pour que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen devant un autre agent d’immigration.

 

Résumé des faits

 

[3]               Le demandeur, Kayode Zaheed Kassim, est citoyen du Nigéria. Il est arrivé au Canada en mars 2001 où il a revendiqué le statut de réfugié alléguant une crainte de persécution en raison de ses croyances religieuses. Cette demande a été refusée en août 2001. Le demandeur a épousé sa femme, qui possède le statut de résidente permanente, en octobre 2001. Le couple a deux enfants ensemble et vit avec les deux enfants nés de la relation précédente de sa femme. Le demandeur a également deux enfants qui vivent toujours au Nigéria. Une décision défavorable a été rendue à l’endroit du demandeur dans le cadre d’un examen des risques et celui-ci a été renvoyé du Canada en février 2003. Le 21 juin 2003, le demandeur est entré de nouveau au Canada sans détenir l’autorisation nécessaire et un mandat d’arrestation a été exécuté contre lui le 2 janvier 2004. 

 

[4]               Le demandeur a sollicité la résidence permanente en septembre 2004, en alléguant des motifs d’ordre humanitaire. Sa demande de dispense pour lui permettre de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada a été approuvée le 13 mai 2005. En septembre 2005, le demandeur a été reconnu coupable de fraude et a été condamné à une période de probation de dix-huit mois, en plus d’avoir à restituer une somme de 4 000 $. Dans une décision rendue le 12 janvier 2006, la demande de résidence permanente du demandeur a été refusée au motif qu’il ne satisfaisait pas aux exigences prévues par la LIPR, plus précisément en raison de son interdiction de territoire pour des raisons d’ordre criminel, conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de l’agent d’immigration de refuser la demande de résidence permanente présentée par le demandeur sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire.

 

Motifs de l’agent d’immigration

 

[5]               Dans une lettre datée du 12 janvier 2006, le demandeur a été avisé que les considérations humanitaires étaient examinées afin de déterminer s’il convenait ou non de lui accorder une dispense de certaines exigences prévues par la loi afin de permettre le traitement de sa demande de résidence permanente depuis le Canada. Le 13 mai 2005, l’agent d’immigration constate que sa demande de dispense à ces exigences a été accordée. Toutefois, cette autorisation ne le dispense pas de la deuxième étape du processus, à savoir satisfaire à toutes les autres exigences de la LIPR.

 

[6]               L’agent d’immigration a pris une décision distincte concernant la capacité du demandeur à satisfaire aux autres exigences prévues par la loi pour l’octroi de la résidence permanente et a déterminé qu’il était interdit de territoire au Canada. Comme le demandeur était interdit de territoire pour cause de criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, sa demande de résidence permanente a donc été rejetée. Les notes de l’agent d’immigration constituent les motifs de la décision. 

L’agent d’immigration a noté ce qui suit :

[traduction] Mises en demeure de communiquer : FRDP, vérifications des SCRS et de la GRC et examens médicaux.

 

Le 19 septembre 2005. M. Kassim a été reconnu coupable d’avoir tenté d’obtenir du crédit sous de faux prétextes, d’emploi de document contrefait, de possession d’un bien volé et de supposition intentionnelle de personne. Le demandeur a reçu une condamnation avec sursis ainsi qu’une ordonnance de probation pour une période de 18 mois. En attente de décision de l’étape 2.

 

La demande de résidence permanente de M. Kassim a été refusée aujourd’hui au motif qu’il est interdit de territoire pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

 

Les questions en litige

 

[7]               Le demandeur a soumis les questions suivantes pour examen :

  1. La manière dont l’agent d’immigration a apprécié la preuve était-elle manifestement déraisonnable?
  2. L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur de droit en ne soupesant pas la criminalité du demandeur par rapport aux considérations humanitaires en sa faveur?
  3. L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en omettant de donner l’occasion au demandeur de faire valoir son point de vue sur la question de la criminalité, soit au cours d’une entrevue, soit par écrit?
  4. L’agent d’immigration a-t-il accordé une importance suffisante aux intérêts des enfants, y compris celui atteint d’un problème cardiaque?
  5. Les notes et les lettres de l’agent d’immigration fournissent-elles des motifs suffisants?
  6. L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en omettant de recommander qu’un permis ministériel soit délivré au demandeur?

 

[8]               Je reformulerais la question comme suit :

            L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire en raison de l’interdiction de territoire pour criminalité?

 

L’analyse et la décision

Norme de contrôle

 

[9]               La décision d’un agent d’immigration concernant une demande pour raisons humanitaires est assujettie à la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.S.C. 817, (1999) 174 D.L.R. (4th) 193).

 

[10]           La question no 1

            L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire en raison de l’interdiction de territoire pour criminalité?

            Lors de l’audience, nul n’a contesté le fait que la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire est un processus en deux étapes. En premier lieu, les motifs d’ordre humanitaire sont pris en compte afin de déterminer si le demandeur peut demander la résidence permanente depuis le Canada. Comme il est indiqué dans la décision de l’agent d’immigration, le demandeur a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour franchir cette étape. En deuxième lieu, le demandeur doit satisfaire à toutes les autres exigences statutaires de la LIPR.  L’agent d’immigration a déterminé que le demandeur n’a pas franchi cette étape puisqu’il a été déclaré interdit de territoire pour cause de criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[11]      À l’audience de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait valoir que l’agent d’immigration n’a pas cherché à déterminer si les motifs d’ordre humanitaires justifiaient de lui accorder une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, ce qui aurait pour effet de contourner son interdiction de territoire pour criminalité.

