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Date : 20070828

Dossier : IMM-694-07

Référence : 2007 CF 855

Ottawa (Ontario), le 28 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

LAI CHING-CHU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas a rejeté, le 18 décembre 2006, la demande de M. Ching-Chu (le demandeur) visant à faire proroger le délai imparti aux fins du dépôt de renseignements supplémentaires à l’appui de sa demande de résidence permanente. Le demandeur avait sollicité une prorogation de délai pour répondre à la préoccupation de l’agent des visas selon laquelle l’état de santé de son fils risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

 

LES FAITS

Le processus de traitement de la demande

[2]               Le demandeur, résident de Taïwan, est le directeur général d’Ally Star Technologies Inc. à Taïwan. Le 1er août 2005, il a demandé de statut de résident permanent pour lui-même et sa famille  en vertu du Programme des candidats de la province de l’Île-du-Prince-Édouard en tant que membre de la catégorie de l’immigration économique. Il a déclaré qu’il possédait des fonds non grevés transférables et disponibles de 2 649 533 $. En 2005, dans le cadre du processus de traitement de sa demande, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur pour participer à une entrevue obligatoire à l’Île-du-Prince-Édouard. Le 13 décembre 2005, le demandeur a été retenu en tant que candidat de la province de l’Île-du-Prince-Édouard membre de la catégorie de l’immigration économique sous réserve qu’un agent des visas ne le déclare pas interdit de territoire pour criminalité ou motifs sanitaires.

 

[3]               Le demandeur et les membres de sa famille ont subi des examens médicaux aux fins de leur demande. Le 11 mars 2006, un examen a révélé que le fils du demandeur âgé de dix-sept ans souffrait d’une déficience intellectuelle modérée.

 

[4]               Le 28 août 2006, l’expert du défendeur, le Dr K. Kennedy de la clinique médicale régionale a rédigé une « Déclaration médicale » indiquant que le fils du demandeur souffrait d’une [traduction] « déficience intellectuelle modérée » et que son intégration à la société canadienne entraînerait un fardeau excessif pour les services et les ressources au pays. Pour ces motifs, le fils du demandeur a été déclaré interdit de territoire par l’application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

La lettre requise par l’obligation d’équité

[5]               Le 18 septembre 2006, l’agent des visas a avisé par lettre le demandeur que l’examen de sa demande était presque terminé mentionnant que le demandeur [traduction] « ne satisfaisait peut‑être pas aux conditions requises pour immigrer au Canada » au motif que l’état de santé de son fils, Lai Chun-Chieh, risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, comme le prévoit le paragraphe 38(1) de la LIPR. Cependant, avant de rendre sa décision définitive, l’agent des visas a invité le demandeur à fournir des renseignements supplémentaires au sujet de l’état de santé de son fils, de son diagnostic ou de la question du fardeau excessif. L’agent des visas a accordé au demandeur un délai de 68 jours, c’est-à-dire jusqu’au 25 novembre 2006, pour fournir ces renseignements. La lettre était requise par l’obligation d’« équité » procédurale et elle avait pour but de permettre au demandeur de connaître les réserves de l’agent des visas et de s’expliquer.

 

La demande de prorogation de délai

[6]               Dans une lettre en date du 2 décembre 2006, le conseiller en immigration du demandeur à Taïwan a écrit au bureau des visas situé dans ce pays pour solliciter une prorogation du délai à l’intérieur duquel le demandeur devait répondre à la lettre du 18 septembre 2006. Le conseiller a affirmé qu’il était au courant du fait que le délai avait expiré le 25 novembre 2006, mais il a expliqué que la collecte des renseignements requis demandait du temps. Il a rédigé sa lettre sept jours après l’expiration du délai, qui a pris fin le 25 novembre.

 

[7]               Ensuite, le 13 décembre 2006, 18 jours après l’expiration du délai fixé par l’agent des visas, l’avocat du demandeur à Halifax a dit à l’agent des visas qu’« ils » étaient en train de recueillir les documents relatifs à la question du fardeau excessif. L’avocat a indiqué que le demandeur serait en mesure de fournir une réponse écrite accompagnée des documents à l’appui au plus tard le 22 janvier 2007. Aucun motif n’a été donné pour expliquer pourquoi la demande n’avait pas été présentée avant l’expiration du délai fixé par l’agent des visas et pourquoi le demandeur sollicitait un délai supplémentaire de 40 jours pour fournir sa réponse.

