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Date : 20070821

Dossier : IMM-4133-06

Référence : 2007 CF 846

Montréal (Québec), le 21 août 2007

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

THAVENDRARAJAH KRISHNAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Thavendrarajah Krishnan demande le contrôle judiciaire de la décision selon laquelle il constitue un danger pour le public au Canada, qui a été rendue par la déléguée du ministre en date du 12 juin 2006 en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

 

Le contexte

 

[2]               Le demandeur, M. Krishnan, est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule qui est arrivé au Canada en tant que mineur non accompagné en 1992, à l’âge de 13 ans, et qui a demandé l’asile. Il s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1993 et est devenu résident permanent en 1995. Il n’a cependant jamais obtenu la citoyenneté canadienne.

 

[3]               Le demandeur a été déclaré coupable de 15 infractions criminelles entre 1998 et 2001, mais d’aucune infraction criminelle entre 2001 et 2006. En 2001, la police de Toronto et les responsables de l’immigration l’ont identifié comme un membre d’un gang tamoul connu sous le nom de A.K. Kannan.

 

[4]               Une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur le 17 janvier 2002. Il a interjeté appel de cette mesure à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Son appel a été rejeté le 20 avril 2004. Il a ensuite demandé le contrôle judiciaire de la décision, lequel a été refusé le 18 avril 2005. Voir la décision Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 517.

 

[5]               Après que son expulsion a été ordonnée, le demandeur a reçu un avis, daté du 31 août 2004, l’informant que des représentants du ministre demanderaient à celui‑ci de rendre un avis selon lequel il constituait un danger pour le public et ne devrait pas être présent au Canada pour cause de grande criminalité et en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés, afin qu’il puisse être expulsé vers le Sri Lanka.

 

[6]               Le demandeur a déposé des observations dans le but de contester cet avis le 18 octobre 2004 et, de nouveau, le 29 juin 2005.

 

[7]               La déléguée du ministre a rendu sa décision le 12 juin 2006. Elle a conclu que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada, qu’il ne serait pas exposé à un risque sérieux s’il était renvoyé au Sri Lanka et que, subsidiairement, même si un risque existait, le danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada l’emportait sur le risque auquel il serait exposé.

 

Les questions en litige

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1)        La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada?

2)        La déléguée du ministre a-t-elle correctement évalué le risque auquel serait exposé le demandeur à son retour au Sri Lanka?

3)        La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur en omettant de pondérer le droit du demandeur à la protection et le danger qu’il constitue pour le public au Canada?

 

Les dispositions pertinentes de la Loi

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

La norme de contrôle

[9]               Il est bien établi dans la jurisprudence que les décisions rendues par les délégués du ministre en application de l’article 115 de la Loi appellent une grande retenue, de sorte que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui doit s’appliquer à la décision selon laquelle une personne constitue un danger pour la sécurité du Canada. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72 :

[16] Pour les motifs exposés dans Suresh, la norme de contrôle applicable à la première décision consiste à déterminer si elle est manifestement déraisonnable, en ce sens qu’elle a été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu’elle n’est pas étayée par la preuve ou que la ministre n’a pas tenu compte des facteurs pertinents. Le tribunal de révision ne doit ni soupeser à nouveau les différents facteurs ni intervenir uniquement parce qu’il serait arrivé à une autre conclusion. En appliquant l’analyse fonctionnelle et pragmatique prescrite dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, nous arrivons à la conclusion que le législateur a voulu conférer un grand pouvoir discrétionnaire au ministre quant à l’expression d’une opinion prévue à l’al. 53(1)b), et que sa décision n’est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est manifestement déraisonnable.

 

L’analyse

1) La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada?

 

[10]           Avant de conclure que la présence du demandeur au Canada constitue un danger inutile pour le public canadien, la déléguée du ministre a procédé à une longue analyse au cours de laquelle elle a examiné les nombreuses infractions desquelles le demandeur a été déclaré coupable, ainsi que les liens de ce dernier avec le gang tamoul. Elle a fait référence à de nombreuses reprises au recueil d’éléments de preuve préparé par Citoyenneté et Immigration Canada en vue de l’audience du demandeur devant la SAI, à l’aperçu du projet 1050 préparé par le groupe de travail sur la violence de rue de la police de Toronto, à la décision de la SAI, aux transcriptions de l’audience de la SAI et aux prétentions du conseil du demandeur. Elle a aussi tenu compte du fait qu’aucune accusation criminelle n’avait été déposée contre le demandeur au cours des dernières années, ce qui, d’après elle, ne signifiait pas cependant que le demandeur ne récidiverait pas. Elle n’était pas convaincue qu’il avait effectivement abandonné son ancien mode de vie.

