Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070828

Dossier : T‑894‑06

Référence : 2007 CF 861

Toronto (Ontario), le 28 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

SUN WORLD INTERNATIONAL INC.

demanderesse

et

 

PARMALAT DAIRY AND BAKERY INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente requête soulève une nouvelle question de procédure : notre Cour peut-elle, sur appel, autoriser la modification de la déclaration d'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce produite au bureau du registraire après que ce dernier s'est prononcé sur le fond de la demande d'enregistrement? La protonotaire Aronovitch a conclu qu'il convient de donner une réponse négative à cette question (2007 CF 641, [2007] A.C.F. no 890). Le présent exposé détaille les motifs de la décision rendue en appel de sa conclusion.

 

LE CONTEXTE

[2]               Sun World a demandé l'enregistrement des mots « Black Diamond » comme marque de commerce en liaison avec des fruits et légumes frais, pour en limiter plus tard l'application à des prunes. Elle a déclaré qu'elle utilisait cette marque de commerce au Canada depuis 1990. Parmalat a produit une déclaration d'opposition. Elle y faisait valoir que Sun World n'avait pas établi l'emploi de la marque en question depuis 1990 et que celle‑ci n'était pas enregistrable au motif qu'elle créait de la confusion avec plusieurs de ses propres marques de commerce, enregistrées en liaison avec du fromage et d'autres produits laitiers.

 

[3]               L'opposition a été accueillie. Le registraire, sous la forme de la Commission des oppositions des marques de commerce, a conclu que Sun World n'avait pas établi l'emploi de la marque considérée depuis 1990 et n'avait pas prouvé l'absence de probabilité raisonnable de confusion entre la marque dont elle demandait l'enregistrement en liaison avec des prunes et les marques de Parmalat enregistrées en liaison avec du fromage.

 

[4]               Sun World a fait appel de cette décision devant notre Cour en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Celle‑ci ne spécifie pas les pouvoirs de notre Cour en appel, sauf les suivants au paragraphe 56(5) :

Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

[5]               Sun World a maintenant produit des éléments tendant à prouver l'emploi des mots « Black Diamond » comme marque de commerce au Canada en liaison avec des prunes. Parmalat admet sans détour qu'il est probable que l'appel de Sun World sera accueilli sur ce point. Elle aussi a déposé de nouveaux éléments de preuve, sur la question de la confusion. La pertinence et le poids de ces éléments sont des questions à examiner dans le cadre de l'instruction de l'appel sur le fond.

 

[6]               Parmalat, en plus de son deuxième motif d'opposition accueilli par le registraire, soit la probabilité de confusion, souhaite maintenant, éléments de preuve à l'appui, en faire valoir un troisième, qui ne figurait pas dans la déclaration d'opposition qu'elle a produite au bureau du registraire sous le régime de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce. Ce troisième motif découle de l'article 22 de la même loi, qui interdit d'employer une marque déposée par une autre personne « d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce ». Cette disposition est dans les textes depuis des années, mais, fait valoir Parmalat, la Cour suprême a considérablement développé et clarifié le droit sur ce sujet dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutique Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, arrêt qu'elle a rendu environ deux mois après que la Commission des oppositions des marques de commerce eut fait droit à l'opposition de Parmalat. Il est maintenant établi qu'une marque peut, même si elle ne crée pas de confusion avec une marque déposée par une autre personne, avoir un effet défavorable sur l'achalandage qui y est attaché.

 

[7]               Parmalat admet que, de façon générale, les tribunaux désapprouvent la mise en litige de nouvelles questions en appel. La nouveauté de la requête examinée par la protonotaire Aronovitch résidait, selon Parmalat, dans le fait que si on l'autorisait à modifier l'acte de procédure qu'elle avait présenté en première instance, c'est‑à‑dire sa déclaration d'opposition, l'article 22 de la Loi sur les marques de commerce ne serait pas une nouvelle question litigieuse. Elle avance à cet égard deux arguments.

 

[8]               Le premier est que l'article 40 du Règlement sur les marques de commerce (1996) confère au registraire le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la modification d'une déclaration d'opposition. Or, comme le paragraphe 56(5) de la Loi permet à notre Cour d'exercer « toute discrétion dont le registraire est investi », il s'ensuit qu'elle peut de même à son gré autoriser la production d'une telle modification.

