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Date :  20070720

Dossier : IMM-936-06

Référence : 2007 CF 756

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

 

ENTRE :

WAZIR ALI PARDHAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 décembre 2005 dans laquelle une agente des visas (l’agente) a rejeté sa demande de résidence permanente parce qu’on a jugé qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité. À l’appui de la demande de résidence permanente en question, l’épouse du demandeur avait déposé un document contrefait. 

 

1.         Contexte

[2]               Le demandeur, Wazir Ali Pardhan, est un citoyen du Pakistan qui a présenté une demande de visa de résident permanent à titre d’investisseur dans la catégorie des gens d’affaires en février 2005 au Haut Commissariat du Canada à Islamabad au Pakistan. Dans la demande, l’épouse du demandeur, Sumera Amir Ali, et leurs quatre enfants mineurs étaient inscrits comme personnes à charge accompagnant le demandeur. L’épouse du demandeur a signé une déclaration d’antécédents qui a été jointe à la demande, laquelle confirmait qu’elle était titulaire d’un diplôme d’études secondaires supérieures (un DESS ou un diplôme) de la « Commission de l’éducation intermédiaire de Karachi ». Le diplôme a été joint à la demande.

 

[3]               Au cours de l’examen de la demande, l’agente a informé le demandeur qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que le diplôme de son épouse était un document contrefait. Dans une lettre du 24 octobre 2005, l’agente a avisé le demandeur de ses préoccupations quant à ce document et lui a demandé d’y répondre.

 

[4]               En réponse, le demandeur a admis par lettre que le diplôme n’était pas un document authentique, et il a déposé un affidavit de son épouse dans lequel elle confirmait que le certificat n’était pas authentique et que son mari n’en avait pas été informé. Cette dernière a expliqué que le diplôme avait été rédigé par ses parents et remis à ses beaux‑parents à la suite de son mariage avec le demandeur pour respecter la promesse selon laquelle elle était titulaire d’un DESS. Elle a ajouté que ses parents avaient menti à ses-beaux parents avant le mariage en leur disant qu’elle avait obtenu un DESS et qu’elle voulait éviter les ennuis.

 

2.         Décision contestée

[5]               Dans une lettre du 14 décembre 2005, l’agente a rejeté la demande pour les motifs suivants :

 

a)         le demandeur est une personne visée par l’alinéa 36(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et est donc interdit de territoire pour grande criminalité;

 

b)         l’épouse du demandeur a tenté de faire passer pour authentique un document contrefait en violation de l’article 471 du Code pénal du Pakistan ce qui constitue une infraction correspondant au paragraphe 368(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. 46;

 

c)         étant donné que l’épouse du demandeur est interdite de territoire, le demandeur est interdit de territoire par l’application du paragraphe 11(1) et de l’alinéa 42a) de la Loi.

 

3.         Question en litige

[6]               L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur est interdit de territoire du fait qu’il est visé par le paragraphe 36(1) de la Loi?

 

4.         Norme de contrôle

[7]               Dans la décision Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, aux paragraphes 18 à 20, mon collègue, le juge Yves de Montigny, a procédé à l’examen de la jurisprudence de la Cour relativement à la question de la norme de contrôle applicable dans le cas de décisions d’agent des visas, et j’y souscris. La nature de la décision faisant l’objet de contrôle est un élément déterminant. Dans la présente affaire, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit : le demandeur est-il interdit de territoire pour grande criminalité? Les faits sont en grande partie admis et l’agente doit interpréter diverses dispositions de la Loi. La décision n’appelle pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[8]               Dans ces circonstances, la Cour chargée du contrôle devrait faire preuve d’une retenue moindre. Je conclus donc que la norme de contrôle applicable à la présente affaire est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

5.         Analyse

[9]               Le demandeur a été jugé interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Cette disposition exige qu’il soit établi qu’une infraction a été commise à l’extérieur du Canada qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

[10]           La Loi commande que l’on détermine si les deux infractions sont équivalentes, c’est‑à‑dire qu’il faut comparer les éléments essentiels de l’une et de l’autre pour déterminer s’ils correspondent. Dans la décision Brannson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 2 CF 141, aux pages 152 et 153, le juge Ryan souligne l’importance d’analyser les éléments essentiels des infractions :

 

[…] Quels que soient les termes employés pour désigner ces infraction ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent. Naturellement, il faut s’attendre à des différences dans le langage employé pour définir les infractions dans les différents pays.