 

[11]           La déléguée du ministre s’est aussi appuyée sur la décision rendue par le juge François Lemieux dans l’affaire La c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 476, pour conclure qu’il était possible que le demandeur commette d’autres infractions criminelles. Dans sa décision, le juge Lemieux a cité le passage suivant du paragraphe 29 de la décision rendue par le juge Barry L. Strayer dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 :

 

[…] Dans ce contexte, le sens de l’expression « danger pour le public » n’est pas un mystère : cette expression doit se rapporter à la possibilité qu’une personne ayant commis un crime grave dans le passé puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel. Point n’est besoin de prouver « à vrai dire, on ne peut pas prouver » que cette personne récidivera. Selon moi, cette disposition oriente convenablement la pensée du ministre vers la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l’intéressé et des observations que l’intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l’intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public. […]

 

 

[12]           D’abord, il importe de souligner que la mesure d’expulsion prise contre le demandeur avait déjà été maintenue par la SAI et par la Cour fédérale avant que la déléguée du ministre ne soit saisie de l’affaire. Dans la décision Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 517, le juge Shore a conclu ce qui suit :

 

[20]    Il était loisible à la Section d’appel d’avoir des motifs raisonnables de croire que M. Krishnan avait été membre du gang A.K. Kannon et qu’il était impliqué dans des activités de gangstérisme. Il était également loisible à la Section d’appel de conclure qu’il n’avait pas rompu tous les liens avec son gang, compte tenu du fait qu’il a même refusé d’admettre la possibilité que certains de ses anciens associés étaient membres d’un gang et que les éléments de preuve concernant plusieurs aspects de ses activités criminelles n’étaient ni dignes de foi ni crédibles. Étant donné la preuve déposée, y compris les antécédents criminels de M. Krishnan, son refus d’assumer la responsabilité de ses actes et son empressement à mentir à son avantage, la Section d’appel n’a pas cru que ses liens avec le monde criminel étaient rompus. Il était loisible à la Section d’appel de tirer cette conclusion.

 

[…]

 

[27]    La Cour est d’avis qu’il était loisible à la Section d’appel de conclure que M. Krishnan constituait une menace pour la société et qu’il était probable qu’il récidive, vu la preuve indiquant qu’il ne s’était pas conformé à une ordonnance de probation et à un engagement, et qu’il était prêt à mentir pour éviter de se faire prendre en défaut, et vu le témoignage de l’agent Ragell, à savoir que M. Krishnan a continué de fréquenter des membres du gang ayant des antécédents judiciaires.

 

 

[13]           La Cour ne peut pas conclure que la déléguée du ministre a commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions de la SAI, qui avaient été maintenues par la Cour fédérale, puisque le membre de la SAI a eu l’avantage d’entendre le témoignage du demandeur et celui de l’agent Ragell. En fait, la déléguée du ministre ne s’est pas appuyée seulement sur cette décision pour déterminer le danger que le demandeur constitue, mais elle a aussi consulté les transcriptions, la preuve documentaire et les prétentions du demandeur. Aussi, la Cour est d’accord avec le défendeur quand il dit que la déléguée du ministre a effectué une appréciation indépendante de la preuve dont elle disposait et qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau cette preuve.

 

[14]           Le demandeur conteste aussi le fait que, dans son analyse, la déléguée du ministre s’est fondée sur des rapports de police, plutôt que sur des affidavits ou des déclarations directes, et sur des articles de journaux. De son côté, le défendeur soutient que la déléguée du ministre n’est pas liée par les règles de preuve applicables devant un tribunal criminel et qu’elle peut s’appuyer sur tout élément de preuve qu’elle juge fiable et digne de foi. Comme le demandeur n’a pas présenté de preuve qui convainc la Cour que ces documents n’étaient pas pertinents au regard de la décision ou qu’ils émanaient de sources dont la crédibilité était mise en doute, je ne peux pas conclure que la déléguée du ministre a commis une erreur susceptible de contrôle en les prenant en considération.