 

[9]               Le deuxième argument est que notre Cour, agissant en qualité de cour d'appel, a compétence pour autoriser la modification des actes de procédures déposés en première instance. Parmalat invoque à cet égard l'article 75 des Règles des Cours fédérales, qui permet à la Cour d'autoriser une partie à modifier un « document » à tout moment.

 

LA DÉCISION DE LA PROTONOTAIRE

[10]           La protonotaire, se fondant sur une jurisprudence considérable, a posé que l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce permet à la Cour d'admettre de nouveaux éléments de preuve, mais, normalement, ne l'autorise pas à examiner de nouvelles questions. Elle a ajouté qu'il est possible d'invoquer de nouveaux moyens sur une pure question de droit, mais seulement en s'appuyant sur la preuve déjà produite devant le registraire. Selon elle, le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce et l'article 40 du Règlement, considérés ensemble, se rapportent au pouvoir discrétionnaire de la Cour touchant la production de nouveaux éléments de preuve, mais ne lui confèrent pas le pouvoir d'autoriser une partie à mettre de nouvelles questions en litige.

 

[11]           Suivant l'interprétation de la protonotaire, l'article 75 des Règles des Cours fédérales, dans le contexte de la requête dont elle était saisie, limite la signification du terme « document » à un acte de procédure, à un acte introductif d'instance ou à un autre document dont le dépôt relève du régime desdites Règles. Or la déclaration d'opposition n'entre pas dans cette définition, puisqu'elle est un acte introductif d'instance produit au bureau du registraire. Elle invoque à cet égard l'arrêt Halford c. Seed Hawk Inc., 2005 CAF 12, [2005] A.C.F. no 26, dont l'exposé des motifs est dû à la juge Sharlow.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Le présent appel contre la décision de la protonotaire Aronovitch soulève à mon sens trois questions.

 

[13]           La première est celle de la retenue à exercer à l'égard de la décision de la protonotaire. Celle‑ci a défini, avec raison, les questions dont elle était saisie comme des questions de compétence. Il s'agit là de questions de droit, à la décision desquelles je ne puis qu'adhérer ou non. La norme applicable est celle de la décision correcte. Le droit ne me permet pas de faire preuve de retenue au motif du caractère raisonnable de l'analyse du droit proposée par la protonotaire : Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le), 2006 CAF 284, [2006] A.C.F. no 1292, le juge Evans, aux paragraphes 20 à 22.

 

[14]           La deuxième question est celle de savoir si l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, lue conjointement avec l'article 40 du Règlement, confère à notre Cour le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la modification d'une déclaration d'opposition après que le registraire a rendu sa décision sur le fond.

 

[15]           La troisième question est celle de savoir si notre Cour a le pouvoir discrétionnaire, que ce soit en vertu de l'article 75 des Règles des Cours fédérales ou autrement, d'autoriser une modification dans le même cas. Si la Cour est investie de ce pouvoir discrétionnaire, la protonotaire ne l'a pas exercé, de sorte que je dois le faire moi-même de novo. Voir Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450; Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, [1993] A.C.F. no 103; et Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459.

 

DÉCISION

[16]           Si je suis arrivé à la même conclusion que la protonotaire, je l'ai fait à partir de questions de droit quelque peu différentes. En effet, elle a selon moi condensé deux questions en une seule. Elle s'est demandé si la jurisprudence militait en faveur de la demande. Je suis d'accord avec elle pour dire que, étant donné les faits de l'espèce, la réponse est non. Cependant, je me serais moi-même posé deux questions : premièrement, est‑il jamais possible d'accorder l'autorisation de modification? et deuxièmement, dans l'affirmative, la Cour devrait-elle en vertu de son pouvoir discrétionnaire accorder cette autorisation?

 

[17]           À mon avis, la Loi sur les marques de commerce ne confère pas à notre Cour la compétence pour autoriser Parmalat à modifier sa déclaration d'opposition à la présente étape de la procédure. Je fonde cette opinion sur le principe important du caractère définitif des jugements, qu'exprime partiellement la locution latine functus officio. Cependant, je conclus que la Cour fédérale, en tant que cour d'appel, a compétence pour autoriser une modification de cette nature. Néanmoins, dans le cadre de l'exercice de novo de mon pouvoir discrétionnaire, j'estime devoir refuser cette autorisation, de sorte que je me prononce pour le rejet de l'appel formé par Parmalat contre l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch.

