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Date : 20070803

Dossier : T-1492-06

Référence : 2007 CF 821

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

LEANNA KAPITANCHUK (STEWART)

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demanderesse, qui n’est pas représentée par un avocat, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal de révision en vertu des dispositions relatives aux « faits nouveaux » du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada (le Régime).

 


II.         L’HISTORIQUE DES FAITS

[2]               La demanderesse a demandé une pension d’invalidité en vertu du Régime en 1993 après s’être fracturé la vertèbre L5 lors d’un accident en 1991. Sa demande a été rejetée une première fois par le ministre de même qu’après un nouvel examen, soit le 30 juin 1993 et le 7 juillet 1994 respectivement.

 

[3]               Par la suite, la demanderesse a interjeté appel devant un tribunal de révision qui lui a accordé une longue période d’ajournement en raison de la preuve d’expert contradictoire quant à sa capacité de travailler. L’ajournement a été autorisé pour lui permettre de subir d’autres examens et d’entreprendre un programme de réadaptation physique et professionnelle. Elle s’est plainte qu’elle ne pouvait pas dépasser dix minutes assise à son poste de travail (elle était une secrétaire juridique qualifiée) et qu’elle ne pouvait ni rester debout pendant plus de cinq minutes ni marcher sans ressentir de la douleur. Elle avait également des difficultés d’élocution, des trous de mémoire et des problèmes de concentration.

 

[4]               L’une des lettres sur lesquelles la demanderesse s’est fondée était celle du Dr Bailey dans laquelle il décrivait ses symptômes et disait espérer qu’elle puisse travailler à temps partiel.

 

[5]               La preuve médicale présentée par la demanderesse correspondait à ses plaintes concernant ses maux de tête, la douleur ressentie et ses difficultés à dormir.

 

[6]               Au moment de l’audience, la demanderesse avait déjà consulté le DKertesz, mais son rapport n’était pas disponible.

 

[7]               Le 7 janvier 1997, un tribunal de révision a décidé que Mme Kapitanchuk n’était pas invalide à cette date. Après avoir examiné le rapport du Dr Bailey, le tribunal a conclu que Mme Kapitanchuk n’était pas invalide. Sa demande d’autorisation d’interjeter appel a été refusée par la Commission d’appel des pensions (la Commission). Aucune autre demande d’appel ou de contrôle judiciaire n’a été présentée.

 

[8]               En décembre 2000, la demanderesse a présenté une demande de réouverture de la décision rendue par le tribunal, en vertu du paragraphe 84(2) du Régime, qui autorise un tribunal à annuler ou à modifier une décision qu’il a rendue en se fondant sur des faits nouveaux. Le paragraphe 84(2) se lit comme suit :

84. (2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

84. (2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

[9]               La nouvelle preuve invoquée était constituée du rapport du Dr Kertesz en date du 26 novembre 1996 et d’un nouveau rapport du Dr Bailey.

 

[10]           Le 18 avril 2000, le tribunal de révision a rejeté la demande de réouverture. Il a conclu que la preuve, même si elle était nouvelle, n’était pas substantielle. La Commission a rejeté l’appel interjeté de cette deuxième décision, au motif qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la décision du tribunal lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux au sens du critère du paragraphe 84(2).

 

[11]           En juillet 2006, le juge Campbell a accordé une prorogation de délai pour permettre à la demanderesse de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du tribunal de révision rendue en avril 2000.

 

[12]           Les conclusions principales de la deuxième décision du tribunal de révision sont les suivantes :

·                    selon le critère des faits nouveaux du paragraphe 84(2), le demandeur ne pouvait pas découvrir la preuve avant la tenue de l’audience initiale même en faisant preuve de diligence raisonnable et la preuve devait être à toutes fins pratiques déterminante ou aurait tout au moins probablement eu une influence importante sur la décision;

·                    le rapport rédigé en 1997 par le Dr Kertesz n’avait pas été présenté à l’audience, mais il était possible de l’obtenir auprès de l’avocat de la demanderesse;

·                    le rapport du Dr Kertesz (dans la mesure même où il est admissible) et celui du Dr Bailey n’étaient pas concluants et n’auraient pas eu une influence importante sur la décision.

 

III.       ANALYSE

[13]           La norme de contrôle à l’égard des faits est la décision manifestement déraisonnable (voir Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Patricio, 2004 CAF 409. Cependant, la norme de contrôle quant à savoir si les faits nouveaux correspondent à ce qu’il faut entendre par faits nouveaux au paragraphe 84(2) est une question mixte de droit et de fait pour laquelle la norme est généralement la décision raisonnable simpliciter. L’interprétation juridique du paragraphe 84(2) est une question de droit pour laquelle la décision correcte est la norme de contrôle applicable.

 

[14]           Quant à la portée de l’article 84, il est clair qu’au sens du paragraphe 84(1), la décision d’un tribunal de révision est définitive et obligatoire. Le paragraphe 84(2) constitue une exception à cette disposition ainsi qu’au principe habituel du functus officio.

