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Date : 20070731

Dossier : T-1524-06

Référence : 2007 CF 798

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

ALAN MACDONALD

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur a été déclaré coupable d’une infraction disciplinaire mineure le 10 septembre 2004, alors qu’il était détenu à l’Établissement de Joyceville. L’accusation était fondée sur l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi). Cette disposition prévoit :

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

 

f) agit de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l’autorité de celui-ci ou des agents en général;

40. An inmate commits a disciplinary offence who

 

(f) is disrespectful or abusive toward a staff member in a manner that could undermine a staff member’s authority;

 

[2]               La preuve produite lors de l’audience devant le tribunal disciplinaire pour infractions mineures de Joyceville se trouvait dans la première des quatre parties d’un document intitulé « Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation ». Un exposé circonstancié, que j’appellerai « l’accusation écrite », figurait dans la section intitulée « Description de l’infraction » qui a été signée par l’agente D. Beynen (l’agente ayant déposé l’accusation). Cette occupation écrite était la suivante:

[traduction] À la date et vers l’heure indiquées ci‑dessus, M. Macdonald a regardé l’auteure du présent document et a ri en se rendant à sa cellule en vue du comptage, au point de compromettre l’autorité de cette personne.

 

[3]               Personne n’a témoigné et, sur la foi uniquement de l’accusation écrite, le demandeur a été déclaré coupable par la surveillante correctionnelle qui a présidé l’audience (la présidente de l’audience). Celle‑ci lui a infligé un avertissement ou une réprimande comme peine.

 

[4]               Après avoir été déclaré coupable, le demandeur a déposé une plainte visant la procédure suivie par le tribunal disciplinaire pour infractions mineures (la plainte) et, ensuite, des griefs aux trois paliers du régime de règlement des griefs des détenus. Les trois paliers sont les suivants : 1) le niveau de l’établissement; 2) le niveau régional; 3) le niveau national. La plainte et les griefs ont tous été rejetés. La présente demande de contrôle judiciaire a trait à la décision rendue au niveau national en date du 3 mai 2006 (la décision) par un analyste de la Section des recours pour les détenus, à l’administration centrale de Service correctionnel Canada (le décideur).

 

[5]               Dans sa plainte, sous le titre [traduction] « Mesure demandée », le demandeur parlait d’[traduction] « allégations non prouvées ». Dans la section intitulée [traduction] « Plainte », il se plaignait de ne pouvoir [traduction] « […] questionner ou affronter son accusateur […] ». À mon avis, ce document révèle que le demandeur considérait que la preuve était insuffisante pour étayer la déclaration de culpabilité prononcée contre lui, parce que l’agente ayant déposé l’accusation n’avait pas témoigné.

 

[6]               La réponse à la plainte datée du 20 octobre 2005 est libellée en partie comme suit :

[traduction] En ce qui concerne la possibilité que vous vous adressiez à l’agente ayant déposé l’accusation, il appartient au défendeur – vous, en l’occurrence – d’en faire la demande au moment de l’audience. Rien n’indique que vous ayez fait cette demande ou que vous ayez nommé la personne dont vous souhaitiez entendre le témoignage.

 

[7]               Dans son grief au niveau de l’établissement daté du 4 novembre 2005, le demandeur se plaignait du manque de [traduction] « […] preuve ou de témoins ». À cet égard, le directeur de l’établissement a répondu que la présidente de l’audience avait dit que, comme le demandeur n’avait jamais demandé à la questionner, l’agente ayant déposé l’accusation n’avait pas été priée de se présenter à l’audience du tribunal disciplinaire pour infractions mineures. Le directeur de l’établissement a ajouté : [traduction] « Vous n’avez demandé aucun type de preuve de sorte qu’aucun élément de preuve n’a été déposé. »

 

[8]               Le grief déposé au niveau régional par le demandeur, qui n’est pas daté, indiquait notamment :

[traduction] Je n’ai pas à demander qu’une personne soit autorisée à témoigner contre moi. C’est le travail de la poursuite. Avant que je puisse être déclaré coupable, il faut que la poursuite présente à l’audience une preuve suffisante pour établir ma culpabilité hors de tout doute raisonnable. Or, aucune preuve n’a été présentée, de sorte que je ne pouvais rien remettre en question.

 

[9]               Le rejet de ce grief est daté du 23 janvier 2006. On a de nouveau reproché au demandeur le manque de preuve et on n’a pas tenu compte de sa prétention selon laquelle il n’était pas tenu d’appeler une personne à témoigner contre lui.

 

[10]           Dans le grief qu’il a déposé au niveau national, qui n’est pas daté, le demandeur a cité le paragraphe 43(3) de la Loi, qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable, et a répété sa prétention selon laquelle aucune preuve n’avait été présentée à l’audience.