 

La décision faisant l’objet de contrôle

[8]               Le 18 décembre 2006, l’agent des visas a rejeté la demande de prorogation de délai du demandeur en déclarant :

[traduction] Nous n’accordons pas de prorogation de délai dans de tels cas. Le demandeur avait plus de 60 jours pour présenter ses observations.

 

 

Le même jour, l’agent des visas a envoyé au demandeur une lettre pour l’aviser que sa demande avait été rejetée au motif que l’état de santé de son fils risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Dans la lettre, l’agent des visas a cité l’alinéa 42a) de la LIPR à l’appui de sa décision et déclaré : [traduction] « Votre fils, qui est un membre de votre famille qui vous accompagne, est interdit de territoire au Canada et, de ce fait, vous l’êtes aussi. » On trouve également dans cette lettre de refus de l’agent des visas l’extrait suivant :

[traduction] Dans une lettre datée du 18 septembre 2006, je vous demandais de fournir des renseignements ou des documents supplémentaires pour donner suite à l’évaluation préliminaire comprise dans la lettre. Vous n’avez fourni aucun renseignement ou document en réponse à cette lettre avant la date limite du 25 novembre 2006. J’ai donc fondé ma décision sur les renseignements dont je disposais.

 

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de l’agent des visas de refuser la prorogation de délai.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]           Les articles 38 et 42 de la LIPR sont ainsi rédigés :

Motifs sanitaires

38. (1) Emporte, […], interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger […] risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

Health grounds

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

[…]

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

 

Inadmissibilité familiale

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Inadmissible family member

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

[11]           La présente demande soulève la question de savoir si l’agent des visas a manqué à son obligation d'observer les principes de l'équité procédurale et de justice naturelle en rejetant la demande de prorogation de délai du demandeur sans égard aux circonstances particulières de l'espèce.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si, lorsqu’il a rendu sa décision, l’agent des visas a manqué à son obligation d’observer les principes de l'équité procédurale et de justice naturelle. Lorsqu’il examine des allégations de ce genre, le tribunal n’est pas tenu d’adopter une approche pragmatique et fonctionnelle dans son analyse de la norme de contrôle applicable : S.C.F.P. c. Ontario (Canadian Region), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539. Dans de tels cas, le tribunal doit plutôt « examiner les circonstances particulières de l'affaire et décider si le [décideur] en cause a respecté les règles de justice naturelle et d'équité procédurale » : Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] 3 R.C.F. 168, au paragraphe 15. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Si la Cour conclut qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, il n’y aura pas lieu de faire preuve de retenue et la décision de la Commission sera annulée : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3  R.C.F. 392.

 

L’ANALYSE

Question :    L’agent des visas a-t-il manqué à son obligation d’observer les principes de l'équité procédurale et de justice naturelle en rejetant la demande de prorogation de délai présentée par le demandeur?

 

 

La question relative au fardeau excessif et l’arrêt Hilewitz

[13]           Le 21 octobre 2005, dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, la Cour suprême du Canada a décidé qu’un agent des visas doit tenir compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux. En examinant une disposition semblable de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, la juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a fait les observations suivantes aux paragraphes 54 et 55 :

[54]      Le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.  Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison.  Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario.  Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services. 

 

[55]      Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux - comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

[Non souligné dans l’original.]

 

Au paragraphe 56, la juge Abella a poursuivi en précisant qu’il est nécessaire d’effectuer des appréciations individualisées puisqu’il est impossible de « déterminer la "nature", la "gravité" ou la "durée probable" d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée ».

 

[14]           Tandis que l’arrêt Hilewitz porte précisément sur la capacité de payer des demandeurs appartenant aux catégories des gens d’affaires immigrants, j’ai mentionné dans la décision Airapetyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 FC 42, [2007] A.C.F. no 66 (QL), que les demandeurs appartenant à ces catégories ne sont pas les seuls à pouvoir démontrer qu’ils possèdent la volonté et la capacité de payer les frais en matière de santé et de services sociaux :

[20]      Bien que les demandeurs dans ces catégories soient plus facilement aptes à démontrer leur capacité de payer les frais pour un membre de leur famille, il ne s'ensuit pas que les demandeurs dans d'autres catégories ne sont pas en mesure de le faire. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la diversité des états de santé qui peuvent entraîner qu’une personne fasse une demande pour des services sociaux ou de santé qui excèderait la moyenne par habitant au Canada.