 

[15]           Le juge Blanchard, dans la décision Vaillancourt c. Canada (Ministre des Ressources humaines), 2007 CF 663, a résumé l’état du droit relatif au paragraphe 84(2) et à son application. J’adopte son raisonnement, dont en particulier les paragraphes qui suivent :

25.       Les décisions prises en vertu du Régime, qui sont habituellement considérées définitives et obligatoires, sont sujettes au processus d’appel prévu par la loi. Le paragraphe 84(2) du Régime prévoit que le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui‑même rendue ou qu’elle a elle‑même rendue en vertu du Régime.

 

26.       Le paragraphe 84(2) du Régime a été interprété restrictivement par les tribunaux. Les limites intrinsèques de la disposition ont été établies par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Landry, 2005 CAF 167, au paragraphe 7. La disposition est applicable dans des circonstances exceptionnelles où, malgré une diligence raisonnable, des éléments de preuve pertinents ne sont découverts pour une demande en cours qu’après l’expiration du délai pour interjeter appel.

 

27.       L’examen d’une décision prise en vertu du paragraphe 84(2) comporte deux étapes : premièrement, il faut décider si l’information fournie constitue des faits nouveaux; deuxièmement, la question de l’admissibilité aux prestations doit être tranchée s’il y a des faits nouveaux (Peplinski c. Canada, [1993] 1 C.F. 222 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11). S’il n’y a aucun fait nouveau, la décision antérieure demeure inchangée. Comme mes motifs le font ressortir clairement ci‑dessous, j’ai seulement besoin d’aborder la première partie de cet examen.

 

28.       Pour que des faits soient considérés nouveaux aux fins du paragraphe 84(2) du Régime, il faut que l’intéressé n’ait pas pu les découvrir antérieurement en faisant preuve de diligence raisonnable au moment de l’audience initiale (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. MacDonald, [2002] A.C.F. no 197 (C.A.) (QL)). Cela implique l’existence de l’information à ce moment‑là. De plus, pour être considérée comme étant des faits nouveaux, l’information doit aussi être substantielle. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Leskiw c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 345, au paragraphe 5 de ses motifs, a statué que l’information nouvelle doit être « à toutes fins pratiques déterminant[e] » pour être considérée comme substantielle. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (C.A.), 2002 CAF 288, [2003] 1 C.F. 475, a donné plus de détails sur ce critère en statuant qu’une preuve nouvelle pouvait être considérée à toutes fins pratiques déterminante si on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle influe sur le résultat de l’audience antérieure.

 

[16]           La Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 293, que la question de savoir si un fait pouvait être découvert ou non est une question de fait à laquelle la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. La conclusion du tribunal de révision selon laquelle le rapport du Dr Kertesz pouvait être découvert parce que l’avocat de la demanderesse l’avait en sa possession et que par conséquent, il ne constituait pas un fait nouveau, est une conclusion de fait pour laquelle il n’y a aucun motif justifiant l’annulation.

 

[17]           Pour ce qui est des autres rapports, particulièrement celui du Dr Bailey, le tribunal de révision a conclu qu’ils n’étaient pas substantiels en ce sens qu’ils n’auraient pas influencé le résultat. Cette conclusion était fondée sur le fait que les rapports font principalement état des mêmes symptômes qui existaient auparavant.

 

[18]           Le tribunal de révision a repris à son compte le critère juridique approprié énoncé dans les arrêts suivants : Dormuth c. Untereiner, [1964] R.C.S. 122; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983; Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420.

 

[19]           L’application du critère qui consiste à savoir si on peut raisonnablement s’attendre à ce que le fait nouveau influe sur le résultat, bien qu’il puisse s’agir d’une question mixte de fait et de droit, dans les présentes circonstances, est principalement une question de fait. Le tribunal s’est demandé si l’information en cause eût vraisemblablement pu influencer sa conclusion, une conclusion relevant du domaine d’expertise du tribunal. Je ne trouve rien de déraisonnable, et encore moins de manifestement déraisonnable, dans sa conclusion.

 

[20]           Plus particulièrement, le deuxième rapport du Dr Bailey, sur lequel s’est principalement fondée la demanderesse, ne décrit que les symptômes dont a fait état la demanderesse. Aucune opinion n’y est présentée quant à la capacité de la demanderesse de travailler. Il était donc raisonnable de conclure que cette preuve n’était pas substantielle.

 

[21]           La demanderesse tente de nouveau d’obtenir une pension. Elle avait également essayé de rouvrir de nouveau la première décision du tribunal de révision. De plus, selon le défendeur, elle a le droit de démontrer qu’elle était invalide entre le 8 janvier 1997 (après la première décision du tribunal de révision) et le 31 décembre 1997 (fin de sa période de contribution). Quel que soit le bien-fondé et l’authenticité des préoccupations du défendeur à l’égard des contestations incidentes (voir Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41), il n’appartient pas à la Cour de trancher ce genre de question dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[22]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée uniforme

Annie Beaulieu

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1492-06

 

INTITULÉ :                                       LEANNA KAPITANCHUK (STEWART) c. LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 juillet 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 août 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leanna Kapitanchuk

POUR LA DEMANDERESSE

(en son propre nom)

 

 

Sandra Gruescu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Canada)

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