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Date : 20070828

Dossier : T-427-06

Référence : 2007 CF 857

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2007

En présence de monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

SOLVAY PHARMA INC. et

ALTANA PHARMA AG

demanderesses

et

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’une demande présentée par Solvay Pharma Inc. et Altana Pharma AG (les demanderesses) pour déposer au dossier le témoignage supplémentaire par affidavit du Dr Jorg Senn-Bilfinger et l’affidavit de Laura Meucci auquel est joint, comme pièce A, une lettre reçue de Santé Canada le 2 août 2007, en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283.

 

CONTEXTE

  • [2] Au moyen d’un avis de demande daté du 9 mars 2006, les demanderesses ont introduit la présente instance, dans laquelle elles réclament, en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour son produit proposé, le pantoprazole.

 

  • [3] En vertu de la demande introduite par les demanderesses, une injonction prescrite par la loi de 24 mois a été imposée à Apotex avant de pouvoir commercialiser et vendre ses propres comprimés à enrobage entéro-soluble de pantoprazole sodique. Cette injonction de fait expire le 9 mars 2008.

 

  • [4] La preuve des demanderesses au soutien de leur dossier devait être déposée avant le 10 avril 2006.

 

  • [5] La requête des demanderesses pour que ce délai soit prorogé de six mois a été en partie accueillie, puisque les demanderesses avaient jusqu’au 14 juillet 2006 pour déposer leur preuve.

 

  • [6] Par la suite, au moyen d’un avis de requête présenté le 21 juin 2006, les demanderesses ont demandé une autre prorogation de délai, ce qu’a refusé la protonotaire Milczynski.

 

  • [7] Enfin, les parties ont convenu que les demanderesses pourraient bénéficier de trois semaines de plus pour signifier et déposer leur preuve. La preuve a été déposée le 4 août 2006, et comprenait un affidavit du Dr Jorg Senn-Bilfinger assermenté le 1er août 2006.

 

  • [8] Les demanderesses ont demandé une autre prorogation de délai pour pouvoir déposer un élément de preuve additionnel, soit l’affidavit du Dr Corbin; Apotex a donné son consentement et a obtenu que le délai qui lui était imparti pour répondre à la preuve des demanderesses soit prorogé jusqu’au 31 janvier 2007.

 

  • [9] Apotex a signifié sa preuve aux demanderesses le 30 janvier 2007.

 

  • [10] Par un avis de requête daté du 14 mars 2007, les demanderesses ont demandé l’autorisation de déposer leur preuve en réponse.

 

  • [11] Les demanderesses proposaient de déposer dix nouveaux affidavits, dont un affidavit du Dr Senn-Bilfinger qui devait être assermenté en avril 2007 en réponse à la preuve déposée par Apotex. Les ébauches des dix affidavits ont été remises par les demanderesses le 10 avril 2007, soit, comme l’ont souligné les défendeurs, exactement un an après la date initialement prévue pour le dépôt de la preuve des demanderesses.

 

  • [12] Dans sa décision datée du 15 juin 2007, la protonotaire Tabib a accordé l’autorisation de déposer uniquement une preuve partielle en réponse, pour un total de six paragraphes tirés de trois des dix affidavits. L’autorisation de déposer toute partie du second affidavit du Dr Senn-Bilfinger a été refusée.

 

  • [13] Par un avis de requête daté du 18 juillet 2007, les demanderesses ont demandé une nouvelle fois l’autorisation de déposer leur preuve en réponse.

 

  • [14] C’est la requête dont est aujourd’hui saisie la Cour.

 

 

ANALYSE

  • [15] Le troisième affidavit du Dr Senn-Bilfinger comprend en annexe deux rapports de recherche (le rapport de recherche no 32/91 et le rapport de recherche no 101/91) déposés comme pièces. Le troisième affidavit du Dr Senn-Bilfinger et les rapports sont censés répondre aux allégations d’Apotex concernant l’absence de prédiction valable.

 

  • [16] Il n’est habituellement pas permis de déposer une preuve en réponse.

