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Date : 20070831

Dossier : IMM-4492-06

Référence : 2007 CF 877

Ottawa (Ontario), le 31 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

ALAA SALMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision prise le 27 juin 2006 dans laquelle un agent des visas a conclu que le demandeur n’était pas membre de la catégorie des aides familiaux et a rejeté sa demande de permis de travail.

 


Le contexte

[2]               Alaa K. Salman (le demandeur), citoyen iraquien âgé de 40 ans, a présenté une demande de permis de travail dans la catégorie des aides familiaux en juin 2006.

 

[3]               Le 18 juin 2006, le demandeur s’est présenté à une entrevue à l’ambassade du Canada à Damas, et l’agent des visas a rejeté sa demande le jour même au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires, comme l’exige l’article 112 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[4]               À la suite de ce refus, le futur employeur du demandeur au Canada a obtenu une évaluation du Service d’éducation comparée de l’Université de Toronto, qui confirme que le programme d’études auquel avait été inscrit le demandeur était l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires de l’Ontario. La lettre de l’Université de Toronto a par la suite été télécopiée à l’ambassade, qui a accordé au demandeur une deuxième entrevue avec un nouvel agent le 27 juin 2006.

 

[5]               À la fin de la deuxième entrevue, la demande de permis de travail du demandeur a une fois de plus été rejetée. Dans une lettre en date du 27 juin 2006, l’agent des visas a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences d’obtention d’un permis de travail, au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait terminé avec succès l’école secondaire ou qu’il avait l’intention de travailler pour la famille qui lui avait offert un contrat.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1)        L’agent des visas a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur ?

2)        L’agent des visas a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement pour l’obtention d’un permis de travail?

 

LA DISPOSITION RÉGLEMENTAIRE PERTINENTE

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

(e) have an employment contract with their future employer.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]               Il est de droit constant que les décisions des agents des visas constituent des décisions discrétionnaires fondées essentiellement sur l’appréciation de faits et que la Cour doit donc faire preuve de retenue lorsqu’elle les contrôle. Comme la Cour d’appel fédérale l’a établi dans l’arrêt Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, [2001] A.C.F. no 1575, au paragraphe 12 :

Les demandes d’admission au Canada à titre d’immigrant sont assujetties à la décision discrétionnaire d’un agent des visas qui doit tenir compte de certains critères prévus par la loi pour prendre sa décision. Lorsque ce pouvoir conféré par la loi a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle et que la décision n’a pas été fondée sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l’objet de la législation, les tribunaux ne devraient pas intervenir (Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pages 7 et 8; To c. Canada, [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.)).

 

 

 

[8]               La décision manifestement déraisonnable sera donc la norme applicable relativement à la décision de l’agent des visas concernant le bien-fondé de la demande.

 

[9]               Cependant, la norme de contrôle applicable aux allégations de manquement à l’équité procédurale est la décision correcte (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail de l’Ontario), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65). Si la Cour conclut qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la décision sera infirmée (Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, page 665).

 

ANALYSE

1) L’agent des visas a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

[10]           Le demandeur soutient que l’agent des visas a manqué à la justice naturelle et à l’obligation d’équité lorsqu’il a conclu que le demandeur avait omis de fournir les documents nécessaires tant lors du dépôt de sa demande qu’à l’entrevue.

 

[11]           Il est bien établi en droit qu’il incombe au demandeur de visa de fournir à l’agent des visas tous les documents nécessaires à l’appui de sa demande (Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262).

 

[12]           La Cour a également établi dans la décision Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, que l’agent des visas avait l’obligation de faire connaître ses réserves au demandeur lorsqu’il s’agit d’une question de crédibilité ou d’authenticité des documents et de fournir au demandeur l’occasion de dissiper de telles réserves. Je ne suis pas convaincu que l’agent s’est acquitté de cette obligation en l’espèce.

 

[13]           Le demandeur a eu droit à une entrevue et, bien qu’il n’y ait pas de transcription de cette entrevue, les notes du STIDI indiquent que l’agent des visas a bel et bien interrogé le demandeur au sujet de ses diplômes. Néanmoins, je suis d’avis que l’agent des visas a omis de tenir compte de l’explication du demandeur relativement aux raisons pour lesquelles il n’avait que ce document pour prouver qu’il avait terminé ses études.