 

ANALYSE

La Loi sur les marques de commerce

[18]            L'article 40 du Règlement sur les marques de commerce dispose ce qui suit :

La modification d’une déclaration d’opposition ou d’une contre-déclaration n’est admise qu’avec la permission du registraire aux conditions qu’il estime indiquées.

No amendment to a statement of opposition or counter statement shall be allowed except with leave of the Registrar and on such terms as the Registrar determines to be appropriate.

 

 

[19]           Cette disposition ne dit pas expressément que la modification puisse être autorisée après qu'on a rendu une décision sur le fond. Aucune disposition du Règlement ne laisse supposer la possibilité de s'écarter du principe du dessaisissement, que j'analyserai dans le cadre de la compétence de la Cour fédérale en tant que cour d'appel. Quant au paragraphe 56(5) de la Loi, il permet à notre Cour d'exercer « toute discrétion dont le registraire est investi ». Comme le registraire n'avait pas la discrétion d'autoriser la modification, notre Cour, se substituant à lui, ne l'a pas non plus.

 

La compétence d'une cour d'appel

[20]           L'immense majorité des décisions d'offices fédéraux révisées par notre Cour le sont dans le cadre d'un contrôle judiciaire, sous le régime des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Cependant, l'article 18.5 de cette loi dispose que, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'on peut interjeter appel d'une décision devant la Cour fédérale, cette décision ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de contrôle judiciaire. La Loi sur les marques de commerce est l'une de ces lois qui prévoient expressément la possibilité d'interjeter « appel » devant notre Cour, plutôt que devant la Cour d'appel fédérale. La Loi, cependant, est pour l'essentiel muette sur les mesures que peut ou ne peut pas prendre la Cour fédérale en tant que cour d'appel, mis à part l'admission de nouveaux éléments de preuve et l'exercice de toute discrétion dont le registraire est investi.

 

[21]           La Loi sur les Cours fédérales, qui institue aussi bien la Cour fédérale que la Cour d'appel fédérale, énumère les pouvoirs de cette dernière à son article 52, mais ne dit pas expressément que la Cour fédérale dispose de pouvoirs semblables lorsqu'elle siège en appel sous le régime de la Loi sur les marques de commerce. Les articles 335 et suivants des Règles des Cours fédérales s'appliquent aux « appels interjetés devant la Cour en vertu d'une loi fédérale, sauf disposition contraire des présentes règles ou de cette loi ». Le terme « Cour » est défini comme désignant, selon le cas, la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale. Cependant, on ne trouve dans cette partie des Règles (la partie 6) aucune disposition relative à la modification des actes de procédure déposés en première instance.

 

[22]           Je suis d'accord avec la savante protonotaire pour dire que Parmalat ne peut invoquer l'article 75 des Règles à l'appui de sa proposition selon laquelle la Cour fédérale, en tant que cour d'appel, pourrait autoriser la modification d'actes de procédure déposés en première instance après que décision a été rendue sur le fond. Une telle ordonnance aurait nécessairement pour effet de rouvrir l'instruction. Les articles 397 à 399 inclusivement des Règles prévoient les cas dans lesquels la Cour fédérale, en tant que tribunal de première instance, peut réexaminer, annuler ou modifier ses propres ordonnances.

 

[23]           Les seules de ces dispositions susceptibles de nous intéresser ici sont celles du paragraphe 399(2), qui permettent à la Cour de modifier ou annuler une ordonnance si elle a été obtenue par fraude (ce qui n'est pas le cas en l'occurrence), ou si des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après qu'elle a été rendue.

