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Date : 20070727

Dossier : IMM-3618-06

Référence : 2007 CF 791

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

VASANTHANAYAKI KANDASAMY

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Vasanthanayaki Kandasamy d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 30 mai 2006, dans laquelle la demande d'asile de Mme Kandasamy a été rejetée. Elle demande le réexamen de sa demande en raison des erreurs que la Commission aurait commises dans le traitement de la preuve.

 

Le contexte

[2]               Mme Kandasamy est une Tamoule de 33 ans qui vient de la région de Jaffna au Sri Lanka. Sa demande d'asile était fondée sur la prétendue persécution qu'elle aurait subie depuis au moins 1995 de la part des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) et des forces gouvernementales du Sri Lanka. Bien qu'elle eût déclaré que les TLET avaient tenté de la recruter au début de 1990, ses préoccupations portaient principalement sur la persécution dont elle aurait été victime de la part des forces du Sri Lanka et de leurs collaborateurs tamouls.

 

[3]               Mme Kandasamy a témoigné qu’elle avait subi des mauvais traitements (y compris la torture) et qu’elle avait été arrêtée et détenue plusieurs fois par les forces du gouvernement du Sri Lanka entre 1996 et 2004. Elle a déclaré que les fois où elle a été détenue, elle a réussi à être libérée en échange de pots-de-vin qu'elle aurait payés. C'est après sa dernière détention qu'elle a quitté le Sri Lanka et qu'elle est venue au Canada, en passant par les États-Unis, le 26 avril 2005. Elle a immédiatement demandé l'asile à la frontière, alléguant qu'elle craignait tant les TLET que l'armée du Sri Lanka.

 

La décision de la Commission

[4]               Bien que la Commission eût accepté que Mme Kandasamy était une Tamoule du Sri Lanka, elle a rejeté sa demande d'asile au motif qu'elle avait des doutes sur sa crédibilité. Dans sa décision, la Commission a relevé de nombreuses contradictions, omissions et invraisemblances dans la preuve qu'elle avait présentée à l'appui de sa demande.

 

[5]               La Commission a exprimé un grand scepticisme au sujet de la première déclaration inscrite sur le formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Kandasamy, soit qu'elle était la seule membre de sa famille à avoir été ciblée par les autorités du Sri Lanka à quatre occasions, apparemment sans lien, au cours d'une période de huit ans. La Commission a aussi tenu compte du défaut de Mme Kandasamy de mentionner dans son FRP que, pendant la majorité du temps où elle n'était pas détenue, elle était restée cachée. Elle a expliqué lors de son témoignage qu'elle ne savait pas que ce renseignement était important. Cependant, lorsqu'on a attiré son attention sur une mention dans le FRP selon laquelle elle s'était cachée pendant un certain temps après sa dernière détention en 2004, elle a été incapable d'offrir une explication plausible.

 

[6]               La Commission a exprimé un certain scepticisme au sujet de l'absence de liens entre les diverses détentions que Mme Kandasamy a déclarées dans son FRP. Elle n'a offert de preuves liant les événements que lorsqu'on lui a fait remarquer ce manque de renseignements. L'explication tardive n'a pas convaincu la Commission.

 

[7]               La décision de la Commission traduit aussi un doute au sujet de la vraisemblance que la sœur de Mme Kandasamy, qui n'a jamais été victime de problèmes semblables, ait été envoyée à l'étranger alors que Mme Kandasamy est restée au Sri Lanka, où elle courait un risque important. À ce sujet, la Commission a tiré la conclusion défavorable suivante au sujet de la vraisemblance :

[…] Je juge invraisemblable que les parents de la demandeure d’asile aient envoyé sa sœur à l’étranger en 2002, parce qu’elle risquait d’être arrêtée, et non la demandeure qui avait déjà été arrêtée et torturée au moins deux fois et pour laquelle ses parents avaient dû remettre des pots-de-vin d’une somme considérable. C’est la demandeure d’asile qui a prétendument vécu cachée, et non sa sœur. C’est la demandeure d’asile qui risquait prétendument d’être arrêtée, puisque les autorités la recherchaient activement, et non sa sœur. Lorsque cette invraisemblance a été portée à son attention, la demandeure d’asile a modifié son témoignage et affirmé que ses parents avaient tenté de l’envoyer à l’étranger après chacune de ses arrestations, mais avaient été trahis chaque fois par des passeurs malhonnêtes. Je n’accorde aucune crédibilité à cette réponse qui a été remaniée de toute évidence.

