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Date :  20070906

Dossier :  IMM-6787-06

Référence :  2007 CF 888

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

MIGUEL LUIS CONTRERAS MAGAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               [27]      Je m'en remets à la jurisprudence de cette Cour voulant que la simple appartenance à une organisation qui, tel que le soumet le demandeur, est une institution légale, chargée de défendre le territoire péruvien, et reconnue par la Constitution du Pérou, n'est pas suffisante pour établir la complicité ou la complicité par association à moins que le but de cette organisation soit des fins limitées et brutales, telle qu'une police secrète, par exemple : Ramirez, supra; Sivakumar, supra. Il a été convenu, lors de l'audience, que l'armée péruvienne n'est pas une telle organisation.

 

[28]      En outre, dans son affidavit et durant son témoignage, le demandeur avance qu'il n'occupait pas une position stratégique au sein de l'armée du Pérou durant les premières années de son service militaire. Une fois devenu pilote, il ne jouissait d'aucun pouvoir décisionnel et pilotait des appareils de reconnaissance et non d'attaque. En tant que chef de la section de renseignements, il dit avoir eu pour fonction de protéger le bataillon de l'infiltration de trafiquants de drogue et la base d'attentats terroristes. Il soutient enfin ne jamais avoir occupé de position dans les zones d'émergence que la preuve documentaire identifie comme les endroits où les actes de répression ont été commis par l'armée péruvienne. Il réitère qu'il ignorait les plans de l'armée concernant l'intervention à l'ambassade du Japon lors de la prise d'otages.

 

(La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, [2005] A.C.F. no 940 (QL); également, IMM-5239-04, spécifiant le cas de monsieur Miguel Luis Contreras Magan.)

 

[2]               Le 18 juin 2002, le demandeur, M. Miguel Luis Contreras Magan, demande le statut de réfugié au Canada.

 

[3]               L’audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a eu lieu le 16 février et 2 mars 2004. La Commission a rendu sa décision le 10 mai 2004. Le 17 novembre 2004, l’autorisation fut accordée pour introduire la demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Le 30 mai 2005, la Cour fédérale a ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. (La Hoz, ci-dessus.)

 

[5]               Le juge Edmond Blanchard a ordonné que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission sur l’exclusion du demandeur de l’application de la Convention soit accueillie et que la décision de la Commission, sur cette question, soit cassée et, également, que l’affaire soit retournée pour une nouvelle audience devant un autre commissaire.

 

[6]               Donc, une autre audience a eu lieu le 6 avril 2006 et le 13 septembre 2006, la Commission a rendu sa décision négative le 1 novembre 2006.

 

[7]               Dans cette nouvelle décision, la Commission a omis de prendre en considération les motifs de l’ordonnance du 30 mai 2005 (La Hoz, ci-dessus), exprimés par le juge Blanchard à l’égard de M. Magan.

 

[8]               En résumé et à titre d’exemple des motifs spécifiés pour être prise en considération, le juge Blanchard exprime ce qui suit :

[23]      La preuve doit démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l'humanité. En l'espèce, la Commission ne s'est pas penchée sur cette question. Elle n'établit pas quels crimes le demandeur aurait commis; elle se contente d'y faire référence en termes généraux. Elle s'en est tenue à conclure que la torture est fréquemment utilisée par l'armée péruvienne, de même que les exactions contre la population civile dans les zones occupées par les rebelles du Tupac Amaru et du Sentier Lumineux. Vu qu'elle dit ne pas considérer crédible le témoignage du demandeur, la Commission conclut que, du fait de son appartenance à l'armée du Pérou, il est responsable de tels crimes. À mon avis, ces motifs ne suffisent pas à établir que des actes de la nature de crimes contre l'humanité ont été commis par le demandeur en l'espèce.

 

[24]      La seconde étape dans l'évaluation de l'exclusion est de déterminer l'implication du demandeur. Les différents degrés où un individu peut être impliqué dans la perpétration de crimes contre l'humanité ont été bien exposés par la Cour d'appel fédérale dans Sivakumar, supra. Selon les faits, un individu peut être :

-           directement impliqué;

-           complice;

-           complice par association.

 

[25]      Pour déterminer si l'exclusion est de mise pour cause de complicité ou de complicité par association, le critère à appliquer est de savoir si la participation personnelle et consciente du demandeur d'asile aux actes de persécution a été établie : Ramirez, supra. Tel que la Cour d'appel fédérale l'a énoncé au paragraphe 39 de sa décision dans l'affaire Moreno, supra, la complicité repose également sur l'existence d'un dessein commun poursuivi par l'auteur et le complice.