 

[24]           L'article 22 de la Loi sur les marques de commerce n'a pas été « découvert » après la décision dont appel : il est dans les textes depuis plus de soixante ans. Les conclusions formulées par la juge Sharlow dans l'arrêt Halford, précité, se révèlent ici tout à fait pertinentes. Dans cette affaire, Seed Hawk avait présenté au juge de première instance (le juge Pelletier, maintenant membre de la Cour d'appel), après que jugement ait été rendu, une requête en modification de ses actes de procédure sous le régime de l'article 75 des Règles. Le juge Pelletier avait rejeté cette requête. Selon lui, la logique du dessaisissement s'appliquait à l'article 75. L'expression « à tout moment » ne pouvait s'interpréter de manière à permettre à une partie de contourner cette doctrine en présentant une requête en modification après le jugement. Le juge de première instance disposait bien du pouvoir discrétionnaire d'autoriser la modification des actes de procédure à tout moment avant le jugement, mais il le perdait dès qu'il avait signé celui‑ci.

 

[25]           Seed Hawk n'a pas interjeté appel de ce refus. Elle a plutôt formé devant la Cour d'appel une requête en modification des actes de procédure déposés en première instance. La juge Sharlow a conclu que l'article 75 des Règles ne confère pas à la Cour d'appel fédérale la compétence pour accueillir une requête en autorisation de modifier les actes de procédure sur la base desquels l'affaire a été entendue par la Cour fédérale. Elle ajoutait que la Cour d'appel fédérale peut entendre un appel contre une ordonnance de la Cour fédérale accueillant ou rejetant une telle requête et pourrait aussi ordonner la modification des actes de procédure déposés en première instance à titre de mesure de redressement en appel. Cependant, la compétence de la Cour à cet égard ne découlait pas de l'article 75 des Règles, mais plutôt de l'alinéa 52(b)i) de la Loi sur les Cours fédérales, ainsi libellé :

52. La Cour d'appel fédérale peut :

 

[…]

b) dans le cas d'un appel d'une décision de la Cour fédérale :

(i) soit rejeter l'appel ou rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre et prendre toutes mesures d'exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre,

 

52. The Federal Court of Appeal may

 

[…]

 

(b) in the case of an appeal from the Federal Court,

 

(i) dismiss the appeal or give the judgment and award the process or other proceedings that the Federal Court should have given or awarded.

[26]           Par conséquent, la protonotaire Aronovitch a interprété correctement l'article 75 des Règles. Cependant, l'arrêt Halford ne répond pas à la question suivante : existe‑t‑il une autre règle ou disposition qui permettrait à la Cour fédérale, siégeant en tant que cour d'appel, d'autoriser la modification d'un acte de procédure déposé devant un tribunal de juridiction inférieure après que celui‑ci a rendu sa décision?

 

[27]           Quel est le sens d'un « appel »? La partie appelante souhaite faire réviser une décision. La cour d'appel peut faire droit à l'appel ou le rejeter. Le sens commun et l'expérience veulent que la cour, si elle accueille l'appel, rende la décision qui, selon elle, aurait dû être rendue en première instance. Elle peut aussi renvoyer l'affaire pour une nouvelle instruction ou un nouveau procès, en fixant les conditions qu'elle estime appropriées. Mais peut-elle autoriser la modification des actes de procédure déposés en première instance? La compétence des cours d'appel est définie par la loi : R. c. W. (G), [1999] 3 R.C.S. 597, [1999] A.C.S. no 37. Comme le faisait observer la juge Sharlow dans Halford, précité, le législateur a accordé à la Cour d'appel fédérale, par l'article 52 de la Loi sur les Cours fédérales, le pouvoir d'autoriser la modification des actes de procédure déposés devant le tribunal de première instance après qu'il a rendu son jugement. Cependant, il n'est pas nécessaire de décider le point de savoir si l'article 52 s'applique, mutatis mutandis, à la Cour fédérale siégeant en appel de décisions d'offices fédéraux (plutôt que comme instance de contrôle judiciaire). Les cours disposent intrinsèquement du pouvoir de régler leur propre procédure.

 

[28]           Parmalat fonde aussi son argumentation sur l'arrêt Canadian Council of Professional Engineers c. Lubrification Engineers Inc., [1990] 2 C.F. 525, 32 C.P.R. (3d) 327 (C.A.F.). La plupart des décisions qui y sont citées ne sont pas entièrement pertinentes, soit parce qu'elles se rapportent à la mise en litige de nouvelles questions en appel ou à la présentation de nouveaux aspects de faits déjà invoqués, non étayée par la modification des actes de procédure [The Tasmania, 15 App. Cas. 223; et The SS “Tordenskjold” c. The SS “Euphemia” (1908), 41 R.C.S. 154], soit parce que l'objet de l'appel est le refus du tribunal de première instance d'autoriser une modification : C.N.R. c. Muller, [1934] 1 D.L.R. 768, (1933) 41 C.R.C. 329 (C.S.C.). 

