Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070710

Dossier : T-1791-06

Référence : 2007 CF 735

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 juillet 2007

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

ENTRE :

MID-WEST QUILTING CO. LTD.

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse a sollicité une ordonnance la dispensant de l’obligation de produire tous les documents demandés dans une assignation à comparaître qui lui a été signifiée le 26 février 2007, en faisant valoir que ces documents sont, en tout ou en partie, des documents privilégiés, non pertinents et dont le dépôt serait excessivement onéreux.


a)  Contexte de la requête

[2]               La demanderesse, Mid-West Quilting Co. Ltd., a présenté une demande d’autorisation d’intenter une action contre Sa Majesté en vertu de la Partie II de la Loi sur la prescription, CCSM c. L150 du Manitoba, au paragraphe 14(1), pour exercice abusif de l’autorité publique et négligence concernant, au moins en partie, des actes accomplis avant le délai de prescription de six ans prévu à l’alinéa 2(1)n) de la Loi (voir les dispositions pertinentes dans l’annexe). Avant l’audition de la demande de la demanderesse, la défenderesse a signifié au président de Mid-West, M. Paul Knight, le 26 février 2007, une assignation à comparaître afin qu’il soit contre-interrogé au sujet de son affidavit du 5 octobre 2006. Il a été prié d’apporter toutes les communications écrites ou électroniques [traduction], « y compris les notes, notes de service, lettres ou courriels concernant les demandes d’avis juridiques auprès de tout conseiller juridique, la réception de tels avis, ainsi que les mesures prises d’après ces avis » pendant la période comprise entre le 1er janvier 1988 et le 24 octobre 2005. Mid-West a refusé au motif que les communications étaient privilégiées, non pertinentes et que leur dépôt serait excessivement onéreux. Elle a déposé cette requête demandant d’être dispensée de l’assignation à comparaître.

 

[3]               Pour que la demanderesse puisse avoir gain de cause à l’égard de sa demande d’autorisation présentée en vertu de la Partie II de la Loi, elle doit établir qu’une période maximale de 12 mois s’est écoulée entre « la date à laquelle [elle] a eu connaissance pour la première fois, ou celle à laquelle [elle] aurait dû avoir connaissance, compte tenu des circonstances, de tous les faits pertinents sur lesquels s’appuie l’action »; et « la date de la présentation de la demande de prolongation au tribunal » (paragraphe 14(1)). « [...] les faits pertinents [...] doivent être considérés comme des faits de nature déterminante, lorsqu’il s’agit de faits à l’égard desquels une personne [la demanderesse] possédant le niveau d’intelligence, d’instruction et d’expérience qui lui sont propres, et connaissant ces faits et ayant obtenu des conseils opportuns au sujet de ceux-ci, aurait considérés [...] comme concluants pour donner lieu de croire raisonnablement à la réussite d’une action et à l’octroi de dommages-intérêts, ou à une réparation dont l’ampleur justifierait les procédures judiciaires qui seraient requises » (paragraphe 20(3)).

 

[4]               Dans son affidavit du 5 octobre 2006, M. Knight a affirmé avoir demandé un avis juridique en 1989 ou en 1990 et [traduction] « qu’on ne lui a pas conseillé d’intenter des procédures judiciaires ou de présenter une demande d’accès à l’information ». Il a déclaré avoir [traduction] « reçu un deuxième avis d’un autre cabinet d’avocats allant dans le même sens ». Dans un affidavit ultérieur, il a précisé avoir demandé un avis juridique au premier cabinet en 1989 ou en 1990, et un autre avis au deuxième cabinet en 1994. Il a en sa possession une lettre du premier avocat datée du 19 mars 1990, et une lettre du deuxième avocat datée du 18 mai 1994.

 

(b)   Prétention de Mid-West selon laquelle elle n’a pas renoncé au privilège

 

[5]               Les parties reconnaissent que les communications en cause sont assujetties au privilège avocat-client. Cependant, la défenderesse soutient que la demanderesse a implicitement renoncé au privilège. La demanderesse n’est pas de cet avis.

 

[6]               La défenderesse affirme que Mid-West a implicitement renoncé au privilège de deux façons. Premièrement, compte tenu du libellé de la disposition législative sur laquelle s’appuie Mid-West, cette dernière doit présenter des éléments de preuve sur l’avis juridique qu’elle a reçu. Comme je l’ai déjà mentionné, pour avoir gain de cause à l’égard de sa demande en vertu de la Partie II de la Loi, Mid-West doit convaincre la Cour qu’elle a déposé sa demande dans un délai ne dépassant pas 12 mois à partir de la date à laquelle elle a eu ou aurait dû avoir connaissance « de tous les faits pertinents sur lesquels s’appuie l’action » (paragraphe 14(1)). La définition de l’expression « faits pertinents sur lesquels s’appuie l’action » suppose la prise en compte de ce qu’aurait compris une personne raisonnable connaissant les faits et « ayant obtenu des conseils opportuns au sujet de ceux-ci ». Essentiellement, la loi impose à Mid-West la charge d’établir que, selon les faits dont elle dispose et les avis qu’elle a reçus, qu’elle a agi selon ce qu’une personne raisonnable aurait compris quant au bien-fondé de sa cause d’action. Par conséquent, la défenderesse affirme que les avis juridiques reçus par Mid-West sont manifestement pertinents, et que, dans la mesure où Mid-West s’appuie sur la Loi pour fonder sa demande, elle a renoncé au privilège avocat-client.