 

[11]           La réponse à ce grief, datée du 3 mai 2006, faisait servir qu’il appartenait au demandeur de dresser la liste des témoins qui devaient se présenter à l’audience. Cette réponse ne réglait cependant pas clairement la question du demandeur qui consistait à savoir s’il était tenu d’inscrire sur cette liste les témoins à charge.

 

LE CONTEXTE

 

[12]           L’article 6 de la Loi prévoit que le commissaire du Service correctionnel (le commissaire) a, sous la direction du ministre, toute autorité sur tout ce qui se rattache au Service. À cette fin, il peut établir des règles concernant la gestion du Service (article 97 de la Loi) et ces règles peuvent faire l’objet de directives du commissaire (paragraphe 98(1) de la Loi). Ces directives ne sont pas des « lois », mais plutôt des énoncés de politique administrative (voir Dearnley c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 308, au paragraphe 33). Les directives du commissaire traitent de différents sujets liés à la gestion des prisons, notamment la discipline des détenus.

 

[13]           Les règles relatives aux personnes qui témoignent devant le tribunal disciplinaire pour infractions mineures sont contenues dans la Directive du commissaire no 580 intitulée « Mesures disciplinaires prévues à l’endroit des détenus ». Cette directive prévoit :

26. Le directeur de l’établissement doit veiller à ce que :

[…]

  1. le détenu soit informé qu’il peut présenter une liste des témoins et/ou des documents voulus avant l’audition de son cas.

26. The Institutional Head shall ensure that:

 

 

c.   the inmate is advised that he or she may       submit a list of witnesses and/or       documents he or she wishes prior to the       hearing.

 

44. Si le détenu plaide « non coupable », il doit avoir, dans des limites raisonnables, la possibilité pendant l’audience :

 

  1. de questionner des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audience;

[…]

c.   d’appeler des témoins en sa faveur;

[…]

44. If the plea is "not guilty", the accused inmate shall be given a reasonable opportunity at the hearing:

  1. to question witnesses through the person conducting the disciplinary hearing;

  1. call witnesses on his or her own behalf;

 

 

[14]           En ce qui concerne la norme de preuve, le libellé du paragraphe 51 de la Directive est semblable à celui du paragraphe 43(3) de la Loi :


51. La personne chargée de l’audience ne peut prononcer un verdict de culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée à l’audience disciplinaire, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

51. The person conducting the disciplinary hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the disciplinary hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

[15]           Finalement, en ce qui concerne la preuve, la Directive énonce au paragraphe 47 que les règles de présentation de la preuve en matière pénale ne s’appliquent pas et que le président de l’audience peut admettre tout élément de preuve qu’il considère valable et digne de foi. L’accusation écrite a été considérée comme un élément de preuve pour cette raison en l’espèce.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Bien qu’il ait soulevé plusieurs questions dans son mémoire des faits et du droit, l’avocat du demandeur en a abordé une seule devant moi : l’accusation écrite était‑elle suffisante pour étayer la déclaration de culpabilité? Une autre question, sous‑jacente, a trait au fait que l’agente ayant déposé l’accusation n’a pas été appelée à témoigner à l’audience et que le défendeur estimait que, selon la Directive, il appartenait au demandeur d’inscrire cette personne sur sa liste de témoins. J’ai considéré cette question comme la deuxième question en litige.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           La Cour suprême du Canada a statué qu’il faut utiliser une approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer l’intention du législateur en ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions des tribunaux administratifs; voir Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

 

[18]           L’approche pragmatique et fonctionnelle exige l’examen de quatre facteurs contextuels : la nature de la question en litige, l’expertise relative du tribunal, la présence ou l’absence dans la loi d’une disposition privative ou d’un droit d’appel et l’objet de la loi et de la disposition particulière.

 

[19]           Le premier facteur est la nature de la question en litige. En l’espèce, la première question en litige consiste à déterminer si l’accusation écrite étayait à elle seule la déclaration de culpabilité et la deuxième, si la Directive exigeait du demandeur qu’il s’assure que les témoins à charge soient présents à l’audience en les inscrivant sur la liste visée à l’alinéa 26c) de la Directive. Les deux questions sont des questions mixtes de droit et de fait. Toutefois, la première dépend largement des faits et la réponse à la deuxième repose sur des principes juridiques plutôt que sur les faits d’une affaire particulière. Par conséquent, je ferais preuve d’une certaine retenue à l’égard de la première et d’une retenue moindre à l’égard de la deuxième.

 

[20]           En ce qui concerne l’expertise du décideur, il est généralement admis qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues par des décideurs qui ont acquis une expertise en ce qui concerne les règles administratives du système carcéral; voir Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 495, au paragraphe 36. Cette expertise ne s’étend pas nécessairement cependant à la connaissance de ce qui caractérise une instruction équitable. J’estime que la Cour possède une expertise plus grande à cet égard. Par conséquent, ce facteur n’exige pas qu’elle fasse preuve de retenue.