 

  • [17] La Cour a établi certains principes de base pour autoriser une telle preuve en réponse. Dans Wayzhushk Onigum Nation c. Kakeway (2000), 182 F.T.R. 100, le protonotaire Hargrave a affirmé aux paragraphes 5 à 7 :

Selon moi, l’article 312 des Règles de la Cour fédérale de 1998 autorise le dépôt d’affidavits complémentaires dans certains cas précis et dans des circonstances particulières. S’il en était autrement, il serait contraire à l’esprit des procédures de contrôle judiciaire, dont l’objectif est d’obtenir une réparation rapide par la voie d’une procédure sommaire. Bien que le critère général, tel qu’il a été appliqué dans Eli Lilly, Abbott Laboratories et Bayer A.G. (précités), consiste à déterminer si la preuve additionnelle va dans le sens des intérêts de la justice, aidera la Cour et ne causera pas un préjudice sérieux à la partie adverse, il importe aussi que les affidavits complémentaires ne traitent pas d’une preuve qui aurait pu être présentée avant et qu’ils ne retardent pas indûment les procédures. J’ajouterai deux commentaires à ceci.

 

Premièrement, la preuve complémentaire doit porter sur des faits additionnels à l’encontre de la preuve de la défenderesse : voir, par exemple, Vrabek c. La Reine [1997] 2 C.T.C. 261, aux pp. 262 et 263 (C.A.F.). De plus, un affidavit en réponse a pour objet de répondre aux prétentions de l’autre partie et non simplement de confirmer la preuve initialement présentée par l’auteur de l’affidavit.

 

Deuxièmement, une requête pour déposer un affidavit en réponse doit être présentée dans les meilleurs délais. En effet, le contrôle judiciaire procède par voie de requête, une procédure sommaire qui permet d’arriver au procès avec des délais minimaux. De plus, un facteur tout aussi important est qu’un retard peut souvent rendre tout redressement discrétionnaire impossible.

 

  • [18] Dans une demande au titre du Règlement sur les médicaments brevetés, les affidavits supplémentaires ne devraient être autorisés que dans des circonstances très limitées. Ils ne peuvent être utilisés pour introduire des arguments juridiques additionnels. Le juge Paul Rouleau dans Abbott Laboratories Ltd. c. Nu-Pharm Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 216, au paragraphe 11, a affirmé ce qui suit :

Le contrôle judiciaire et plus particulièrement la réglementation sur les médicaments brevetés exigent que ces demandes soient instruites sommairement et avec célérité. Permettre aux défendeurs de produire un troisième affidavit d’une soixante de pages souscrit par le même expert ne contribuera d’aucune façon à mieux comprendre ou clarifier les questions en litige.

 

  • [19] La Cour d’appel a également abordé la question du dépôt d’une preuve en réponse dans Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd. (2002), 23 C.P.R. (4th) 5, au paragraphe 9 :

De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible. […]

 

  • [20] Sur ce point, l’avocat des demanderesses souligne que les contre-interrogatoires n’ont pas encore eu lieu. Quoi qu’il en soit, le temps passe et l’audition de l’affaire est déjà prévue pour décembre. Il reste au moins une autre requête en attente, et il reste peu de temps pour les contre-interrogatoires relatifs aux affidavits compte tenu du grand nombre d’affidavits déposés par les deux parties.

 

  • [21] La protonotaire Tabib, dans sa décision datée du 15 juin 2007, a affirmé à la page 2 :
    [traduction]

Les demanderesses ont déjà déposé leur preuve en vertu de l’article 306 des Règles, soit les affidavits de douze témoins experts, tandis qu’Apotex a répondu avec une dizaine de témoins experts. Par leur requête, les demanderesses voudraient ajouter des affidavits supplémentaires de dix experts, dont l’un est nouveau et n’a encore déposé aucun affidavit dans la présente affaire. Les affidavits proposés ajouteraient un total de 87 pages d’affidavits, en excluant les pièces, à un dossier qui compte déjà un nombre excessif de témoins experts. La présente requête des demanderesses a été déposée près de dix semaines après le dépôt de la preuve d’Apotex, dans une affaire où les parties se sont déjà engagées dans des questions de délais.

 

 

  • [22] Il suffit de dire que cet imposant volume d’éléments de preuve techniques déjà déposés doit faire l’objet d’un contre-interrogatoire. Si la Cour autorise le dépôt de deux autres documents, cela augmentera la charge des défendeurs, et limitera en quelque sorte leur capacité à faire face à cette nouvelle preuve à la dernière minute.