 

[7]               Deuxièmement, la défenderesse soutient que la demanderesse a implicitement renoncé à son privilège, puisque dans ses affidavits, M. Knight a fait expressément référence aux avis juridiques qu’il avait reçus et, du moins indirectement, s’est appuyé sur le contenu de ces avis en poursuivant sa demande en vertu de la Partie II de la Loi.

 

[8]               Il arrive parfois que les tribunaux concluent à une renonciation implicite au privilège avocat-client lorsque des considérations d’équité et de cohérence l’exigent. Cela signifie en substance que lorsqu’une partie se fie à un avis juridique pour fonder une action ou appuyer un moyen de défense, la partie adverse doit être informée de cet avis. À titre d’exemple, en défense à une allégation de négligence, une partie peut s’appuyer sur à un avis juridique qu’elle a reçu afin d’établir la diligence raisonnable. Le cas échéant, l’avis doit être communiqué à l’autre partie. Sinon, une partie pourrait essayer d’invoquer un avis juridique pour justifier sa conduite sans avoir à divulguer la nature véritable de l’avis. Cela pourrait être injuste pour la partie adverse, et, le cas échéant, il pourrait être justifié de conclure à une renonciation implicite au privilège en raison de la conduite de la partie : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1480, [2004] 2 R.C.F. 137, [2003] A.C.F. no 1921 (1re inst.) (QL); conf. par 2004 CAF 280, [2004] A.C.F. no 1431 (C.A.) (QL).

 

[9]               En ce qui concerne le premier motif allégué de renonciation implicite, je ne peux pas conclure que le fait que Mid-West se soit fondée sur la Partie II de la Loi puisse avoir les conséquences évoquées par la défenderesse. Il est vrai que le fardeau de la preuve incombe à Mid-West. Les faits dont elle avait connaissance et les avis qu’elle a reçus sont pertinents en l’espèce. Cela ne signifie cependant pas qu’elle soit tenue de mettre en preuve des communications privilégiées. Elle peut choisir de le faire afin de s’acquitter de son fardeau. Elle peut également choisir de ne pas s’appuyer sur ces communications. Si elle opte pour cette dernière solution, elle risque de ne pas s’acquitter de son fardeau ou peut-être de favoriser une conclusion qui lui serait défavorable. De toute évidence, il est trop tôt pour prévoir les conséquences possibles, le cas échéant, d’une décision exigeant le maintien du privilège. Il suffit de dire que le simple fait de se fonder sur la Partie II de la Loi ne devrait pas être interprété comme une renonciation implicite au privilège avocat-client (quoique cela peut équivaloir à la renonciation à un privilège relatif au litige : St. Vital School Division No. 6 v. Trnka, [1998] M.J. No. 563 (Q.B.) (QL)).

 

[10]           Pour ce qui est du deuxième motif allégué de renonciation, je suis d’avis que Mid-West a mis en cause les avis qu’elle a reçus en 1990 et en 1994. Elle s’est fondée sur ces avis pour faire valoir qu’elle n’a disposé que beaucoup plus tard de tels « faits pertinents sur lesquels s’appuie l’action » pour intenter une action contre la défenderesse. M. Knight a fait référence au contenu de ces avis lorsqu’il a affirmé dans son affidavit [traduction] « qu’on ne lui a pas conseillé d’intenter des procédures judiciaires » ou de « présenter une demande d’accès à l’information ». Je suis d’avis que Mid-West ne peut pas se fonder sur l’avis juridique qu’elle a reçu pour faire valoir ses arguments et, en même temps, revendiquer le privilège à cet égard. Agir ainsi donnerait lieu à des injustices et à des incohérences que les tribunaux ont, à juste titre, reconnu comme étant des motifs permettant de conclure à une renonciation implicite au privilège. Par conséquent, au regard des avis que Mid-West a reçus en 1990 et en 1994, je conclus que cette dernière a implicitement renoncé au privilège avocat-client.

 

[11]           Je ne peux toutefois pas conclure dans le même sens relativement à tout autre avis reçu par Mid-West au cours de la période visée par l’assignation à comparaître. L’assignation est rédigée en des termes trop généraux et englobe des communications avocat-client qui vont bien au-delà de ce que Mid-West a mis en cause. À cet égard, j’excuserais M. Knight de ne pas avoir respecté les conditions de cette assignation.

