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Date : 20070906

Dossier : T‑1236‑06

Référence : 2007 CF 892

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MacTAVISH

 

 

ENTRE :

KENNETH THOMAS KREKLEWICH

demandeur

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’« équité » par laquelle le ministre du Revenu national a refusé sa requête en dispense de paiement des intérêts et pénalités calculés pour ses années d’imposition 1995, 1996 et 1997.

 

[2]               J’ai une certaine sympathie pour le demandeur, mais, pour les motifs qui suivent, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

Le contexte

[3]               En juin 1998, le demandeur a été informé qu’une vérification de sa déclaration de revenus pour les années 1995, 1996 et 1997 allait avoir lieu. Cette vérification a pris fin en août 1999.

 

[4]               Plusieurs des déductions réclamées par le demandeur n’ont pas été admises, et il a donc fait l’objet de nouvelles cotisations. Le 24 août 1999, un état indiquant les ajustements définitifs apportés à ses avis de cotisation lui a été envoyé par la poste. Par cet avis, le demandeur était informé qu’il devait payer une somme additionnelle de 9 210 $ en impôts.

 

[5]               Le demandeur était aussi informé que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé et qu’il pouvait éviter les intérêts futurs en payant la somme due.

 

[6]               Le demandeur et son comptable n’ont évidemment pas contesté certaines des déductions refusées, mais ils ont contesté le refus d’autres déductions. Le demandeur a donc fait appel auprès du ministère en février 2000 à propos du refus de ces déductions. Un peu plus d’une semaine plus tard, cet appel a été rejeté.

 

[7]               Le demandeur a alors fait appel devant la Cour de l’impôt du refus des déductions. Son appel devait être instruit en août 2001. À la suite de pourparlers entre le demandeur et l’avocat de la défenderesse, une entente fut conclue dont le résultat était un jugement par consentement rendu par la Cour de l’impôt, qui accordait au demandeur un allégement fiscal de 6 345 $.

 

[8]               Selon le demandeur, après la signature du jugement par consentement, la défenderesse l’a informé qu’il devait environ 8 822 $ en impôts impayés. Le demandeur ne comprenait pas comment, ayant obtenu un allégement fiscal de 6 345 $, le solde dû n’avait diminué que d’environ 400 $. Comme il l’expliquait dans son affidavit, [traduction] « Pour tout dire, cela ne semblait pas logiquement possible. N’ayant aucun moyen de vérifier la réclamation de Revenu Canada, j’ai décidé d’attendre un relevé de compte complet. Ce relevé n’est jamais arrivé ».

 

[9]               Il semble que, si le solde dû par le demandeur n’avait pas diminué d’une manière appréciable après le jugement par consentement rendu par la Cour de l’impôt, c’était parce que les intérêts avaient continué de courir sur le solde dû pour la portion des déductions refusées qui n’avait pas été contestée par le demandeur.

 

[10]           En février 2002, Calvin Miller, un représentant de la défenderesse, a communiqué avec le demandeur pour savoir quand il allait s’acquitter de ses impôts impayés. Le demandeur a évidemment répondu à M. Miller qu’il attendait encore qu’on lui explique comment le solde réclamé avait été calculé.

 

[11]           En février 2003, un autre représentant de la défenderesse, un certain James Curtis, a communiqué avec le demandeur pour exiger à nouveau le paiement de l’arriéré d’impôt. Le demandeur a encore une fois répondu qu’il lui était impossible de payer la somme sans un relevé satisfaisant. Le demandeur avait le sentiment que, sans un tel relevé, la demande de paiement était « injuste ».

 

[12]           M. Curtis a évidemment présenté en mars 2003 au demandeur un relevé censé expliquer comment le solde dû avait été calculé. Selon le demandeur, ni lui ni son comptable n’ont pu comprendre le contenu du document. Le demandeur a donc prié son comptable de faire le calcul de ce que selon lui le demandeur devait à la défenderesse.