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

 

[26]      Je suis d'avis, qu'en l'espèce, la Commission a conclu, sans motiver sa décision avec suffisamment de précision, que le demandeur était responsable d'actes énumérés aux alinéas a) et c) de l'article 1F de la Convention du seul fait qu'il était membre de l'armée péruvienne qui, selon la documentation sur les conditions existentes au Pérou, compte des membres ayant commis de tels gestes. Ma révision du dossier dans son entièreté me porte à conclure que la Commission n'a pas considéré si preuve avait été faite de la participation personnelle et consciente du demandeur dans la perpétration de tels crimes.

 

[27]      Je m'en remets à la jurisprudence de cette Cour voulant que la simple appartenance à une organisation qui, tel que le soumet le demandeur, est une institution légale, chargée de défendre le territoire péruvien, et reconnue par la Constitution du Pérou, n'est pas suffisante pour établir la complicité ou la complicité par association à moins que le but de cette organisation soit des fins limitées et brutales, telle qu'une police secrète, par exemple : Ramirez, supra; Sivakumar, supra. Il a été convenu, lors de l'audience, que l'armée péruvienne n'est pas une telle organisation.

 

[28]      En outre, dans son affidavit et durant son témoignage, le demandeur avance qu'il n'occupait pas une position stratégique au sein de l'armée du Pérou durant les premières années de son service militaire. Une fois devenu pilote, il ne jouissait d'aucun pouvoir décisionnel et pilotait des appareils de reconnaissance et non d'attaque. En tant que chef de la section de renseignements, il dit avoir eu pour fonction de protéger le bataillon de l'infiltration de trafiquants de drogue et la base d'attentats terroristes. Il soutient enfin ne jamais avoir occupé de position dans les zones d'émergence que la preuve documentaire identifie comme les endroits où les actes de répression ont été commis par l'armée péruvienne. Il réitère qu'il ignorait les plans de l'armée concernant l'intervention à l'ambassade du Japon lors de la prise d'otages.

 

[...]

 

[31]      Des conclusions d'une telle précision n'ont aucunement été tirées en l'espèce. Compte tenu du principe que l'équité procédurale nécessite que des conclusions précises soient tirées à l'égard des crimes que la Commission estime avoir été commis par le demandeur, je suis d'avis que la Commission s'est ici limitée à tirer des inférences sans toutefois établir clairement les crimes auxquels il aurait contribué. Elle s'est cantonnée à lui attribuer la responsabilité pour des crimes que commet l'armée péruvienne, tels que des actes de torture ou d'exaction contre la population civile, en se fondant sur la preuve documentaire traitant du Pérou. Elle n'a pas su identifier la complicité du demandeur dans la perpétration de tels actes. Du fait qu'elle l'a jugé non crédible, elle tire la conclusion qu'il est impliqué dans la commission de crimes énoncés en des termes généraux. Cette conclusion ne saurait être maintenue par cette Cour. Puisque cette omission est une erreur de droit, j'estime que la décision de la Commission ne peut être considérée correcte et que l'intervention de cette Cour est justifiée en l'espèce sur la détermination de l'exclusion du demandeur. (La Cour souligne.)

 

 

[9]               Donc, il est évident que, pour la deuxième fois, la Commission a commis une erreur de droit et de fait.

 

[10]           La Commission a commis des erreurs de droit importantes.

 

[11]           Les prétentions du demandeur sont foncièrement fondées; elles soulèvent des questions graves et démontrent la nécessité de retourner le dossier au tribunal de première instance pour la deuxième fois pour un examen de novo par un panel autrement constitué.

 

[12]           Et, donc, la décision est cassée et une nouvelle audience est ordonnée.


 

JUGEMENT

            Pour la deuxième fois, dans le même cas, la Cour a suivi le même raisonnement pour arriver aux mêmes conclusions, ignorées par le tribunal de première instance.

 

LA COUR ORDONNE que la décision du tribunal de première instance soit cassée et que le dossier soit retourné au tribunal de première instance pour un examen de novo par un panel autrement constitué.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6787-06

 

INTITULÉ :                                       MIGUEL LUIS CONTRERAS MAGAN

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 6 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Manuel Antonio Centurion

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Christine Bernard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MANUEL ANTONIO CENTURION Avocat, Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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