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Date : 20070726

Dossier : T-1569-06

Référence : 2007 CF 782

Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

JIM’S PIZZA (1980) LTD.

et HANEY 2 FOR 1 PIZZA LTD.

 

demanderesses

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En l’espèce, les dirigeants des deux sociétés demanderesses, qui exploitent respectivement une entreprise dans le domaine de la restauration et une entreprise dans le domaine de la production de pizzas, ont omis de remettre la TPS et les retenues salariales comme l’exige la loi. En conséquence, des intérêts et des pénalités très élevés leur ont été imposés par la défenderesse. Les demanderesses ont sollicité l’application des dispositions d’équité contenues au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, et à l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑11, afin d’être libérées du paiement de ces intérêts et pénalités.

 

[2]               Cette demande a donné lieu à trois examens. Dans les trois cas, les arguments des demanderesses ont été rejetés, la dernière fois par une décision officielle rendue le 1er août 2006. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle. Le motif du rejet est contenu dans la remarque informelle suivante du décideur :

[traduction] La cliente a pris une décision commerciale en continuant à exploiter une entreprise qui n’était apparemment pas viable sur le plan financier. Bien qu’elles soient malheureuses, les circonstances ne peuvent excuser la non‑production de déclarations et le non‑paiement de sommes dues.

 

(Dossier de la défenderesse, à la page 12.)

 

 

[3]               La norme de contrôle qui s’applique à la décision visée par la présente procédure de contrôle est celle de la décision raisonnable (Lanno c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 D.T.C. 5245 (C.A.F.)). 

 

I.          Les dispositions d’équité

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1

 

220(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

220(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-11

 

281.1 (1) Le ministre peut annuler les intérêts payables par une personne en application de l’article 280, ou y renoncer.

(2) Le ministre peut annuler la pénalité payable par une personne en application de l’article 280, ou y renoncer.

 

281.1 (1) The Minister may waive or cancel interest payable by a person under section 280.

(2) The Minister may waive or cancel penalties payable by a person under section 280.

II.          Les directives relatives aux dispositions d’équité

[4]               Bien qu’elles ne lient pas le ministre lorsqu’il décide d’appliquer, ou non, les dispositions d’équité, les directives (mémorandum) TPS‑500‑3‑2‑1 intitulées Annulation ou renonciation – Pénalités et intérêts (14 mars 1994) ont été suivies par le décideur ayant rendu la décision visée par la présente procédure de contrôle :

CIRCONSTANCES EXTRAORDINAIRES

                                                                                                             6. Des pénalités et des intérêts peuvent être annulés, ou on peut y renoncer, lorsqu’ils résultent de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté de la personne et ayant empêché celle‑ci de se conformer à la Loi. Voici des exemples de circonstances extraordinaires qui pourraient empêcher une personne de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à la Loi :

a) une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l’homme, comme une inondation ou un incendie;

b) des troubles civils ou l’interruption de services, comme une grève des postes;

c) une maladie grave ou un accident grave;

d) des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

 

[... ]

FACTEURS

9. Lorsque des circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté d’une personne ont empêché celle-ci de se conformer à la Loi, les facteurs suivants seront pris en considération par le Ministère pour déterminer s’il doit annuler les pénalités et les intérêts ou y renoncer :

a) La personne a-t-elle des antécédents satisfaisants d’observation volontaire (c.-à-d. les déclarations de TPS précédentes ont-elles été produites et les paiements ont-ils été versés à temps)?

b) La personne a-t-elle, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance sur lequel se sont accumulés les pénalités et les intérêts?

c) La personne a-t-elle agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission en matière d’observation qui a donné lieu à l’imposition initiale des pénalités et des intérêts?

d) Y a-t-il des preuves selon lesquelles la personne a fait preuve de prudence et de diligence (p. ex. a pris des précautions en vue de troubles prévus) et n’a pas fait preuve de négligence ni d’imprudence dans la conduite de ses affaires? Il revient à l’inscrit de se tenir au courant de tout changement apporté à l’administration de la TPS de manière à assurer qu’il continue à observer la Loi.