 

[29]           Il y a cependant une de ces décisions qui s'avère parfaitement pertinente; il s'agit de l'arrêt de la Chambre des lords Ley v. Hamilton (1935), 153 LT 384 (H.L.), cité par notre Cour dans Northwest Airporter Bus Service Ltd. c. Canada (1978), 23 N.R. 49, [1978] A.C.F. no804. Dans cette affaire, les appelants avaient soulevé de nouvelles questions et, comme Parmalat à notre Cour, avaient demandé à la Chambre des lords de modifier les actes de procédure déposés en première instance. Je reproduis ici les observations formulées par lord Atkin à la page 385 :

[TRADUCTION] Je n'ai pas l'intention d'examiner ces propositions, car elles reposent sur une conception des actes de procédure qui, comme je l'ai déjà dit, me paraît mal fondée. Elles ne pourraient donc être étayées que si les actes de procédure étaient modifiés, et je pense que Vos Seigneuries sont convenues qu'aucune modification visant à étayer un tel moyen ne devrait être admise à la présente étape. Il est évident que si l'une ou l'autre question avait été soulevée au procès, l'interrogatoire du demandeur et le contre-interrogatoire du défendeur et de Wakeling auraient pu revêtir une forme très différente. Qui plus est, je pense que, même si les questions n'avaient pas mis en jeu une preuve de fait supplémentaire, une cour d'appel devrait réfléchir très longtemps avant d'autoriser des modifications dans le cas où l'avocat a eu toute possibilité de présenter d'autres moyens au procès et a jugé bon de ne pas le faire. Rien ne serait plus regrettable que de confirmer l'idée que l'avocat peut faire valoir un moyen donné devant le jury et en garder un autre en réserve pour la cour d'appel.

 

[30]           Je conclus qu'une cour d'appel a compétence, à moins qu'on ne la lui ait retirée, pour autoriser la modification des actes de procédure déposés devant le tribunal (judiciaire ou administratif) de juridiction inférieure, même si celui‑ci a déjà rendu sa décision sur le fond. Aucune loi ni aucun règlement n'a affecté cette compétence.

 

[31]           J'ai lu ce passage de Ley v. Hamilton conjointement avec un autre que lord Atkin a écrit deux ans plus tard – aux pages 480 et 481 de l'arrêt Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) –, où il examine le pouvoir que possèdent les cours d'appel de faire obstacle à l'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de première instance :

[TRADUCTION] La compétence d'appel est toujours conférée par une loi. Or on ne trouve dans la loi applicable aucune disposition restreignant la compétence de la Cour d'appel. Cette dernière est sans doute parfaitement fondée à dire que, dans l'exercice de sa compétence d'appel, elle n'entravera pas normalement l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance sauf pour des motifs de droit, mais si elle constate que la décision entraînera une injustice pour d'autres motifs, elle a aussi bien le pouvoir que le devoir de la corriger.

[32]           Ce point de vue concorde avec celui qu'exprime le juge Iacobucci dans Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, [1994] A.C.S. no 58, touchant le droit d'appel prévu par la loi contre la décision d'un tribunal administratif hautement spécialisé sur une question dont on peut soutenir qu'elle correspond parfaitement à son mandat réglementaire et à son expertise. Dans Pezim, la Cour suprême s'est appuyée sur son arrêt antérieur Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, [1989] A.C.S. no 68, aux pages 1745 et 1746 duquel le juge Gonthier faisait observer ce qui suit :

Il va de soi que la compétence d'un tribunal saisi d'un appel est beaucoup plus large que celle d'un tribunal qui exerce un contrôle judiciaire. En principe, le tribunal saisi d'un appel a le droit d'exprimer son désaccord avec le raisonnement du tribunal d'instance inférieure.

 

Toutefois, dans le contexte d'un appel prévu par la loi d'une décision d'un tribunal administratif, il faut de plus tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions. Bien qu'un tribunal d'appel puisse être en désaccord avec le tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent du pouvoir d'appel prévu par la loi, les tribunaux devraient faire preuve de retenue envers l'opinion du tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent parfaitement de son champ d'expertise.