 

 

[8]               Lorsqu'on lui a posé des questions au sujet de l'apparente coïncidence selon laquelle elle était la seule membre de la famille à avoir été ciblée, elle a expliqué qu'une de ses sœurs était mariée et que l'autre était [traduction] « un peu rondelette » et qu'elle [traduction] « ne sortait pas tellement ». La Commission a trouvé ces explications peu convaincantes.

 

[9]               La Commission a aussi signalé que certaines des réponses de Mme Kandasamy aux questions portant sur son passeport et sa carte d'identité nationale étaient incompatibles avec certaines autres parties de son témoignage. Par exemple, l'une des préoccupations importantes de la Commission portait sur le témoignage de Mme Kandasamy selon lequel elle s'était personnellement présentée au bureau des passeports du gouvernement, pendant la même période au cours de laquelle elle avait déclaré que l'armée la recherchait et qu'elle s'était cachée.

 

[10]           La Commission a rejeté le récit de Mme Kandasamy au sujet des mauvais traitements et a fait le bilan suivant de son point de vue au sujet du témoignage :

À la lumière de tout ce qui précède, je rejette le témoignage de la demandeure d’asile et le considère comme dénué de toute crédibilité. Je ne crois pas qu’elle ait été arrêtée par le CID, l’armée et les groupes tamouls qui appuient le gouvernement, ni qu’elle ait été détenue et maltraitée. Je ne crois pas qu’elle ait eu à se cacher pendant qu’elle vivait au Sri Lanka et qu’elle ait fui son pays pour échapper à la persécution.

 

 

[11]           La Commission a résumé la preuve au sujet de la situation du pays et a ensuite rejeté les allégations de Mme Kandasamy portant sur le risque généralisé qu'elle courrait en tant que Tamoule. La Commission a conclu :

La demandeure d’asile n’a jamais été engagée politiquement. Je rejette ses allégations selon lesquelles elle aurait été arrêtée dans le passé et aurait connu des démêlés avec les autorités et les groupes tamouls qui appuient le gouvernement. La demandeure d’asile n’a jamais connu d’ennuis avec les TLET. Elle assure qu’elle n’appartient pas aux TLET ni à aucun autre groupe tamoul. Elle n’est pas une rebelle notoire recherchée par l’armée, la police ou un groupe rival des TLET. D’après la preuve documentaire, je considère que, dans les circonstances actuelles, les femmes ayant l’âge et le profil de la demandeure d’asile ne sont exposées à un risque raisonnable d’être persécutées ni par les TLET ou d’autres groupes militants tamouls, ni par l’armée ou la police du Sri Lanka sur le seul fondement de leur nationalité tamoule. Je ne considère pas que les personnes ayant le profil de la demandeure d’asile sont personnellement exposées à un risque sérieux d’être soumises à la torture, à une menace à leur vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Sri Lanka.

 

 

Les questions en litige

[12]           a) Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par la demanderesse?

b) la Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation de la preuve?

 

Analyse

[13]           Les questions soulevées pour Mme Kandasamy en l'espèce portent sur la preuve. La première question a été soulevée au sujet d'une erreur de fait de la part de la Commission. La deuxième question porte sur la façon dont la Commission a traité la preuve au sujet du risque généralisé auquel les Tamouls font face au Sri Lanka. Comme je suis d'avis que l'erreur de fait de la Commission n'a pas eu d'effet déterminant sur l'issue de l'affaire et que la Commission n'a commis aucune erreur dans son traitement de la preuve au sujet du risque généralisé, il n'est pas nécessaire que j'effectue une analyse fonctionnelle et pragmatique.