 

[15]           En l’espèce, l’agent des visas savait que le demandeur possédait des fonds non grevés transférables et disponibles de 2 649 533 $. La juge Abella a conclu au paragraphe 40 de l’arrêt Hilewitz que l’agent des visas et le médecin agréé ne peuvent omettre de tenir compte des avoirs mêmes qui permettent au demandeur de se faire admettre au Canada lorsqu’il convient de décider de l’admissibilité de son fils handicapé.

 

L’obligation d’équité en matière de prorogation de délai

[16]           L’obligation d'équité est une question de droit et dépend des circonstances particulières de chaque affaire : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195. Dans la présente affaire, le demandeur plaide que l’agent des visas a manqué à son obligation d’observer les principes de l’équité procédurale et de justice naturelle en rejetant catégoriquement sa demande de prorogation de délai. Il soutient que la prorogation de cinq semaines sollicitée était raisonnable compte tenu des recherches et de l’examen attentif nécessaires en vue de prendre les arrangements sur les plans professionnel et éducationnel qui répondraient le mieux aux besoins de son fils. Ainsi, le demandeur fait valoir que, dans l’affaire qui nous occupe, l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure exige qu’on lui accorde un délai raisonnable pour lui permettre de répondre à la demande de renseignements supplémentaires de l’agent de l’immigration. De plus, l’agent des visas n’avait pas rendu sa décision ou pris quelque mesure que ce soit quant au dossier avant que la demande de prorogation de délai ne lui ait été transmise.

 

[17]           À l’appui de cette thèse, le demandeur se fonde sur une décision de la Cour rendue en 2000 dans l’affaire Gakar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 F.T.R. 306. Dans cette affaire, le juge Teitelbaum a accueilli une demande de contrôle judiciaire après qu’il eut jugé que l’agente des visas avait porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en refusant de proroger de 30 jours le délai à l’intérieur duquel il devait produire les documents demandés. Dans sa décision, le juge Teitelbaum s’exprime ainsi aux paragraphes 36 et 39 :

[36]      Le refus serait compréhensible si le demandeur avait demandé un délai supplémentaire de 90 ou de 180 jours. Je ne conçois pas que l'agente des visas ait pu refuser une prorogation de 30 jours, puisqu'il s'agissait de la première demande de prorogation, laquelle ne pouvait avoir aucun effet adverse sur le défendeur.

 

[39]      Je l'ai dit et je le répète, un agent des visas doit faire preuve de souplesse et de compréhension lorsqu'il s'agit de se prononcer sur une demande de prorogation de délai. Se contenter de dire non constitue un déni de justice naturelle.

 

[18]           Cependant, le demandeur ne fait pas la distinction entre les faits de l’espèce et ceux de l’affaire Gakar. Premièrement, dans Gakar, le demandeur n’avait obtenu qu’un délai de 30 jours pour recueillir les renseignements demandés. Dans la présente affaire, le demandeur a obtenu 68 jours au total pour répondre à la demande de renseignements supplémentaires de l’agent des visas.

 

[19]           Deuxièmement, dans l’affaire Gakar, le demandeur avait sollicité une prorogation dans le délai de 30 jours déjà fixé. En l’espèce, le demandeur n’a présenté sa demande de prorogation de délai que les 2 et 13 décembre 2006, c’est-à-dire après l’expiration du délai fixé par l’agent des visas et presque trois mois après la lettre de ce dernier, requise par l’obligation d’équité et datée du 18 septembre 2006, dans laquelle l’agent lui demandait de fournir des renseignements supplémentaires.

 

[20]           Enfin, dans l’affaire Gakar, le demandeur a donné les raisons pour lesquelles il n’avait pas été en mesure de répondre à la demande dans le délai imparti. En particulier, le demandeur a clairement indiqué dans sa lettre qu’il « n'était pas en mesure de réunir les documents nécessaires dans le délai imparti ». Dans la présente affaire, l’avocat du demandeur n’a pas fourni de motifs pour justifier la prorogation demandée, ni expliqué pourquoi le demandeur n’avait pas été en mesure de répondre à la demande dans le délai initial de 68 jours.

 

[21]           Dans la décision Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, [2006] A.C.F. no 703 (QL), au paragraphe 17, le juge Blanchard énonce clairement que l’obligation d’équité « exige que le demandeur soit informé des doutes qu’entretient l’agent des visas et qu’il lui soit accordé une véritable possibilité de les dissiper en produisant une preuve susceptible de le faire ». À mon avis, le demandeur a obtenu en l’espèce un délai raisonnable pour dissiper les doutes soulevés par l’agent des visas. Il incombe au demandeur de justifier pourquoi il n’a pas communiqué avec l’agent avant la date limite du 25 novembre 2005 pour préciser la nature et les motifs de la prorogation demandée. Comme l’a précisé le juge Muldoon dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 7 :

[7]        Le requérant a le fardeau de convaincre l'agent des visas de tous les éléments positifs contenus dans sa demande. L'agent des visas n'a pas à attendre ni à offrir au requérant une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d'éléments essentiels que le requérant peut avoir omis de mentionner.