 

[15]           Finalement, le demandeur soutient que la déléguée du ministre a commis une erreur en omettant d’examiner la preuve démontrant qu’il avait changé son mode de vie, notamment qu’il entretenait une relation avec une citoyenne canadienne, qu’il n’avait été déclaré coupable d’aucune infraction criminelle depuis 2001, qu’il s’était conformé aux conditions de sa probation en 2003 et qu’il avait un emploi stable. De plus, il conteste la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle il appartient toujours au gang, ainsi que le fait qu’elle s’est fondée sur les conclusions de la CISR à cet effet.

 

[16]           Une fois encore, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve qui a été correctement prise en considération par la déléguée du ministre dans son évaluation du danger et des considérations d’ordre humanitaire. La Cour ne le fera pas.

 

[17]           En outre, le demandeur est particulièrement préoccupé par la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle il est toujours membre du gang A.K. Kannan, ce qui est faux selon lui. Toutefois, la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle la présence du demandeur au Canada constitue un danger inutile pour le public canadien n’est pas fondée sur son appartenance à ce gang, mais sur ses condamnations passées, qu’elle a examinées en profondeur.

 

[18]           Compte tenu de la grande retenue dont doit faire l’objet la décision de la déléguée du ministre, la Cour n’est pas convaincue que le demandeur a démontré que l’évaluation du danger était manifestement déraisonnable au point où son intervention serait justifiée.

 

2) La déléguée du ministre a-t-elle correctement évalué le risque auquel serait exposé le demandeur à son retour au Sri Lanka?

 

[19]           Lorsqu’elle a examiné le risque, la déléguée du ministre a pris en considération le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et a reconnu que celui‑ci avait le statut de réfugié au sens de la Convention. Elle a toutefois conclu que la situation avait changé au Sri Lanka, de sorte qu’il pourrait être refoulé dans ce pays malgré sa qualité de réfugié.

 

[20]           Bien qu’elle ait reconnu que les conditions existant au Sri Lanka étaient toujours loin d’être idéales car il y avait encore des affrontements entre les TLET et l’armée sri‑lankaise, la déléguée du ministre ne croyait pas qu’un tel risque généralisé était visé à l’article 97 de la Loi. Elle a fondé ses conclusions concernant les conditions ayant cours au Sri Lanka et le risque auquel sont exposés les rapatriés dans ce pays sur les rapports du département d’État américain sur les pratiques des pays en matière de droits de la personne (le rapport du département d’État américain) et sur un rapport rédigé par la Direction des recherches de la CISR. La déléguée de ministre a finalement conclu :

 

[traduction] Ayant examiné tous les renseignements dont je dispose, je suis convaincue, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Krishnan ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Sri Lanka. Finalement, je suis convaincue, compte tenu des documents que j’ai examinés, que, suivant la prépondérance des probabilités, il ne sera exposé à aucun des risques mentionnés à l’article 97 de la LIPR par suite des condamnations criminelles prononcées contre lui pendant qu’il était présent au Canada.

 

 

[21]           Le demandeur prétend d’abord que la déléguée du ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte des incidences que ses caractéristiques particulières, notamment son alignement sur les TLET et la publicité entourant son appartenance à un gang, auraient sur son risque de retour. Pour sa part, le défendeur soutient que, bien que le demandeur prétende que la déléguée du ministre n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant le risque personnel auquel il serait exposé à son retour au Sri Lanka, il ne précise pas les éléments de preuve dont la déléguée n’aurait pas tenu compte.

 

[22]           En outre, comme la déléguée du ministre a accepté les prétentions du demandeur concernant ses liens avec les TLET, on ne peut pas dire qu’elle n’a pas tenu compte de cette caractéristique particulière du demandeur. Le fait qu’elle ne lui a pas attribué le poids que le demandeur aurait voulu qu’elle lui attribue est une autre question qui, comme le défendeur l’a fait remarquer avec justesse, est généralement considérée comme une question qui « ne relèv[e] […] pas de l’expertise des cours de révision ». Voir la décision Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 229, au paragraphe 39.