10. Au moment d’évaluer ces facteurs, le Ministère peut communiquer avec la personne et demander des renseignements supplémentaires ou des précisions concernant les circonstances en vertu desquelles les pénalités et les intérêts sont devenus payables.

(Dossier de la défenderesse, aux pages 12 à 15.)

III.    La décision contestée

 

[5]               Les demanderesses fondent leur demande de libération du paiement des intérêts et des pénalités sur plusieurs motifs, notamment sur les répercussions défavorables que l’adoption de la TPS a eues sur leur entreprise, les difficultés qui leur ont été causées par les poursuites judiciaires intentées par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) pour percevoir la TPS et les retenues salariales impayées, le fait que la maison des dirigeants a été expropriée en 1991, mais que le processus a pris fin en 1994, les interventions chirurgicales de remplacement de la hanche et du genou subies par l’un des dirigeants et le fait que l’autre dirigeant souffrait d’arthrite et de fibromyalgie.

 

[6]               Les arguments des demanderesses ont été examinés avec soin.

 

[7]               La demanderesse Jim’s Pizza (1980) Ltd. a omis de remettre la TPS pour la période allant du 28 février 1997 au 31 août 1999. La demanderesse Haney 2 For 1 Pizza Ltd. a omis de remettre la TPS pour la période allant du 28 février 1998 au 30 novembre 2002.

 

[8]               Le 29 juillet 2004, les demanderesses ont demandé au ministre d’appliquer les dispositions d’équité à l’égard de la TPS et des retenues salariales qu’elles avaient omis de remettre. Le ministre n’était pas disposé à examiner la demande des demanderesses parce que celles‑ci n’avaient pas produit toutes leurs déclarations de revenu, une proposition de paiement et leurs états financiers. En outre, les demanderesses ne précisaient pas dans leur demande ce qu’elles sollicitaient.

 

[9]               Le 10 janvier 2005, les demanderesses ont écrit au ministre pour lui demander d’annuler tous les intérêts exigibles depuis 1997 relativement à la TPS et aux retenues salariales. Le ministre a assimilé cette lettre à une demande fondée sur les dispositions d’équité présentée au premier palier par les demanderesses. Un agent de l’ARC a étudié cette demande et a conclu qu’aucune circonstance ne justifiait que l’ARC renonce aux intérêts ou aux pénalités. Les deux membres du comité de l’équité qui ont examiné le rapport de l’agent ont approuvé les conclusions de ce dernier. Le ministre a avisé les demanderesses de sa décision le 8 février 2005.

 

[10]           En mars 2005, les demanderesses ont fait parvenir au ministre une lettre demandant un examen fondé sur les dispositions d’équité au deuxième palier, accompagnée de renseignements supplémentaires. L’agent de l’ARC a examiné cette demande et a conclu qu’aucune circonstance ne justifiait une renonciation aux intérêts ou aux pénalités. Ce rapport a été examiné et approuvé par deux gestionnaires de l’ARC et par le directeur adjoint de la Direction du recouvrement des recettes du Bureau des services fiscaux de Burnaby‑Fraser. La lettre les avisant de cette décision a été envoyée aux demanderesses le 19 août 2005.

 

[11]           Le 14 juillet 2006, les demanderesses ont envoyé au ministre une lettre demandant un nouvel examen fondé sur les dispositions d’équité au deuxième palier. L’agent de l’ARC a étudié la demande, laquelle concernait principalement la question de la TPS, et a ensuite écrit dans son rapport qu’il n’existait aucune circonstance justifiant une renonciation aux intérêts ou aux pénalités. Je résume ci‑après les conclusions de ce rapport :


Délai attribuable au ministère

 

a.    Au 30 juillet 2004, les demanderesses n’avaient pas produit leurs déclarations de revenu ou leurs états financiers malgré le fait qu’elles avaient souvent été avisées de le faire.

 

b.    Aucun délai attribuable à l’ARC n’a entraîné l’imposition ou l’accumulation inutile d’intérêts ou de pénalités.

 

Maladie et expropriation

 

a.    La preuve n’étaie pas la prétention des demanderesses selon laquelle les problèmes de santé du dirigeant les ont empêchées de remettre la TPS due.