 

[21]           La Loi ne prévoit pas un droit d’appel relativement à la décision et ne renferme pas de disposition privative. Ce facteur est donc neutre.

 

[22]           L’objet des dispositions de la Loi relatives aux griefs (les articles 90 et 91) est d’offrir aux détenus des prisons fédérales une procédure de règlement juste et expéditive de leurs griefs. Ce facteur semble exiger un degré de retenue moindre.

 

[23]           Considérés dans l’ensemble, ces facteurs m’amènent à conclure que la norme de contrôle appropriée quant aux deux questions est la décision correcte.

 

ANALYSE

Question no 1 – La preuve était-elle suffisante?

 

[24]           L’accusation écrite a été considérée comme étant une preuve digne de foi par la présidente de l’audience et, donc, comme étant une preuve admissible. À mon avis cependant, les faits qui y sont décrits ne sont pas suffisants pour établir hors de tout doute raisonnable qu’une infraction prévue à l’alinéa 40f) de la Loi a été commise. Entre autres choses, l’accusation écrite ne contenait aucun renseignement au sujet des circonstances entourant l’infraction. Par exemple, si aucun autre détenu ne s’était trouvé à proximité pour entendre le rire du demandeur, il aurait été impossible de conclure que ce rire avait compromis l’autorité de l’agente ayant déposé l’accusation.

 

Question no 2 – Appartient-il au détenu d’inscrire le nom des témoins à charge sur sa liste?

 

[25]           Le défendeur reconnaît que ni la Loi ni la Directive ne prévoient expressément qu’il appartient au détenu d’inscrire le nom des témoins à charge sur sa liste. Il affirme cependant que l’alinéa 26c) de la Directive est interprété de cette façon depuis bon nombre d’années.

 

[26]           Si on interprète la Directive comme le propose le défendeur en l’espèce, le demandeur aurait dû inscrire le nom de l’agente ayant déposé l’accusation sur sa liste de témoins, même s’il ne souhaitait pas la questionner.

 

[27]           À mon avis, la Directive ne peut avoir ce sens. Selon son alinéa 26c), le détenu est seulement tenu de présenter une liste des témoins « voulus », et on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il nomme sur cette liste les personnes qui témoigneront contre lui. Si les témoins qui sont nécessaires pour prouver l’accusation hors de tout doute raisonnable ne sont pas mentionnés par le détenu sur sa liste de témoins, ils doivent être désignés d’une autre façon.

 

[28]           Le paragraphe 44 de la Directive me conforte dans mon opinion. Cette disposition fait une distinction entre les témoins que le détenu appelle en sa faveur et ceux qu’il questionne par l’intermédiaire du président de l’audience. Le libellé semble indiquer que ces derniers ne sont pas appelés par le détenu.

 

CONCLUSION

 

[29]           J’ai conclu que l’accusation écrite ne contenait pas suffisamment de renseignements pour justifier la déclaration de culpabilité et que, dans les circonstances de l’espèce, le demandeur n’était pas tenu d’inscrire le nom de l’agente ayant déposé l’accusation sur la liste de témoins visée à l’alinéa 26c) de la Directive.

 

[30]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la déclaration de culpabilité sera annulée. Je renverrais normalement la présente affaire pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle audience, mais il faut conclure de l’alinéa 14c) et des paragraphes 27, 35, 36 et 39 de la Directive que le règlement rapide des affaires relatives à des infractions mineures est un objectif important. Comme l’infraction mineure en cause en l’espèce a été commise en 2004 et n’a donné lieu qu’à une réprimande, je ne suis pas disposée à ordonner que le tribunal disciplinaire pour infractions mineures recommence la procédure en 2007, alors que les souvenirs de l’incident seront incontestablement moins précis.

 

[31]           Le demandeur souhaite que des dépens de 3 000 $ lui soient accordés pour la présente demande. Même si je reconnais que les services d’un avocat ont été retenus et que des efforts considérables et de longs déplacements ont été faits en l’espèce, les questions soulevées à l’origine n’ont pas toutes été débattues à l’audience. Par contre, le demandeur a eu gain de cause pour les questions qui ont été soumises à la Cour.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La Cour ordonne, pour les motifs exposés ci‑dessus, que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la déclaration de culpabilité soit annulée et que tous les documents concernant la déclaration de culpabilité soient retirés des dossiers du défendeur concernant le demandeur.

 

            Des dépens de 2 500 $ sont accordés au demandeur. Ces dépens sont payables à l’avocat du demandeur dans les soixante jours suivant le présent jugement.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-1524-06

 

INTITULÉ :                                                       ALLAN MACDONALD

                                                                            c.

                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 9 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 31 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John L. Hill                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon McGovern                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John L. Hill                                                          POUR LE DEMANDEUR

Cobourg (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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