 

[23]           Quant à la question de la « publicité », le défendeur a attiré l’attention de la Cour sur la décision Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 72, dans laquelle le juge Rouleau a maintenu la décision d’un agent d’ERAR selon laquelle un membre de gang occupant un rang plus élevé que le demandeur et dont le nom avait été associé à un gang tamoul dans des journaux canadiens et sri‑lankais ne risquait pas de subir un préjudice s’il était renvoyé au Sri Lanka. De plus, même si la déléguée du ministre n’a pas abordé cette question dans sa décision, il faut reconnaître que la seule « publicité » révélée par la preuve est un paragraphe d’un article du Toronto Star du 3 août 2002, qui mentionne que le demandeur est un [traduction] « membre présumé du gang A.K. Kannan ». Le fait que la déléguée du ministre n’a pas mentionné un élément aussi peu important ne peut être considéré comme une erreur susceptible de contrôle.

 

[24]           Le demandeur conteste aussi la manière dont la déléguée du ministre a apprécié la preuve sur les conditions existant au Sri Lanka, en particulier sa décision de se fonder sur le rapport du département d’État américain qui, selon lui, n’est pas la source d’information la plus [traduction] « crédible ». Or, compte tenu du fait que les agents d’immigration qui examinent les conditions existant dans un pays s’appuient régulièrement sur ces rapports, je n’accorde aucun poids à cette prétention.

 

[25]           Le demandeur prétend également que la situation a commencé à empirer au Sri Lanka tout juste avant que la décision soit rendue et que, quelques semaines après la décision, les affrontements entre les TLET et l’armée sri‑lankaise ont repris. Cela est peut‑être exact, mais il reste qu’il appartenait au demandeur de produire tous les documents qu’il jugeait pertinents avant que la décision soit rendue, ce qu’il n’a pas fait. Le demandeur ne prétend pas que la déléguée du ministre n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait; il prétend qu’elle n’a pas tenté d’obtenir des renseignements additionnels qui étaieraient sa thèse et que, ainsi, elle n’a accordé aucune considération à des éléments de preuve qui, dans les faits, ne lui avaient pas été présentés, ce qui ne peut être considéré comme une erreur susceptible de contrôle.

 

[26]           La déléguée du ministre n’a pas été réceptive et attentive à la possibilité que le prétendu changement de situation survenu au Sri Lanka accroisse le risque de torture ou de persécution auquel le demandeur serait exposé à son retour dans ce pays.

 

[27]           Il ne fait aucun doute que la décision de la déléguée du ministre ne peut pas être annulée en raison de faits survenus subséquemment au Sri Lanka qui peuvent accroître le risque auquel serait exposé le demandeur. Les changements touchant les conditions dans un pays qui surviennent après la décision ne sont pas susceptibles de contrôle par la Cour à cette étape de la procédure.

 

3) La déléguée du ministre a-t-elle commis une erreur en omettant de pondérer le droit du demandeur à la protection et le danger qu’il constitue pour le public au Canada?

 

[28]           Finalement, le demandeur prétend que la déléguée du ministre a omis de pondérer les risques auxquels il sera exposé au Sri Lanka et le danger qu’il constitue pour le public au Canada.

 

[29]           Comme le défendeur le fait remarquer avec raison, non seulement l’analyse du risque et la pondération subséquente du danger et du risque ne sont pas expressément exigées par le paragraphe 115(2) (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151), mais, si la déléguée du ministre a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque sérieux à son retour au Sri Lanka, il n’aurait pas été vraiment utile de pondérer cette conclusion avec sa conclusion selon laquelle le demandeur constitue une menace pour les Canadiens.