 

b.    Le processus d’expropriation s’est terminé en 1994, avant les années d’imposition 1997 à 1999 qui étaient pertinentes; les dirigeants ont vécu jusqu’en 2003 dans une maison qu’ils louaient gratuitement; l’hypothèque et le titre de la nouvelle propriété étaient au nom des trois enfants du dirigeant et ceux‑ci ont financé la propriété avec les dirigeants en qualité de cautions. Tous ces faits n’empêchaient pas les demanderesses de remplir leurs obligations fiscales.

 

Difficultés financières

 

a.    Les dirigeants ont une dette relativement à leur carte de crédit de 250 000 $.

 

b.    Les demanderesses doivent des primes au titre de l’indemnisation des accidents du travail.

 

c.    L’un des dirigeants admet avoir utilisé la TPS pour payer le loyer et les dépenses de l’entreprise jusqu’en janvier 2005.

 

d.    L’imposition répétée de pénalités n’a pas fait réagir les demanderesses.

 

e.    L’un des dirigeants a dit qu’il avait utilisé des fonds en fiducie pour maintenir son entreprise en exploitation et qu’il le fera encore si cela s’avère nécessaire.

 

(Voir le dossier de la défenderesse, aux pages 123 à 125.)

 

[12]           Un chef d’équipe de l’ARC a examiné le rapport et a accepté les recommandations qu’il contenait. Le gestionnaire de la Division du recouvrement des recettes du Bureau des services fiscaux de Vancouver a ensuite étudié le dossier des demanderesses et les rapports sur le troisième examen des arguments relatifs à l’équité invoqués par ces dernières. Dans la décision qu’il a rendue le 1er août 2006 et qui fait l’objet de la présente procédure de contrôle, le gestionnaire a tiré sa propre conclusion quant à la preuve et aux arguments invoqués et il a refuis les conclusions de l’agent de l’ARC dans ses motifs.

 

IV.    Question en litige : la décision faisant l’objet du présent contrôle est‑elle déraisonnable?

 

[13]           Les cas dans lesquels le ministre peut décider de renoncer à des pénalités et à des intérêts sont nettement limités (voir Succession de feu Henry H. Floyd c. M.R.N. (1993), 93 D.T.C. 5499). Selon les directives reproduites ci‑dessus qui ont été appliquées pour arriver à la décision faisant l’objet du présent contrôle, il faut, pour qu’il puisse y avoir renonciation ou annulation, qu’il existe des « circonstances extraordinaires » indépendantes de la volonté de la personne concernée. L’ensemble de ces circonstances doit, une fois celles‑ci établies et avant que la renonciation ou l’annulation puisse être accordée, être examiné selon un certain nombre de « facteurs » concernant les antécédents de cette personne en matière de remise.

 

[14]           Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, nul ne conteste que le facteur primordial qui a donné lieu à l’imposition des intérêts et des pénalités faisant l’objet de la demande de renonciation ou d’annulation présentée au ministre est la décision prise par les demanderesses d’utiliser la TPS perçue pour financer leur entreprise. En effet, il n’a pas été démontré à la satisfaction du ministre que des circonstances extraordinaires existaient, et je ne peux relever aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.

 

[15]           La décision ne peut être jugée déraisonnable si elle peut résister à un examen poussé (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226). À mon avis, non seulement les conclusions, notamment les conclusions de fait, tirées dans la décision résistent à un examen poussé, mais rien ne permet de dire qu’elles peuvent être contestées à cause d’une erreur susceptible de contrôle. En effet, j’estime que la procédure entreprise par les demanderesses afin que les dispositions d’équité soient appliquées, à la suite de laquelle la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue, a donné lieu à une instruction soignée équitable. L’issue de cette procédure n’est pas surprenante.

 

ORDONNANCE

 

Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande est rejetée.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        T-1569-06

 

INTITULÉ :                                                       JIM’S PIZZA (1980) LTD. ET AL.

                                                                            c.

                                                                            AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               le 24 juillet 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      le juge Campbell

 

DATE DES MOTIFS :                                      le 26 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter J. Hull                                                         POUR LES DEMANDERESSES

 

Bruce Senkpiel                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter J. Hull                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

Vancouver (C.-B.)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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