 

[14]           Le demandeur a expliqué que le ministère de l’Éducation en Irak ne fournit aucune transcription. Il a également souligné que le diplôme qu’il a produit atteste qu’il [traduction] « avait été admis à l’Examen d’entrée des bacheliers aux études supérieures (section littérature) en 1986‑1987 […] Il a réussi l’examen et a obtenu les notes suivantes : ».

 

[15]           Le demandeur a aussi fourni une copie de l’évaluation du Service d’éducation comparée de l’Université de Toronto, qui confirme que le diplôme d’études secondaires du demandeur est équivalent au diplôme d’études secondaires de l’Ontario. Bien qu’il fasse mention de cette évaluation dans ses notes du STIDI, l’agent n’effectue aucune analyse et n’émet aucun commentaire expliquant le rejet de cette preuve.

 

[16]           À mon avis, en raison des faits en l’espèce et de la preuve dont il disposait, l’agent des visas avait l’obligation d’examiner cette question plus à fond.

 

[17]           Dans la décision Kojouri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1389, le juge John A. O’Keefe a écrit ce qui suit aux paragraphes 18 et 19 :

18     L’agent des visas était préoccupé par le fait que deux des lettres fournies par le demandeur reprenaient textuellement les fonctions énumérées à la catégorie 3214 de la CNP (perfusionniste cardio-vasculaire). Il a par conséquent conclu que ces documents n’étaient pas dignes de foi, et qu’il en était de même des renseignements touchant la formation et l’expérience de travail du demandeur. Même s’il est vrai que l’agent des visas a exprimé quelques réserves au sujet de la formation et de l’expérience du demandeur lors de l’entrevue, il n’a ni donné au demandeur la possibilité de répondre aux réserves particulières qu’il avait concernant l’authenticité des lettres, ni essayé d’obtenir des renseignements additionnels pour déterminer si les lettres étaient authentiques. Le contre-interrogatoire de l’agent des visas a permis de démontrer qu’il n’était pas sûr si le cachet de certification ne visait que la traduction. La question de la certification de l’authenticité des lettres aurait dû faire l’objet d’une vérification

 

 

19     Je suis d’avis que l’agent des visas a commis des erreurs susceptibles de contrôle en omettant d’obtenir des renseignements supplémentaires et en omettant d’informer le demandeur des doutes qui l’ont amené à conclure que les documents n’étaient pas dignes de foi. Ceci est compatible avec la décision Huyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1267 (C.F 1re inst.), 2001 CFPI 904, dans laquelle le juge Lemieux a dit ce qui suit au paragraphe 5 : 

 

De plus, l'agente des visas a rejeté un élément de preuve documentaire établissant que la demanderesse avait travaillé comme cuisinière dans un restaurant du Vietnam, parce que l'attestation n'était pas sur papier à en-tête et qu'elle était manuscrite. Je conclus que le rejet d'un élément de preuve documentaire pour ces seules raisons, sans autre vérification, est déraisonnable.

 

 

Eu égard aux circonstances de la présente affaire, les erreurs en question constituent un manquement à l’obligation de l’agent des visas d’agir avec équité envers le demandeur.

 

 

 

[18]           Dans la présente affaire, le rejet de la preuve à ce stade-là constituait un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

[19]           L’intérêt de la justice sera mieux servi par une analyse plus raisonnable de la preuve fournie par le demandeur au sujet de son diplôme d’études secondaires.

 

[20]           Cette erreur justifie donc l’intervention de la Cour.

 

[21]           En raison de ma conclusion concernant la première question, il ne sera pas nécessaire que j’examine la seconde question.


JUGEMENT

 

1.      La demande est accueillie.

2.      La décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

3.      Les parties n’ont soulevé aucune question aux fins de certification.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-4492-06

                                                           

 

 

INTITULÉ :                                                                           ALAA SALMAN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 15 AOÛT 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE BLAIS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 31 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

Josh Lang                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Josh Lang

Avocat                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

20, avenue Eglinton Ouest, bureau 2202

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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