 

[30]           La déléguée du ministre a néanmoins abordé cette question lorsqu’elle a conclu dans ses motifs :

 

[traduction] Après avoir examiné de façon approfondie tous les faits de la présente affaire, notamment les aspects d’ordre humanitaire, et avoir évalué le risque auquel M. Krishnan pourrait être exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka et le besoin de protéger la société canadienne, j’estime que ce dernier facteur l’emporte sur le premier. En d’autres termes, après examen de tous les facteurs mentionnés ci‑dessus, je suis d’avis que l’intérêt de la société canadienne l’emporte sur la présence de M. Krishnan au Canada et sur tout risque minimal auquel celui‑ci pourrait être exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

 

[31]           Il ne fait aucun doute que la prétention du demandeur est dénuée de fondement puisque la déléguée du ministre a effectivement pondéré la protection du demandeur et le danger que celui‑ci constitue pour le public au Canada. Le fait que le demandeur aurait préféré que cet exercice mène à un résultat différent ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[32]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

La certification d’une question

[33]           L’avocate du demandeur soutient que sa thèse pourrait soulever une question au regard du manquement à l’obligation d’agir équitablement. La déléguée du ministre semble avoir tranché la question du risque sur la foi d’éléments de preuve [traduction] « récents », mais, selon le demandeur, il ne ressort pas de ses motifs qu’elle a tenu compte d’éléments de preuve postérieurs à 2003 lorsqu’elle a rendu sa décision en juin 2006. L’avocate du demandeur demande en conséquence que la question suivante soit certifiée :

 

[traduction] L’obligation d’agir équitablement exige‑t‑elle de la déléguée du ministre qu’elle s’informe elle‑même de la situation existant dans le pays d’origine du demandeur, en consultant des rapports sur les droits de la personne et d’autres documents semblables qui sont à la disposition du public au moment où elle rend une décision en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou qu’elle avise le demandeur qu’une décision sera bientôt rendue et l’invite à fournir des renseignements à jour sur la situation existant dans son pays d’origine, lorsque l’affaire est en état d’être jugée depuis longtemps sans qu’aucune décision n’ait été rendue?

 

[34]           Le défendeur s’oppose à la certification de cette question parce que celle‑ci ne satisfait pas au critère applicable, l’affaire ne soulevant aucune question grave de portée générale qui serait déterminante quant à l’issue d’un appel. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637, la Cour d’appel fédérale a affirmé :

 

[4] Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale […] et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel.

 

 

La même affirmation a été faite dans l’arrêt Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89.

 

[35]           Le droit est clair : l’obligation d’agir équitablement ne change rien à l’obligation d’une personne qui fait l’objet d’un avis de danger de présenter au délégué du ministre – le décideur – toutes les pièces qu’elle souhaite voir être prises en considération. C’est le demandeur qui a le fardeau de la preuve. Voir la décision Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 525. Ce principe a été suivi constamment.

 

[36]           Le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations à la déléguée du ministre. S’il voulait que celle‑ci prenne en considération des renseignements additionnels concernant les conditions existant au Sri Lanka, il avait l’obligation de lui fournir ces renseignements. Voir la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94.

 

[37]           Le demandeur pouvait présenter des observations à la déléguée du ministre en tout temps avant la décision. Voir la décision Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687. Dans les faits, le demandeur a communiqué des observations à la déléguée du ministre le 18 octobre 2004, puis le 29 juin 2005. 

 

[38]           Trancher une affaire relative au refoulement sur la foi de renseignements récents concernant la situation existant dans un pays est certainement une question importante que la Cour a mise en évidence dans plusieurs décisions. Voir la décision Barabhuiyan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1456. Toutefois, rien dans la décision de la déléguée du ministre ne permet de croire que les renseignements récents disponibles concernant les conditions existant au Sri Lanka n’ont pas été pris en compte dans le cadre de cette décision. Au contraire, il semble que la déléguée du ministre ait fondé sa décision concernant les conditions existant au Sri Lanka et le risque auquel sont exposés les rapatriés sur le rapport du département d’État américain et sur un rapport rédigé par la Direction des recherches de la CISR.

 

[39]           Ces rapports étaient à la disposition de tous. Aussi, si le demandeur voulait fournir des renseignements additionnels ou à jour sur les conditions existant dans son pays d’origine, il lui incombait de le faire.

 

[40]           Dans les faits, la question proposée à des fins de certification aurait pour effet de transférer le fardeau de la preuve à la déléguée du ministre ou de lui imposer une obligation additionnelle, ce qui retarderait la décision. Comme la Cour n’est pas disposée à le faire, la question proposée ne sera pas certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est proposée à des fins de certification.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-4133-06

 

INTITULÉ :                                                           THAVENDRARAJAH KRISHNAN

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 25 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SUPPLÉANT MAURICE E. LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 21 AOÛT 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

              POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer

              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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