 

[14]           Il ne fait aucun doute que la Commission a commis une erreur de fait lorsqu'elle a conclu que Mme Kandasamy n'avait pas mentionné sa crainte des TLET plus tôt dans son témoignage. La transcription du témoignage démontre clairement qu'elle a mentionné cette crainte lorsque la Commission l'a questionnée. Il s'agit cependant d'une question mineure en l'espèce parce que les craintes principales de Mme Kandasamy portaient principalement sur les mauvais traitements qu'elle aurait subis de la part de l'armée et d'autres groupes qui appuient le gouvernement. Sa seule preuve de contact réel avec les TLET portait sur une tentative de recrutement qu'elle déclare avoir réussi à éviter. Néanmoins, si elle retournait au Sri Lanka et qu'elle refusait de se joindre aux TLET à nouveau, elle a déclaré : [traduction] « ils pourraient me tuer ». Comme cette erreur était peu pertinente quant à l'évaluation générale défavorable de la Commission au sujet de la crédibilité et quant déclarations de la demanderesse en ce qui à trait aux mauvais traitements de la part des groupes qui appuient le gouvernement, je conclue qu'elle n'a pas joué de rôle déterminant dans l'issue de la procédure parce que la conclusion de la Commission était fondée sur des motifs suffisants et convaincants : voir Iteka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [2007] A.C.F. no 504, 2007 CF 368, au paragraphe 16.

 

[15]           De plus, Mme Kandasamy qualifie d'injustement sélectif et superficiel le traitement de la Commission de la preuve au sujet du risque généralisé auquel elle disait faire face au Sri Lanka en tant que Tamoule. Elle mentionne des rapports sur la situation du pays qui comportaient des éléments de preuve empiriques du recrutement forcé d'enfants et d'adultes par les TLET et des mauvais traitements que les femmes subissaient lorsqu'elles étaient détenues par les forces du gouvernement. Elle soutient que la Commission avait l'obligation d'examiner cette preuve avant de rejeter sa demande d'asile.

 

[16]           À mon avis, la preuve au sujet du risque généralisé avait tellement peu d'importance qu'il n'était pas nécessaire que la Commission la mentionne dans sa décision. La Commission pouvait raisonnablement conclure que Mme Kandasamy n'avait pas le profil d'une personne qui risque d'être menacée par les TLET ou par le gouvernement - particulièrement compte tenu du fait que la Commission a rejeté catégoriquement son témoignage au sujet de la persécution. Après tout, si elle n'a jamais été victime de persécution, il était raisonnable de conclure qu'il était peu probable qu'elle en soit victime à son retour au Sri Lanka.

 

[17]           Le problème principal de l'argument de Mme Kandasamy à ce sujet est que la Commission devrait essentiellement accorder l'asile à tous les demandeurs tamouls qui déclarent craindre d'être recrutés par les TLET ou d'être victimes de mauvais traitements de la part des forces gouvernementales, simplement parce qu'il existe des preuves selon lesquelles de tels actes sont parfois commis au Sri Lanka. À mon avis, pour qu'il soit conclu que l'asile doit être accordé, une preuve de risque généralisé de persécution doit être beaucoup plus persuasive et particulière au profil d'un demandeur que le type de preuves sur lesquelles Mme Kandasamy s'est fondée. La preuve sur laquelle Mme Kandasamy s'est fondée n'était pas « si importante et cruciale » que l'omission d'en faire état peut constituer une erreur susceptible de révision : voir Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [2006] A.C.F. no 591, 2006 CF 405, au paragraphe 37.

 

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé de question grave de portée générale pour la certification et l'affaire n'en soulève aucune.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-3618-06

 

INTITULÉ :                                       VASANTHANAYAKI KANDASAMY

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 24 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karina Thompson                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Linda H-C Chen                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROBERT BLANSHAY LAW OFFICE

Avocats                                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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