 

  • [23] Les demanderesses ont raison lorsqu’elles affirment que l’intérêt de la justice serait mieux servi si la Cour disposait de tous les renseignements pertinents. Néanmoins, cela doit se faire conformément aux règles et il y a des limites. L’affidavit de Laura Meucci contenant une lettre reçue de Santé Canada datée du 30 juillet 2007 vient en réponse à une lettre envoyée par les demanderesses le 17 juillet 2007 faisant référence à d’autres documents qui n’ont pas été déposés. Les demanderesses souhaitent déposer ce document, qui équivaut à introduire une opinion d’un directeur adjoint du Bureau des médicaments brevetés de la liaison. Cette correspondance date de quelques semaines à peine, et la lettre ne peut, en aucune façon, être considérée comme un élément de preuve. Ce n’est pas un affidavit, et les documents auxquels on fait référence dans la lettre ne sont pas connus. Par conséquent, c’est du ouï-dire. À mon avis, c’est suffisant pour rejeter la demande pour pouvoir déposer cette lettre en preuve.

 

  • [24] Concernant les deux rapports que les demanderesses souhaitent introduire, ces documents existent depuis 1991. Selon l’affidavit du Dr Senn-Bilfinger, lorsqu’il a signé son premier affidavit le 1er août 2006, il a informé l’avocat que les documents joints à son premier affidavit étaient les seuls en sa possession. Plus tard, le Dr Senn-Bilfinger a tenté de retracer ces rapports et a été incapable de les trouver par lui-même. Selon son affidavit de mai 2007, ce n’est qu’avec l’aide d’un spécialiste de la recherche de renseignements que les rapports ont finalement pu être retracés. Le Dr Senn-Bilfinger croit maintenant que ces deux rapports de recherche seraient pertinents à la présente instance. Malgré le fait que ces deux rapports de recherche ont été trouvés en mai 2007, il a attendu jusqu’à la fin de juin, alors qu’une réunion avec l’avocat était prévue, pour apporter des copies de ces rapports.

 

  • [25] Comme l’a fait valoir l’avocat d’Apotex, les documents ne sont pas déposés et n’ont pas été examinés par des experts. La nature scientifique détaillée des documents et l’absence d’examen par les experts me font douter de leur importance ou de leur pertinence en l’espèce.

 

  • [26] De plus, je songe au préjudice que pourrait subir Apotex si ces documents devaient être déposés. Le Dr Senn-Bilfinger a indiqué qu’il avait noté mentalement au moment de rédiger son premier affidavit que les rapports appuyaient certains des énoncés de son premier affidavit. Néanmoins, cela n’était pas mentionné dans l’affidavit et ce n’est que lorsqu’il les a finalement retracés, près d’un an plus tard, qu’il a cherché à les introduire. C’était seulement quelques mois avant l’audience et juste quelques semaines avant la date prévue des contre-interrogatoires. Les rapports étaient disponibles plus tôt; il est malheureux qu’ils n’aient pas pu être retracés avant.

 

  • [27] Je suis d’avis qu’Apotex subira un préjudice si elle doit maintenant prendre ces rapports et demander à ses experts d’examiner les documents, pour voir s’ils ont une importance et s’il faudrait répondre à ces documents d’une façon ou d’une autre ou utiliser les contre-interrogatoires pour le faire. Étant donné les contraintes de temps, elle pourrait subir un préjudice. Nous devrions nous rappeler que l’injonction de 24 mois est là, et qu’il faut non seulement terminer l’audience selon l’échéancier prévu, mais aussi rendre un jugement en temps opportun, afin d’éviter tout préjudice à l’une ou l’autre des parties.

 

  • [28] Par conséquent, je n’hésite pas à conclure que la présente requête pour déposer une preuve en réponse devrait être rejetée. Les dépens sont en faveur des répondants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente requête en vue de déposer une preuve en réponse est rejetée.
  2. Les dépens sont en faveur des répondants.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-427-06

 

INTITULÉ :   SOLVAY PHARMA INC. ET

  ALTANA PHARMA AG   demanderesses

  c.

  APOTEX INC. ET

  LE MINISTRE DE LA SANTÉ    défendeurs

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 13 AOÛT 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :  LE 28 AOÛT 2007

 

COMPARUTIONS : 

 

Kevin Sartorio

Natalie Rizkalla-Kamel  POUR LES DEMANDERESSES

 

David Lederman

Danny Cappe  POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)   POUR LES DEMANDERESSES

 

Goodmans LLP

Avocats  POUR LA DÉFENDERESSE –

Toronto (Ontario)  APOTEX INC.

 

John H. Sims, c.r.   POUR LE DÉFENDEUR –

Sous-procureur général du Canada   LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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