 

[13]           Le 20 mars 2003, le demandeur a rencontré M. Curtis et lui a remis un chèque de 4 622,38 $, somme qui, selon le demandeur, était celle qui aurait dû être indiquée sur sa facture initiale d’impôts, sans intérêts courus.

 

[14]           En mai 2003, le demandeur a reçu de la défenderesse un autre relevé concernant sa dette fiscale impayée, cette fois sous une forme qui était intelligible pour le demandeur. Si je comprends bien, le demandeur ne s’est pas trouvé en désaccord avec la manière dont la défenderesse avait calculé sa dette.

 

[15]           Le demandeur a alors prié la défenderesse de lui accorder une dispense en application des dispositions en matière d’équité, à savoir le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1. La dispense sollicitée portait sur les intérêts et pénalités qui s’étaient accumulés jusqu’alors sur le solde impayé.

 

[16]           Sur ce point, le demandeur invoque les dispositions de la circulaire d’information numéro 92‑2 de la défenderesse, une circulaire qui donne des indications concernant l’interprétation et l’application du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Plus précisément, le demandeur invoque les sections 6a) et 6e) de la Circulaire d’information n° 92‑2, où l’on peut lire ce qui suit :

6.   L'annulation des intérêts ou des pénalités ou la renonciation à ceux‑ci peuvent également être justifiées si ces intérêts ou pénalités découlent principalement d'actions attribuables au Ministère comme dans les cas suivants:

 

a)   des retards de traitement, ce qui a eu pour effet que le contribuable n'a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l'existence d'une somme en souffrance;

 

e)    des renseignements fournis en retard comme dans le cas où un contribuable n'a pu faire les paiements voulus d'acomptes provisionnels ou d'arriérés parce qu'il n'avait pas les renseignements nécessaires.

 

 

[17]           La demande de dispense présentée par le demandeur a été examinée par un comité de premier niveau, compétent en la matière, qui a conclu que la vérification des déclarations de revenus du demandeur pour les années 1995, 1996 et 1997 avait été exécutée avec célérité et qu’aucun retard indu ne pouvait être attribué à la défenderesse. La demande de dispense du demandeur a donc été refusée.

 

La décision contestée

[18]           Par lettre datée du 9 février 2004, le demandeur a présenté une deuxième demande de dispense pour ses années d’imposition 1995, 1996 et 1997. C’est la décision finale rendue au regard de cette deuxième demande qui est l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

[19]           La deuxième demande de dispense a d’abord été étudiée par un chef d’équipe de la Section de la vérification et de l’exécution, à l’Agence du revenu du Canada, qui a rédigé un rapport recommandant que la demande soit refusée, car la vérification des déclarations de revenus du demandeur pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 avait été faite rapidement et qu’aucun délai indu ne pouvait être imputé à la défenderesse.

 

[20]           Ce rapport a ensuite été examiné par la directrice du Bureau des services fiscaux de Regina, qui a aussi pris en compte, dans sa délibération, les documents se rapportant à la première demande de dispense présentée par le demandeur. La directrice est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait eu aucun délai excessif dans les procédures d’opposition et d’appel. Elle a aussi fait observer que, à la suite des processus de vérification et d’appel, le demandeur avait été mis en possession d’avis de cotisation et de nouvelle cotisation qui expliquaient les redressements apportés à l’impôt payable par le demandeur et qui précisaient le solde dû.

 

[21]           Dans sa lettre de décision, la directrice poursuit ainsi :

[traduction] S’agissant des frais d’intérêt, j’observe que, dans la correspondance initiale que nous vous avions adressée, vous étiez informé que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé et que vous pouviez éviter les frais d’intérêt en payant ce solde. Je suis donc arrivée à la conclusion qu’il ne s’agit pas ici d’un cas où il serait légitime d’annuler l’arriéré d’intérêts.