 

(c)     Pertinence et contrainte

 

[12]           J’estime que les avis reçus par Mid-West en 1990 et en 1994 sont manifestement pertinents à sa demande en vertu de la Partie II de la Loi. Tout autre avis que Mid-West aurait pu recevoir par la suite peut être également pertinent, mais, comme je l’ai déjà mentionné, un tel avis demeure assujetti au privilège avocat-client. La défenderesse ne peut pas en exiger la production.

 

[13]           Il n’est donc pas nécessaire que je tranche la question de savoir s’il serait excessivement onéreux pour Mid-West d’exiger qu’elle produise tous les avis juridiques qu’elle a reçus. Mid-West ne prétend pas que le dépôt des lettres qu’elle a reçues en 1990 et en 1994 lui imposerait une contrainte.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  La requête est accueillie en partie.

2.                  La demanderesse doit respecter l’assignation à comparaître datée du 26 février 2007, uniquement en ce qui a trait aux avis juridiques qu’elle a reçus en 1990 et en 1994.

3.                  La demanderesse est dispensée de se conformer au reste de l’assignation à comparaître.

4.                  Chaque partie assumera ses propres dépens afférents à la requête.

5.                  Les avocats doivent indiquer leurs disponibilités en vue de la tenue d’une conférence de gestion de l’instance afin de discuter du délai de présentation de la demande sous-jacente.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 


Annexe

 

Loi sur la prescription, C.P.L.M. c. L150

 

Prescription

  2.(1)  Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-dessous :

[…]

 

n) une autre action qui ne fait pas explicitement l’objet d’une disposition de la présente loi, se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d’action.

 

Prolongation du délai dans certains cas

  14.(1)  Par dérogation à toute disposition de la présente loi ou d’une autre loi de la Législature ayant pour effet d’établir une prescription, le tribunal peut, sur demande, autoriser le requérant à intenter ou continuer une action, lorsque le tribunal conclut, sur la foi de la preuve fournie par le requérant ou en son nom, qu’une période maximale de 12 mois s’est écoulée entre les dates suivantes :

a) la date à laquelle le requérant a eu connaissance pour la première fois, ou celle à laquelle il aurait dû avoir connaissance, compte tenu des circonstances, de tous les faits pertinents sur lesquels s’appuie l’action;

b) la date de la présentation de la demande de prolongation au tribunal.

 

Nature des faits pertinents

  20.(3)  Pour les besoins de la présente partie, les faits pertinents se rattachant à une cause d’action doivent être considérés comme des faits de nature déterminante, lorsqu’il s’agit de faits à l’égard desquels une personne possédant le niveau d’intelligence, d’instruction et d’expérience qui lui sont propres, et connaissant ces faits et ayant obtenu des conseils opportuns au sujet de ceux-ci, aurait considérés à ce moment-là comme concluants pour donner lieu de croire raisonnablement à la réussite d’une action et à l’octroi de dommages-intérêts, ou à une réparation dont l’ampleur justifierait les procédures judiciaires qui seraient requises. Toutefois, il n’est tenu compte d’aucune défense pouvant être fondée sur une prescription établie par la présente loi ou par une autre loi de la Législature.

 

Limitation of Actions Act, C.C.S.M., c. L150

 

Limitations

  2.(1) The following actions shall be commenced within and not after the times respectively hereinafter mentioned:

(n) any other action for which provision is not specifically made in this Act, within six years after the cause of action arose.

 

 

 

Extension of time in certain cases

  14.(1)  Notwithstanding any provision of this Act or of any other Act of the Legislature limiting the time for beginning an action, the court, on application, may grant leave to the applicant to begin or continue an action if it is satisfied on evidence adduced by or on behalf of the applicant that not more than 12 months have elapsed between

(a) the date on which the applicant first knew, or, in all the circumstances of the case, ought to have known, of all material facts of a decisive character upon which the action is based; and

(b) the date on which the application was made to the court for leave.

 

Nature of material facts

  20.(3)  For the purposes of this Part, any of the material facts relating to a cause of action shall be taken, at any particular time, to have been facts of a decisive character if they were facts which a person of his intelligence, education and experience, knowing those facts and having obtained appropriate advice in respect of them, would have regarded at that time as determining, in relation to that cause of action, that, apart from any defence based on a provision of this Act or any other Act of the Legislature limiting the time for bringing an action, an action would have a reasonable prospect of succeeding and resulting in an award of damages or remedy sufficient to justify the bringing of the actions.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1791-06

 

 

INTITULÉ :                                       MID-WEST QUILTING CO. LTD. c.

                                                            SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 juin 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bryan Schwartz

Richard Handlon

 

POUR LA DEMANDERESSE

Duncan Fraser

Dhara Drew

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PITBLABO LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN SIMS, c.r.

Sous-procureur général

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.