 

 

 

 

Le respect des délais raisonnables

 

[22]           La Cour prend connaissance d’office de l’énorme volume de demandes de résidence permanente que les agents des visas doivent traiter dans les bureaux à l’étranger, ainsi que de l’arriéré de demandes en attente d’une décision. En l’espèce, l’agent des visas a accordé au demandeur un délai de 68 jours pour fournir des renseignements supplémentaires. Étant donné que ce dernier n’a pas répondu dans le délai imparti, l’agent des visas a à juste titre rendu sa décision. La demande de l’avocat du demandeur visant l’obtention d’une prorogation de délai jusqu’au 22 janvier 2007 n’a été présentée que le 13 décembre 2006, c’est-à-dire 18 jours après l’expiration du délai de 68 jour, qui prenait fin le 25 novembre 2006. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas demandé la prorogation dans le délai de 68 jours. La procédure à suivre aurait été de demander une prorogation avant le 25 novembre 2006 et d’exposer les motifs pour lesquels la prorogation était nécessaire.

 

[23]           Compte tenu de l’énorme volume de demandes qu’ils traitent, les bureaux des visas à l’étranger ne peuvent opérer de manière ordonnée si les parties ne respectent pas les délais raisonnables qui leur sont impartis.

 

Restriction indue du pouvoir discrétionnaire

 

[24]           D’après le dossier dont la Cour dispose, il ressort clairement que l’agent des visas n’a pas examiné la demande de prorogation formulée par le conseiller en immigration dans sa lettre du 2 décembre 2006. Selon les notes du STIDI, rien ne prouve que cette lettre a été reçue ou examinée. L’agent des visas n’a examiné que la lettre rédigée par l’avocat représentant le demandeur à Halifax, datée du 13 décembre 2006, et y a répondu de la façon suivante :

[traduction] Nous n’accordons pas de prorogation de délai dans de tels cas. Le demandeur avait plus de 60 jours pour présenter ses observations.

 

Cette déclaration catégorique constitue une restriction indue du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas, qui doit d’abord examiner les demandes de prorogation de délai avant de les rejeter. L’agent des visas s’est contenté de répondre qu’il n’accordait aucune prorogation de délai. Cette lettre du 18 décembre 2006 est incompatible avec l’affidavit signé par l’agent des visas aux fins de l’audience du 14 juin 2007. Au paragraphe 7 de cet affidavit, l’agent des visas écrit :

[traduction] Après avoir examiné le dossier, j’ai décidé de ne pas accorder la prorogation demandée. En décidant ainsi, j’estimais que l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure dans les cas de refus fondée sur la non-admissibilité pour raisons d’ordre médical avait été respectée, et que les lignes directrices avaient été suivies. À ce stade, trois mois s’étaient écoulés depuis la lettre du 18 septembre 2006 qui informait le demandeur du rejet probable de sa demande à cause de la non-admissibilité de son fils pour raisons d’ordre médical.

 

Je constate que cette explication après le fait n’a pas été étayée dans les notes du STIDI et j’estime qu’elle est intéressée.

 

[25]           L’agent des visas a restreint indûment son pouvoir discrétionnaire en déclarant, de manière catégorique, qu’il n’accorde jamais de prorogation de délai aux fins du dépôt de renseignements supplémentaires. Si l’agent avait examiné la demande de prorogation de délai et s’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire puis conclu qu’aucune prorogation ne devait être accordée pour un motif précis, sa décision aurait alors été valide. Cependant, en restreignant indûment son pouvoir discrétionnaire, l’agent des visas refuse d’étudier l’opportunité d’exercer ce pouvoir, ce qui est contraire à la loi. Voir la décision Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (C.F. 1re inst.) rendue par le juge en chef adjoint Jerome, à la page 739 :

L'importance de la flexibilité dans l'adoption d'une politique ou de lignes directrices en tant que moyen de structurer le pouvoir discrétionnaire est mise en lumière par D. P. Jones et A. S. de Villars dans leur ouvrage Principles of Administrative Law, où, à la page 137, il est question de politique « générale » et « inflexible » :

 