 

 

[22]           Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en affirmant que la vérification menée par la défenderesse ne s’est pas déroulée d’une manière équitable ou prompte. Si je comprends bien sa position, il dit que la décision de la directrice devrait être annulée, parce que la défenderesse a régulièrement refusé de lui remettre, comme il l’en avait priée, une ventilation de la somme qui, selon la défenderesse, était due par le demandeur.

 

[23]           Le demandeur dit que, sans une telle ventilation, la défenderesse ne pouvait raisonnablement compter qu’il s’acquitte de sa dette.

 

La norme de contrôle

[24]           La présente affaire concerne une décision discrétionnaire prise par l’Agence du revenu du Canada, en application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux mesures d’équité. Il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de substituer sa propre manière de voir à la décision de la défenderesse. La tâche de la Cour consiste plutôt à savoir si la décision de la défenderesse était raisonnable : voir l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2005] A.C.F. n° 714, 2005 CAF 153.

 

[25]           Plus exactement, il s’agit de savoir si la décision peut résister à un examen assez poussé : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20.

 

Analyse

[26]           La vérification entreprise par la défenderesse pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 du demandeur a nécessité environ quatorze mois. L’examen de la chronologie des événements qui ont entouré la vérification révèle qu’une partie du délai requis pour la vérification tenait au défaut du demandeur ou de son comptable de communiquer rapidement à la défenderesse les renseignements dont elle avait besoin.

 

[27]           Après examen de tous les renseignements disponibles concernant le déroulement de la vérification, je suis convaincue que la période de temps requise pour la vérification était acceptable et que la directrice pouvait parfaitement, au vu du dossier dont elle était saisie, conclure que la vérification des déclarations de revenus du demandeur pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 avait été conduite promptement.

 

[28]           Le demandeur ne m’a donc pas persuadée qu’il y a eu ici des retards de traitement et que, de ce fait, il n’aurait pas été informé, dans un délai raisonnable, qu’une somme était due, selon ce qu’envisage la section 6a) de la Circulaire d’information n° 92‑2.

 

[29]           Il reste à statuer sur la prétention du demandeur selon laquelle la défenderesse ne pouvait raisonnablement compter qu’il paierait le solde dû sans avoir d’abord reçu une explication de la manière dont ce solde avait été calculée.

 

[30]           Sur ce point, la directrice a conclu que le demandeur avait été informé que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé et qu’il pouvait éviter une accumulation additionnelle d’intérêts en s’acquittant de sa dette.

 

[31]           Il eût certainement été judicieux pour la défenderesse d’envoyer simplement au demandeur ce qu’il réclamait – c’est‑à‑dire une explication prompte et précise de la manière dont la défenderesse était arrivée au solde qui selon elle restait dû. Cela dit, ce n’est pas là un cas qui est envisagé par la section 6e) de la Circulaire d’information n° 92‑2.

 

[32]           Plus exactement, le demandeur n’était pas empêché de payer l’arriéré d’impôts simplement parce qu’il n’était pas en possession des renseignements nécessaires pour lui permettre de faire un tel paiement. La défenderesse avait dit précisément au demandeur combien, selon elle, il devait. Si le demandeur était en désaccord avec ce calcul, il lui était loisible de faire le paiement et ainsi d’arrêter l’horloge des frais d’intérêts, et ensuite de contester par la procédure d’appel les calculs faits par la défenderesse.

 

[33]           Je suis donc d’avis que la décision de la directrice de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur n’était pas déraisonnable et qu’elle ne devrait pas être annulée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

Les dépens

[34]           La défenderesse a sollicité les dépens dans son exposé des faits et du droit, mais son avocat n’a pas insisté sur ce point à l’audience. Au vu des circonstances, et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne délivrerai pas d’ordonnance sur les dépens.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1236‑06

 

 

INTITULÉ :                                       KENNETH THOMAS KREKLEWICH c.

                                                            L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Regina (Saskatchewan)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 AOÛT 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MacTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth Kreklewich                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Lyle Bouvier                                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kenneth Kreklewich                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LA DÉFENDERESSE

 

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