 

[11]           L’agent des visas doit procéder à l’examen de l’équivalence des infractions pour prendre une décision quant à l’applicabilité de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a établi que l’équivalence pouvait être appréciée de trois façons :

 

1)         en comparant la teneur exacte de chaque loi à la fois grâce à des documents et, si possible, par le témoignage d’experts en droit étranger dans le but de dégager les éléments constitutifs de chaque infraction;      

 

2)         en examinant les preuves, à la fois orales et écrites, pour décider si elles suffisent à établir que les éléments constitutifs de l'infraction au Canada ont été prouvés lors des procédures à l’étranger, que ce soit en détail et dans les mêmes termes dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions législatives;

 

3)         par une combinaison des deux.

 

Voir : Brannson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 CF 141; (1980), 34 N.R. 411 (C.A.); Hill c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1987), 73 N.R. 315 (C.A.F.); Steward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 CF 487; (1988), 84 N.R. 236 (C.A.).

 

[12]           Dans sa lettre de décision, l’agente a indiqué que l’épouse du demandeur avait commis une infraction aux termes de l’article 471 du Code pénal du Pakistan en tentant de faire passer comme authentique un document contrefait. L’agente a cité cet article du Code pénal du Pakistan et a conclu que cet acte constituait une infraction commise à l’extérieur du Canada. Elle a ensuite conclu, sans pousser plus loin son analyse, que si l’infraction avait été commise au Canada elle constituerait une infraction aux termes du paragraphe 368(1) du Code criminel du Canada punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. L’agente a par la suite mentionné l’article du Code criminel du Canada et n’a pas poussé plus loin l’analyse de l’équivalence dans sa décision.

 

[13]           Bien que les dispositions relatives aux deux infractions aient été cités dans la lettre de décision de l’agente, aucune analyse n’a été effectuée sur les termes précis utilisés dans leur formulation. Les éléments essentiels des infractions en question n’ont pas été relevés par l’agente et n’ont donc pas été comparés pour établir s’ils correspondent. De plus, l’agente n’a pas entendu de témoins experts en droit étranger dans la présente affaire, en l’absence desquels on ne peut répondre que par des hypothèses à la question de savoir si tous les éléments requis ont été relevés pour conclure, tel que l’a fait l’agente, qu’une infraction prévue au Code pénal du Pakistan a été commise. Enfin, aucune appréciation de la preuve n’a été effectuée par l’agente pour décider si la preuve suffisait à établir que les éléments constitutifs de l’infraction au Canada avaient été prouvés lors des procédures à l’étranger.

 

[14]           L’agente aurait certainement pu conclure comme elle l’a fait, mais la Cour n’est pas en mesure de faire des suppositions à cet égard en l’absence d’un examen adéquat de l’équivalence comme l’a établi la jurisprudence précitée. L’examen de l’équivalence effectué par l’agente est incomplet et, par conséquent, la décision de cette dernière du fait de l’interdiction de territoire pour grande criminalité doit être annulée, ce qui constitue, dans les circonstances, une erreur susceptible de contrôle.

 

[15]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen, conformément aux présents motifs.

 

[16]           Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale telle que le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi, mais ne l’ont pas fait. Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée dans ce dossier, et je n’en propose aucune aux fins de certification.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen, conformément aux présents motifs.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-936-06

 

INTITULÉ :                                                   Wazir Ali Pardhan c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Irwin H. Sherman                                             POUR LE DEMANDEUR

Don Mills (Ontario)

 

Judy Michaely                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Irwin H. Sherman                                             POUR LE DEMANDEUR

Don Mills (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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