 

Exercice de novo du pouvoir discrétionnaire

[33]           Comme, contrairement à la protonotaire, je suis arrivé à la conclusion que la Cour fédérale, siégeant en appel sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, a compétence pour accorder l'autorisation de modifier la déclaration d'opposition, il m'incombe d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo.

 

[34]           Cette autorisation, à mon sens, ne doit pas être accordée.

 

[35]           Une des premières affaires en date qui se révèlent pertinentes pour notre problème est celle qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre Tildesley v. Harper (1878), 10 Ch. D. 393. Le juge de première instance avait refusé d'autoriser le défendeur à modifier sa défense. La Cour d'appel a statué qu'il aurait dû lui accorder cette autorisation. Lord Bramwell écrit aux pages 396 et 397 :

[TRADUCTION] J'ai toujours eu pour habitude d'autoriser les modifications demandées, sauf dans les cas où j'estimais que le requérant agissait de mauvaise foi ou que, par sa bévue, il avait causé à la partie adverse un préjudice dont il n'était pas possible de l'indemniser par l'attribution de dépens ou autrement.

 

 

[36]           Le droit à cet égard n'a pas changé : Steward v. North Metropolitan Tramways Company, (1886) 16 Q.B.D. 556 (C.A.); Clarapede v. Commercial Union Association, 32 W.R. 262; et Canadian Council of Professional Engineers, précité.

 

[37]           Parmalat soutient que Sun World n'a pas subi de préjudice puisque l'appel est de novo et qu'elle a le droit de produire des éléments de preuve sur cette question.

 

[38]           Bien que je ne sois pas d'accord avec la protonotaire pour dire que les nombreuses décisions qu'elle a citées lui interdisaient en droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire, ces précédents n'en donnent pas moins des indications utiles sur les circonstances qu'il convient de prendre en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire. À propos du paragraphe 56(5), elle écrit au paragraphe 12 de sa décision :

[TRADUCTION]

 

Monsieur le juge Binnie, au paragraphe 35 de l'arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] CSC 22, décrit dans les termes suivants la nature de l'opération :

 

[35] (...) Lorsqu'un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l'affaire comme s'il s'agissait d'une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel [...]    

 

[39]           Dans la présente espèce, Parmalat veut un nouveau dossier. S'il peut se présenter des cas où une nouvelle question peut être mise en litige dans un appel relevant de l'article 56, avec modification en conséquence des actes de procédure déposés en première instance, la présente affaire n'appartient pas à cette catégorie. Comme lord Atkin dans Ley v. Hamilton, je tiens à décourager l'idée qu'on puisse réserver de nouveaux moyens ou de nouvelles questions pour l'appel. Par ailleurs, l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, que j'invoquerai bien qu'il porte sur un contrôle judiciaire, milite en faveur de la proposition que les conclusions de fait du tribunal administratif et le dossier qu'il a établi, de même que son analyse éclairée et autorisée, se révèlent souvent très utiles à la cour de révision.

 

[40]           Il ne convient pas selon moi qu'on puisse contourner les nombreuses décisions de notre Cour portant sur l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce simplement en formant une requête en modification des actes de procédure déposés en première instance.

 

[41]           Pas plus que la protonotaire, je n'ai à examiner le point de savoir si l'article 22 de la Loi sur les marques de commerce est un motif d'opposition admissible sous le régime de son paragraphe 38(2).

 

[42]           Le présent exposé des motifs n'a pas pour effet de restreindre le droit qu'a ou peut avoir Parmalat de prendre, sous le régime de l'article 22 de la Loi, des mesures contre Sun World au motif qu'elle emploie une marque de commerce déposée par Parmalat d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque.


 

ORDONNANCE

 

 

 

LA COUR ORDONNE que la requête en appel de l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch le 20 juin 2007 soit rejetée avec dépens.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑894‑06

 

INTITULÉ :                                                   SUN WORLD INTERNATIONAL, INC.

                                                                        c.

                                                                        PARMALAT FOOD INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 26 JUILLET 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth D. McKay

 

POUR LA DEMANDERESSE

A. David Morrow

Timothy O. Stevenson

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sim, Lowman, Ashton & McKay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.