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Date : 20070904

Dossier : IMM-3266-07

Référence : 2007 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2007

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

DIOGO CICHACZEWSKI ET

GLORIA DANIELS

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

« Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion; »

 

[1]               Notre Charte canadienne des droits et libertés n’avance rien de neuf. La liberté de religion est, et a été, une pierre angulaire de la société canadienne. Cette liberté a été reconnue par les Nations Unies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

 

[2]               M. Cichaczewski est un jeune homme originaire du Brésil. Gloria Daniels est son épouse canadienne. Il est chrétien, elle est juive.

 

[3]               Il est arrivé au Canada en 2002 et a revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication était fondée sur sa crainte de représailles de la part d’un trafiquant de drogues qui a été condamné et emprisonné à la suite de renseignements qu’il a fournis à la police. Le trafic de drogues mettait également en cause un policier. Sa revendication du statut de réfugié a été déclarée abandonnée, peut-être en raison de l’incompétence de son conseiller en immigration. Plus récemment, il a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) et a demandé à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire pendant le traitement de sa demande de résidence permanente. Point important à considérer, sa conversion au judaïsme est bien avancée.

 

[4]               Les deux demandes ont été refusées. Il a présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Entre-temps, le renvoi du demandeur du Canada est prévu pour le 15 septembre 2007. Il demande également un sursis à la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de sa demande de contrôle judiciaire.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               Comme toujours dans les requêtes de ce type, le redressement exceptionnel d’un sursis interlocutoire n’est accordé que s’il existe une question sérieuse à juger et un préjudice irréparable et si la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur (Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration (1988), 86 N.R. 302, et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

[6]               Une question sérieuse à juger est une question qui n’est ni futile ni vexatoire.

 

[7]               Plus précisément, est-ce qu’une interruption de sa conversion religieuse en raison de son renvoi constitue une question sérieuse et entraîne un préjudice irréparable?

 

ANALYSE

[8]               M. Cichaczewski a mis sur pied une entreprise fructueuse comme sous-traitant dans l’industrie de la construction. Il s’est marié l’an dernier. Sa femme occupait un emploi rémunéré comme enseignante, mais grâce à l’aide financière de son mari, elle est maintenant retournée aux études pour suivre un programme d’études supérieures.

 

[9]               Comme il est dit précédemment, Mme Daniels est juive, et M. Cichaczewski est en voie de se convertir à cette religion. Sa sincérité n’a pas été remise en question. Il importe de souligner qu’il ne s’agit pas d’une conversion opportuniste.

 

[10]           Au cours des débats, j’ai dit que je n’accorderais pas de sursis en attendant le résultat de l’ERAR.

 

[11]           En ce qui a trait à la demande pour des motifs d’ordre humanitaire, une demande de conjoint au Canada n’est pas recevable pour l’instant, parce que M. Cichaczewski a été condamné pour une infraction mineure en 2004. Même s’il n’a pas été déclaré non admissible, il semble qu’il ne serait pas admissible à un parrainage de son épouse avant d’obtenir un pardon pour son infraction, pardon qui ne pourrait être obtenu avant 2010. Le ministre ajoute qu’une demande spéciale peut être présentée en attendant ce pardon, mais les détails sont quelque peu incomplets.

 

[12]           Comme j’ai décidé d’accorder le sursis pour des motifs religieux, je n’ai pas à tenir compte de la dépendance financière alléguée de son épouse, ni des nombreuses autres affirmations faites en son nom.

 

LIBERTÉ DE RELIGION

[13]            Chacun a le droit de croire ou de ne pas croire. Chacun a le droit d’appartenir à une religion organisée, avec l’accord des adeptes de cette foi, ou non. Chacun a le droit de témoigner publiquement de sa foi. Chacun a droit de changer de religion.

 

[14]           Comme l’a affirmé le Conseil privé dans la décision Despatie v. Tremblay (1921), 1 A.C.  702, à la page 714 :

[traduction] La situation religieuse dans la province de Québec en 1774 était donc la suivante : chacun avait individuellement le droit de professer et de pratiquer la religion catholique en toute liberté. Il faut cependant se rappeler qu’il s’agit là d’un privilège accordé à la personne, il n’y a aucune obligation légale. Chacun est libre de changer de religion à son gré. Si quelqu’un est dans l’Église catholique romaine, il peut, en autant que la loi est concernée, choisir d’être orthodoxe ou de ne pas l’être, sauf le droit propre de toute association libre, comme l’Église catholique romaine, de fixer les conditions auxquelles il peut en demeurer membre [...].

 

 

[15]           La preuve dont disposait l’agent est que M. Cichaczewski est en voie de se convertir au judaïsme. Il a terminé les cours, mais il reste un certain nombre d’autres démarches à entreprendre. Les éléments de preuve montrent qu’il doit achever la démarche avec son épouse et le rabbin qui le parraine au sein de sa propre congrégation. Toutefois, l’agent était d’avis que rien n’empêchait M. Cichaczewski de se convertir au judaïsme une fois de retour au Brésil. Cela pourrait se faire, mais à tout le moins sa conversion serait interrompue et retardée.

 

[16]           L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est rédigé comme suit :

Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

 

 

[17]           Même si la priorité au Canada est de renvoyer une personne qui n’a pas de statut légal ici, une des répercussions malheureuses de son renvoi est que sa conversion serait retardée, autrement dit, perturbée.

 

[18]           Certes, le cas de M. Cichaczewski soulève une question sérieuse, dans le sens qu’elle n’est ni frivole ni vexatoire. Quant au préjudice irréparable, il convient de souligner que dans les décisions R.J.R. MacDonald et Toth, précitées, il en allait d’intérêts commerciaux et non de droits humains fondamentaux. Comme le juge Robertson l’a affirmé dans la décision Suresh v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1999] 4 C.F. 206, au paragraphe 12 :

[traduction] Aucune violation d’un droit humain fondamental ne peut être mesurée avec précision ou réparée par l’octroi d’une somme d’argent.

 

Comment peut être mesuré le préjudice découlant des obstacles au droit de M. Cichaczewski de célébrer la religion de son choix?

 

[19]           La date à laquelle a été rendue la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire crée ses propres difficultés. Si M. Cichaczewski était juif en premier lieu, ou si sa conversion avait été achevée, la religion n’aurait pas été un enjeu. Elle ne l’aurait pas été non plus s’il n’avait pas eu l’intention de se convertir, ou s’il avait affirmé en avoir l’intention, mais n’avait rien fait pour cela (Chibani c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1167).

[20]           Cependant, la Cour doit évaluer les faits tels qu’ils se présentent. Les parties étaient représentées par des avocats très expérimentés, mais aucun n’a été en mesure d’attirer mon attention sur une affaire portant précisément sur ce point. Dans les circonstances, il est de loin préférable de maintenir le statu quo, en attendant l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le ministre n’a pas encore eu la possibilité de répondre.

 

[21]           La prépondérance des inconvénients joue aussi en faveur des demandeurs.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis de l’ordonnance de renvoi de M. Cichaczewski au Brésil, censée être exécutée le 15 septembre 2007, soit accueillie. Le renvoi est suspendu en attendant l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision négative fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3266-07

 

INTITULÉ :                                       DIOGO CICHACZEWSKI ET GLORIA DANIELS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 AOÛT 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 SEPTEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Alexis Singer

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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