 

[12]      Le défendeur a fait valoir qu’en vertu de l’article 25 de la LIPR, le ministre aurait pu, de son propre chef, accorder une dispense relativement à l’interdiction de territoire pour criminalité du demandeur, mais ne l’a pas fait. En outre, le défendeur soutient que le demandeur aurait pu demander une dispense relativement à la l’interdiction de territoire pour criminalité, mais ne l’a pas fait.

 

[13]      Lors de l’audience, nul n’a contesté le fait que la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire est un processus en deux étapes. La première étape consiste, pour l’agent d’immigration, à déterminer si le demandeur peut présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. L’agent d’immigration a déterminé que le demandeur pouvait présenter une demande depuis le Canada. La deuxième étape exige que l’agent d’immigration détermine si le demandeur répond aux exigences de la LIPR et s’il n’est pas interdit de territoire. En l’espèce, l’agent d’immigration a déterminé que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[14]      Pour que la requête du demandeur soit accueillie, il doit démontrer qu’il a demandé une dispense relativement à son interdiction de territoire pour criminalité. Le dossier fait état de deux requêtes de la part du demandeur :

[traductionNous demandons que vous traitiez la demande de droit d’établissement fondée sur des motifs humanitaires conformément aux dispositions du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et conformément à la politique en matière d’immigration du chapitre 5 du guide Traitement des demandes au Canada 5 (IP5). La demande de M. Kasim est fondée sur les trois motifs suivants :

 

1.         Le risque personnalisé (IP-5 13.1)

2.         L’établissement au Canada (IP-5 11.2)

3.         D’autres affaires (IP-5 13.12)

 

. . .

 

Conclusion

 

Avant de trancher la question, nous vous implorons de tenir compte du fait que M. Kassim est un jeune homme instruit ayant un bel avenir devant lui. Plus jeune, il a été victime de persécution. Malgré son seul démêlé avec la justice, qui s’est soldé par une période de probation d’un an, en 2001, son dossier civil est généralement positif au Canada et au Nigéria.

 

(Dossier du tribunal, page 152)

 

J’aimerais aussi souligner que l’avocat qui représente le demandeur dans l’instance criminelle a avisé l’agent d’immigration du fait que le demandeur a été reconnu coupable d’actes criminels.

 

[15]      Bien que la requête du demandeur aurait pu être plus explicite, je suis d’avis que conjointement, les faits susmentionnés sont suffisants pour constituer une requête par le demandeur pour le dispenser des effets de son interdiction de territoire pour criminalité.

 

[16]      Dans sa lettre de refus, l’agent d’immigration réfère en ces mots à l’interdiction de territoire pour criminalité :

Dans un premier temps, les considérations d’ordre humanitaire ont été examinées afin de déterminer s’il convenait ou non de vous accorder une dispense de certaines exigences prévues par la loi afin de permettre le traitement de votre demande de résidence permanente depuis le Canada. Le 13 mai 2005, un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a approuvé votre demande de dispense à l’égard de certaines prescriptions de la loi pour le traitement de votre demande. Cette décision ne vous dispense toutefois pas de franchir la deuxième étape du processus, à savoir de vous conformer à toutes les autres exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, comme celles qui touchent la santé, la sécurité, les questions liées au passeport et les mesures prises pour subvenir à vos besoins.

 

Une autre décision a été prise concernant votre capacité à satisfaire aux autres exigences prévues par la loi et il semble que vous êtes interdit de territoire au Canada. Plus précisément, vous êtes interdit de territoire pour criminalité selon l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Par conséquent, votre demande de résidence permanente est rejetée et la dispense qui vous a été accordée devient sans effet.

 

 

[17]      Les notes de l’agent d’immigration prévoient notamment ce qui suit :

LA DEMANDE DE RÉSIDENCE PERMANENTE DE M. KASSIM A ÉTÉ REFUSÉE AUJOURD’HUI AU MOTIF QU’IL EST INTERDIT DE TERRITOIRE POUR CRIMINALITÉ EN VERTU DE L’ALINÉA 36(1)a) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS. . . .

 

 

[18]      Je ne peux déterminer, à la lumière de ce qui précède, si l’agent d’immigration a tenu compte de la demande de dispense des effets de l’interdiction de territoire du demandeur. Bien que la demande ait été prise en compte, je ne peux déterminer quels facteurs ont été pris en compte par l’agent. Par conséquent, je conclus que la décision n’est pas raisonnable et qu’elle devrait être annulée.

 

[19]      La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

 

[20]      Les parties disposeront d’une semaine à compter de la date de la présente décision pour soumettre une question grave de portée générale pour examen en vue de sa certification et un délai de cinq jours supplémentaires pour soumettre leur réponse.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge


 ANNEXE

 

Dispositions légales visées

 

Les dispositions législatives pertinentes sont prévues dans la présente section.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27

 

 

11.(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

24.(1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

 

 

25.(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

36.(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

11.(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

24.(1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

25.(1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

36.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-324-06

 

INTITULÉ :                                       KAYODE ZAHEED KASSIM

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DU :      Juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johnson Babalola

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola Odeleye

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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