[TRADUCTION] […] l'existence du pouvoir discrétionnaire implique l'absence d'une règle dictant le résultat dans chaque cas; le pouvoir discrétionnaire réside essentiellement dans le fait que son exercice varie selon les cas. Et chaque cas est un cas d'espèce. En conséquence, tout ce qui exige d'un délégué qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire d'une manière particulière peut illégalement restreindre la portée de son pouvoir. Un délégué qui entrave ainsi son pouvoir discrétionnaire excède sa compétence et peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

La lettre sollicitant la prorogation de délai était incomplète et présomptueuse

 

[26]           La lettre rédigée par l’avocat d’Halifax, dans laquelle celui-ci a sollicité une prorogation de délai, était irrespectueuse au sens où elle ne donnait aucune explication sur le retard à répondre à la lettre concernant l’état de santé du fils du demandeur requise par l’obligation d’équité du 18 septembre 2006,où elle ne fournissait pas les renseignements recueillis pour dissiper les doutes entretenus par l’agent des visas, et où elle avisait présomptueusement l’agent des visas que l’avocat d’Halifax allait fournir les renseignements demandés au plus tard le 22 janvier 2007, une date limite que l’avocat avait unilatéralement imposée à l’agent.

 

La conclusion

 

[27]           Après avoir examiné le dossier, je conclus que :

1.                  L’agent des visas a omis d’examiner la demande de prorogation de délai du 2 décembre 2006 formulée par le conseiller en immigration;

2.                  Le 18 décembre 2006, l’agent des visas a répondu de manière catégorique à l’avocat d’Halifax en déclarant qu’il ne proroge jamais les délais, ce qui constitue donc une restriction indue de son pouvoir discrétionnaire et une atteinte aux principes de justice naturelle;

3.                  La lettre de l’avocat d’Halifax en date du 13 décembre 2006 était incomplète puisqu’elle ne donnait aucune explication sur l’omission de demander la prorogation dans le délai imparti et sur les documents recueillis en vue de dissiper les doutes entretenus par l’agent des visas, et elle était présomptueuse du fait qu’elle imposait unilatéralement à l’agent des visas la nouvelle date limite du 22 janvier 2007.

 

[28]           Le demandeur ne devrait pas être pénalisé en raison des lettres incomplètes rédigées par son conseiller en immigration et son avocat d’Halifax. Je suis convaincu que, indépendamment de la décision rendue par la Cour dans la présente affaire, le demandeur pourra présenter une nouvelle demande de résidence permanente et faire la preuve que les fonds de 2,6 millions de dollars dont il dispose signifient que l’état de santé de son fils ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. Il serait injuste de retarder le traitement du présent dossier. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agent des visas de ne pas proroger le délai sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

QUESTION À CERTIFIER

 

[29]           Le défendeur a proposé aux fins de certification la question de savoir si l’arrêt Hilewitz rendu par la Cour suprême du Canada s’applique aux candidats des provinces appartenant à la catégorie de l’immigration économique comme le demandeur. J’ai répondu que la réponse à cette question est évidente, compte tenu de la conclusion de la Cour suprême du Canada énoncée au paragraphe 40 de l’arrêt Hilewitz par la juge Abella :

 

[40]      Il me semble quelque peu incongru d’interpréter la loi de façon telle que les mêmes avoirs qui, d’une part, permettent aux investisseurs et aux travailleurs autonomes de se faire admettre aux Canada, puissent, d’autre part, ne pas être pris en considération lorsqu’il s’agit de décider de l’admissibilité de leurs enfants handicapés.

 

Cette analyse s’applique aux personnes retenues par la province de l’Île-du-Prince-Édouard en tant que membre de la catégorie de l’« immigration économique ». Pour ce motif, j’ai avisé le défendeur que je ne certifierai pas sa question.

 

[30]           Les parties n'ont proposé aucune autre question aux fins de certification. La Cour conclut que la présente affaire ne soulève aucune question grave qu’il y aurait lieu de certifier en vue d’un appel.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.             La présente demande de contrôle est accueillie;

2.             La décision de l’agent des visas rendue le 18 décembre 2006 est annulée;

3.             Le demandeur dispose de 60 jours pour mettre à jour son dossier et fournir les renseignements requis au bureau des visas à Taïwan;

4.             L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-694-07

 

INTITULÉ :                                                                           LAI CHING-CHU                                                                               c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 23 AOÛT 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 28 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roderick (Rory) H. Rogers                                                       POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Patricia MacPhee                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart McKelvey                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

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